RENAULT ESTAFETTE – Le nouvel utilitaire français du losange.
Durant les années 1950, la Régie Nationale des Usines Renault occupe la première place du marché français, non seulement sur le marché des voitures de tourisme mais aussi sur celui des utilitaires, avec la version fourgonnette de la Juvaquatre ainsi que les Galion et Goélette. S’ils connaissent un succès fort enviable, auprès des commerçants et artisans de quartier comme auprès des grandes entreprises, notamment grâce à leur très grande robustesse, ils restent de conception tout ce qu’il y a de plus classique avec leur châssis séparé et leurs roues arrière motrices.
Même en ce qui concerne ses modèles de tourisme, la marque au losange ne s’était jamais caractérisée par un très grand modernisme. De tous les grands constructeurs français, elle fut même le plus conservateur de tous, ainsi quasiment érigé « l’ultra-orthodoxie technique » en vertu cardinale. Sur un utilitaire, l’avant-gardisme avait d’autant moins sa place au sein de la fiche technique que s’était, avant-tout, la simplicité de construction ainsi que d’utilisation et d’entretien qui prévalait aux yeux des utilisateurs.
Au milieu des années cinquante, les modèles de la gamme utilitaire Renault commencent toutefois à accuser leur âge. Qu’il s’agisse des Galion et Goélette, qui approchent à présent des dix ans d’âge, sans même parler de la fourgonnette Juvaquatre, ultime survivante de la gamme Renault d’avant-guerre, dont la mécanique fait encore appel à une distribution à soupapes latérales. En plus de cela, il existe alors un « trou » assez important entre cette dernière et la gamme des Galion et Goélette, qu’il est d’autant plus important pour Renault de combler que, au sein de la concurrence, les Citroën Type H et Peugeot D3/D4 connaissent un très grand succès. Le bureau d’études se met donc alors au travail.
Sans doute est-ce justement à cause de cela que les techniciens de Billancourt décident de les prendre pour modèle. C’est-à-dire de concevoir, eux aussi, un utilitaire faisant appel, pour la transmission, à la traction avant, une solution qui a pour avantages d’offrir un plancher entièrement plat ainsi que d’abaisser le seuil de chargement. Autres caractéristiques inspirées de celles de ses concurrentes, une imposante porte latérale coulissante ainsi qu’une ouverture arrière composée d’un hayon pour la partie supérieure et de deux portières à ouverture « en armoire » qui permettent ainsi de faciliter au mieux le chargement des marchandises, notamment celles lourdes et/ou encombrantes.
Le fait que le premier modèle Renault à être équipé de la traction avant soit un utilitaire est d’autant plus inattendu de la part du public que, en dehors de la Frégate (qui utilise la disposition archi-classique du moteur avant et des roues arrières motrices), la firme de Billancourt s’est faite, à l’époque, le chantre de la solution du « tout-à-l’arrière » (avec la 4 Cv et la Dauphine).
Pour mieux se différencier de ceux dont elle s’inspire et aussi, probablement, dans l’intention de surpasser, même, ces derniers sur le plan pratique, la portière du côté conducteur est équipée, elle aussi d’une ouverture coulissante (celle du côté passager conservant toutefois un système à ouverture classique). Un dispositif que les concurrents de la firme au losange ne se priveront d’ailleurs pas de copier par la suite, à l’image de Peugeot avec le J7.
S’il deviendrait bientôt incontournable au sein du segment des véhicules utilitaires (qu’il s’agisse des véhicules légers ou lourds), les mécaniques Diesel restent toutefois, encore, pour l’heure, absente de l’offre en matière de motorisations sur l’Estafette. Ce genre de moteurs commençant alors seulement à faire une timide apparition au sein de la production automobile française, notamment chez Peugeot, qui la propose sur une version spéciale de la 403, à la présentation très austère. Pour l’heure, le nouvel utilitaire Renault ne roule encore qu’à l’essence.
De ses rivaux, le Citroën Type H et le Peugeot D4, l’Estafette reprend aussi l’implantation de la mécanique, avec un moteur placé en porte-à-faux à l’avant. En l’occurrence (sur la version originelle de l’Estafette), celui de la Dauphine, un quatre cylindres en ligne qui, malgré sa faible cylindrée (850 cc) et sa puissance toute aussi modeste (32 chevaux, obtenue d’ailleurs en augmentant le taux de compression comme sur les versions Export de la Dauphine), lui permettent tout juste de frôler la barre symbolique des 100 km/h. Ce qui est toutefois jugé tout-à-fait correct et même suffisant (tant par la majorité de ses utilisateurs) que par son constructeur pour les tâches auxquelles il est destiné.
Une mécanique archi-connue et à la fiabilité éprouvée donc, mais qui se trouve toutefois accouplé à une boîte de vitesses qui, elle, est entièrement nouvelle. Si elle ne comporte toujours que quatre rapports – ce qui est alors la norme sur les voitures populaires et même assez appréciable sur les utilitaires, qui doivent encore souvent, à l’époque, se contenter de trois vitesses -, ceux-ci sont toutefois entièrement synchronisés. L’Estafette étant d’ailleurs le premier véhicule de la marque au losange à en bénéficier, avant même les voitures de tourisme !
De plus, afin de faciliter au mieux le travail du mécanicien, l’ensemble moteur-boîte est monté sur un support fixé au châssis par seulement huit boulons, permettant ainsi de le sortir aisément pour effectuer les réparations. A l’instar de ses concurrents, le Renault Estafette entend pouvoir séduire toutes les professions et, afin de répondre au mieux à toutes les demandes, plusieurs carrosseries sont proposées dès le lancement : outre les classiques fourgons et minibus, est aussi proposé une autre version du fourgon, doté d’un toit surélevé, permettant ainsi d’augmenter la garde au toit et donc la capacité de chargement (le toit en question était fabriqué en polyester, une matière à l’utilisation alors fort récente) et dont les premières séries sortiront des ateliers du carrossier Teilhol. Un pick-up bâché complétant également la gamme.
A noter que le minibus, doté de neuf places, sera également décliné dans une version à la présentation simplifiée baptisée Alouette, se distinguant notamment par l’absence de garnitures ainsi que le remplacement, à l’arrière, des sièges par des banquettes à structure tubulaire qui peuvent être facilement démontées (et remontées par la suite). Les banquettes elles-même pouvaient d’ailleurs être divisées afin de pouvoir embarquer des personnes d’un côté et des marchandises de toutes sortes de l’autre. Une disposition permettant ainsi de transformer, de façon simple et rapide, un minibus en fourgonnette et de bénéficier de deux véhicules un !
Le succès étant rapide (et même immédiat), le Renault Estafette ne connaîtra guère, par la suite, de changements significatifs au cours de sa carrière. (Non seulement parce que la recette était déjà bonne dès le départ mais aussi parce que, tant sur le plan technique qu’esthétique, un utilitaire se démode beaucoup moins vite qu’une voiture de tourisme).
L’une des nouveautés les plus marquantes sera l’apparition, au milieu des années 70, d’une version doté d’un châssis à empattement allongé de 38 centimètres, portant ainsi celui-ci de 2,27 m à 2,65 mètres. Ce qui, avec l’installation du toit surélevé qui porte la hauteur intérieure à 1,83 m, augmente d’autant plus le volume de charge utile (qui atteint alors près de 6 mètres cubes) mais permet également à ou aux utilisateurs du véhicule d’effectuer le chargement ou le déchargement des marchandises en se tenant debout. L’allongement progressif de l’empattement ainsi que l’adaptation des suspensions à l’arrière (afin, évidemment, de pouvoir supporter des chargements toujours plus volumineux et plus lourds) fera ainsi passer le volume de charge utile de 600 kg sur les premières Estafette à plus d’une tonne (1 075 kg exactement) sur les ultimes versions à empattement long.
Une évolution qui, assez logiquement, en nécessitera également une autre : celle de la mécanique. Le petit 800 cc de la Dauphine, malgré sa robustesse ainsi que toute sa bonne volonté, avouant assez rapidement ses limites, il finit par être remplacé au profit de la mécanique de la Renault 8 (une évolution d’autant plus logique que cette dernière est la remplaçante de la Dauphine). Lequel finira lui-même par céder la place, sur la dernière évolution de l’Estafette, par celle de la Renault 12. Un moteur, lui aussi, à la fois simple, robuste et facile à modifier.
Au point certaines écuries de course automobile (à l’image de l’écurie Alpine-Renault), qui l’utilisaient comme véhicules d’assistance n’hésiteront pas à en optimiser les performances (c’est-à-dire à gonfler la mécanique) afin de les rendre plus efficace et plus rapide pour pouvoir acheminer, le plus rapidement possible, les pièces ainsi que les pneumatiques de rechange lors des compétitions.
Au total, plus de 533 000 exemplaires seront produits durant les vingt-et-un ans de carrière de l’Estafette avant qu’il ne soit remplacé par le Trafic en 1980.
Victor DUBOIS
Photos DR
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