CITROËN TUB – Le premier fourgon chevronné.
Après la reprise du constructeur de Citroën par son principal créancier, la firme de pneumatiques Michelin, une réorganisation profonde des usines du Quai de Javel est alors rapidement mise en place. La priorité numéro un des nouveaux dirigeants de la marque aux chevrons, Pierre Michelin et son bras-droit Pierre Boulanger, étant d’accélérer et de finaliser la mise au point de la Traction Avant, dont le lancement trop hâtif avait précipité la chute d’André Citroën. Ce dernier n’aura d’ailleurs pas l’occasion d’assister au succès que remportera sa dernière création. Rongé par un cancer de l’estomac, il décède en juillet 1935, âgé de seulement 57 ans.
Afin d’assainir au plus vite les finances du constructeur, il est alors décidé de mettre fin au projet de la 22 CV, une « Super-Traction » à moteur huit cylindres, jugé trop peu rentable (l’idée d’une Traction haut de gamme n’est toutefois pas abandonnée, celle-ci verra le jour en 1938 sous la forme de la Traction 15 CV à moteur six cylindres. Une autre décision, afin de rassurer la clientèle la plus traditionnelle de la marque, encore réfractaire à la solution des roues avant motrices et/ou effarouchée par les soucis techniques qu’a connu la Traction à ses débuts est de remettre en production certaines des modèles de la précédente génération des Rosalie, lesquels se verront ainsi offrir une seconde carrière jusqu’en 1938.
Si les nouveaux dirigeants, en reprenant les rênes de Citroën, se sont donc penché, en premier lieu, sur les voitures de tourisme, ils n’en oublient pas pour autant que Citroën est alors aussi présent dans le domaine des véhicules utilitaires. En tout cas celui des utilitaires légers, la plupart des véhicules qui composent la gamme de Citroën dans cette catégorie étant réalisées sur les châssis des modèles de tourisme, dont ils reprennent d’ailleurs souvent une partie des éléments de carrosserie. Si la marque propose également à son catalogue des véhicules de plus grande taille, spécifiquement conçus pour un usage utilitaire et capables d’embarquer une charge utile de marchandises plus importante, ceux-ci reprennent toutefois souvent les mécaniques des modèles de tourisme.
Si, en ce milieu des années 1930, la firme de Javel peut se prévaloir d’une réputation bien établie dans ce domaine, là non plus, Pierre Michelin et Pierre Boulanger n’entendent pas vivre sur leur acquis, d’autant que, comme pour l’automobile, la concurrence y est fort rude. C’est pourquoi tous deux réfléchissent rapidement à un nouveau type de véhicule utilitaire moderne, qui serait, sur bien des points, l’équivalent dans la catégorie des véhicules professionnels de la Traction Avant pour les voitures particulières.
Une enquête d’opinion est alors menée auprès d’un grand nombre de membres des corps de métiers les plus divers, qu’il s’agisse de modestes artisans ou commerçants de quartiers comme des plus grandes entreprises françaises. C’est sur base des informations récoltées par ce qui sera baptisé, au sein de l’entreprise Michelin, le « Service des enquêtes sur route », qu’est élaboré le cahier des charges qui servira de base à la conception du nouveau véhicule utilitaire léger de Citroën. Les attentes et les demandes formulées par la plupart sont celles d’un véhicule où l’on puisse se tenir debout à l’intérieur et qui soit doté de larges ouvertures sur les côtés et sans cloison de séparation intérieure afin que l’on puisse directement accéder à l’arrière du véhicule depuis le poste de conduite.
C’est en 1938 que le prototype réalisé à partir de cette enquête et des travaux du bureau d’études effectue ses premiers tours de roues. Comme pour la Traction Avant l’a été pour l’automobile, ce nouvel utilitaire va représenter, à bien des égards, sur le marché des utilitaires français, une véritable révolution. Non seulement parce que, avec sa « tête au carré » et sa silhouette qui rappelle celle d’une boîte à sucre, il ne ressemble à rien de connu jusqu’ici. Mais aussi parce qu’avec sa fiche technique, il fait preuve d’un modernisme étonnant pour ce genre de véhicule, en face duquel la plupart de ses concurrents font presque figure de dinosaures !
Baptisé TUB (abréviation pour Traction Utilitaire Basse ), ce nouvel utilitaire chevronné d’un genre nouveau reprend donc, comme son nom l’indique et en s’inspirant en cela des Traction Avant qui l’ont précédé, d’une transmission qui s’effectue via les roues avant. Cette absence d’arbre de transmission et de pont arrière permettant, tout comme sur cette dernière, d’offrir un plancher entièrement plat et placé à un niveau bien plus bas que sur un utilitaire classique, il se situe ainsi à seulement 42 cm du sol. Ce qui permet ainsi d’augmenter, de manière non négligeable, le volume disponible et donc la capacité de chargement. D’autant que, selon les souhaits exprimés par la clientèle, le nouveau fourgon d’une ouverture latérale du côté passager, de larges ouvertures à l’arrière formées par des portières à ouverture « en armoire » pour la partie basse et d’un hayon sur sa partie supérieure. Ce qui facilite ainsi grandement le chargement ainsi que le déchargement des marchandises de toutes sortes, y compris les plus lourdes ou encombrantes. Afin de ménager le plus grand espace de chargement possible, sans pour autant devoir, pour cela, augmenter les dimensions extérieures du véhicule, la taille des passages de roues a, elle aussi, été soigneusement calculée et les hommes du bureau d’études de Citroën ont eu l’idée, fort intelligente, d’aménager des compartiments spéciaux, accessible depuis l’extérieur, pour y placer la roue de secours et la batterie. A l’intérieur, une série d’orifices ainsi que de renforts intérieurs métalliques ont aussi été mis en place afin de permettre aux utilisateurs du TUB d’aménager entièrement le compartiment arrière selon leurs envies et leurs besoins.
Sur le plan mécanique, dans un soucis de simplification de la production et de rationalisation des coûts, celui-ci reprend un grand nombre des éléments mécaniques de la Traction Avant. Le moteur est ainsi celui de la 7 CV, tout comme la boîte de vitesses ainsi que le train avant composé de barres de torsion ; celui à l’arrière reprenant, pour sa part, un dispositif plus classique, puisqu’il est simplement constitué de classiques ressorts à lames semi-elliptiques.
C’est au début de l’année 1939 que les premiers exemplaires du nouveau fourgon Citroën TUB font leur arrivée chez les concessionnaires Citroën. Dans un premier temps, toutefois, les premiers TUB, qui demeurent des véhicules de pré-série, se voient réservés au Service d’assistance du constructeur, ainsi qu’à Michelin. Lequel s’en sert, non seulement, pour les livraisons de pneumatiques et autres équipements auprès de ses agents et succursales partout en France. La commercialisation effective, auprès des clients « extérieurs » – des entreprises comme des indépendants – n’intervenant, elle, qu’à partir du mois de juin.
Si les exemplaires utilisées par les différents services de Citroën et Michelin bénéficient d’une carrosserie entièrement métallique et fermée, la version vendue au catalogue de la marque doit se contenter, de son côté, de flancs dont les parties supérieures sont recouvertes de rideaux en toile formant des bâches, dans laquelle de petites fenêtres rectangulaires en mica ont été aménagés, celles-ci n’offrant toutefois qu’une visibilité sur les côtés des plus réduites. Les véhicules appartenant à Michelin se reconnaissant, pour leur part, par leur teinte uniformément noire avec la silhouette du célèbre bibendum et le nom de Michelin inscrit en lettres jaunes sur les portières avant.
Afin de pouvoir disposer d’un seuil de chargement le plus bas possible à l’arrière ainsi que pour ne pas risquer que l’inscription de la plaque d’immatriculation soit rendue illisible par de la saleté (au cas où le véhicule aurait à affronter des routes difficiles ou non bitumées), celle-ci a été placée au-dessus du hayon. C’est sur la base du « fourgon Michelin » que sera réalisée une version ambulance du Citroën TUB.
L’entrée en guerre de la France et de l’Angleterre contre l’Allemagne nazie, en septembre 1939, obligeant alors les constructeurs à reconvertir une grande partie de leurs capacités de production pour la production d’utilitaires ainsi que de véhicules à usage militaire. Parmi les utilitaires léger existant alors au sein de la production française qui pourraient être utilisé comme ambulance, le TUB de Citroën semble être l’un des mieux adaptés. Ceci, grâce à sa taille relativement compacte allié à un très grand volume de chargement qui lui permet, dans cette utilisation, de pouvoir transporter six blessés couchés sur des brancards ou neuf en position assise. C’est-à-dire quasiment deux fois plus que les ambulances traditionnelles de même gabarit. Recevant la dénomination TAMH, cette version ambulance sera produite à près de 500 exemplaires par les usines du Quai de Javel jusqu’en juin 1940.
Le moteur de la 7 CV s’avérant trop juste en puissance, les véhicules construits durant les derniers mois de sa carrière seront équipés de la mécanique de la Traction 11 CV. A cette date, la France, vaincue, doit déposer les armes devant l’Allemagne. La production du fourgon TUB prend alors fin, celle des Traction Avant se poursuivant, quant à elle jusqu’en 1942, celles des voitures particulières s’interrompant aussi, à la même époque, chez les autres constructeurs français, seule la production des véhicules utilitaires étant maintenu après cela. Malgré les difficultés liées à la Guerre ainsi qu’à l’Occupation allemande, les hommes du bureau d’études de Citroën poursuivent leurs travaux sur le TUB, afin de le faire évoluer et de l’améliorer en prévision de l’après-guerre.
Si personne ne peut alors vraiment dire quel sera le futur du marché ces derniers, comme le nouveau patron de Citroën, Pierre Boulanger, savent, en tout cas, que la France a ressortira appauvrie. C’est-à-dire économiquement, socialement et industriellement exsangue. Ce qui implique que les véhicules utilitaires seront alors, plus que jamais, nécessaire afin de pouvoir contribuer à la reconstruction du pays.
Au Salon de l’automobile qui ouvre ses portes en octobre 1946 et qui est, non seulement, le premier salon automobile de l’après-guerre en France mais aussi en Europe, est présentée une nouvelle version du fourgon TUB. Baptisé TUC, celui-ci offre une charge utile dont la capacité a été portée à 1 200 kg.
Celle-ci ne sera toutefois jamais mise en production. Le constructeur ayant, en effet, déjà à l’étude un nouveau modèle d’utilitaire léger, le célèbre Type H, qui héritera d’ailleurs rapidement du surnom de « Tube », à cause des panneaux de sa carrosserie, dont une grande partie sont réalisés en tôle ondulée. Un nouveau fourgon qui reprendra toutefois une grande partie des caractéristiques et innovations de son prédécesseur. Commercialisé en 1948, ce dernier connaîtra une longue et fructueuse carrière, puisqu’il sera à plus de 473 000 exemplaires en plus de trente ans, jusqu’en 1981.
Maxime DUBREUIL
La rédaction remercie M. Francis Delvenne, du club H Tendre et Chevronnés pour son aide précieuse ainsi que pour les photographies
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