CITROËN 2 CV BIJOU – Deuche sauce anglaise.
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En plus d’être le premier constructeur à inaugurer la production en grande série d’automobiles populaires en France, André Citroën fut aussi l’un des premiers constructeurs à pouvoir revendiquer une stature de « constructeur européen ». Puisque, au cours des années 1920, la marque aux chevrons s’implanta au sein de la plupart des pays du Vieux Continent, principalement à l’ouest mais aussi à l’est, jusqu’en Pologne- où elle fut présente jusqu’en 1935.
Outre des pays dépourvus de véritable industrie automobile nationale – ou alors où celle-ci était peu développée et limitée au marché intérieur -, la firme du Quai de Javel n’hésita pas non plus à s’implanter dans des pays qui, au contraire, figuraient parmi les pionniers de l’automobile et où la concurrence des constructeurs nationaux était donc, pourtant, particulièrement rude.
Outre-Manche, Citroën inaugura ainsi sa filiale anglaise, Citroën Cars Limited, dès 1923. Si, au début, l’activité de celle-ci se limitait à vendre sur le marché britannique les modèles produits en France – et simplement doté d’un volant à droite afin de se conformer à la législation du marché local -, l’évolution de la politique du gouvernement britannique en matière de véhicules importés va toutefois bientôt modifier la donne. Est-ce à cause d’un accès de « chauvinisme » assez prononcé – que nos voisins anglais, surtout à l’époque, ne cherchaient d’ailleurs même pas à dissimuler – et parce qu’il paraissait inconcevable à certains politiques anglais que leurs concitoyens roulent dans une voiture qui ne soit pas anglaise ? Ou d’une pression de la part des constructeurs britanniques, voire même d’une initiative de certains ténors politiques de l’époque qui estimaient qu’il était de leur devoir de protéger les intérêts de l’industrie automobile nationale ? Toujours est-il qu’à peine trois ans après l’arrivée de Citroën au pays de Shakespeare, le gouvernement de Londres décide d’augmenter fortement les taxes d’importation pour les voitures venant de l’étranger.
Bien décider à demeurer durablement au Royaume-Uni et même à réussir à séduire, avec ses modèles, les automobilistes en jaquette et chapeau melon, la marque aux chevrons comprend alors que la meilleure – voire, sans doute même, la seule solution – est de produire les voitures destinées à la clientèle anglaise directement en Angleterre. L’usine destinée à assurer la production de ceux-ci est inaugurée à Slough, dans le Berkshire. Si, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la production de celle-ci s’aligne sur celle du Quai de Javel, les Citroën anglaises se voient rebaptisées avec des appellations à consonance anglaise et se voit souvent d’un accastillage ainsi qu’une présentation intérieure spécifique qui doit leur permettre de répondre au mieux aux goûts de la clientèle british.
Après la période de la Seconde Guerre mondiale, où, comme pour les constructeurs britanniques, l’usine de Slough se voit obligée de se reconvertir dans la production de véhicules militaires et de matériel de guerre. Une fois, la paix revenue, la production des Traction anglaises reprend alors dès 1946, les modèles étant les mêmes que ceux produits en France, mais avec des appellations différentes : Lightt Fifteen pour la 11 Légère, Big Fifteen pour la 11 Normale et Six Cylinder pour la 15 Six. Si la populaire 2 CV vient, logiquement, rejoindre elle aussi la gamme britannique, c’est toutefois avec plusieurs années de décalage par rapport au marché français : si la production débute en France en 1949, elle ne commence à sortir des chaînes d’assemblage de l’usine de Slough quatre ans plus tard, en 1953.
Si la célèbre « deux pattes » va permettre d’offrir à un grand nombre de Français de s’offrir leur première voiture – au point d’être rapidement victime de son succès et de nécessiter, au début de sa carrière, un délai d’attente d’environ deux ans -, au pays du thé et de la geely, elle est loin de connaître le même succès. Il est vrai que, sur la 2 CV, la notion même d’esthétique et de confort – en tout cas tel qu’il se concevoit avant son lancement et selon les goûts anglais – a, semble-t-il, été oubliée lors de la rédaction du cahier des charges. Il est vrai que le concept des « quatre roues sous un parapluie » et son air de « cabane de jardin » ou de « poulailler » sur roues est fort éloigné – c’est-à-dire bien en-deçà – de l’idée que se font les Anglais du « minimum automobile ». A côté d’elle, que ce soit en ce qui concerne l’esthétique comme la présentation intérieure et l’équipement, même la plus modeste des Austin et des Morris fait presque figure de salon roulant !
Se rendant très vite compte que le style comme l’ambiance de l’habitacle de la Deuche a de quoi rebuter plus d’un nautomobiliste anglais, les responsables de la filiale anglaise tentent alors de la rendre plus pratique et plus avenante, notamment avec des flèches de direction, une porte de malle en tôle (la version française restant encore, à l’époque, équipée d’une capote en toile descendant jusqu’aux feux arrière -, d’une lunette arrière de plus grandes dimensions ainsi que d’un nuancier de couleurs plus élargies : blanc, crème, marron et noir – ce qui change grandement du simpiternel gris « tôle » dont sont alors affublée la grande majorité des 2 CV sortant des chaînes de l’usine de Javel.
Ainsi gréée, la version « made in England » a de quoi faire rêver plus d’un Français moyen, que ce soit ceux du quartier de Montmartre comme de la campagne auvergnate. En dépit de tous ces efforts, cette 2 CV anglaise ainsi rééquipée ne réussit toujours pas à convaincre la clientèle britannique. Décidément, dans son esprit comme dans son style, la 2 CV est bien trop française pour séduire le client anglais ! Dans ces conditions, ce n’est pas vraiment le montage, dès 1954, d’un bicylindre de plus grosse cylindrée – 425 cc – qui pourra convaincre les clients potentiels de passer commande. Tant et si bien que la production de la 2 CV en Angleterre s’arrête à la fin des années cinquante.
Toutefois, la direction de la filiale anglaise se rend alors compte qu’il leur reste un assez grand nombre de plateformes de 2 CV, expédiées depuis l’usine du Quai de Javel – celles-ci étant en effet, simplement exportées en Angleterre, l’usine de Slough se contentant simplement d’assurer la fabrication des éléments de carrosserie ainsi que l’assemblage final. Etant donné qu’il est exclu de les réexpédier en France, les représentants locaux de Citroën imagine alors une idée assez originale afin de pouvoir écouler facilement les plateformes restantes : les faire rhabiller avec une carrosserie aux lignes inédites, spécialement conçue et réalisée à cet effet et, surtout, dont le style n’aura plus rien à voir avec celui de la 2 CV originelle.
Il s’agit donc, avant-tout d’un « modèle de circonstance » destiné à être produit en petite série et – surtout, en premier lieu – à permettre de réutiliser les plateformes restantes. Même si certains, au sein des cadres de Citroën Cars Limited, semblent convaincus que, si ce nouveau modèle connaissait un succès suffisant, il pourrait éventuellement alors passer au stade de la production en grande série et, ainsi, permettre d’offrir une seconde carrière à la 2 CV sur le marché anglais.
Pour des raisons de coûts et que de facilité et de rapidité de production, il est rapidement décidé d’opter, en ce qui concerne la réalisation des éléments composant la carrosserie, pour la fibre de verre. Laquelle, outre sa légerté – un point qui n’est pas négligeable, étant donné la faible puissance du bicylindre Citroën – est aussi plus simple pour une production en petite série – la fibre de verre ne nécessitant pas, en effet, contrairement aux éléments en tôle, de presse d’emboutissage.
Le styliste sollicité afin de créer cette 2 CV « new age », dont plus rien dans l’esthétique – hormis, évidemment, le sigle avec les doubles chevrons sur la calandre, en tout cas sur l’étude originelle pourvue d’une calandre carré de dimensions fort réduites, la version définitive arborant, de son côté, une grande calandre rectangulaire dépourvu du logo de la marque – ne laisse deviner qu’il s’agit d’une Citroën et encore moins d’une 2 CV, a pour nom Peter Kirwan-Taylor – auquel on doit la première Lotus Elite. Ce dernier, abandonnant la carrosserie de la berline au profit d’un coach, créée une carrosserie aux lignes assez harmonieuses et plutôt réussies. Bien que plus lourd que le modèle de série, cette nouvelle 2 CV british offre cependant une aérodynamique nettement meilleure que celle de la berline française, ce qui lui permet ainsi d’offrir des performances ainsi qu’une consommation qui restent à peu près les mêmes.
Convaincue de son potentiel commercial, la filiale anglaise de Citroën, loin de la vendre « sous le manteau », décide de lui dérouler, quasiment, le « tapis rouge » avec une présentation officielle à l’occasion du Salon Automobile de Londres en octobre 1959. Baptisé du doux nom de « Bijou », elle offre, en tout cas, au public anglias, « une autre idée de la 2 C ». L’habitacle offre d’ailleurs une ambiance bien plus cossue que sa cousine française, avec, entre autres, un volant ainsi que des poignées de porte intérieures empruntées à la DS.
Malheureusement pour Citroën England, les différents panneaux de carrosserie de la Bijou sont assez loin de présenter la qualité de fabrication requise, ce qui oblige les ouvriers de l’usine de Slough à reprendre un grand nombre d’éléments afin que les voitures puissent offrir la meilleure présentation possible. En plus de cela, les carrosseries, une fois assemblée, souffre d’un manque parfois important de rigidité, ce qui, évidemment, en plus de provoquer des vibrations et des bruits parasites fort désagréables nuisent aussi fortement à la tenue de route de la voiture.
Si le fabricant d’origine des carrosseries de la Bijou, la firme James Whiston & Co, est alors remplacée par un nouveau fournisseur, Taylor Plastics Limited et si les pièces de carrosserie livrées par ce dernier se montrent de bien meilleure qualité, elles présentent aussi un poids bien plus important. Avec, évidemment, pour résultat que les 12 chevaux délivrés par le bicylindre de la 2 CV se montrent plutôt à la peine pour lui permettre d’atteindre une vitesse descente, la Bijou atteignant ainsi à peine, en vitesse de pointe, les 80 km/h – soit à peine 15 de plus que la version originelle de la 2 CV, commercialisée dix ans plus tôt ! Sans compter un prix de vente qui – rançon d’une fabrication qui reste encore, en grande partie, artisanale – reste trop élevé au vu de ses performances et des prestations routières assez moyennes – pour dir ele moins – : elle est vendue près de 500 £, alors qu’une Ford Anglia, plus performante et mieux construite, était vendue à peine plus chère : 598 Livres Sterling.
Réalisant rapidement que la Bijou a clairement manqué sa cible et que son échec est donc flagrant, la filiale anglaise de Citroën décidera alors d’en arrêter la commercialisation dès que les plates-formes de 2 CV venues de France auront toutes reçues les nouvelles carrosseries de la Bijou. Une commercialisation qui,dans ces conditions ainsi qu’au vu de son manque de succès auprès de la clientèle, s’éternisera toutefois jusqu’en 1964. En cinq ans, il n’en aura été ainsi produit, en tout et pour tout, que 211 exemplaires, ceux-ci étant vendus uniquement sur le marché britannique, la 2 CV Bijou resta donc inconnue d’une grande partie du public français. Il est d’autant plus dommage que Citroën n’est jamais eu l’idée de la proposer également – dans une version à conduite à gauche – sur le marché français, car il est fort à parier que le public lui aurait réserver ici un bien meilleur accueil qu’en Angleterre.
Maxime Dubreuil
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