ZIS 110 et ZIL 111- Luxe capitaliste dans la patrie du communisme.
Quasi inexistante à l’époque tsariste (A part quelques fabrications artisanales ou sous licence, dont la plus connue est la Russo-Balte), l’industrie automobile reste embryonnaire en URSS avant 1940. Déjà considérée à l’Ouest comme un objet de luxe, l’automobile de tourisme est bien évidemment loin des préoccupations des dirigeants soviétiques.
Pourtant, dès novembre 1918, un organe est créé pour étudier les véhicules qui doivent être construits pour l’ industrie nationale. Il s’agit du NAL (Laboratoire Scientifique Automobile), qui sera rebaptisé NAMI (Institut de Recherches Scientifiques sur l’ Automobile) quelques années plus tard. C’est lui qui réalise une première voiture expérimentale, la NAMI-1, dont le prototype est terminé au mois de mai 1927. Il en sera construit plus tard une petite série. C’est toutefois le premier plan quinquennal, voulu par Staline en 1928, qui jette les bases d’une industrie automobile en Union Soviétique. Il n’existe à l’époque que trois usines (AMO, Jagay et Spartak), dont les capacités de production totales sont ridicules (Moins de 5 000 camions par an). La décision de construire une grande usine près de la ville de Nijni Novgorod, sur les bords de la Volga, est prise en mars 1929. Situé loin des frontières, sur l’un des plus importants axes de communication du pays et dans une région où les industries mécaniques sont déjà nombreuses, ce site apparaît idéal.
Toutefois, le problème est que personne, en URSS, ne possède l’expérience nécessaire pour mener à bien un projet industriel d’une telle envergure. Ce qui finit par décider le gouvernement soviétique à conclure un partenariat avec un partenaire capitaliste. En l’occurrence, l’industriel américain Ford. Celui-ci, conclut en mai 1929, prévoit la construction de trois usines : Les deux premières dans la région de Nijni Novgorod et la troisième située près de Moscou. Celles établies sur la Volga sont d’abord appelées NAZ (Nijni Novgorod Avtomobilni Zavod : Usine Automobile de Nijni Novgorod), qui deviendra GAZ en 1933, quand la ville sera rebaptisée Gorki. La troisième, elle, près de la capitale soviétique, est l’ usine KIM (abréviation russe qui signifie Internationale Communiste de la Jeunesse). Le contrat conclut avec Ford prévoit également l’assemblage, entre 1930 et 1933, de 72 000 Ford A de tourisme et Ford AA utilitaires, dans les deux usines usines les plus petites, dont celle de Moscou. Cette dernière démarre sa production en novembre 1930. L’usine principale, prévue pour produire 100 000 véhicules par an est, pour sa part, opérationnelle au mois de décembre 1932. C’est elle qui construira la première voiture de tourisme soviétique produite en série, la GAZ A (qui n’ est toutefois qu’ une pure et simple réplique de la Ford A). Elle sera produite jusqu’ en 1936. Elle sera alors remplacée par la M1, qui conservera la même mécanique que sa devancière mais avec une carrosserie modernisée, inspirée de la Ford V8 de 1934. Le modèle qui lui succède en 1940, le Type 11-73, possède une carrosserie fortement inspirée de celle de la M1, mais reçoit un moteur six cylindres qui remplace le quatre cylindres issus de la Ford A.
A partir de 1941, suite à l’invasion de l’ URSS par l’Allemagne nazie, en juin de cette année-là, pour faire face aux besoins pressants de l’Armée Rouge en matière de véhicules militaires, l’usine de Gorki est alors chargée de concevoir et de produire une série de véhicules à quatre roues motrices, dans l’esprit des Jeep américaines. Ceux-ci seront à l’ origine d’une longue lignée de véhicules tout-terrains qui constituent aujourd’hui encore une part importante de la production de l’usine. En parallèle, à partir de 1946, l’usine GAZ inaugurera la production d’un nouveau modèle de voiture de gamme moyenne supérieure, la Pobieda (« Victoire » en russe), dont les descendantes continueront à y être produits jusqu’au début des années 2010.
Les origines du constructeur des plus luxueuses voitures qu’aient connue la Russie soviétique remontent à 1933, lorsque l’entreprise AMO, située à Moscou, est rebaptisée ZIS (pour Zavod Ijmeni Staline, soit, littéralement, Usine du Nom de Staline, en l’honneur du grand maître de l’Union soviétique). Trois ans plus tard, en 1936, l’usine, qui était jusque-là spécialisée dans la production de véhicules utilitaires, diversifie son activité avec la fabrication de son premier modèle de voiture de tourisme, la L1, qui était, auparavant, produite depuis 1933 dans une usine de Leningrad (saint-Pétersbourg). Ce modèle, dont les lignes de la carrosserie ont manifestement été inspiré par les voitures américaines contemporaines, était d’ailleurs équipé d’un moteur conçu sur le modèle du huit cylindres en ligne de la marque Buick. C’est aussi à cette époque qu’ apparaît la première voiture portant le nom de la marque ZIS. Là aussi, les stylistes qui ont dessiné les lignes de sa carrosserie se sont visiblement inspiré des Buick et Cadillac contemporaines, tout comme pour sa mécanique. Ce modèle, dont le caractère imposant et cossu n’a rien à envier aux automobiles américaines qui lui ont servi de modèles, sera produit jusqu’ en 1940, avant d’être légèrement modifié et rebaptisé 101A. La production de cette nouvelle version sera toutefois interrompue dès l’année suivante, suite à l’entrée en guerre de l’Union Soviétique. La production de voitures de luxe doit alors évidemment céder la place à celle des véhicules militaires et de l’armement.
En septembre 1944, alors que la Seconde guerre mondiale bat toujours son plein (Même si la victoire commence déjà à se profiler pour l’Union Soviétique et le camp des alliés), le gouvernement russe négocie auprès des Américains le rachat des plans et de l’outillage des chaînes de production de la Packard Super Eight, dont la production avait cessée en février 1942. (Les Etats-Unis étant entré en guerre après l’ attaque de la base de Pearl Harbor par les Japonais, le 7 décembre 1941). Aujourd’hui encore, tous les tenants et aboutissants de l’affaire ne sont pas connus avec exactitude, les négociations entre les représentants des gouvernements américain et soviétique ayant été menées dans le plus grand secret. Il semble, en tout cas, que le président Roosevelt lui-même ait joué un rôle important dans cette transaction. En tout cas, celle-ci va permettre au constructeur ZIS de présenter dès l’ été 1945 (Alors que la guerre vient à peine de se terminer au mois de mai) son nouveau modèle. Si, de prime abord, en mettant des photos des deux voitures côte à côte, on pourrait croire qu’ il s’ agit d’ un seul et même modèle, il n’en est toutefois rien. Même si parvenir, extérieurement, à différencier une ZIS 110 d’ une Packard s’apparente presque à jouer au jeu des sept erreurs, les modifications qu’a reçue la nouvelle limousine soviétique, par rapport à sa « cousine » américaine, bien que souvent imperceptibles à l’oeil nu (Il n’ y a guère, sur la carrosserie, que la présence des caractères cyrilliques à la place de l’emblème Packard ainsi que d’une étoile au sommet de la calandre et des enjoliveurs de roues pour indiquer que l’on a bien à faire à une ZIS et non à une Packard), sont assez nombreuses et, entre les deux modèles, toutes les pièces ne sont pas interchangeables). Lors de la présentation du modèle, une seule carrosserie est disponible, sous la forme d’ une limousine à sept places affichant une longueur imposante de 6,02 mètres. Sous le capot de cette impressionnante limousine se trouve placé un huit cylindres en ligne à soupapes latérales (étroitement dérivé de celui équipant les Packard), d’une confortable cylindrée de six litres et d’une puissance de 140 chevaux. Lesquels ne sont sans doute pas de trop pour permettre à ce lourd carrosse (2 450 kg à vide) d’atteindre la vitesse respectable (à cette époque et pour une voiture de ce genre) de 140 km/h. Pour le reste, sur le plan mécanique, la ZIS est équipée, comme sa « cousine » américaine, d’une alimentation du moteur assurée par un carburateur double corps et, pour la transmission, à une boîte mécanique à trois rapports dont la commande se fait par un levier placé sur la colonne de direction. Comme il se doit pour une voiture d’ un tel standing, la nouvelle limousine destinée à l’ élite des dignitaires soviétiques est dotée de tout le confort moderne de l’époque, puisqu’elle est équipée en série de la radio, d’une séparation intérieure entre le chauffeur et les passagers, d’ un système de chauffage très perfectionné ainsi que de vitres à commande électrique.
Si, en URSS comme, plus tard, dans les autres pays dirigé par un régime communiste, la « publicité », telle qu’ on la connaît dans les pays occidentaux, n’existe pas, le gouvernement soviétique ne se privera cependant pas de faire la promotion de sa nouvelle voiture de prestige. (Même si, dans un pays « socialiste », ce terme peut presque sembler déplacé). A peine terminées, les cinq premières voitures sont aussitôt expédiées depuis l’usine jusqu’ à la Place Rouge, où elles seront abondamment photographiées par les journalistes de la Pravda (Le journal officiel du Parti Communiste en URSS). Commençant véritablement en 1946, la production de l’usine ZIS de Moscou atteindra un « rythme de croisière » de cent à deux cents exemplaires par an, suivant les années. En 1947, en plus de la limousine, deux nouvelles versions viennent s’ajouter au catalogue une ambulance (construite sur base de la limousine et recevant la dénomination 110A), un rôle pour le moins inhabituel pour un modèle qui était à l’origine une limousine de luxe, ainsi qu’un imposant torpédo (110B) (ou convertible sedan, pour reprendre le terme en vigueur sur les voitures américaines avant-guerre). Celui-ci deviendra rapidement la voiture favorite des hauts dignitaires du régime soviétique, qui les utiliseront abondamment lors des défilés et autres cérémonies officielles. Représentant le « nec-plus-ultra » de la production automobile de la Russie soviétique à l’époque, sa production fut, évidemment, assez marginale (même si on en connaît pas le nombre exact).
Parmi les autres réalisations « hors-série » réalisées sur base de la ZIS 110 figurent également une version blindée de la limousine, réalisée à une cinquantaine d’exemplaires (sous la dénomination type 115), ainsi qu’une autre, dotée d’une finition simplifiée et d’un équipement plus « basique » qui fut utilisée comme taxi, essentiellement pour des transports interurbains entres les grandes villes soviétiques, comme Moscou et Leningrad. D’autres versions plus originales de la limousine soviétique ont également été produites, comme la dizaine d’exemplaires qui, entre 1947 et 1956, ont été équipés d’une transmission à quatre roues motrices (enregistrés à l’usine comme type 110S et 110P). Au moins un exemplaire de la version décapotable a aussi connu une version similaire. Si les dernières ZIS 110 sont, officiellement, sortis d’usine en 1958, selon certaines sources, certains exemplaires auraient continués à être assemblés jusqu’ en 1961. Au total, la première des limousines ZIS aura été produite, durant douze ans, à, exactement, 2 083 exemplaires.
Malgré tout le prestige qu’elle a très vite acquise auprès des plus hauts membres de l’appareil d’Etat soviétique, il semble évident, au milieu des années 50, que les lignes de la ZIS 110 sont sérieusement démodées. C’est pourquoi, avec, évidemment, l’assentiment des responsables politiques concernés, la direction de l’usine décide de lancer l’ étude d’un nouveau modèle. Entretemps, en 1956, lors du lancement par le successeur de Staline, Nikita Khrourtchev, de la politique de déstalinisation, l’usine a été rebaptisée ZIL (pour Zavod Ijmenk Likhatchev, du nom d’un de ses anciens directeurs). En 1956, le prototype de la future ZIL 111, qui a reçue l’appellation Moskva, est présentée à l’Exposition Industrielle de Moscou. Mais cette limousine, dont les lignes semblent avoir été fortement inspirées par celles des Cadillac et des Packard du début de la décennie, n’entrera finalement jamais en production, en tout cas sous cette forme. A la même époque, le bureau d’ études de l’ usine est parvenu à se faire livrer deux exemplaires des nouvelles Packard, ainsi qu’une Chrysler Imperial afin de mieux pouvoir en étudier les lignes et de s’en inspirer pour leur futur modèle. Au vu des lignes de la nouvelle ZIL 111 de série, il apparaît, en effet, évident qu’elles ont puisé leur inspiration dans les voitures américaines contemporaines. Le dessin de la face avant, lui, semble clairement avoir été inspiré par les Packard produites en 1955 et 1956. Si, au regard des critères de jugement en vigueur pour le design automobile aux Etats-Unis, à une époque où, là-bas, le style évolue très vite, ses lignes doivent probablement déjà apparaître démodées aux yeux des observateurs américains lorsqu’ils la découvrirent à l’époque dans la presse et aux actualités. Si les premiers exemplaires font leur apparition au mois de novembre 1957, ce n’est toutefois que deux mois plus tard, en 1958, qu’elle entrera véritablement en production. Si, comme mentionné précédemment, la proue ressemble comme deux gouttes d’eau à celles de la Packard Patrician, il s’agit, en réalité, plus ici d’une interprétation que d’une simple adaptation d’un modèle existant. La nouvelle ZIL soviétique peut d’ailleurs se prévaloir de dimensions encore plus imposantes que celles qui lui a servie de modèle, avec un empattement de 3,76 m et une longueur totale de pas moins de 6,14 mètres, alors que les Packard, elle, n’affiche qu’un empattement de 3,22 m et une longueur de 5,55 m. Pour les Européens, la ZIS 111 fait montre d’un physique très « baroque », alors qu’il apparaît déjà passé de mode, le catalogue édité à l’ occasion de son lancement parle, sur ce point, « d’une apparence « austère » mais moderne ! Alors que, pourtant, aux yeux des journalistes de la presse automobile occidentale, elle n’est ni l’un ni l’autre. Comme on l’a dit, si, aux yeux des Européens, ses lignes apparaissent encore tout à fait actuelles, aux yeux des Américains, en revanche, le décalage avec leurs propres modèles est patent. Il n’y a qu’ à comparer la ZIS 111 avec les Cadillac, les Lincoln ou les Imperial de la fin des années 50 pour s’en convaincre. Si l’automobile américaine est alors au plus fort de son délire en matière de style et même si les limousines ZIS affichent alors, de manière inavouée mais aussi sans complexe, les origines américaines de leurs lignes. Le bureau d’ études de l’ usine, comme les membres du gouvernement soviétique, devaient certainement se dire que de là à affubler l’arrière de la ZIL d’énormes ailerons comme ceux des Cadillac de 1959, dont les formes comme la taille n’avaient rien à envier à ceux des vaisseaux spatiaux des héros des Comics, il y avait toutefois un pas qu’ ils ne franchiraient pas. En tout cas, employé le terme d’ « austérité » utilisé dans le dépliant publicitaire semble plutôt inapproprié, voir carrément, vu sous un autre angle, relevé de la publicité mensongère.
En ce qui concerne la partie technique, cette imposante voiture repose sur un robuste châssis-cadre à caissons, renforcé par des traverses en X. Le second modèle de l’ histoire de la marque ZIL est aussi la première voiture russe à accueillir sous son capot un moteur V8. D’une cylindrée de 5 980 cc, cette motorisation, équipée d’une distribution à soupapes en tête et d’un carburateur à quadruple corps, développe une puissance de 220 chevaux (qui sera plus tard ramenée à 200 ch). Du côté de la transmission, comme ses homologues américaines, celle-ci fait, cette fois, appel à une boîte automatique (équipée, toutefois, de seulement deux vitesses), secondée par un convertisseur hydraulique, inspirée de la transmission automatique Power Flite conçue par Chrysler. Une boîte de vitesses qui est actionnée par une série de boutons de commande disposée sur une platine placée à gauche du tableau de bord. Les suspensions, quant à elles, font appel, à l’avant, à des ressorts hélicoïdaux et des leviers triangulés qui commandent des roues indépendantes et, à l’arrière, à un classique essieu rigide et des ressorts semi-elliptiques. Etant donné le poids et le gabarit de la voiture, la direction est évidement équipée d’ un système d’ assistance, tout comme les freins d’un dispositif de servo-assistance. Sur le plan des équipements de confort, la ZIL 111 n’a rien à envier à son aînée, recevant, tout comme elle, des vitres à commande électrique individuelle, une installation radio avec haut-parleurs pouvant être commandée à la fois depuis la place du conducteur à l’avant ou depuis les places arrière, ainsi que de nombreux autres équipements destinés à assurer le bien-être de ses illustres passagers lors de leurs déplacements officiels ou privés. Une autre version de la limousine ZIL, baptisée 111A, sera d’ailleurs spécialement conçue à l’ attention des membres du gouvernement soviétique, équipée notamment d’une lunette arrière de taille réduite (afin de mieux assurer la discrétion de ses passagers), ainsi que de l’air conditionné. En plus de la limousine, tout comme sa devancière, la ZIL 111 eut, elle aussi, droit à sa déclinaison décapotable, portant la dénomination 111V.
Philippe Roche
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