VESPA 400 – Un scooter sur quatre roues.
Piaggio peut légitimement se vanter, non seulement, d’avoir contribué, avec ses célèbres scooters Vespa, d’avoir contribué à remettre l’Italie sur roues, en offrant aux nombreux Italiens qui n’avaient pas encore les moyens d’acquérir une voiture neuve, l’opportunité de s’offrir leur premier moyen de transport individuel. Mais également de lancer une mode qui va, rapidement, dépasser les frontières de l’Italie, qui dure d’ailleurs toujours aujourd’hui et dont le constructeur italien demeure toujours l’une des références incontournables dans ce secteur.
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Porté par du succès de leurs scooters – dont l’ampleur, au début, il faut l’avouer, étonna tout le monde, y compris ses concepteurs -, Piaggio n’entend, évidemment, pas s’arrêter en si bon chemin. Non seulement en élargissant bientôt sa gamme mais également en projetant de diversifier ses activités et en ne se cantonnant désormais plus au seul monde des deux-roues mais en passant aussi à celui des quatre roues. Le constructeur des Vespa ayant, en effet, bien compris que, à moyen ou long terme, avec la reprise économique qui s’amorce progressivement, en Italie comme dans la plupart des autres pays d’Europe occidental et la démocratisation de l’automobile qui s’étend elle aussi rapidement, les Italiens – et aussi les Italiennes, car il n’y a désormais plus que les hommes qui conduisent des scooters ou même des voitures – voudront désormais passer à un véhicule à quatre roues pour leurs déplacements professionnels et sur longue distance. En reléguant ainsi les scooters et les deux roues en général au rang de simples engins de loisirs.
Comme beaucoup d’autres, Piaggio entend donc bien profiter de ce marché qui grandit alors rapidement et qui promet de devenir une véritable « poule aux oeufs d’or ». Un problème que ses dirigeants n’avaient pas vraiment envisagé mais néanmoins de taille assez importante va toutefois rapidement se dresser sur la route de ce projet, pourtant prometteur, d’une Vespa sur quatre roues : celui de son principal fournisseur pour les tôles d’acier servant à la production de ses scooters qui n’est autre que le groupe Fiat. Comme chacun sait, le premier constructeur automobile italien, s’est notamment rendu célèbre pour sa 500 « Topolino », apparue dans les années 30 – que les Français connaissent d’ailleurs bien puisqu’elle fut produite en France sous le nom de Simca 5 – et dont le succès va véritablement établir la réputation de la marque turinoise comme constructeur de voitures populaires. Or, à la même époque, celui-ci a déjà à l’étude celle qui doit venir prendre la succession de cette dernière et qui sera d’ailleurs baptisée, tout simplement… Nuova 500.
Dans ces conditions, il est, d’une certaine façon, assez légitime – ou, en tout cas, guère surprenant qu’en apprenant que Piaggio compte lancé sur le marché un engin qui doit s’inscrire sur le même marché et qui risque donc fort de représenter une rivale potentielle, voire sérieuse, pour son nouveau modèle populaire, Fiat fronce fortement les sourcils. Le géant de Turin faisant alors savoir à Piaggio – en termes sans doute « diplomatiques » mais néanmoins très clairs – que si celui-ci ne renonçait pas à son projet de Vespa sur quatre roues, il se retrouvait alors dans l’obligation de chercher un autre fournisseur pour ses approvisionnements en acier.
Plutôt que de remiser purement et simplement son projet dans les cartons, le constructeur des Vespa trouve alors bientôt la parade pour que celui-ci puisse se concrétiser sans risquer de devoir subir les foudres de Fiat : le « céder » à l’un de ses partenaires étrangers. En l’occurence, à l’entreprise française ACMA (Ateliers de Construction de Motocycles et d’Automobiles). Dirigée alors par le prince de Beauvau-Craon, celle-ci a déjà produite sous licence, depuis 1951, dans son usine située à Fourchambault, dans la Nièvre, environ 200 000 exemplaires de la Vespa qui furent ainsi diffusés dans l’hexagone – sur le million d’exemplaires déjà produits alors dans le monde depuis la création du célèbre scooter.
Si la production, comme la commercialisation, est donc prévue pour le marché français, c’est toutefois bien en Italie, durant le printemps 1957, que se déroulent les essais des prototypes. L’usine ACMA ne disposant toutefois pas de l’outillage nécessaire pour l’emboutissage des caisses – et n’ayant, en outre, à ce moment-là, quasiment aucune expérience dans la production automobile – c’est la société Facel-Metallon – célèbre pour ses superbes Facel Vega à moteur V8 Chrysler produite entre le milieu des années 50 et 60 – qui se verra chargée de leur fabrication.
Malgré les origines italiennes de cette nouvelle Vespa sur quatre roues, c’est bien sa nouvelle « patrie d’adoption » qui sera mise en avant lors de sa commercialisation. Ce n’est ainsi pas un hasard si les trois premiers exemplaires de présérie furent peints, respectivement, en bleu, blanc et rouge. Recevant l’immatriculation 58 – en référence, non seulement, au département de la Nièvre, où elle sera fabriquée mais aussi au millésime de production des premiers modèles, puisque celle-ci débute donc à l’automne 1957. Ceux-ci sont présentés à la presse sur le port de Monte-Carlo, avec trois des meilleurs pilotes du moment à leur volant : Jean Behra, Louis Chiron et Juan-Manuel Fangio. Pour l’anecdote et même si , de prime abord, la petite Vespa ne se prêtait guère à ce genre d’exercices, ce dernier ne se privera pourtant pas d’exécuter quelques figures mémorables à son volant !
Baptisée Vespa 400, en référence à la cylindrée de son moteur – de 393 cc exactement, elle ne manquera pas d’être l’une des vedettes du Salon automobile de Paris, qui ouvre ses portes au Grand Palais au mois d’octobre de la même année. Si elle entend s’adresser à l’ensemble de la clientèle populaire, elle s’attire alors surtout l’intérêt et les faveurs de la clientèle féminine, laquelle se montre séduite autant par ses dimensions réduites – 12 cm de moins qu’une Fiat 500 ! -, ses lignes assez plaisantes ainsi que par les couleurs souvent assez vives et gaies proposées dans le nuancier du catalogue.
Les acheteurs ayant le choix entre deux versions : l’une recevant la dénomination « Tourisme » – à la présentation, intérieure comme extérieure, très dépouillée – et l’autre baptisée – en toute logique – « Luxe » à la présentation – un peu – plus cossue. Vendues, respectivement, 345 000 et 365 000 francs – de l’époque, anciens donc. La nouvelle petite italo-française va toutefois devoir faire face, dès son lancement, à une concurrence aussi nombreuse que féroce, avec – entre autres -, chez Renault, la 4 CV Affaires (399 000 Fr) et, chez Citroën, la 2 CV (374 000 Francs). Cette dernière a pour elle plusieurs atouts non négligeables : comme le fait d’être produite par l’un des plus grands constructeurs français ainsi que d’offrir quatre portes et quatre vraies places. Même si la plupart des illustrations publicitaires de l’époque représentent souvent un jeune couple avec un enfant installé à l’arrière, voulant ainsi faire apparaître la Vespa 400 comme une voiture « familiale », l’espace situé derrière les deux sièges est toutefois avant tout conçu pour accueillir des bagages.
Il y a toutefois un point important sur laquelle la nouvelle venue surclasse sans peine – et de loin – la 2 CV :… les délais de livraison ! Ceux-ci étant atteignant parfois un an, voire même deux ans, avant que l’acheteur ayant passé commande puisse enfin recevoir sa voiture. Malgré leurs capacités fort importantes de production, la marque aux chevrons était, en quelque sorte, victime du succès de la 2 CV et les usines du Quai de Javel peinaient alors à satisfaire la demande.
Comme sa célèbre rivale, la Vespa n’existe que sous une seule forme. A savoir, dans son cas, celle d’un petit coupé découvrable à deux places, dont la ligne n’est pas sans évoquer fortement, sous certains angles, celles des Simca 5 et 6. A la différence que la Vespa est dotée, elle, d’une architecture toute différente, avec le moteur placé en porte-à-faux à l’arrière. Héritage direct de l’activité originelle et principale de son constructeur, la mécanique fait toujours appel à la solution du cycle à deux temps. La lubrification de la mécanique se faisant, là aussi, appel, comme sur les scooters produits par la marque, à l’huile qui se trouve directement mélangée à l’essence. Même si, sur la première version, ce mélange reste entièrement manuel, s’effectuant à l’aide d’un bouchon-doseur.
Si cette solution, directement issue de l’univers des deux-roues n’incommode la guère les habitués des deux-roues, dont les conducteurs des scooters Vespa, en revanche, il n’en sera pas vraiment de même pour celle des automobiles. Or, la nouvelle petite 400 entendait profiter de l’essor économique des Trente Glorieuses pour permettre à ceux qui, jusqu’ici, comme moyen de transport individuel, ne pouvaient s’offrir qu’un deux-roues de pouvoir s’offrir leur première voiture. C’est-à-dire de fidéliser ainsi la clientèle des scooters en évitant ainsi, une fois que celle-ci auront fonder une famille, de devoir remiser ou revendre leur Vespa pour filer chez le concessionnaire Citroën, Peugeot, Renault ou Simca du coin. Or, les conducteurs qui, eux, n’ont jamais eux entre les mains que le volant d’une voiture, eux, dans leur grande majorité, ne sont pas du tout prêts à s’accommoder de devoir effectuer eux-mêmes le mélange huile-essence, trop fastidieux et aussi trop salissant à leur goût.
Conscients des inconvénients que présentent ce procédé et qu’il risque donc de faire hésiter, voire renoncer, un certain nombre de clients « automobiles » potentiels, la direction de l’usine de Fourchambault équipera, par la suite, la 400 d’un réservoir additionnel muni d’une manivelle. Les acheteurs devront toutefois attendre la présentation de la version 400 GT, à la fin de l’année 1960, pour être entièrement débarrassé de cet ennuyeux rituel.
En ce qui concerne le reste de sa fiche technique, l’allumage est assuré par un système de batterie et d’une bobine par cylindre – en tout cas sur les premières versions. Le refroidissement étant assuré par air, comme sur la 2 CV. Sur la Vespa, celui-ci est, notamment, complété par un système « par air forcé » à l’aide d’une turbine. L’un des atouts de la Vespa 400 rapport à sa célèbre rivale aux chevrons est que l’ensemble de son équipement électrique est en 12 volts, alors que la « deux-pattes », quant à elle, doit encore, à l’époque, se contenter d’une installation électrique en 6 volts.
La petite puce italo-française recelant également quelques originalités, parfois plus pratiques qu’on ne le croit, comme le « tiroir » dissimulé, à l’avant, derrière la calandre factice, qui sert de support à la batterie et permet ainsi de la changer rapidement lorsque celle-ci tombe à plat. La roue de secours, elle, prend place sous le siège passager, le conducteur n’ayant qu’à soulever celui-ci, articulé, pour y accéder.
Autre atout non négligeable par rapport à la 2 CV, la Vespa met près de 4 secondes de moins pour parcourir le 400 mètres départ arrêté. Outre des performances assez convaincantes pour une voiture de sa catégorie, la presse automobile de l’époque lui reconnaît également une bonne tenue de route ainsi qu’une direction très précise – grâce à son système de crémaillère, mais critique, en revanche, quelque peu le changement des vitesses, la transmission conservant, en effet, une première non synchronisée.
Comme pour la 2 CV Citroën, même si cela n’était pas du tout sa vocation première et que son aspect comme ses dimensions à peine plus grandes que celles d’une voiture de manège, ne la destinait absolument pas à ce genre d’exercices, la Vespa 400 aura, elle aussi, droit aux honneurs de la course automobile. Sous le contrôle de la FFSA, celle-ci effectuera un raid Paris-Moscou et retour, avec, à son volant, les pilotes Raymond Miomandre et René Pari. Sans compter plusieurs rallyes, notamment celui de Monte-Carlo, où elle sera inscrite dans la catégorie des voitures de moins de 500 cc.
Le constructeur peut, évidemment, compter sur un important réseau d’agents dans toute la France et espère bien, grâce à celui-ci, pouvoir ainsi écouler sa nouvelle petite voiture populaire aux quatre coins de l’hexagone. Sauf que tous ne disposent pas forcément de la place ni de tout le matériel adéquat pour en assurer l’entretien, ayant souvent déjà assez à faire avec la vente ainsi que la réparation des deux-roues.
Ses créateurs ainsi que la direction d’ACMA semblaient convaincus, non seulement, du futur succès de la Vespa 400 et que ce nouveau « scooter sur quatre roues » parviendrait sans peine à tailler des croupières à la 2 CV ainsi que la 4 CV de Renault ou aux autres petites populaires françaises. Mais aussi de son potentiel sur le marché automobile européen et de sa capacité à jouer des coudes et à venir se mesurer aux petites anglaises ou à la Coccinelle – ou, en tout cas, à la BMW Isetta – en Allemagne. Une version avec le volant à droite (comme tout le monde le sait et contrairement à nous, nos amis et voisins Anglais roulant à gauche) fut d’ailleurs étudiée pour le marché britannique. Outre le fait qu’elle se voyait quelque peu handicapé par ses performances un peu trop limitées ainsi que son absence de véritables places à l’arrière, outre-Manche, le marché des petites citadines – même avant l’arrivée des Austin et Morris Mini en 1959 – ainsi que des microcars était déjà fort encombrés. Les acheteurs British étant, de plus, quelque peu « chauvinistes » – pour ne pas dire plus -, la Vespa 400, comme la plupart des autres modèles étrangers, n’avaient guère de chances de se faire une place au pays de Shakespeare.
Ses concepteurs n’entendaient toutefois pas en rester là et mirent même la barre très haut en visant rien moins que le marché américain ! Si un contingent de 1 600 exemplaires furent bien exportés outre-Atlantique, plus encore qu’en Angleterre, la petite Vespa n’avait guère de chances d’intéresser sérieusement l’automobiliste lambda, où la petite Vespa ne pouvait sans doute y être considéré que comme une sorte de « jouet pour adulte » et faire office, en quelque sorte, de « voiturette de golf » et à côté de laquelle même la plus modeste des Chevrolet faisait quasiment figure de limousine XXL !
Si plus de 12 000 voitures sortent d’usine durant l’année 1958, cela reste toutefois bien en-deçà des prévisions et des espérances, puisque cela correspond à trente-deux ou trente-trois exemplaires par jour, alors que les responsables de l’usine ACMA avaient escompté sur une production quotidienne d’environ 200 exemplaires ! Une cadence qui, malheureusement pour ces derniers, ne sera jamais atteinte.
Malgré les améliorations techniques apportées, en particulier concernant le mélange huile-essence et même une garantie constructeur porté à 50 000 kilomètres pour la mécanique – ce qui reste encore fort rare à la fin des années 50 -, il devient bientôt évident que, malgré des qualités réelles, une fois l’effet nouveauté passé, le succès – un peu comme, parfois, en cuisine, avec un soufflé – retombe vite. Convaincu – ce qui est en partie vrai – que les limites que rencontre assez vite le succès de la Vespa 400 est dû à sa présentation intérieure un peu trop spartiate ainsi que – sur certains points – son manque de sens pratique.
Lors de la présentation de la version de l’année-modèle 1960 – à l’automne 1959 -, celui se fait un peu moins austère avec les nouveaux équipements. Les glaces fixes des premières versions – seuls les déflecteurs étant ouvrables et orientables – étant remplacées par de nouvelles glaces coulissantes, les feux de custode – sur le bas du pavillon, derrière les portières – sont à présent incorporés aux feux arrière et des clignotants sont également ajoutés sur les ailes avant. A l’avant, le pare-chocs est désormais dépourvu de butoirs – même s’ils seront de nouveau montés sur l’ultime version de la Vespa 400, la GT. A l’intérieur de l’habitacle, les sièges avec des tubes apparents sur la partie supérieure du dossier sont maintenant entièrement habillés d’une sellerie en tissu plastifié bicolore ainsi que l’adjonction de vide-poches sur les contre-portes.
Est-ce, en tout cas en partie, en raison de la brièveté de sa carrière ? Toujours est-il qu’elle n’a guère connue de dérivés hors-série – contrairement à d’autres modèles populaires français de l’époque comme la 4 CV ou la 2 CV..L’une des rares exceptions étant une transformation, aussi originale que réussie, en voiture de plage par le carrossier Pichon-Parat, mais qui ne sera toutefois réalisée qu’à une poignée d’exemplaires.
A la fin de l’année 1960 (pour le millésime 61), la 400 GT fait son apparition. Outre le système de graissage automatique mentionné plus haut, de quelques baguettes chromées supplémentaires offrant à la carrosserie un aspect plus cossu ainsi que le montage d’une nouvelle boîte de vitesses à quatre rapports qui permettent ainsi d’optimiser les modestes 14 chevaux du bicylindre à air. Celle-ci arrive toutefois bien – voire trop – tard pour permettre à la carrière de la Vespa 400 de connaître un second souffle.
Si, lorsque celle-ci débute sa carrière, le marchés des microcars était déjà sur le déclin – suite, notamment, au changement de législation qui va, quasiment, tuer les constructeurs de voitures sans permis -, le début des années 60 va voir celui-ci connaître un bouleversement assez profond. Le développement rapide du marché de la voiture d’occasion, avec l’arrivée rapide et massive de Citroën 2 CV ou Renault 4 CV de première ou seconde main permettant désormais à de plus en plus de personnes, même celles aux bourses les plus modestes, de s’offrir leur première voiture. Avec pour effet le déclin rapide des voitures minimales du même genre que la Vespa 400. Ce n’est qu’à la fin des années 70 et dans le courant des années 80, avec une législation redevenue plus favorable, que les « mini-voitures » feront alors leur retour dans l’hexagone.
Un déclin qui touchera aussi le marché de deux-roues et donc impacté directement et à double titre l’activité de l’usine ACMA. Au bout d’à peine un an de production, la production de la version GT et, avec elle, celle de la Vespa 400 est arrêté, après seulement quatre ans de carrière et environ 28 000 exemplaires produits.
L’usine de Fourchambault fermera ses portes après l’arrêt de la production des deux-roues l’année suivante, marquant ainsi la fin de la société ACMA. Le site est alors revendu à Simca Industries, avant d’être, par après, racheté par Fiat. Elle fabrique aujourd’hui des composants pour le camion Iveco.
Philippe Roche
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