PEUGEOT SANS SOUPAPES (Types 156, 174 et 184) -Les lions des années folles.
Aujourd’hui, un grand nombre de constructeurs se sont spécialisés dans un ou des secteurs de marché bien particulier, soit par nécessité ou par choix, souvent dès leur création – en se cantonnant ainsi dans un segment de marché bien particulier – notamment en ce qui concerne les segments des voitures de prestige comme les coupés et décapotables de grand sport.
Durant les premières décennies de l’âge de l’automobile, en revanche, toute marque qui se présentait ou qui ambitionnait de devenir un grand constructeur se devait de pouvoir proposer un vaste choix de modèles de toutes cylindrées, allant ainsi des modestes mono ou bicylindres jusqu’à d’imposantes quatre ou six cylindres dont certaines approchaient ou dépassaient parfois les dix litres de cylindrée ! Ces catalogues « longs comme le bras » proposant des gammes pléthoriques assuraient ainsi aux constructeurs de pouvoir couvrir toutes les catégories sociales qui pouvaient alors prétendre à l’usage ainsi qu’à l’acquisition d’une automobile.
Il convient toutefois de rappeler que, avant que le concept de la voiture populaire destinée aux « masses laborieuses » ne se généralise grâce, entre autres, à Henry Ford aux Etats-Unis et André Citroën en France, la possession d’une automobile était quasiment un privilège réservée à une élite. Non seulement à cause de la faiblesse du pouvoir d’achat de la grande majorité des membres des classes populaires mais aussi du fait de méthodes de réalisations qui demeuraient encore fort artisanales.
Jusque dans le courant des années 1920 ou le début des années 1930, la plupart des constructeurs ne réalisaient, en effet, que ce que l’on appelaient un « châssis nu » ou « châssis roulant », c’est-à-dire le châssis avec tous ses éléments mécaniques et ses quatre roues, en état de marche. Les rares éléments de carrosseries réalisés par le constructeur étant le capot ainsi que les ailes. La réalisation de la carrosserie étant confié à des artisans spécialisés – appelés justement, du fait de la nature de leur travail, les carrossiers – auxquels les clients faisaient livrer les châssis roulants en question et réalisaient alors le type de carrosserie demandée par le client selon les goûts et les souhaits de ce dernier.
Dans les années 1920 un certain nombre de constructeurs que l’on appellerait aujourd’hui « généralistes » – partageant ainsi les modèles proposés au sein de leur gamme en deux grandes « familles » : celle des véhicules populaires produits à la chaîne, aux carrosseries standardisées et entièrement réalisées au sein de leurs usines et les modèles haut de gamme qui, même lorsqu’ils étaient proposés avec des carrosseries « usine » continuaient souvent à être également vendus en châssis nus à l’attention des clients qui souhaitaient continuer à pouvoir bénéficier d’une carrosserie entièrement personnalisée.
Parmi les constructeurs français qui, durant cette décennie, continuaient à pratiquer cette sorte de « double jeu », ou, plutôt, de « double politique commerciale » – toujours dans le but de continuer à « ratisser le plus large possible » au sein de la clientèle – si certains devaient se contenter – en tout cas sur le plan des chiffres de production – de jouer les seconds couteaux, d’autres, en revanche, figuraient déjà parmi les poids lourds de l’industrie automobile en France ; L’un de ces derniers n’étant autre que Peugeot.
La marque au lion ayant déjà mis en pratique ce programme commercial avant la Guerre (celle de 1914 – 1918 s’entend) et celui-ci lui ayant, manifestement, fort bien réussi, il paraissait donc parfaitement de le reconduire tel quel une fois le conflit terminé. Les modèles qui trônent au sommet de la gamme Peugeot dans les années 1920 présenteront toutefois une particularité technique assez intéressante et inédite par rapport à leurs devancières : celle d’être équipées de moteurs dits « sans soupapes ».
Mis au point par l’ingénieur américain Charles Knight, ce procédé confère une souplesse d’utilisation ainsi qu’un silence de fonctionnement que sont alors loin de pouvoir égaler la plupart des moteurs à soupapes « classiques ». Deux qualités fort appréciables et même incontournables, surtout à l’époque, pour des voitures de haut de gamme. Comme un certain nombre d’autres constructeurs automobiles spécialisés – ou non – dans les voitures de prestige – tels que Daimler au Royaume-Uni, Panhard et Voisin en France ainsi que Minerva et Impéria en Belgique – le constructeur de Sochaux fait alors, dès 1920, l’acquisition de la licence du moteur Knight.
Le premier modèle de la marque à être motorisé par un moteur sans soupapes, le Type 156, affiche une puissance fiscale de 25 CV – ce qui apparaît toutefois encore assez « modeste » quand on sait que les plus imposants modèles de Delage, Delaunay-Belleville, Farman, Hispano-Suiza ou Renault – dépassaient les 30 CV et atteignaient même, pour certains d’entre-eux, les 40 CV fiscaux. Durant cette décennie, qui est celle de la paix ainsi que de la prospérité retrouvée et où – au sein des classes aisées – le culte de l’argent et de l’extravagance sous toutes ses formes sont rois – la concurrence sur le marché des voitures de prestige est alors acharnée et la marque au lion, qui commence déjà à être plus réputée pour ces automobiles populaires – au sens large du terme et même si Peugeot n’a pas encore totalement adopté à l’époque le principe de la production à la chaîne comme Citroën – que pour ses modèles de luxe.
C’est pourquoi le constructeur de Sochaux se voit bientôt obligé de revoir quelque peu ses prétentions « à la baisse ». Le prochain modèle à être équipé d’une mécanique sans soupapes Knight, le Type 174, se contentera ainsi d’un quatre cylindres de 18 CV fiscaux. D’une cylindrée de 3 828 cc, il développe une puissance de 75 chevaux, ce qui lui assure, même avec les plus lourdes carrosseries, une vitesse maximale de 100 km/h – ce qui est alors une vitesse « normale » pour un modèle de cette catégorie. Les dimensions fort généreuses du châssis – avec un empattement de 3,50 m de long, pour une longueur totale de 4,68 mètres – lui permettant d’être habillé de n’importe quelle carrosserie à la mode à l’époque.
Les 810 exemplaires environ qui sortiront de l’usine installée à Issy-les-Moulineaux, dans la banlieue sud de Paris – chargée de la réalisation des châssis des modèles de haut de gamme de la marque à l’époque recevront ainsi aussi bien des carrosseries de type torpédo, limousine, coupé-chauffeur, coach, landaulet et d’autres encore. Comme il a été expliqué, toutes ces carrosseries sont réalisées de manière artisanales – tous leurs éléments, qu’il s’agisse des panneaux composants sa carrosserie que la sellerie ou les éléments de décoration intérieure – sont entièrement façonnés et montés à la main.
En dépit de ces méthodes de construction qui faisaient alors des carrosseries des voitures de prestige de véritables oeuvres d’art, il faut néanmoins avoué le style automobile en vigueur dans les années 1920 avaient quelque-chose d’assez « uniforme ». Les carrosseries qui habillaient les châssis de la Peugeot 174 auraient ainsi tout aussi bien pu revêtir les châssis produits par les autres constructeurs français de voitures de prestige de l’époque.
Peu de temps après son lancement est également commercialisé une version plus sportive, la 174 S – cette dernière lettre renvoyant évidemment à la dénomination Sport – qui se caractérise par un châssis dont l’empattement ainsi que la longueur sont ramenées, respectivement, à 3?27 m et à 4,46 mètres. Si la cylindrée de la mécanique demeure inchangée, elle reçoit néanmoins une série de modifications techniques qui porte la puissance à 85 chevaux et à la vitesse maximale à 110 km/h. Alors que la version dite « normale » est plus réservée aux carrosseries « de ville » ou « d’apparat », la version S, de son côté, se voit le plus souvent habillée de carrosserie à l’allure ainsi qu’à la vocation bien plus sportive, telles que des torpédos ou roadster boat-tail, c’est-à-dire une carrosserie réalisée, en partie ou entièrement en bois, dont l’arrière en pointe s’inspire de la proue des bateaux de plaisance – les sports nautiques étant devenus l’une des nouvelles modes prisées par la société huppée de l’époque. Cette version sera produite, durant la même période que la 174 « normale » à 208 exemplaires.
Avec plus d’un millier d’unités sorties de l’usine d’Issy-les-Moulineaux, cela en fait sans doute le modèle le plus vendu de la famille des Peugeot de haut de gamme à moteur sans soupapes. Celle-ci peut donc revendiquer des chiffres de vente tout-à-fait honorables, surtout sur un marché où, comme il a été dit, les constructeurs de voitures de luxe étaient alors fort nombreux et où la plus grande difficulté du client dont le portefeuille était suffisamment grand pour s’offrir ce genre de monture était de parvenir à choisir au sein de tous les modèles proposées.
Si les années 1920 sont, indéniablement, celles de l’âge d’or des voitures de prestige françaises, cette décennie marque aussi une période de bouleversements, progressifs mais néanmoins importants, au sein de l’industrie automobile française. Un grand nombre de constructeurs, se retrouvant bientôt « à la croisée des chemins » et vont alors devoir faire un choix : soit se reconvertir dans la production de voitures populaires en grande série – ce qui nécessite toutefois des investissements importants pour moderniser leur outil de production, ce dont tous ne disposent alors pas – ou alors restés fidèles aux méthodes de production artisanales dont ils ont toujours usé jusqu’ici mais en devant alors concentrer leurs efforts sur le marché des voitures de prestige.
C’est donc à cette époque que le marché de l’automobile en France va se diviser entre ces deux grandes catégories. Certains d’entre-eux décideront de rester fidèle à une politique commerciale de « constructeur généraliste », en proposant ainsi à leur catalogue aussi bien des voitures populaires que des modèles plus prestigieux et continueront à pratiquer celle-ci jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Ces derniers vont toutefois se voir, progressivement mais de manière assez nette, « marginalisés » face à leurs concurrentes des marques exclusivement axées sur le prestige. Certains constructeurs subiront d’ailleurs ce chamboulement du marché automobile dès le courant où la fin des années 1920, dont Peugeot.
Si le succès assez convaincant qu’a connu la 174 convaincra la direction du constructeur de Sochaux de persévérer dans cette voie avec le lancement d’un nouveau modèle de haut de gamme à moteur sans soupapes, la 184 – d’une cylindrée comparable à celle de sa devancière mais avec un moteur doté, cette fois, de six cylindres, développant 80 chevaux et atteignant une vitesse maximale de 115 km/h -, malheureusement pour elle, celle-ci ne connaîtra pas le même destin. Elle subira même un échec commercial des plus cuisants puisqu’une trentaine d’exemplaires à peine en seront produits en deux ans, entre 1928 et 1929.
Cet échec décidera alors la marque, non seulement, à abandonner la production des modèles de grand luxe à moteur sans soupapes mais aussi à se concentrer désormais, avant tout, sur ce qui est devenu son coeur de marché : l’automobile populaire. C’est, en effet, à la même époque, qu’est présenté celle qui va devenir l’un des modèles les plus emblématiques de la marque et faire véritablement entrer la production du constructeur de Sochaux dans « l’ère moderne » : la 201. Outre le fait qu’elle est la première à inaugurer le système de numérotation à zéro central, toujours en application aujourd’hui – près d’un siècle plus tard -, elle est aussi la première Peugeot entièrement produite à la chaîne en grande série – à l’image de ce qui se fait alors déjà depuis une dizaine d’années chez Citroën.
Après l’arrêt de la fabrication de la 601 en 1935, tous les modèles produits par la marque au lion seront d’ailleurs exclusivement équipés de moteurs à quatre cylindres. Il faudra ainsi attendre pas moins de quarante ans, jusqu’au lancement de la 604 en 1975, pour voir réapparaître au catalogue une Peugeot recevant une motorisation six cylindres. Malheureusement pour la marque au lion, cette dernière, pas plus d’ailleurs que les 605 et 607 qui lui succéderont, ne seront véritablement en mesure de lui permettre de se faire une place au sein du marché des berlines grandes routières et de menacer les positions de ses rivales allemandes ou anglaises. Une preuve supplémentaire que l’automobile française de prestige semblait, bel et bien, appartenir à une époque définitivement révolue !
Maxime DUBREUIL
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