UMM – Les tribulations d’un montagnard du Cantal au pays du porto.
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Si, contrairement à son grand voisin espagnol, le Portugal n’a jamais pu se prévaloir d’une véritable industrie automobile digne de ce nom, elle n’en a pas, pour autant été absente. Tout comme l’Espagne, le pays du Porto et de la Morue a, lui aussi, connu, au cours du Xxème siècle, une période troublée, qui n’était, évidemment, guère propice à l’émergence et au développement d’une telle industrie, comme du développement économique du reste du pays.
Après l’effondrement de la dynastie des Bragance et le renversement de la monarchie en 1910, la nouvelle république sera rapidement marquée par une période d’instabilité politique, jusqu’à ce que les militaires finissent par prendre le pouvoir en 1926. C’est à cette époque qu’entre en scène un jeune politique talentueux et ambitieux du nom d’Antonio Salazar. Rapidement devenu Ministre des Finances, il devient, six ans plus tard, en 1932, président du Conseil des Ministres. Un poste qu’il occupera sans discontinuer pendant pas moins de trente-six ans. S’il n’est, officiellement, « que » le chef du gouvernement, c’est lui qui sera, à bien des égards, le véritable maître du pays, qu’il tiendra d’une main de fer jusqu’en 1968. Ce n’est que lorsqu’il sera frappé par un accident vasculaire cérébrale, à l’âge de 79 ans, qu’il en lâchera finalement les rênes. Preuve du fait qu’il avait véritablement fini par incarner l’Etat portugais ainsi que de l’admiration qu’il suscitait au sein des membres de l’appareil d’Etat, il décédera deux ans plus tard sans que personne n’est osé le mettre au courant de son éviction ! Le système qu’il avait créé, celui de l’Estado Novo, dont il était, à la fois, le ciment et la clef de voûte, ne lui survivra guère et s’effondrera sept plus tard lors de la Révolution des Oeillets.
Au vu de cette histoire troublée ainsi que de l’état de sous-développement économique et industriel du pays lors de l’effondrement du système Salazar, y développer une industrie automobile ne paraissait donc pas vraiment comme une priorité. En tout cas en ce qui concerne la production de voiture de tourisme. En revanche, la production de véhicules tout-terrain y avait, elle, son utilité et apparaissait même, à bien des égards, presque comme une nécessité. Ceci, du fait que, en dehors des grandes villes et des quelques routes qui reliaient celles-ci, le Portugal ne disposait d’aucun véritable réseau routier digne de ce nom.
C’est ainsi qu’en 1977, la firme portugaise UMM achète la licence de fabrication pour la production du Tracteur Cournil. Bien que baptisé du nom de Tracteur et destiné lui aussi, contrairement aux engins du même nom, le véhicule conçu par Bernard Cournil n’a pas uniquement, ni même pour vocation première d’aller labourer les champs.
Figure de premier plan de la résistance durant la guerre, c’est durant cette époque qu’il découvre les Jeep Willys qui ont débarqué avec les GI’s venus libérés l’Europe. Une fois les hostilités terminées et la paix revenue, devenu concessionnaire de la marque Hotchkiss à Aurillac dans le Cantal, le souvenir de la Jeep reste cependant bien présent dans sa mémoire. D’autant qu’il a rapidement compris, comme passager mais parfois aussi comme conducteur au volant de ce véhicule que celui-ci ne resterait sans doute pas réservé aux militaires. Ayant largement démontré ses capacités sur le front de guerre et sur les terrains les plus difficiles, Bernard Cournil est, dès lors, rapidement convaincu que la Jeep aurait parfaitement sa place sur le marché civil, où ses quatre roues motrices permanentes ainsi que sa taille compacte permettrait d’offrir une polyvalence d’utilisation largement supérieur, sur bien des points, aux véhicules utilitaires de l’époque. D’autant que, lorsqu’en 1954, Hotchkiss décide d’abandonner la production de ses voitures de prestige et de se reconvertir dans la production sous licence des Jeep Willys pour le compte de l’Armée française.
Cournil est donc bien placé pour connaître les besoins précis des habitants du Cantal dans ce domaine. Dans un premier temps, il se contente simplement, à la demande de ses clients mais parfois aussi de sa propre initiative, de monter des équipements spéciaux sur les Jeep dont il assure la vente et l’entretien. Si la Jeep est réputée, sur le Vieux comme sur le Nouveau Continent, pour sa robustesse et sa longévité, Cournil est très vite persuadé qu’il peut encore l’augmenter et installe alors dessus une boîte de vitesses de sa conception, spécialement adaptée à un usage agricole. Convaincu également du potentiel des moteurs fonctionnant au Diesel, il décide également de l’équiper d’une mécanique de ce type, produite par le constructeur de tracteurs britannique Ferguson.
Autant de modifications qui finisse par amener Bernard Cournil de ne plus se contenter d’être un simple garagiste-préparateur mais de franchir le pas et donc de devenir constructeur à part entière, en créant la Société de Construction Mécanique Rurale. Il est vrai que, au vu des nombreuses modifications réalisés par ce dernier sur les Jeep-Hotchkiss, ces dernières n’ont plus grand-chose à voir avec celles dans lesquelles roulent les militaires français. S’étant fixé comme objectif d’arriver à surpasser, presque en tous points, les qualités et les capacités de la Jeep, il en vient même à concevoir son propre châssis, qui servira par la suite de base pour toutes les versions du futur Tracteur Counil.
Après toutes ses modifications apportées au fil du temps par ce dernier, on ne peut donc plus vraiment parler d’une simple Jeep préparée mais bien d’un nouveau véhicule spécifique, qui ne conserve plus guère, désormais, de cette dernière que la carrosserie. Plus pour longtemps toutefois, car celle-ci aussi n’est plus assez solide aux yeux de Cournil. La seule solution étant donc, évidemment, là aussi, d’en créer une nouvelle de toutes pièces. La « Jeep à la française », telle que l’a conçu et voulu Cournil se voulant un tout-terrain « pur et dur », une véritable « bête de somme », destinée à pouvoir rouler sur les terrains les plus difficiles, à franchir tous les obstacles, qui n’a pas peur d’être maltraité et qui n’a besoin que d’un entretien véritablement réduit au strict minimum. Avec un cahier des charges aussi strict, autant dire que le terme « élégance » a été totalement et définitivement rayé de son dictionnaire. Si la carrosserie de la Jeep Willys, elle non plus, n’avait jamais été conçue avec un quelconque souci d’esthétique, elle paraîtrait pourtant presque aussi élégante qu’une ballerine quand on la compare aux lignes du Tracteur Cournil, dont la première version est commercialisée en 1960.
Plus sans doute encore qu’avec n’importe quel autre tout-terrain ou autre véhicule utilitaire en général connu en France à l’époque, celui-ci illustre sans doute parfaitement ce que l’expression « avoir une tête au carrée » veut dire ! Beaucoup de ceux qui en feront l’acquisition ont d’ailleurs sans doute dû totalement ignoré qu’elle avait été conçue, à la base, sur le modèle de la Jeep-Willys, tant il ne reste plus grand-chose d’américain dans ses gênes. Si l’essor économique que connaît la France durant les années soixante concerne avant tout les grandes villes, la France des campagnes va cependant, elle aussi, en profiter.
La période va d’autant est plus fructueuse pour le constructeur du Cantal que celui-ci va profiter d’un marché quasiment vierge, car, en dehors de la Jeep-Willys produite sous licence par Hotchkiss, le marché, au sein de la production française, est quasiment vierge. Les grands constructeurs nationaux ne sont montrant guère intéressé par la conception et la production en série d’un véhicule à quatre roues motrices qui conviendrait pourtant aussi bien aux fermiers et aux exploitants forestiers qu’aux soldats ainsi qu’aux gendarmes et aux pompiers. Ce qui sera, évidemment, tout bénéfice pour le constructeur d’Aurillac, dont les Tracteurs vont séduire les agriculteurs bien au-delà du département du Cantal. Si l’arrêt de la production des moteurs Diesel par Ferguson en 1964 oblige alors Cournil de trouver une autre motorisation, à savoir un Leyland, cela ne modifiera en rien le succès remporté par le Cournil.
Malheureusement pour Bernard Cournil, ce succès va brutalement s’arrêter avec les événements avec la fin de la décennie. Sans doute grisé par ce succès mérité mais dont l’ampleur a dû surprendre jusqu’à leur créateur, ce dernier a fini par voir trop grand, avec,à la clé, une croissance trop rapide qui va alors conduire la société à l’endettement. Lorsqu’éclatent les événements de mai 68, ceux-ci finiront par avoir des répercussions économiques jusque dans les campagnes aux quatre coins de la France et la demande commence dès lors à chuter, le constructeur se retrouvant très vite avec une grande quantité de véhicules invendus. Une série de mauvais choix parmi ses partenaires industriels n’arrangera pas non plus les affaires de la société lorsque les nuages vont commencer à s’accumuler dans le ciel du Cantal. Lâchés par les banques, Bernard Cournil se voit alors contraint de déposer le bilan en 1970. Si son fils Alain tentera, par la suite, d’en relancer l’activité, il ne parviendra qu’à produire un peu plus de cinquante exemplaires en six ans, bien loin donc de l’âge d’or des années 60, où elle comptait 50 employés et où 120 Tracteurs sortaient, en moyenne, chaque année des ateliers d’Aurillac. En 1977, ils se résolvent finalement à baisser, définitivement, le rideau et à revendre la licence de production du Tracteur Cournil, non pas à un mais à deux repreneurs.
La cessation d’activité du constructeur d’Aurillac ne signera pas pour autant la fin de carrière ni de production du Cournil en France, car, outre le portugais UMM, une autre firme tricolore va, elle aussi, reprendre la fabrication du tout-terrain créé par Marcel Cournil : Gevarm. Si la production est alors transférée en Auvergne, il continuera à être produit sous le nom de son créateur jusqu’au début des années 80, avant d’être rebaptisé Autoland et ensuite Auverland (contraction entre Auvergne et Land Car, cette dernière appellation faisant, évidemment, référence à la dénomination adoptée par plusieurs des plus célèbres 4×4 alors proposés sur le marché, tels que le Land Rover ou le Land Cruiser. Le premier modèle d’Auverland, l’A2 restera presque identique au Cournil.
Le modèle qui lui succédera à partir de 1987, l’A3, évoluera toutefois sensiblement, non seulement d’un point de vue esthétique mais aussi sur le plan technique. Produite en versions civile et militaire, elle sera fréquemment utilisée par l’Armée française ainsi que par les services de pompiers et de gendarmerie. Les versions civiles demeureront toutefois assez minoritaires, voire marginales, au sein de la production d’Auverland, celui-ci ayant conservé jusqu’au bout une grande partie de la rusticité originelle du Tracteur Cournil qui l’a inspiré et ne pouvant donc guère espérer rivaliser avec les 4×4 venus du Japon, dont certains (comme le Suzuki Samurai) se montreront tout aussi efficaces en tout-terrain, tout en se montrant plus confortables, mieux équipés et plus agréables à conduire. Après un dépôt de bilan en 2001, le constructeur sera rebaptisé Société Nouvelle des Automobiles Auverland et cesse finalement, trois ans plus tard, la production de l’A3. Auverland décidant alors de se consacrer uniquement à la production de véhicules militaires.
Si, contrairement à l’Auverland, l’UMM Alter produit au Portugal gardera jusqu’à la fin les lignes originelles du Tracteur Cournil, il n’y a pas qu’en ce qui concerne la carrosserie qu’il conservera ses origines françaises mais aussi en ce qui concerne ses mécaniques. Puisque, sous le capot court et fort incliné si caractéristique de l’engin, on retrouve des moteurs turbo diesel d’origine Peugeot. Si la fiche technique de l’Alter* n’évoluera quasiment durant une carrière qui, au pays de Vasco de Gama, durera près de trente ans, il sera décliné, au fil des années, dans un grand nombre de versions destinées à pouvoir répondre à tous les besoins et à tous les usages : châssis court ou long, carrosseries fourgons, pick-up, avec ou sans toit surélevé, à 2, 4, 6 ou 8 places.
A l’image du Cournil dans les années 60 ainsi que des Auverland qui lui succéderont sur les terrains ainsi que les chemins les plus inaccessibles et reculés des forêts comme des campagnes des quatre coins de l’hexagone, l’UMM sera, durant de longues années et même plusieurs décennies, un fidèle servant pour tous ses utilisateurs, qu’ils portent ou non l’uniforme. Un succès qui ne se limitera d’ailleurs pas seulement au Portugal ni au reste de la péninsule ibérique, l’UMM franchissant, en effet, à nouveau les Pyrénées pour revenir sur sa terre natale. Sur un marché français presque vierge de tout « vrai » 4×4 locaux, il connaîtra un succès assez enviable. Dans les années 80, les exemplaires destinés aux forces armées et aux gendarmes étaient d’ailleurs assemblés dans les ateliers du carrossier Heuliez, ces derniers recevant toutefois une carrosserie sensiblement modifiée par rapport au modèle originel. L’UMM ne limitera toutefois pas ses marchés et ses terrains d’explorations à l’Europe, mais franchira aussi la Méditerranée, puisqu’il sera aussi vendu dans certains pays d’Afrique, notamment en Angola.
Même beaucoup d’habitants des villes et des villages situées en montagne ou au fin fond de la campagne surent apprécier, eux aussi, à leur juste valeur la robustesse et les qualités de franchiseur de l’UMM, tout comme l’Auverland, la rudesse et l’inconfort chronique de l’engin finirent par devenir trop rédhibitoires à leurs yeux. Même ceux résidant dans les endroits les difficiles d’accès ou inhospitaliers qui existent sur le continent européen souhaitaient désormais pouvoir disposer d’un engin qui, s’il pouvait continuer à rouler sur tous les terrains, devait aussi offrir tout l’équipement et le confort d’une voiture moderne.
C’est pourquoi, face à l’évolution profonde de la clientèle et du marché, à partir de 1994, l’UMM Alter ne sera plus produit quasiment que pour l’Armée, les corps de pompiers, les forces de gendarmerie ainsi que les administrations. Si le constructeur portugais tentera, en 2000, de revenir sur le marché du tout-terrain « grand public » avec une nouvelle version, dénommée Alter 2000, motorisé par le 2,1 litres Hdi de la Peugeot 406. Malgré des commentaires assez flatteurs de la part de la presse spécialisée, seuls 25 exemplaires, en tout et pour tout, en furent produits. En 2004, la société Uniao Metalo-Mecanica décide finalement d’abandonner le marché des véhicules tout-terrains et de se recentrer sur ses activités d’origine, la métallurgie ainsi que la conception industrielle. Faute de moyens suffisants pour permettre de faire évoluer en profondeur l’UMM Alter et, ainsi, de pouvoir l’adapter aux nouvelles contraintes du marché et aux exigences de la clientèle.
Texte Maxime Dubreuil
Photos Droits Réservés
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