« Et puis sa bagnole, les gars, elle est drôlement bizarre, les gars… » Voilà sans doute ce qu’aurait laissé échapper le truculent Pierre Vassiliu en apercevant l’Alfa Romeo 1900C SS habillée par Boano. Sans doute évadée du monde de Marvel ou de celui des Thunderbirds, nous l’avons surprise en Hollande et elle ne nous a pas échappé.
Texte Philippe Gutiérrez, photos Xavier de Nombel
Heureux sont ceux qui ont pu l’admirer à Rétromobile. Comme toutes les raretés, surtout lorsqu’elles sont uniques, on parle en beaucoup et l’on s’interroge. Cela étant, le châssis 01846 est bien celui de la voiture qui était sur le stand du carrossier Boano au salon de Turin de 1956. Les photos d’époque sont en noir et blanc, mais la peinture deux tons ne fait pas de doute. En recoupant les informations, il ressort que l’auto était jaune à l’origine, avec le toit noir. C’est ce que confirme Jaap Braam Ruben, son propriétaire actuel néerlandais. « Elle a été repeinte en rouge à la fin des années soixante ou au début des années soixante-dix. Pour le reste, elle est entièrement originale, à quelques détails près comme les carburateurs, qui sont plus performants que ceux de la monte initiale. » C’est vrai que, les années passant, le rouge a pris une belle patine, ce qui fait que la voiture porte son âge comme il faut. L’intérieur est à l’avenant, avec des cuirs joliment érodés, des tapis de sols élimés, des boutons de commandes jaunis avec une légère opacité des parties transparentes. Tout cela sent bon le vintage et le glamour qui a déjà vécu ses plus belles années. On retrouve la même engeance quand on soulève le capot moteur où la vieille graisse semble assurer l’étanchéité du quatre cylindres et de ses deux arbres à cames en tête. Même si l’ensemble est finalement un peu « crassous », l’on se prend à se demander s’il serait ou non opportun de nettoyer tout ça ! Mais laissons de côté ces considérations de vieux collectionneur pervers, refermons portes et capot et reculons de dix pas.
Habit de lumière à l’italienne
On a beau en faire et en refaire le tour, la Boano ne souffre pas la critique. L’auto est simplement sublime. Sa cohérence est parfaite, la ligne de caisse équilibrée et le pavillon d’une luminosité exceptionnelle. Les apports de chromes ou d’inox sont discrets et se limitent à mettre certains volumes en exergue. L’ensemble ne présente aucun angle ni arête. Toute en rondeurs, certes, mais avec un profil qui suggère l’aptitude à pénétrer l’air et à atteindre des allures inavouables. L’auto est au point de convergence de l’esthétique et de l’aérodynamique. Fera-t-elle école ? Allez savoir. Toujours est-il qu’on retrouve un peu de ce concept dans le pavillon de la Chevrolet Corvette 1963, ladite Split-Window. Et, quitte à faire hurler, peut-être que Dick Teague avait-il encore en tête le coup de crayon de la Boano quand il a vitré l’habitacle de l’AMC Pacer. Cela étant, les plus orthodoxes des critiques préfèreront trouver dans l’arrière-train de la séduisante italienne, avec sa moulure caudale “à la Letourneur & Marchand”, l’inspiration des carrosseries goutte d’eau des grand maîtres de l’entre-deux guerres. Mémorisez-en les lignes et les détails car cette auto est unique comme le chef-d’œuvre d’un compagnon du Tour de France. Mais elle ne l’a pas toujours été. En effet, en 1955 Mario Boano devait carrosser un châssis Alfa Romeo à la demande d’un connaisseur : le président de la République Argentine, Juan Domingo Peron. Le travail sera exécuté sur un châssis initialement habillé d’une carrosserie Colli. Il est clair que Boano a été fortement influencé par les très fameuses Disco Volante. Les deux voitures qu’il réalise sont tellement belles et tellement ressemblantes que la confusion sera inévitable. Pourtant, le joujou du président argentin sera fondé sur un châssis d’Alfa Romeo 3000 CM. Pour faire simple, l’engin est équipé d’un moteur à six cylindres de trois litres et d’une suspension arrière qui fait appel à des barres de torsion, sensiblement différente de celle du châssis 1900. Vue de l’extérieur, quelques détails diffèrent encore comme par exemple les échancrures en haut des baies arrière et les extracteurs d’air latéraux en retrait des passages d’ailes de la voiture argentine. Cela étant, cette confusion n’est plus de mise depuis longtemps. Peron n’aura guère le loisir de profiter de sa voiture, laquelle sera accidentée bien plus tard par un autre propriétaire. Il y en aura plusieurs et le dernier en date lui redonnera une carrosserie reproduisant le dessin de Colli, identique à sa carrosserie d’origine.
Boano en deux mots
Felice Mario Boano va installer son entreprise de carrosserie à Grugliasco en 1954. Boano vient de quitter la Carrozzeria Ghia l’année précédente, une entreprise qu’il avait achetée dix ans avant, en 1944. Les premières réalisations se feront sur des châssis Alfa Romeo avant d’utiliser des châssis Abarth et surtout Ferrari. C’est cette dernière marque qui donnera à Boano ses plus beaux chantiers parmi lesquels un coupé 250 GT. Quand en 1957 Mario Boano a l’occasion de mettre sur pied et d’animer le bureau de style de Fiat, il donne un coup de frein à la production de son entreprise et finit par la fermer. Il fait néanmoins passer les carnets de commande à l’un des ses principaux collaborateur et gendre, Ezio Ellena, ainsi qu’à son ex-associé, Luciano Pollo. La toute nouvelle Carrozzeria Ellena continuera de fabriquer des Ferrari 250 GT Boano. Elle cessera définitivement ses activités en 1966.
Alfa Romeo 1900 : de la Berlina à la Super Sprint
La branche 1900 apparaît au sein de la famille Alfa Romeo en 1950. La naissance a lieu à Turin, en mai, mais la véritable entrée dans le monde se fait en octobre au salon de Paris. La “déb” est berline à coque autoporteuse nantie d’un moteur à quatre cylindres de 1 884 cm3. C’est une quasi révolution dans la mesure où c’est la première Alfa Romeo produite en série sur une ligne d’assemblage installée sur le site milanais de Portello et qui applique des normes de production modernes. C’est aussi la première fois que le constructeur monte une distribution à deux arbres à cames en tête commandés par chaîne sur un quatre cylindres. La suspension fait aussi figure de nouveauté avec, à l’avant, une double triangulation, ressorts hélicoïdaux et amortisseurs télescopiques et, à l’arrière, un essieu rigide guidé par des bras tirés tubulaires, ressorts hélicoïdaux et deux tirants diagonaux qui maintiennent le pont grâce à un pivot sur le dessus du carter. Dès 1951 apparaît une version plus sportive : la 1900 TI (TI pour Turismo Interzionale). Les aménagement portent sur le moteur dont le rapport volumétrique passe de 7.5 à 7.75 : 1 et dont on augmente le diamètre des soupapes (de 38 à 41 mm à l’admission et de 34 à 36,5 mm à l’échappement). Avec un carburateur Weber double corps 40 DCA 3 ou deux Solex 40 PII, la puissance atteint 100 ch au frein à 5 500 tours/mn. Alfa Romeo va monter ce moteur sur un châssis à l’empattement plus court que celui de la 1900 originelle (2,5 m) pour faire sa 1900 C Sprint. Et c’est cette configuration qui va titiller l’imagination des carrossiers indépendants. Il faut noter à ce propos que le châssis 1900 sera le dernier mis à le disposition des indépendants par le constructeur pour qu’ils viennent y soudent leurs propres carrosseries. Les deux plus importants seront Touring et Zagato, mais quasiment tous s’y essaieront : Stabilamente Farina, Pinin Farina, Boneschi, Castagna, Ghia, Ghia-Aigle et Boano, bien sûr.
Alfa Romeo 1900 C SS Boano, fleuron milanais
Le fleuron des 1900 va arriver en 1953 avec la série Super. La 1900 C Super Sprint en fait partie, à côté de la berline et de la Super TI. La Super Sprint sera en production jusqu’en 1958. Cette dernière version se distingue principalement des séries antérieures par l’alésage du moteur qu’on augmente de 82,55 à 84,5 mm. En conséquence de quoi, la cylindrée passe de 1 884 à 1 975 cm3. La 1900 C Super Sprint aussi reçoit un pont arrière spécifique au rapport de 3.73 : 1 ce qui, avec la boîte à cinq vitesses (les autres Super sont dotées d’un pont au rapport 4.1 : 1 et d’une boîte 4) dont le dernier rapport est surmultiplié, lui permet de dépasser les 190 km/h. Au cours du premier semestre 1955, la chaîne de distribution du moteur est remplacée par un dispositif à deux chaînes plus silencieux. Concomitamment, le sens de rotation des arbres à cames se verra inversé et l’ordre d’allumage modifié.
Alfa Romeo 1900 C SS Boano
C’est à partir du châssis de la Super Sprint que Bertone va développer les célèbres prototypes aérodynamiques BAT 7 et BAT 9 (BAT pour Berlinetta Aerodinamica Tecnica) en 1954. La BAT 5, sur le fondement du châssis Sprint, les aura précédés en 1953. Aussi fameuses, les Disco Volante (soucoupes volantes) sont à mettre à l’actif du carrossier milanais Touring qui habillera leurs jolis châssis tubulaires. Les trois autos (une barquette et deux coupés) étaient des prototypes hyper profilés destinés à la compétition.
Texte Philippe Gutiérrez, photos Xavier de Nombel
Plus d’Alfa Romeo ici : https://www.retropassionautomobiles.fr/2020/04/alfa-romeo-24-hp/