LES VOITURES DE LA MAISON-BLANCHE – Chapitre I –
Franklin Roosevelt – Lincoln Série K / Continental « Shunshine Special ».
Même si, dès la dernière décennie du XIXème siècle, où les Etats-Unis d’Amérique étaient déjà l’une des nations les plus industrialisées au monde, l’automobile a rapidement commencée à se faire une place au sein de la société américaine, elle mettra néanmoins un certain temps à se faire une place au sein de la résidence officielle des présidents américains, la Maison Blanche.
Ce n’est qu’avec l’arrivée de William Howard Taft (président de 1909 à 1913), que les présidents américains commenceront véritablement à adopter l’automobile pour leurs déplacements, officiels comme privés. Taft fera ainsi transformer les écuries de sa résidence officielle en garages pour y accueillir les premières voitures présidentielles, une flotte de quatre voitures, acquises pour la somme de 12 000 $ de l’époque. Les quatre voitures en question étant deux luxueuses Pierce-Arrow, une Baker à moteur électrique et une White à vapeur.
Son successeur, Woodrow Wilson (président de 1913 à 1921) appréciaient beaucoup les voitures de la marque Pierce-Arrow acquise par les services de la Maison Blanche et qu’il utilisa durant sa présidence, au point qu’il rachètera l’une d’entre-elles au gouvernement, pour la somme de 3 000 dollars (près de 40 000 dollars d’aujourd’hui) pour son usage personnel lorsqu’il quittera ses fonctions en 1921.
Si l’automobile avait donc bel et bien commencé à supplanter les véhicules tirés par des chevaux, ces derniers avaient cependant toujours droit de citer au sein de l’administration présidentielle et continuèrent à être utilisé pour certaines des plus importantes cérémonies officielles qui marquaient le déroulement du mandat de tout président américain. Il faudra ainsi attendre l’arrivée de Warren Harding (président de 1921 à sa mort), qui succédera à Wilson, pour qu’une automobile serve, pour la première fois, à un nouveau président pour se rendre à sa cérémonie d’investiture. Harding fut également le premier président des Etats-Unis à savoir véritablement conduire une voiture. Comme son successeur, Calvin Coolidge (président de 1923 à 1929), Pierce-Arrow fit aussi partie de ses marques de prédilection ainsi que Packard.
Comme il se doit pour tout chef d’Etat, la ou les voitures dans lesquelles ce dernier voyageait le président devait refléter le prestige de sa fonction et ces dernières étaient sélectionnées au sein des meilleurs modèles de la production automobile américaine de l’époque. Aussi prestigieuses et imposantes qu’elles soient, à l’exception notable des deux Cadillac V16 livrées à la Maison Blanche en 1938, ces voitures étaient cependant quasiment identiques aux modèles « ordinaires » disponibles aux catalogues des différentes marques. Les assassinats dont furent victimes plusieurs présidents américains dans le passé (Abraham Lincoln en 1865, James Garfield en 1881 et William McKinley en 1901), sans compter les tentatives d’assassinats dont d’autres furent victimes par la suite allaient toutefois finir par mettre fin à cela. La dernière d’entre-elles, à l’époque, étant celle dont fut victime Franklin Roosevelt, qui venait tout juste d’être élu à la présidence des Etats-Unis, à Miami en Floride, le 15 février 1933, et durant laquelle le maire de Chicago, Anton Cermak, fut mortellement blessé. C’est pourquoi l’idée d’une voiture spécialement destinée au président et qui bénéficierait, pour assurer au mieux la sécurité du chef de l’Etat des meilleurs équipements de protections qui existaient à l’époque commença à faire son chemin au sein de la direction des Services Secrets.
La première voiture présidentielle américaine qui ait été spécifiquement conçue à l’usage du président des Etats-Unis et à avoir été réalisée selon les spécifications fournies par les responsables des Services Secrets sera la Lincoln « Sunshine Special » qui entrera au service du président Roosevelt en décembre 1939. Si l’origine de ce surnom est aujourd’hui encore assez mystérieuse, il semble qu’il ait été attribué à cette voiture en raison du fait que le toit de la voiture était souvent ouvert). Basée sur la Lincoln Série K à moteur V12, le modèle haut de gamme de la marque, cette imposante limousine décapotable, réalisée par le carrossier Brunn & Co, avait donc reçue, à la demande du gouvernement américain, toute une série d’équipements spéciaux destinés à assurer à la fois la sécurité du président et le bon déroulement de ses déplacements. Notamment une sirène, des feux de signalisation spécifiques, d’une radio à deux voies, ainsi que de marchepieds extra-larges et de poignées de maintien destinées aux gardes du corps du président. Rapidement, Roosevelt apprécia beaucoup la voiture, notamment parce que, grâce à sa capote, il pouvait se montrer à la foule sans avoir à quitter la voiture. (Roosevelt était d’ailleurs atteint, depuis de longues années, par la poliomyélite, ce qui l’avait rendu paraplégique et l’obligeait à se déplacer en permanence en fauteuil roulant. A cause de cette situation, il arrivait même que, dans certaines circonstances, la voiture présidentielle soit amenée jusque sur l’estrade où devait prendre place le président. De cette manière, ce dernier n’avait ainsi plus qu’à sortir de la voiture et à s’asseoir dans le fauteuil qui se trouvait placé près de lui, comme ce fut le cas lors du meeting organisé au stade d’Ebbets Field, à Brooklyn, lors de sa dernière campagne, en 1944).
Après l’attaque des Japonais sur la base navale de Pearl Harbor, en décembre 1941, qui provoquera l’entrée en guerre des Etats-Unis contre le Japon et contre l’Allemagne, la direction des Services Secrets a commencée à exprimer sa préoccupation face à des risques de tentatives d’assassinat ayant pour cible le président. C’est à cette époque, et à cause de ce contexte, que les Services secrets ont alors commencé, pour la première fois, à envisager de faire transporter le président dans une voiture blindée. La Sunshine Special fut alors modifiée en conséquence afin d’offrir une protection optimale au président en cas d’attaque. Une grande partie de la carrosserie furent alors blindées et, comme celle-ci, le pare-brise et les vitres latérales reçurent de nouvelles glaces à l’épreuves des balles, tout comme les pneus, ainsi que, à l’intérieur, des compartiments de rangements pour les armes des agents affectés à sa protection rapprochée. Si l’objectif visant à permettre au président de voyager en toute sécurité fut certainement atteinte, cette « carapace » eut néanmoins pour conséquence d’augmenter fortement le poids de la voiture, celui-ci atteignant plus de 4,2 tonnes. Une protection qui risquait d’ailleurs de se montrer, en grande partie, inutile, car la voiture avait néanmoins conservé son toit décapotable et, conservant ses habitudes d’avant la guerre, Roosevelt préférait voyager avec la capote baissée lors des défilés et dans la plupart des rassemblements. Une autre modification importante, cette fois d’ordre esthétique, intervint en 1942, lorsque l’avant de la voiture fut modifié, celle-ci recevant la nouvelle proue équipant les Lincoln Série H. Le président Roosevelt utilisait la Lincoln « Sunshine Special » quasiment pour tous ses déplacements. Lorsque la destination était fort éloignée, elle était alors transportée sur un wagon spécial attelé au train présidentiel, qui était équipé de tout le matériel nécessaire à l’entretien de la voiture.
Si, durant la présidence de Roosevelt, la Lincoln présidentielle eut régulièrement l’occasion de voyager aux quatre coins des Etats-Unis, elle ne quitta, en revanche, jamais le sol américain. Si ce dernier effectua, durant la guerre, plusieurs déplacements à l’étranger afin de rencontrer les principaux responsables politiques et militaires sur les différents théâtres des opérations, le contexte imposait évidemment que la plupart d’entre eux soient organisés et se déroulent dans le plus grand secret. Même si la presse de l’époque subissait alors une censure assez rigoureuse de la part du gouvernement comme des autorités militaires et qu’il n’existe donc aucune photographie qui prouverait que la Lincoln « Sunshine Special » ait suivie le président Roosevelt à Casablanca, Téhéran, à Malte ou à Yalta, en dépit de ce qu’affirment certaines sources, cela reste peu probable, la voiture présidentielle étant alors déjà bien connue du public américain et, dans la volonté farouche des autorités de garder secret les déplacements du président à l’étranger, il est fort peu probable que la « Sunshine Special » ait été utilisée à ces occasions.
L’usage voulant que les voitures utilisées par le président pour ses déplacements sur le territoire américain le suivent également lors des voyages officiels qu’il effectuait à l’étranger n’a été inauguré qu’après l’entrée en fonction de son successeur, Harry Truman (1884 – 1972, président de 1945 à 1953). Ce fut, semble-t-il, en mars 1947 que, pour la première fois, une limousine présidentielle foula ses roues hors du sol américain, lorsque le célèbre magazine Life publia une photographie du président Truman visitant les pyramides de Teotihuacan, près de Mexico.
Après la mort de Roosevelt, le 12 avril 1945, la Lincoln « Sunshine Special » est demeurée au sein de la flotte automobile de la Maison Blanche et fut régulièrement utilisé par le président Truman jusqu’à ce qu’une nouvelle flotte de limousines viennent la remplacer après l’élection de 1948. Aujourd’hui, la Lincoln « Sunshine Special » est exposée au Musée Henry Ford situé à Dearborn, dans le Michigan.
Philippe Roche
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