BMW 600, la « Super Isetta »
Au sortir du second conflit mondial, comme tous les autres constructeurs automobiles allemands, le constructeur bavarois est littérallement en ruines, à double titre. Non seulement car une grande partie des usines de la maison-mère, situées à Munich, ont été détruites par les bombardements de l’aviation alliée mais aussi parce que son usine située à Eisenach, en Thuringe, dans la zone d’occupation des troupes soviétiques a été confisquée et nationalisée par ces derniers. Celle-ci est rapidement relevée de ses ruines et parvient à reprendre la production des voitures ainsi que des motos quelques mois seulement après la fin des hostilités.
Si l’usine bavaroise, de son côté, reprend aussi, progressivement, la fabrication des deux-roues, il n’en va cependant pas de même en ce qui concerne les voitures de tourisme. Non seulement parce que celle-c se heurte au veto des autorités d’occupation Alliées mais aussi, tout simplement, parce que la majeure partie des plans ainsi que des outils de production se trouvent à Eisenach. L’usine de Munich ne diposant donc pas – ou plus – du matériel adéquat ni du personnel – cadres et ouvriers – qualifiés pour permettre à la firme de relancer celle-ci. Ce sera cependant grâce à plusieurs des anciens employés venus d’Eisenach, ayant fuit les persécutions du nouveau régime communiste de l’Allemagne de l’Est – avec, pour certains d’entre-eux, une partie des plans de production des anciens modèles produits avant la guerre – ainsi qu’à la détermination des hommes du bureau d’études de Munich que BMW entreprend finalement, dès que l’autorisation leur est enfin donnée, de se pencher sur l’études des nouveaux modèles qui devront constituer la nouvelle gamme d’après-guerre.
Si la première d’entre-elles, la 501, dévoilée au public en 1951, ainsi que celles qui suivront au cours des années suivantes – les 502, 503 et 507 – ne manquent pas d’attrait ni de prestige, leurs prix de vente les mettent – hélas – hors de la portée de la grande majorité des citoyens allemands. Pour ces derniers, dans un pays dont l’économie commence à peine à se relever et à tourner la page des désastres de la guerre – le « miracle économique allemand », largement aidé, il est vrai, par le plan Marshall, n’en est, en effet, qu’à ses débuts – la possession de la plus modeste voiture neuve est déjà un rêve difficilement accessible. Si le constructeur vise, évidemment, avant-tout, avec ces modèles de haut de gamme, le marché d’exportation – le marché américain étant, bien entendu, le premier visé – la direction sait, dès le départ – ou, en tout cas, comprend rapidement – que ceux-ci, quel que soit le succès qu’ils obtiendront, ne sera, toutefois, pas suffisant pour permettre à la firme de survivre.
A l’image d’un certain nombre de constructeurs qui se sont lancés – voire même, pour certains d’entre-eux, spécialisés – dans la production de voitures populaires ou de microcars, BMW décide, à son tour, de se lancer dans le bain. Une nouvelle orientation stratégique qui s’avère d’autant plus nécessaire que le marché des deux-roues, dont la marque était alors l’un des acteurs majeurs en Allemagne connaît alors une forté récession, ce qui fragilise encore un peu plus la firme. Le bureau d’études a bien étudié plusieurs projets d’une « voiturette » utilisant les mécaniques empruntés aux deux-roues. Afin de pouvoir mettre rapidement en production ce nouveau modèle populaire comme d’économiser les coûts de développement – mises à mal par le lancement de ses modèles de grand luxe, les finances du constructeur ne sont, en effet, pas au mieux de leur forme – la firme choisit toutefois une autre solution.
Ayant découvert la petite Isetta, une mini-voiture à la ligne évoquant une sorte de poit de yaourt renversé ou réfrigérateur sur roues – ce qui n’est pas tellement étonnant quand on sait que son créateur, l’Italien Renzo Rivolta, a fait fortune dans la fabrication de frigos. Si l’originale petite puce ne connaîtra qu’une carrière fort éphémère dans son pays natal, victime de la concurrence – peut-être un peu déloyale – des Fiat 500 et 600, en Allemagne, en revanche, elle fera un carton ! Malgré la concurrence nombreuse et rude sur ce marché dans les années cinquante, la petite puce bavaroise va rapidement trouvé son public. Outre son physique aussi original que pratique – avec sa grande porte frontale donnant accès à l’habitacle, justement, comme celle d’un frigidaire -, le fait qu’elle devienne la plus vendue de tous les modèles de sa catégorie sur le marché allemand est aussi sans doute dû au fait qu’elle soit produite par un « grand » constructeur – par rapport à ceux de ses concurrentes s’entend, la taille de BMW, en termes de chiffres de production comme de chiffre d’affaires, était à cent lieues de ce qu’ils sont aujourd’hui – et dont la réputation était solidement établie.
En dépit du succès certain qu’elle remporte auprès du public, les bénéfices qu’elle engendre, s’ils permettent au constructeur de Munich de maintenir la tête hors de l’eau, sont cependant encore insuffisants pour que celui-ci puisse véritablement envisager l’avenir avec sérénité. Une partie de la clientèle de l’Isetta réclamant d’ailleurs bientôt un modèle doté d’une plus grande habitabilité – celle-ci, de par son gabarit des plus « minimalistes », ayant l’incovénient de n’offrir que deux places, on décide alors de recourir à une solution qui apparaît, à la fois, la plus simple, la moins coûteuse et aussi la plus évidente. A savoir allonger l’Isetta, afin de lui ajouter une banquette supplémentaire, ce qui lui permettra ainsi d’offrir quatre vraies places.
Sans doute parce qu’elle entendait se présenter au public comme une sorte de « super-Isetta » ou « d’évolution logique » de celle-ci, BMW a délibérement choisi de conserver le plus possible les lignes de l’Isetta originelle. Ainsi que l’une des principales caractéristiques du modèle qui lui confèrait son originalité et donc son identité : l’imposante portière frontale. Sur la BMW 600, celle-ci donne uniquement accès aux places avant, celui aux places arrière s’effectuant, quant à lui, à l’aide d’une – unique – portière latérale « classique », installée côté passagers. Ce qui en fait certainement la seule voiture de série au monde – en tout cas à l’époque, même si l’on connaît peu d’exemples dans l’histoire de l’automobile, sinon quelques audacieux prototypes – à présenter une telle disposition.
Il convient de le rappeler, si son concept était fort intéressant – en tout cas et avant tout sur le papier – la ligne de l’Isetta n’a jamais fait l’unanimité, sa forme ainsi que son gabarit contenus lui permettait toutefois de présenter, aux yeux d’une grande partie du public – surtout auprès de la clientèle féminine – une bouille sympathique.
Avec sa taille qui la place un – sérieux – cran au-dessus – la 600 quittant alors la catégorie des « micor-voitures » pour celui des citadines « compactes », elle n’était pas sans évoquer, sous certains angles, une sorte de pot de yaourt en « format familial », ou même d’une enfant de dix ou douze ans qui commencerait à souffrir de surpoids en ayant un peu trop abuser des bonbons et des glaces. Outre un physique qui – plus encore que sur le modèle originel – ne fait donc franchement pas l’unanimité auprès du public visé et qui est même jugé quelque peu disgrâcieux par certains, la BMW 600 a aussi le tort, aux yeux de la clientèle BMW, justement, de trop ressembler à l’Isetta !
Autant dire qu’alors qu’elle vient à peine d’être commercialisée, la « super-Isetta » semble déjà avoir manqué sa cible et la suite va – malheureusement – confirmer cette impression… Pourtant, même si, du fait de ses lignes, elle n’aurait sans doute jamais gagné le premier prix dans un concours d’élégance, elle avait pourtant d’autres atouts non négligeables à faire valoir. A commencer par un rapport taille/habitabilité étonnant et sans doute sans guère d’équivalent – en dehors de la Mini, qui ne sera d’ailleurs dévoilée que deux ans après elle -, offrant ainsi quatre places pour une longueur totale de 2,90 mètres seulement ! A tel point que l’on est en droit de se dire que si Alec Issigonis n’était pas né en Angleterre mais en Allemagne, il aurait très bien pu travailler au sein du bureau d’études de BMW et conçevoir la 600, ou, en tout cas, une voiture qui lui aurait fortement ressemblé. – Il convient toutefois de rappeler que, parmi tous les modèles qui ont été conçus par ce dernier, tous ne connurent pas autant de succès que la Mini.
Un autre avantage important est son moteur qui, s’il est emprunté aux deux-roues produits par la marque, adopte le cycle à quatre-temps, alors qu’un grand nombre de motos ainsi que d’autres microcars concurrentes de l’Isetta – en Allemagne comme à l’étranger – conserve encore le principe du cycle à deux-temps. En plus de dispenser le conducteur du fastidieux – et salissant – mélange huile-essence, la solution du moteur à 4-temps permet également d’offrir un rendement qui – même s’il apparaît, de prime abord, peu élévé avec un peu moins de 20 chevaux – s’avère, toutefois, supérieur à ceux de la plupart de ses rivales.
En plus de cela, la « super-Isetta » allemande peut aussi se prévaloir d’une boîte de vitesses entièrement synchronisée – ce que même la Citroën DS, qui pourtant revendiquer d’avoir révolutionner l’automobile française des années 50, ne proposait pas encore à l’époque. Autre touche de modernité bienvenue, sa suspension arrière indépendante à bras obliques, une solution technique que la marque bavaroise emploiera d’ailleurs, par la suite, sur la plupart de ses modèles jusqu’à la Série 3 E36 Compact au milieu des années 90 ! Des choix techniques qui, s’ils témoignent du savoir-faire des hommes du bureau d’études ainsi que de l’audace de la direction du constructeur, auront, évidemment, un impact sur le coût de production et donc sur le prix de vente. Tout cela faisant, malgré des qualités indéniables, un peu trop de casseroles pour une si petite voiture.
L’échec commercial de la « super-Isetta » sera d’ailleurs tellement évident – et cuisant – que BMW décidera d’ailleurs d’arrêter les frais au bout de deux ans seulement. Entre 1957 et 59, moins de 35 000 exemplaires seulement, alors que, à titre de comparaison, Volkswagen produisait à peu près autant d’exemplaires de la Coccinelle… en deux semaines !
Si malheureusement pour elle, la BMW 600 ne rencontra pas son public, sur le marché allemand comme à l’étranger, elle servira néanmoins de base à un autre modèle de la marque, qui, de son côté, connaîtra un succès beaucoup plus enviable : la 700, dessinée par le jeune et talentueux styliste italien Giovanni Michelotti. Sans doute satisfaits du résultat, le constructeur – alors en grandes difficultés financières, du fait d’une gamme incohérente, écartelée entre, d’un côté, des micro-voitures et citadines et, de l’autre, des modèles de prestige déjà démodés – chargera ce dernier de créer les lignes d’un nouveau modèle.
Un nouveau modèle qui, non seulement, sauvera le constructeur de Munich d’un naufrage certain mais, qui plus est, constituera également, dans son concept, la base d’une grande partie des futurs modèles de la marque : la 1500 Neue Klasse.
Philippe Roche
Photos DR
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