BMW 501 ET 502 – LA RENAISSANCE BAVAROISE
L’homme dont on peut dire, à bien des égards, qu’il est à l’origine de la marque BMW se nomme Max Fritz. Au début de l’année 1917, alors que, depuis deux et demi maintenant, l’Europe est ravagée par la Première guerre mondiale. Cet ingénieur travaille alors au sein de la Daimler Motoren Gesellschaft et vient de se voir refuser l’industrialisation de son projet de moteur d’avion. Frustré, il décide alors de quitter son employeur et part présenter ses plans à la direction de la Rapp Motorenwerke, un constructeur de moteurs. Cette dernière, séduite, décide de faire produire ce moteur en série, convaincue par les arguments de Fritz que ce moteur permettra aux chasseurs de l’Armée de l’air allemande, la Luftwaffe, d’accroître leur attitude de croisière et de s’assurer ainsi la domination dans les airs. Peu de temps après, les membres de la commission Reichswehr visite les usines Rapp et se montrent fort impressionnés par le projet de l’ingénieur Max Fritz. A tel point que la commission passe immédiatement une commande de 600 exemplaires du moteur mis au point par Fritz. Un moteur qui, pour l’heure, n’existe encore que sur le papier. En plus de se réorganiser en toute hâte afin de satisfaire la demande des autorités, l’entreprise change également de nom et, le 21 juillet 1917, devient officiellement la Bayerische Motoren Werke.
Si le moteur BMW IIIa qui sort bientôt à la chaîne des usines BMW remplit pleinement les attentes de l’Armée de l’air comme celles de son concepteur et assure le succès des chasseurs allemands dans les airs, ceux-ci ne parviendront toutefois pas à empêcher la défaite de l’Allemagne en novembre 1918.
Après l’effondrement du régime impérial et l’instauration de la République de Weimar, l’une des nombreuses conséquences du Traité de Versailles est que l’Allemagne se voit alors quasiment privée de toute armée, que ce soit sur terre, sur mer ou dans les airs. Ce qui porte évidemment un coup fort rude à BMW, dont la construction de moteurs d’avions était la spécialité et qui se voit alors contraint, dans un pays à l’économie ruinée par la guerre et par les mesures imposées par les vainqueurs, de se chercher de nouvelles activités. Joseph Popp, le dynamique directeur général de l’entreprise, parvient néanmoins à assurer sa survie d’abord grâce à un contrat de fabrication sous licence de pièces de freins signé avec la firme Knorr-Bremse AG. L’entreprise bavaroise est rachetée, à la même époque, par l’homme d’affaires Camillio Castiglioni (Ce dernier la rachetera une première fois avant de la vendre peu de temps après afin de dégager rapidement des bénéfices mais il en reprendra toutefois le contrôle en 1922, pressentant de nouvelles opportunités de développement pour la marque).
Si la jeune République allemande ne peut désormais plus disposer d’aucun avion militaire et si la plupart des entreprises allemandes en sont à présent réduites à des activités de subsistance ou ont, tout simplement, du mettre la clé sous la porte, BMW, elle, y croit toujours. Le 9 juin 1919, le pilote Zeno Dierner établi un record en atteignant une altitude de 9 760 mètres à bord d’un biplan DFM C IV équipé d’un moteur dérivé du 6 cylindres BMW IIIa conçu par Max Fritz. Celui qui équipe l’avion de Diemer est toutefois, lui, un 12 cylindres type IV qui développe une puissance de 250 chevaux. Un exploit qui renforce l’espoir parmi les ingénieurs et les ouvriers de BMW de pouvoir un jour reprendre la production des moteurs d’avions. Avec ce nouveau moteur, ils ont, en tout cas, démontré que la défaite n’avait nullement détruit la capacité et les talents de l’entreprise bavaroise et que le moteur mis au point par Fritz possédait un très bon potentiel de développement. Castiglioni en est lui aussi convaincu et demande même à ses ingénieurs de concevoir toute une gamme de moteurs connus sous l’appellation « Bavaria ».
Le traité de Versailles interdisant toute création ou utilisation de moteurs ou d’autre matériel à des fins militaires, les moteurs mis au point par BMW ne pourront donc servir qu’à des applications industrielles ou à motoriser des automobiles, des utilitaires (autobus, tracteurs,…) ou encore des bateaux ou des motos. En ce début des années 1920, étant donné l’état de l’économie allemande, les automobiles, même s’agissant des modèles les plus modestes, restent encore un rêve inaccessible pour beaucoup de citoyens allemands. A cette époque, celle qui devient le moyen de transport individuel le plus prisé est la moto. Les engins motorisés à deux roues offrant en effet un très bon rapport économie/performance. Le moteur qui équipe la première moto commercialisée par BMW, la R32, présentée en septembre 1923 au Salon automobile de Berlin, est un bicylindre de 500 cc développant 6,5 chevaux. En plus de ces propres deux roues, BMW le vendra aussi à d’autres constructeurs de motos comme la marque Victoria. De nombreuses victoires remportées dans les compétitions de l’époque participent également à la construction de la notoriété de la marque. Allant fiabilité et légèreté, ce moteur se retrouvera même sous le capot de certains cyclecars et équipera même certains avions ultra-légers. Si, à l’époque, les changements se succèdent à un rythme assez rapide et « régulier » à la tête de l’entreprise (La gestion quelque peu « opaque » menée par Castiglioni ayant poussé ce dernier vers la sortie), Franz Joseph Popp, demeurant au poste de directeur général, bien décidé à ce que BMW retrouve sa place sur le marché des constructeurs de moteurs d’avions, négocie avec le fabricant Pratt & Whitney la construction sous licence des moteurs en étoile Wasp et Hornet. Si les autorités allemandes de l’époque se montrent sceptiques en ce qui concerne les performances de ces moteurs refroidis par air, la présentation, en 1933, du moteur BMW 132, dérivé du Hornet américain, qui développe une puissance de 690 chevaux, finira par les convaincre du potentiel de cette mécanique. Laquelle équipera bientôt le Junckers Ju 52, qui deviendra l’un des fers de lance de la renaissance de l’aviation allemande.
Entretemps, BMW poursuit également son développement ainsi que la diversification de ses activités en devant constructeur d’automobiles, avec le rachat de la firme Fahrzeugfabrik Eisenach, qui produit sous licence l’Austin Seven, vendue depuis 1927 en Allemagne sous le nom de Dixi. Rapidement, les ingénieurs de la marque vont acquérir le savoir-faire nécessaire qui leur permettra bientôt de conçevoir et de produire leurs propres modèles.
La première vraie automobile produite par BMW, la 3/20 PS, apparaît en 1931. Bien que son quatre cylindres n’affiche qu’une cylindrée de 782 cc et une puissance de 20 chevaux, elle se montre à la fois plus fiable et plus agréable à conduire que l’archaïque Dixi. Deux ans plus tard, en 1933, apparaît le premier modèle équipé d’un moteur 6 cylindres, la 303, qui est aussi la première BMW à arborer la célèbre calandre à « double haricot » dont seront équipées toutes les voitures BMW (hormis la 507). La série 326, dévoilée en 1935, se caractérise également par une fiche technique fort moderne, avec sa carrosserie soudée sur cadre, son châssis à caisson surbaissé, son essieu arrière suspendu par barres de torsion et son circuit de freinage hydraulique. Le modèle le plus emblématique parmi les BMW d’avant-guerre sera toutefois présenté sur le célèbre circuit du Nürburgring (Ce qui traduit bien, à la fois, la vocation sportive de la voiture et aussi les ambitions de son constructeur en compétition) en juin 1936. Il s’agit de la BMW 328. Se présentant sous la forme d’un élégant et sobre roadster à deux places, grâce à son moteur six cylindres de 2 litres développant une puissance de 80 chevaux (Une puissance confortable pour l’époque) et aussi à son poids plume de seulement 830 kg. Si la 328 verra sa carrière écourtée par le déclenchement de la guerre, elle aura néanmoins eu le temps de se faire un nom et d’asseoir définitivement la réputation de BMW dans le monde de la compétition automobile. Un superbe élan qui va toutefois être briser net par le régime hitlérien, qui va plonger l’Allemagne ainsi qu’une grande partie de l’Europe dans l’enfer de la Seconde guerre mondiale.
En mai 1945, l’Allemagne se retrouve une nouvelle fois à terre. Plus encore qu’en 1918, le pays est dévasté, à tous points de vue, par la guerre qu’elle a provoquée. Depuis la Baltique jusqu’aux Alpes et du Rhin jusqu’à l’Oder et la Neisse, la plus grande partie des villes allemandes ne sont plus que des champs de ruines. En particulier Berlin, l’ancienne capitale du Reich allemand, dont Hitler proclamait avec orgueil qu’il durerait mille ans, devenu, par l’action des bombardements Alliés et de l’action des troupes soviétiques, lorsque celles-ci se sont emparés de la ville, le bûcher du régime et de l’idéologie nazie. Si, comme tous les autres constructeurs allemands, BMW se retrouve dans une situation aussi exsangue et inconfortable qu’incertaine, le cas de la Bayerische Motoren Werke est, sur plusieurs points, assez épineux et délicat. En plus des destructions graves causées par les bombardements des escadrilles anglaises et américaines, son usine d’Eisenach, située en Thuringe, à l’est du pays, donc en zone contrôlée par les troupes soviétiques, a été confisquée et nationalisée. Ironie du sort vis-à-vis des dirigeants de l’entreprise bavaroise, l’usine d’Eisenach reprendra, quelques mois seulement après la fin de la guerre, sa production automobile (en plus de celle des motos), alors que celle de Munich ne peut faire de même, en tous cas en ce qui concerne les voitures, faute d’autorisation de la part des autorités d’Occupation. En plus des dégâts causés par le conflit, la reprise des activités s’avère assez difficile car l’essentiel de celles-ci ont été concentrées, entre 1940 et 1945, sur la production des moteurs d’avions afin de satisfaire les besoins de la Luftwaffe. Sans compter que BMW a aussi souffert, durant cette période, des guerres d’influence qui ont opposé ses principaux dirigeants. Le comité mis en place pour tenter de remettre sur pieds l’entreprise a donc fort à faire.
Si la production des motos peut être redémarrée dès le mois d’août 1945 (Trois mois à peine après la capitulation), celle-ci est toutefois soumise aux règles fixées par les responsables anglais et américains des zones d’occupations où sont situés les différents sites de production de l’entreprise et la cylindrée des deux roues est, pour l’heure, limitée à 250 cc. Les règles s’assouplissent toutefois avec le temps et, trois ans plus tard, au Salon de Genève, BMW présente sa nouvelle R24 à moteur monocylindre. La même année, au mois de mai 1948, la marque est enfin autorisée à reprendre sa production automobile. Si la plupart des constructeurs allemands (En tout cas ceux qui ont survécus à la guerre et qui ont choisi de reprendre leurs activités automobiles) ont fait le choix, logique et pragmatique, de s’orienter vers les modèles économiques (Y compris Mercedes, tout du moins jusqu’au début des années 50), BMW, au contraire, choisie, elle, de jouer la carte du haut de gamme. Un choix qui, de rime abord, peut paraître à la fois curieux et également risqué, car, au vu de l’état de l’Allemagne en cette fin des années 1940, il est évident que le marché pour un modèle de ce genre est réduit à un mouchoir de poche. Même à l’étranger, en dehors des rares pays qui (comme la Suisse ou la Suède) sont restés neutres durant le conflit, les débouchés pour un tel modèle apparaissent plutôt incertains. Etant donné les plaies nombreuses et encore vives laissées par la guerre et par l’occupation dans la plupart des pays européens, rouler dans une voiture allemande passerait carrément pour de l’inconscience, pour ne pas dire de la provocation. La direction de BMW a bien conscience de tout cela mais elle reste pourtant persuadée que, en Allemagne comme à l’étranger (Aussi bien en Europe ou ailleurs), il y a toujours une place pour une voiture allemande de grande classe.
Il est vrai que, lorsque la nouvelle BMW sera dévoilée au public, en 1951, la nouvelle situation économique du pays leur donne quelques bonnes raisons d’espérer. Un pays qui, en grande partie grâce à l’aide financière et matérielle des vainqueurs d’hier, notamment celle des Américains, se redresse, lentement mais sûrement, et connaît le début de ce que l’on appellera le « miracle économique allemand ». Une aide et un redressement économique dicté, il est vrai, avant tout par des raisons pragmatiques et par le contexte de la Guerre froide dans laquelle l’Europe et une grande partie du reste du monde se trouve alors plongé depuis la fin de la guerre. Face à l’Empire soviétique, dirigé d’une poigne de fer par le maréchal Staline, les Etats-Unis des présidents Truman puis Eisenhower ont rapidement compris, avec leurs alliés français et britanniques, qu’il leur fallait fusionner leurs zones d’occupation respectives pour créer un nouvel Etat allemand et de rendre celui-ci suffisamment fort sur le plan économique pour leur permettre de tenir tête non seulement à l’U.R.S.S mais aussi à « l’autre » Allemagne (Le régime communiste de la R.D.A) mais aussi au reste des pays d’Europe de l’est qui forment les satellites de Moscou. Ce qui sera chose faite en 1949 avec la fondation de la R.F.A, la République Fédérale Allemande. C’est dans ce contexte lors du Salon Automobile de Francfort de 1951.
Un florilège de rondeurs, tel semble être le mot d’ ordre retenu par les stylistes de Munich dirigés par le productif Peter Szymanowski, lors de la genèse de la 501. L’ influence américaine est, comme chez tous les constructeurs du moment, très sensible. Dans le cas présent, les lignes des Buick des années 1942 – 1948 semblent avoir marqué les esprits. Les épaisses ailes avant s’ étirent jusqu’ aux portières arrière, qui s’ ouvre dans le mauvais sens, et la malle à bagages, d’ une contenance respectable, accentue elle aussi les formes joufflues de l’ ensemble. D’abord peut convaincus par le prototype dessiné par Szymanowski, les membres de la direction de BMW décident alors de faire appel à Pininfarina et demandent donc au carrossier italien de leur proposer un projet alternatif. Les lignes du prototype en question seront toutefois jugé trop proches de celles de l’alfa Romeo 1900, aussi les dirigeants de la marque bavaroise décident finalement d’adopter le dessin de Szymanowski. Sur le plan technique, une plate-forme entièrement nouvelle avait été conçue pour la première BMW d’après-guerre, avec un châssis périmétrique. Les suspensions faisant appel, à l’avant, à des double bras avec barre de torsions et un essieu rigide à barre de torsion à l’arrière. Le mécanisme de la direction, quant à lui, était équipé d’un système de pignon et crémaillère. Si l’ emboutissage et la finition tatillonne des carrosseries, confiées aux établissements Karl Baur de Stuttgart (Qui construisit les 2045 premiers exemplaires de la berline, lesquels étaient expédiés depuis Stuttgart, où était installée la carrosserie Baur, jusqu’à l’usine BMW de Munich où elles étaient assemblées sur les châssis) ne méritent que des éloges, le 6 cylindres de 2 litres de cylindrée développant 65 chevaux peine à déplacer la respectable berline, qui atteint les 135 km/h avec grande difficulté. De plus, la nouvelle venue s’ échange contre 15 100 marks (ce qui représentait environ quatre fois le salaire moyen en Allemagne à l’époque), alors que la Mercedes, nettement plus véloce grâce à sa mécanique délivrant 80 ch, ne coûte que 12 000 marks.
Des problèmes d’industrialisation retardèrent toutefois le début de la production jusqu’à la fin de l’année 1952 et même alors BMW n’avait toujours pas de matériel pour presser les panneaux de carrosserie en fonctionnement. En dépit de ces différents problèmes, le millième exemplaire de la 501 sortira de l’usine BMW le 1er septembre 1953. En plus de la berline à quatre portes, des versions coupé et cabriolet étaient disponibles sur commande spéciale auprès du carrossier Baur.
Les concepteurs bavarois, placés sous l’ autorité de l’ ingénieur Alfred Bening, résolvent la question de la sous-motorisation en donnant naissance à un intéressant V8, dont la conception était inspirée de celle du V8 Oldsmobile Rocket (alors considéré comme l’une des meilleures mécaniques de la production américaine) aux soupapes en tête actionnées par un arbre à cames central, un groupe entièrement coulé en alliage d’ aluminium, d’ une cylindrée de 2 580 cc autorisant l’ épanouissement de 95 chevaux. La plus grande partie du développement de ce nouveau V8 fut menée sous la direction de Fritz Fiedler, qui remplaça Böning comme ingénieur en chef de BMW en 1952. En abritant ce nouveau moteur sous son capot, la BMW 501 devient 501-V8, puis le modèle est rapidement rebaptisé 502. La production démarre à l’ été 1954. A la fin de la saison, 190 exemplaires seulement sont livrés à une clientèle sélectionnée. Il est vrai que son prix élevé de 17 800 Deutsch Marks la mettait hors de portée de la plupart des bourses. Si, de prime abord, extérieurement, la 502 semblait identique à sa « cousine » à moteur six cylindres, elle recevait toutefois des garnitures chromées supplémentaires et des aménagements intérieurs plus somptueux. Par rapport à cette dernière, les phares antibrouillard et les sièges avant individuels faisaient maintenant partie des équipements montés en série. La carrière de la 501 équipée du 6 cylindre est prolongée en parallèle mais, avec une cylindré grimpant à 2 077 cc, 72 ch sont désormais disponibles. Le nouveau vaisseau amiral de la flotte BMW, dont la lunette arrière a été élargie pour plus de visibilité, se laisse admirer par un public envieux au Salon automobile de Genève en 1954.
En 1955, la gamme s’ étoffe d’ un élégant coupé à deux portes, d’ un cabriolet (produit à 280 exemplaires) et d’ une berline entièrement décapotable (Ce genre de carrosserie était fort prisée chez les constructeurs allemands avant-guerre, mais, sur la 502, elle ne sera produite qu’ à 50 exemplaires à peine). La finalisation de ces véhicules à la diffusion très restreinte est confiée au carrossier « partenaire » du début du programme, Karl Baur. Les performances ne sont pas en reste, puisque les 3 168 cc du 8 cylindres en V délivrent maintenant 120 chevaux, qui sont capables de lancer la voiture à une vitesse maximale de 170 km/h. Les coupé et cabriolet 503 ainsi que le splendide et rare cabriolet 507 partagent ce même V8, mais la puissance est alors, respectivement, de 140 et 150 ch.
A partir de 1960, le V8 de la BMW 502, devenue 3 200 Super, atteint 140 puis 160 ch. La vitesse frôle alors les 200 km/h et, suprême raffinement, la voiture se voit dotée d’ un dispositif de direction assistée et de freins à disques à l’ avant.
Sur le plan commercial, durant toute leur carrière, les somptueuses 501 et 502 n’auront guère été rentables et lorsque les dernières 502 quitteront l’usine de Munich, en plus du fait que leurs lignes rondouillardes étaient alors démodées, cela faisait longtemps déjà que les comptables de la firme bavaroise ne comptaient plus sur la vente des modèles de luxe pour faire tourner la maison. Si les bénéfices rapportés par ces grosses berlines à moteur six et huit cylindres n’a jamais été énorme, celle des autres voitures de prestige proposés au catalogue le sont encore moins. Les coupé et cabriolet 503 et surtout le roadster 507, tous trois commercialisés en 1955 (Les deux premiers ayant été dévoilés au Salon de Francfort en septembre et la troisième quelques mois plus tôt en juillet) ont été salués par la presse pour leur élégance. Mais le ramage ne se révèle toutefois pas vraiment à la hauteur du plumage. Surtout dans le cas de la 507. Malgré le travail des ingénieurs de la marque qui a permis de pousser la puissance de son V8 à 150 chevaux, le rapport prix/performance qu’elle affiche n’est guère favorable, surtout face à ses concurrentes. Elle est à peine plus rapide qu’une Corvette alors qu’elle en vaut deux fois le prix ! Au pays de Goethe, elle est affiché au prix faramineux de 26 000 Deutschemarks, soit plus chère encore que le coupé Mercedes 300 SL à portes papillon. Toutes deux figurent d’ailleurs parmi les voitures allemandes les plus chères de l’époque. Ces deux somptueux modèles ont été voulus par Max Hoffman, un brillant et dynamique vendeur d’origine autrichienne, qui, après avoir fuit son pays en 1938 lors de son annexion par l’Allemagne nazie, s’est réfugié aux Etats-Unis où, après-guerre, il s’est spécialisé dans l’importation de marques européennes de prestige. C’est d’ailleurs en grande partie grâce à lui que les Américains ont découvert des marques qui, jusque-là, étaient très peu connues, voire inconnues, sur le territoire américain, comme BMW, Mercedes et Porsche mais aussi Jaguar ou Lancia. Devant le succès remporté aux States par les voitures de sport européennes comme la Porsche 356 Speedster (dont il a, là aussi, soufflé l’idée à Ferry Porsche), il convainc, à leur tour, les dirigeants de la marque bavaroise de lancer l’étude d’un roadster qui leur permettrait d’étendre leurs parts de marché au pays de l’Oncle Sam. C’est Hoffman également qui trouvera l’homme qui signera les lignes magistrales de la 507, Albrecht Goertz, un designer industriel qui vit alors lui aussi à New York. Si Hoffman a eu lez fin avec Mercedes et Porsche, en revanche, l’aventure avec BMW sera moins concluante, en tout cas sur le plan commercial. Au départ convaincu que, tout comme avec les autres modèles précités, le roadster BMW fera un carton aux USA, Hoffman a même laissé entendre à ses dirigeants qu’il parviendrait facilement à vendre jusqu’à 1 500 exemplaires. Malheureusement, pour Hoffman comme pour la direction du constructeur bavarois, plutôt déçu par les performances de la 507, il décide d’annuler sa commande. Il est vrai que, comme il leur expliquera, il espérait avoir, avec la 507, un modèle capable de se mesurer à la Mercedes 300 SL et que, au final, le roadster de BMW était loin du compte. Si quelques stars américaines, comme Elvis Presley (alias « le King ») himself, en feront l’acquisition, il n’en reste pas moins que, des deux côtés de l’Atlantique, la magnifique 507 devra, dès le départ, se contenter d’un rôle de figuration. Lorsque la dernière d’entre-elles se produite, en 1959, à peine 252 exemplaires, en tout et pour tout, en auront été construits. Si le coupé et le cabriolet 503 connaîtront (un peu) plus de succès, ils ne seront pas pour autant des best-sellers. En plus de cet échec cuisant, et en dépit de la bonne santé retrouvée de l’économie allemande, la situation en Europe n’est guère rose. Avec la crise de Suez qui éclate en octobre 1956, à la suite de la prise de contrôle et de la nationalisation forcée, par le président égyptien Nasser, du canal de Suez, qui entraîne une flambée des prix du pétrole (Bien avant la première crise pétrolière mondiale de 1973). Dans ce nouveau contexte, le moins que l’on puisse dire est que, dans son ensemble, la gamme des modèles de BMW n’est guère adaptée aux circonstances du moment. Pour le constructeur, d’ailleurs, les pertes s’accumulent et celui-ci glisse de plus en plus dans le rouge. En 1956, les pertes du département automobile s’élèvent ainsi à 60 millions de Marks, soit à 5 000 Deutschemarks (l’équivalent du prix d’une Volkswagen Coccinelle neuve) sur chaque voiture produite ! En plus de cela, pour ne rien arranger, le marché de la moto, dont BMW était l’un des acteurs majeurs et qui représentait jusqu’alors une ressource importante de revenus pour la marque, amorce lui aussi un recul préoccupant. Les ventes des deux roues du constructeur s’effondrent elles aussi, passant de 30 000 exemplaires en 1954 à seulement 5 000 exemplaires trois ans plus tard. Les nuages s’amoncellent de plus en plus dans le ciel de BMW. Au sein de la production automobile, les deux seuls modèles qui sont véritablement rentables sont l’Isetta et la 700.
Les dirigeants de la marque de Munich ont fini par prendre conscience que la pérennité de leur entreprise ne peut reposer sur une automobile tellement baroque et que les perspectives pour une voiture de ce prix sont fort limitées. De plus, la politique commerciale, résolument élitiste, pratiquée par la marque dans les années 50 (Malgré la tentative de diversification vers des modèles plus populaires (notamment avec l’ Isetta et la 700), entraîne rapidement celle-ci dans de grandes difficultés financières. C’ est pourquoi, à l’ aube des années 60, la direction du constructeur bavarois décide de tourner (provisoirement) la page du grand luxe pour se tourner vers un secteur qui apparaît plus lucratif, bien qu’ il soit alors naissant: Celui de la berline familiale à tendance sportive, qui sera incarnée, à partir de 1961, par les BMW de la série « Neue Classe » dessinée par le designer italien Michelotti. (Une catégorie qui, à l’aube des années soixante, était encore presque inexistante. Les seuls modèles correspondant à cette définition étant les Alfa Romeo). Si, au sein du constructeur comme pour beaucoup d’observateurs de la presse automobile, BMW jouait alors là sa dernière carte, pour la marque bavaroise, le projet de la Neue Klasse s’avérera un très bon joker : Rien que pour la première série de cette génération, la 1500, produite de 1962 à 1966, à plus de 23 800 exemplaires (Et plus de 34 000 si on ajoute ceux de sa remplaçante, la 1600, produite entre 1964 et 1966).
Le succès de celle qui pendra la succession de la Neue Klasse, la série « 02 » sera plus grand encore : Près de 790 500 exemplaires en seront vendus en près de dix ans. Un pari gagnant pour la Bayerische Motoren Werke, qui lui permettra, non seulement, d’asseoir et de propager le concept de la voiture de classe moyenne doté d’un fort tempérament, tout comme les Alfa italiennes qui, avant elles, avaient déjà ouvert la voie mais aussi de devenir un grand constructeur et l’un des acteurs majeurs de l’industrie automobile, non seulement en Allemagne mais aussi en Europe. Si (plus encore qu’avec l’isetta et la 700) la Neue Klasse et la Série 02 ont permis à BMW de se démocratiser et de pouvoir séduire un plus large public et que ce sera sur ce marché que la firme bavaroise se focalisera durant les années 60, elle n’abandonnera pas pour autant l’ambition de (re)devenir le rival de Mercedes sur le marché du haut de gamme. A ce titre, on peut considérer que la BMW E3, lancée en 1968 et, après elle, la première génération de la Série 7, commercialisée en 1977, en sont les descendantes directes. Le succès remporté par cette dernière ayant d’ailleurs apporté la preuve que ce segment était porteur, tant en terme d’image pour un constructeur que bénéficiaire sur le plan financier, aussi bien en Allemagne que dans le reste de l’Europe. BMW étant toujours aujourd’hui, depuis maintenant près de cinquante ans, un acteur incontournable de ce marché. Au final, même si la première tentative de la marque (Avec les berlines 501 et 502 mais aussi avec les coupé et cabriolets 503 et 507) ne fut pas vraiment concluantes sur le plan commercial, la persévérance du constructeur bavarois a finalement porté ses fruits. Les constructeurs français, eux, ne peuvent malheureusement pas en dire autant et ont, définitivement semble-t-il, déposé les armes face à leurs rivaux allemands.
Texte Juan Moreno
Photos DR et Archive BMW
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