BFG 1300 – Une nouvelle idée de la moto française.
C’est à la fin des années 70 que trois hommes, Louis Boccardo, Dominique Favario et Thierry Grange décident d’unir leurs forces afin de concevoir celle qui doit permettre d’incarner le renouveau de la moto française sous le nom de BFG. Un nom dont les trois lettres renvoient, évidemment, aux noms de famille du trio à l’origine de sa création.
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L’histoire de cette aventure commence lorsque Grange et Favario, qui exercent alors la profession de professeurs de marketing et de gestion à Chambéry en Savoie, apprennent que l’Etat a mis en place un concours pour l’aide à la création d’entreprise. Nourrissant, sans doute depuis un certain temps déjà, le projet de créer une nouvelle moto « made in France », les deux hommes savent toutefois que, pour pouvoir mener leur projet à bien, ils ont besoin de l’aide et de l’expérience d’une personne issue du monde de la moto. Lequel pourra ainsi, grâce à celle-ci, les aider à mener leur projet à bien.
« L’homme d’expérience » en question se présentant bientôt à eux en la personne de Louis-Marie Boccardo. Ce dernier n’est pas un novice dans l’univers des deux-roues puisqu’il travaille alors comme technicien au sein de l’entreprise des frères Chevalier, spécialisés dans la fabrication de cadres pour vélos et motos* à Vendôme, dans le Loire-et-Cher.
Ce qui différencie le projet étudié par Favario et Grange des autres projets similaires qui ont vu le jour à la même époque est que, s’ils prévoient d’utiliser une mécanique déjà existante, celle-ci ne sera, toutefois, pas issue de l’industrie de la moto mais de celle de l’automobile.
Sans doute parce qu’ils étaient convaincus que la singularité de ce concept ne marquerait pas de séduire les responsables du concours ainsi que, par après, les investisseurs potentiels, les deux hommes ont, en effet, imaginé de produire rien moins qu’une moto équipée d’un moteur de voiture !
Voulant, dès le départ, créer une moto qui soit « 100 % tricolore », c’est-à-dire dont toutes les pièces soient entièrement d’origine française, après avoir fait le tour de l’ensemble des motorisations disponibles à l’époque au sein des différents constructeurs automobiles en France, leur choix se porte finalement sur les quatre cylindres à plat que l’on retrouve sous le capot de la Citroën GS. Son architecture de type « boxer » – avec les cylindres et les pistons placés à l’horizontal, comme sur la Volkswagen Coccinelle ainsi que les Alfa Romeo et les Lancia avec les cylindres placés en position verticale, ce qui permet d’être placé plus bas et, ainsi, d’abaisser le centre de gravité, ce qui profite grandement à la tenue de route.
En ce qui concerne le caractère « 100% bleu-blanc-rouge » que devait revêtir cette nouvelle moto, il s’étiolera toutefois rapidement devant l’impossibilité de trouver des fournisseurs français capable de fournir tous les éléments indispensables à la production de la BFG, ainsi que du refus de certains d’entre-eux de se lancer dans la conception de pièces spécifiquement conçues pour cette dernière – pas tant parce qu’ils doutaient de la viabilité d’un projet aussi audacieux qu’ambitieux mais aussi au vu des moyens assez limités de ses créateurs. Si le pont ainsi que le tableau de bord, eux, sont bien d’origine française, pour une partie des autres éléments, Grange, Favario et Boccardo ont toutefois dû procéder à une sorte de véritable « tour d’Europe » des fournisseurs de l’industrie de la moto. La fourche a ainsi été fournie par Telesco (en Espagne), les freins par Brembo, alors que les roues ont été fabriquées par l’entreprise FPS en Italie.
Est-ce cette caractéristique qui constitue l’originalité du projet ou la perspective de faire revenir la France sur le devant de la scène au sein du marché de la moto qui séduit les responsables du concours ? En tout cas, le projet du trio est finalement sélectionné, ce qui permet aux trois associés de décrocher une récompense sous la forme de 100 000 Fr de subventions, ainsi qu’un « bonus » supplémentaire de 200 000 francs pour la réalisation ainsi que la campagne de promotion du prototype de cette nouvelle moto française.
La Société Anonyme BFG est créée l’année suivante, à Ravoire, près de Chambéry, bien que le premier prototype de la moto BFG, de son côté, ait été réalisé à Vendôme, en partie au sein des ateliers des anciens employeurs de Boccardo. Si l’équipe s’agrandit progressivement, grâce à d’autres professionnels issus du monde la moto, recrutés sous par Grange et Favario ou par Boccardo et si la société profite de vastes ateliers dotés d’une surface totale de mille mètres carrés, le capital initial dont dispose BFG, d’un montant total de 800 000 francs, semble toutefois bien faible face aux énormes moyens dont dispose les leaders du marché européen de la moto.
Si les essais sur les routes des montagnes et de la campagne savoyarde se poursuivent à un rythme assez soutenu, les premiers problèmes techniques et défauts de la conception de la BFG ne tardent toutefois à se manifester. Le principal étant la transmission, issue des motos Guzzi, qui finit très vite par avouer ses limites face au couple du moteur de la GS, trop important pour elle, avec pour résultats des ruptures et des casses à répétition. Les trois hommes demandent alors au constructeur italien de faire étudier et produire des pièces renforcées qui permettraient ainsi d’éliminer ce problème mais celui-ci oppose un refus à leur demande.
Se retrouvant dans l’impossibilité de trouver ou de se faire livrer une autre transmission qui soit compatible avec le moteur Citroën, ils n’ont alors guère d’autre choix que de concevoir eux-mêmes de nouveaux éléments pour pouvoir obtenir une transmission qui sache encaisser le couple du « flat-four ». Surtout que la future BFG se veut une moto de grand tourisme destinée, notamment, à équiper les forces de police et de gendarmerie, ainsi que, en ce qui concerne la clientèle dite « civile », aux « gros rouleurs ». Quelles que soient ses qualités, la nouvelle BFG arrive sur un marché où la concurrence est, à la fois, variée et surtout féroce, avec des rivales sérieuses comme la BMW R 100 LT, la Guzzi SP 1000 ou encore la Honda 100 GL Goldwing*. Autant dire que, dès le départ, la tâche s’annonce ardue.
A l’origine, si la BFG a pu voir le jour, c’est, en grande partie, grâce à des fonds publics et les représentants du Gouvernement français sont sans doute conscients de la notoriété ainsi que du prestige que pourrait revêtir les forces de l’ordre de rouler aux mains de motos « made in France ». Autant dire que l’Etat ne fait pas vraiment de difficultés pour soumettre celle-ci aux essayeurs chargé de vérifier que cette nouvelle moto offre bien les performances ainsi que l’endurance indispensables pour l’utilisation qui doit en être faite sous les couleurs nationales. Afin de « préparer le terrain » et permettre ainsi de la faire connaître au grand public avant son arrivée sur le marché, Grange, Favario et Boccardo parviennent à convaincre la direction du Tour de France Moto d’intégrer l’une des premières motos BFG qui vient d’être produite au sein de l’épreuve, qui a lieu en octobre 1980. Les rapports rendus par les essayeurs missionnés par les différents services des forces de l’ordre rendent un avis assez positif et le constructeur savoyard bénéficie également d’une bonne couverture médiatique.
Malgré ses débuts encourageants et même prometteurs, les créanciers commencent à froncer les sourcils et à grincer des dents devant les retards accumulés. Il est vrai qu’ils commencent à être quelque peu lassés de courir après l’argent que Boccardo leur promet depuis des mois mais sans qu’ils en aient encore vu le moindre sou. Commençant alors à avoir des doutes sur les compétences dans ce domaine et sans doute lassés, eux aussi, de voir les banquiers leur tirer les oreilles, Favario et Grange évincent alors ce dernier du projet et poursuivent donc seul l’aventure.
S’étant sans doute déjà montrés, au départ, peu enthousiastes, voire même dubitatifs, devant ce projet d’une moto équipée d’un moteur de voiture la direction de Citroën leur fait toutefois savoir qu’un tel projet ne fait pas – du tout – partie de leurs priorités. Autrement dit qu’il ne leur faudra guère compter sur un soutien du groupe automobile pour la fourniture des moteurs. Autrement dit que la livraison des moteurs en question ne pourra se faire que si l’importance de la demande pour la GSA permet au constructeur d’en réserver un contingent destiné à BFG. Ce qui présage déjà des difficultés assez grandes dans l’approvisionnement en ce qui concerne les moteurs qui doivent équiper la nouvelle moto 1300, surtout si Grange et Favario ne peuvent compter sur une aide, importante et directe, de Citroën et PSA pour cela.
Malgré ce nouvel écueil, les deux hommes restent toujours convaincus qu’ils peuvent parvenir à mettre en place la production en série de la BFG. Les partenariats qu’ils réussissent à nouer, à la même époque, avec de grandes entreprises françaises liées au domaine des transports comme Elf et Michelin, sans doute séduits, eux-aussi, par la perspective de participer à la renaissance de la moto française, les encouragent d’ailleurs à persévérer dans cette voie. Même si de nouveaux obstacles se font bientôt jour, comme la réforme du permis pour les deux-roues* ainsi que l’instauration d’une nouvelle vignette créent un nouveau contexte qui ne semble guère favorable pour l’arrivée d’un nouveau constructeur sur le marché de la moto en France.
Tout cela n’empêche pourtant la production de la BFG 1300 de démarrer l’année suivante, en 1982(…) La marque ne manquant pas de participer à la plupart des événements nationaux consacrés à l’univers de la moto afin de mieux faire connaître celle qui doit symboliser la renaissance de la moto française au grand public. Cette campagne promotionnelle passant notamment par le monde de la compétition, BFG ne manquant, bien sûr, pas d’aligner la 1300 dans plusieurs des épreuves les plus en vue, où celle-ci remporta d’ailleurs plusieurs victoires. Comme au Tour de France side-car en avril. Consécration nationale, en juin de la même année, ce ne sont pas moins de douze motos BFG 1300, appartenant aux forces des CRS, qui sont intégrées au cortège qui participe au sommet des chefs d’Etats du G7 à Versailles. A l’occasion de celui-ci, le président François Mitterand offrira même, en cadeau « officiel », une BFG au roi d’Espagne Juan Carlos.
Ces honneurs et cette très grande et belle publicité gratuite qui est faite à la marque par cet événement ne profita toutefois guère, commercialement et financièrement, à BFG. Celle-ci commençant alors à susciter l’intérêt des services concernés du Ministère des finances, la société accumulant bientôt les audits. Des suspicions et une enquête qui vont avoir pour effet la suppression, ou, tout du moins, le blocage des différents dossiers de financement déposés par la direction de BFG auprès des pouvoirs publics. Il semble, en effet, que, malgré l’éviction, l’année précédente, de Boccardo, Grange et Favario, en dépit de leurs connaissances en matière de gestion et de marketing ne soient guère plus doués que leur ancien associé pour mettre sur pied une entreprise de cette nature. Il est vrai que son objectif de participer à la « résurrection » de la moto française et de devenir l’égal des plus grands noms de la moto était un vaste programme. Trop vaste ou trop grand, peut-être même, pour un constructeur aussi novice.
Bien qu’à la fin de l’année 1982, 300 exemplaires de la BFG 1300 ont déjà été vendus, ces chiffres n’ont, cependant, rien d’un démarrage en fanfare. Une production limitée due à un outil de production qui, de toute manière n’est très loin d’être suffisant pour atteindre des niveaux comparables à ceux de Ducati, Harley-Davidson ou Yamaha comme l’on peut s’en douter.
Si, en 1983, Dominique Favario se verra décerner par François Mitterand la médaille du Meilleur Ouvrier de France par le président en personne. N’ayant toutefois pas oublié les atermoiements et les promesses non tenues de la part des pouvoirs publics, Favario la refusera, à peine trois jours plus tard, afin de bien montrer combien cette sorte de « poudre aux yeux » que les représentants du Gouvernement français lui avait, en quelque sorte, jeté à la figure.
Cette année 1983 se terminera d’ailleurs bien mal pour les deux hommes car elle marquera, en effet, la fin de l’aventure BFG, en tout cas en ce qui concerne ses deux fondateurs. Au total, seulement 400 exemplaires environ en auront été produits avant que l’usine de La Ravoire ne soit contrainte de fermer ses portes. L’année suivante, MBK (nouveau nom de l’entreprise française Motobécane, spécialisée dans la production de mobylettes*) pour la modique somme de 450 000 francs, soit à peine plus de la moitié de ce que Favario et Grange étaient parvenus à réunir et avaient investi pour créer la société BFG et, surtout, alors que la valeur totale de la société, bâtiments, outillages, ainsi que les deux-roues en production au moment de l’arrêt de la production, seront évalués à 2,87 millions de francs ! L’ensemble des actifs racheté par MBK comprenant, outre les machines des chaînes d’assemblage, 10 motos déjà entièrement terminées ainsi que les commandes de 222 motos qui, de leur côté, n’avaient pas encore eu le temps d’être assemblées au moment où BFG fut contrainte de baisser le rideau. Parmi les exemplaires non produits, un peu plus de 150 étaient destinées aux forces de police et de gendarmerie ainsi que pour les services des douanes et une soixantaine pour le marché civil, réparties à parts égales entre le marché français et ceux de l’étranger.
Si MBK reprendra, comme elle s’y était engagée et si la production reprend alors au sein de l’usine de Saint-Quentin, dans l’Aisne, il n’y en aura que 150 exemplaires qui en sortiront des chaînes avant que la production ne soit à nouveau abandonnée en 1988. Il devint rapidement clair que relancer la carrière de ce deux-roues à moteur de voiture et contribuer à une éventuelle renaissance de la moto française ne faisait pas vraiment partie des priorités ni même des objectifs de l’ancienne firme Motobécane, laquelle préférait se concentrer sur la production de ses légendaires mobylettes.
Un an plus tard, l’ensemble des pièces restantes est acquis par l’Atelier Précision, spécialisé dans la production de side-cars à Seclin, dans le Nord*. Les BFG n’y sont toutefois plus assemblés qu’à la demande, celle-ci demeurant d’ailleurs assez réduite, voire « anecdotique ». L’effet de nouveauté passé et au vu des tribulations et des mésaventures financières rencontrés dans le passé par BFG durant ses premières années en Savoie, il n’y a, en effet, plus guère qu’une poignée d’originaux amateurs de « bizarreries » ou de raretés et qui souhaitent ainsi se différencier de la masse du « tout-venant » des motards pour s’intéresser encore à la moto BFG et envisager d’en faire l’acquisition. Cette production au « compte-goutte » cessera d’ailleurs, définitivement cette fois, en 1996, lorsque l’Atelier Précision mettra, à son tour, la clé sous la porte.
L’histoire de BFG aura été émaillée de nombreux aléas et autres écueils qui ont émaillé cette aventure de la création d’une nouvelle moto française ainsi que la trop courte durée de cette aventure, qui n’a jamais connu le destin qu’elle aurait sans doute mérité. Ce qui n’a pourtant pas empêché, au sein de l’univers des motards, un certain nombre d’amateurs surent rapidement apprécier, en connaisseurs, la singularité de cette moto « made in France ». C’est ainsi que le club BFG fut fondé dès 1982, alors que la production en série de la BFG 1300 venait à peine de débuter, dont le premier président ne fut autre, d’ailleurs, que Thierry Grange lui-même.
Il est d’ailleurs à signaler qu’à l’époque de la production des motos BFG, chaque nouveau client devenait automatiquement membre du club. Une manière assez inhabituelle, en tout cas pour un constructeur français, de motos ou autres, de fidéliser ses clients. Preuve aussi que ses créateurs, même s’ils espéraient alors une destinée toute différente et bien meilleure, pour celle qui devait symboliser le renouveau de la moto française, avaient bien conscience d’avoir conçu un deux-roues qui, sur bien des points, sortait des sentiers battus. Ce qui ne manquerait donc sans doute pas de retenir l’attention d’amateurs éclairés. Une preuve supplémentaire est que, même si elle reste ce que l’on appelle une moto de « connaisseurs », c’est-à-dire de motards à la culture approfondie. Qui, quels que soient les défauts du modèle, saurait l’apprécier à sa juste valeur.
Merci à M. Philippe Perelle du club BFG pour son aide lors de la recherche d’images.
Texte Paul MAZURET
D’autres motos https://www.retropassionautomobiles.fr/2021/01/bmw/
La BFG en vidéo https://youtu.be/tt5fN6az5Ak