CHRYSLER et DE SOTO AIRFLOW – Un train trop en avance.
Aux yeux du grand public comme pour beaucoup de spécialistes de l’histoire de l’automobile, faire une comparaison entre Chrysler et Citroën serait, quasiment, aussi ardu que de vouloir construire, à travers l’Océan Atlantique, un pont géant qui relierait l’Amérique à la France ! Pourtant, en observant en détails l’histoire de ces deux constructeurs, ceux-ci présentent plusieurs importants en commun. Tous deux ont été créées par des capitaines d’industrie à l’esprit visionnaire et leur entreprise, tout comme les créations de celle-ci, ont bien refléter leur esprit avant-gardiste. Figurant parmi les hommes qui représente l’exemple même du self-made-man à l’américaine, Walter Percy Chrysler a débuté sa carrière professionnelle comme apprenti dans les chemins de fer, avant de gravir rapidement tous les échelons de l’échelle sociale et, finalement, de fonder, en 1924, la marque qui porte son nom, puis, trois ans plus tard, la Chrysler Corpration.
Un groupe qui figurera, dès 1930, à peine trois ans après sa fondation, au septième rang des constructeurs américains. De son côté, André Citroën, lui, a d’abord fait fortune grâce à l’industrie de l’armement, en produisant par milliers des obus à la chaîne pour l’Armée française durant la Première guerre mondiale. Ayant eu l’occasion de visiter les usines de Henry Ford aux Etats-Unis, il avait alors réalisé le progrès que constituait la production des voitures à la chaîne, tout en mesurant le décalage et les retards que présentait, sur ce plan, l’industrie automobile française, encore ancrée dans des méthodes de travail trop artisanales. Une fois la guerre terminée, pressentant les bouleversements, économiques et industriels, que va bientôt connaître la France, comme la demande très forte pour des automobiles produites en grande série, il décide alors d’appliquer en France les préceptes instaurées par Ford en Amérique. Une recette gagnante qui lui permettra, avant la fin des années 1920, de devenir l’un des principaux constructeurs automobiles français, obligeant rapidement ses principaux concurrents, comme Renault, à se convertir eux aussi à la production de voitures en série. Premier constructeur français à produire des automobiles dotées de carrosseries et d’une structure entièrement métallique (abandonnant ainsi les structures en bois auxquelles avaient encore recours la plupart des constructeurs) ainsi que que la première vraie voiture française populaire équipée de la traction avant (il y eu, certes, avant elle, la Rosengart Supertraction, mais celle-ci n’était, en réalité, rien d’autre qu’une version française de l’Adler Trumpf allemande, construite sous licence).
En 1934, l’année même où Citroën dévoile au public sa révolutionnaire Traction avant (sous la forme de trois modèles, la 7 et 11 CV à moteur quatre cylindres ainsi que l’imposante 22 CV à moteur huit cylindres), Walter Chrysler présente lui aussi un nouveau modèle qui va révolutionner l’industrie automobile américaine, l’Airflow. Un autre point commun entre Chrysler et Citroën est que ni l’une ni l’autre ne feront la fortune de leurs concepteurs. La Traction Citroën connaîtra, certes, une carrière qui s’étalera sur plus de vingt ans (vingt-trois ans pour être exact, entre 1934 et 1957) et sera produite à plus de 780 000 exemplaires, mais c’est Michelin, le repreneur de Citroën, qui en récoltera les fruits. Ayant vu grand (Trop grand peut être) pour la construction et le lancement de sa nouvelle Traction avant, André Citroën n’a pas hésiter, pour cela, à faire démolir puis reconstruire son usine de Javel, afin de disposer de l’outil de production le plus moderne possible pour ce nouveau modèle qui (il n’en doutait pas un seul instant) serait un succès. Le public mettra toutefois un certain temps à accepter cette voiture à la technique alors fort avant-gardiste, d’autant que les premières séries, souffrant d’une mise au point insuffisante, connaîtront rapidement des problèmes de fiabilité. Handicapé par de graves problèmes financiers (l’ édification de sa nouvelle usine et le lancement de sa nouvelle Traction l’ ayant quasiment mis sur la paille), André Citroën avait joué, avec elle, sa dernière carte et, malheureusement pour lui, ce ne fut pas vraiment un joker. Ou, en tout cas, le succès ne viendra pas assez rapidement pour lui permettre d’éviter la faillite. En décembre 1934, la mise en liquidation judiciaire de son entreprise est prononcée. Le fabricant de pneus Michelin, qui est le principal créancier de Citroën, reprend alors les rênes de l’entreprise. André Citroën, lui, ne vivra, malheureusement, pas assez longtemps pour voir sa dernière création connaître le succès qu’il avait tant espéré et qu’elle méritait. Rongé par un cancer, il meurt en juillet 1935, un an à peine après le lancement de la Traction, à l’âge de seulement 57 ans.
Malheureusement pour le groupe Chrysler, l’Airflow, quant à elle, sera un échec sur toute la ligne. Comme le proclamait le grand designer Raymond Loewy « La laideur se vend mal ! ». Ce slogan, Walter Chrysler ainsi que les ingénieurs et designers à l’ origine de l’Airflow, l’apprendront, malheureusement, à leurs dépens en découvrant les chiffres plus que décevants des ventes de ce nouveau modèle qui devait pourtant révolutionner l’automobile du Nouveau Monde et permettre au groupe Chrysler de devancer tous ses concurrents en étant le premier à commercialiser la première vraie voiture américaine aérodynamique. Le marché leur donnera malheureusement tort, sous la forme d’un verdict aussi rapide que sans appel, montrant ainsi clairement que, en 1934, les automobilistes américaines, dans leur grande majorité, n’étaient pas encore prêts à se porter acquéreur d’une telle « chose » sur quatre roues. Il n’y a qu’à la comparer avec les modèles proposés par les autres constructeurs américains (que ce soit chez General Motors, Ford ou les constructeurs indépendants, encore nombreux malgré la crise économique qui sévit alors partout en Amérique, comme Nash, Hudson ou Packard) pour comprendre combien l’Airflow faisait véritablement figure d’ « OVNI » pour l’automobile américain lambda, à une époque où l’on commençait seulement à incliner les pare-brises et les calandres, à bomber les ailes et les malles de coffre et à arrondir les angles des carrosseries. Certes, depuis quelques années déjà, par une série de croquis et de photos parues dans la presse spécialisée, le public avait déjà eu vent des travaux que menaient alors plusieurs constructeurs dans le secret de leurs bureaux d’ études. L’Airflow offrant, en quelque sorte, un « tableau » assez représentatif des travaux menés à l’ époque sur le thème des recherches aérodynamiques. Toutefois, c’est bien parce qu’elle était un concentré de tous ses travaux, qu’elle a voulu, d’une certaine façon, résumer toutes ces tendances du design en les radicalisant que l’ Airflow a tant choquée le public américain lorsqu’elle fut dévoilée.
Durant la décennie précédente (c’est à dire les années 1920), en Europe, plusieurs ingénieurs et constructeurs avaient déjà joué les précurseurs dans le domaine de l’aérodynamique, comme Jaray ou l’ Allemand Rumpler avec sa « Tropfenwagen », en « ébauchant » le sujet, même si les résultats de leurs travaux furent, souvent, assez empiriques. Aux Etats-Unis, si, au sein du groupe Ford, Tjaarda étudie une série de carrosseries influencées par les empennages d’ avions, c’est toutefois au sein du groupe Chrysler que les études seront les plus poussés. L’approche entamée par l’ingénieur Carl Breer étant sans doute aussi plus « réaliste » (dans le sens où les dessins ainsi que les maquettes réalisées par ce dernier semblent réellement pouvoir aboutir, dans un avenir plus ou moins proche, à un modèle pouvant être produit en série. Grâce à la soufflerie construite au centre d’études de Highland Park, au siège du groupe Chrysler, l’ingénieur peut tester, sur des modèles réduits, le bien-fondé et la viabilité des solutions retenues.
Dans sa recherche des formes les plus aérodynamiques possibles, qui peuvent être appliquées, d’une manière ou d’une autre à l’automobile, Breer teste aussi bien des ailes d’avions que des obus, des ballons dirigeables ou des gouttes d’eau. Les filets d’air étant visualisés à l’aide de fils de laine et de coulures d’ huiles de lin. L’intégration, évidemment incontournable, d’éléments mécaniques (non seulement le moteur mais aussi le châssis ou la transmission) va toutefois restreindre, à terme, les possibilités et donc limiter quelque peu sa créativité esthétique. Etant donné que la forme doit être dictée par la fonction, les profilages en forme de goutte d’eau sont alors mis de côté, tout comme l’idée, un moment envisagée, d’installer le moteur à l’arrière de la voiture. Une solution qui est jugée, à priori, incompatible avec les critères de confort et d’espace, qui sont autant d’impératifs incontournables sur une grande berline américaine. (Ledwinka démontrera pourtant le contraire avec sa Tatra 77). Puisque la solution classique du moteur à l’avant et de la propulsion aux roues arrière semble donc absolument incontournable, Breer décide alors, afin d’offrir le plus d’espace possible aux passagers, d’avancer la banquette arrière en avant de l’essieu-moteur et, pour laisser plus de place aux occupants à l’avant, notamment au conducteur, de placer le bloc-moteur au dessus de l’essieu avant. Une autre innovation marquante imaginée par l’ingénieur est la structure autour de laquelle sera construite la carrosserie, qui se présente sous la forme d’ un ensemble tubulaire entièrement en acier sur laquelle les portières, les ailes et le toit seront fixés. Si elle ne peut se vanter d’être, comme sur la Traction Citroën, une vraie monocoque, à côté de la structure dont est dotée l’Airflow, la grande majorité des autres voitures américaines font, sur ce point, presque figure de dinosaures et sont renvoyés à la préhistoire de la locomotion avec leurs ossatures en bois. Les deux prototypes de l’Airflow, baptisés « Trifon-Special », réalisés en 1932 et qui effectueront toute une série d’intenses essais tout au long de l’année 1933, vont permettre de vérifier et de valider dans la réalité les résultats des essais effectués sur les maquettes en soufflerie. Des essais menés tambour battant car une série de rumeurs sont arrivés jusqu’aux oreilles de Walter Chrysler, laissant entendre que General Motors préparait, lui aussi, une nouvelle voiture aérodynamique. (une rumeur qui, comme on le verra, s’avérera, au final, fausse).
Initialement, l’Airflow ne devait être commercialisée que sous la marque DeSoto. C’est Walter Chrysler lui-même qui décidera de la commercialiser également sous la marque Chrysler. Une manière, à ses yeux, de célébrer dignement le double anniversaire du groupe ainsi que de la marque portant son nomp. Au final, seules la gamme des modèles DeSoto ainsi que les Chrysler de haut de gamme (à moteur huit cylindres) recevront la ligne Airflow, le reste des productions du groupe, à savoir les Dodge, les Plymouth et les Chrysler d’entrée de gamme (à moteur six cylindres) conserveront, elles, des carrosseries aux lignes plus classiques. Heureusement d’ailleurs, car, lorsque les Chrysler et DeSoto Airflow sont dévoilées au public, à l’occasion de l’ouverture du Salon automobile de New York, en janvier 1934, l’accueil de celui-ci sera loin de celui-ci espéré par le patron du groupe Chrysler et les concepteurs de l’Airflow. Si le slogan affiché fièrement dans les documents publicitaires publiés par le constructeur n’hésite pas à la présenter comme « The beauty of the nature itself » (« La beauté de la nature elle-même »), le jugement du public, lui, est tout autre et il ne va pas se priver de faire savoir à Chrysler qu’ il n’est pas du tout de cet avis et, dès le départ, boude ces voitures, qu’il trouve trop étranges, voire laides.
Si le dessin de la calandre est censé évoquer la chute d’eau d’une cascade, les acheteurs, eux, y voient plutôt les fanions de la gueule grande ouverte d’une baleine. Quant à la double paire de phares superposés, ils évoquent, eux, deux paires d’œufs sur le plat tombant d’une poêle ou encore deux paires de boules de crème glacée qui auraient coulé de leurs cornets. Si l’Airflow a inauguré, en tout cas dans le domaine de l’automobile, une nouvelle ère et un nouveau courant esthétique, celui du Streamlining, comme pour tout nouveau courant esthétique, les premières œuvres, même prometteuses ou intéressantes, sont souvent encore, à certains égards, de simples « brouillons ». Comme le montre, outre son dessin en général, certains des traits esthétiques, en particulier, de l’Airflow, comme la haute ceinture de caisse et les surfaces vitrées assez réduites, qui, notamment vues de profil, ne font qu’accentuer la « lourdeur » du dessin des nouvelles Chrysler et DeSoto.
Si, dans le monde de l’automobile et du design, comme dans beaucoup d’autres domaines, comme le dit un vieux dicton bien connu, «Ce sont toujours les pionniers qui trinquent », pour réussir un beau coup, sur le plan commercial, tout en se voulant novateur, deux critères primordiaux doivent impérativement être réunis. A savoir qu’un bon timing a autant d’importance que le pertinence du dessin. L’échec de l’Airflow est non seulement dû au fait que Chrysler s’est montré trop en avance sur le calendrier, c’est aussi le style assez « pataud » de ses nouveaux modèles qui est responsable de leur échec commercial. Fonctionnelle ? Elle l’était certainement, comme Chrysler ne se privait d’ ailleurs pas de le vanter dans sa publicité. Géniale ou, à tout le moins, originale ? Certainement ? Différente ? Assurément ! Mais, pour beaucoup (trop) d’Américains, en 1934, elle était, avant tout et surtout laide (certains, à l’époque, auraient pu être même dit laide à faire peur !). En plus de ce style bien trop déroutant aux yeux des automobilistes américains des années 30 (Pour le commerçant des quartiers de Brooklyn comme pour le fermier du Middle West), l’empressement mis à assembler les premiers exemplaires et les problèmes de qualité et de finition qui en découleront contribuera à nuire encore un peu plus à la réputation du modèle. Sans compter que les clients assez audacieux et aux goûts assez insolites en matière d’ automobile qui franchiront malgré tout le pas et passeront commande d’une Airflow devront composer avec des délais de fabrication très longs, du fait que la production d’un modèle aussi radicalement nouveau nécessite, sur les chaînes de production, un renouvellement complet de l’outillage.
Pour sa première année de production, le millésime 1934, au sein du catalogue Chrysler, l’Airflow était présentée en quatre modèles : Séries CU, CV, CX et CW, toutes à moteur 8 cylindres, dont la cylindrée et la puissance vont de 4,89 l et 122 ch à 6,3 litres et 145 chevaux, avec des longueurs d’empattement de 3,12 m à 3,42 mètres. Ce qui fera de ces dernières, les Airflow de la série CW-Eight, des modèles spéciaux construits uniquement sur commande, les voitures les plus longues et aussi les plus lourdes jamais construites par Chrysler. (A noter que ces dernières bénéficieront d’une première mondiale : un pare-brise bombé d’ une seule pièce, alors que les autres modèles, eux, se contentent d’un pare-brise « classique » en deux parties). Les prix affichés au catalogue allant de 1 345 $ pour le Coupé 2 portes et 5 places de la Série CU à 5 145 dollars pour les Custom et Town Limousine de la série CW. Etant donné l’accueil assez tiède, pour ne pas dire carrément froid, réservé à l’Airflow et au fait que la clientèle huppée, surtout à l’époque, est, par nature, assez conservatrice, on ne s’étonnera donc pas vraiment que les Airflow de « haut de gamme » ne rencontrent guère plus de succès que les modèles plus « populaires ».
Au terme du millésime 1934, en décembre de cette année-là, tous modèles confondus, les Chrysler Airflow n’auront été produit qu’ à 11 292 exemplaires, soit deux fois et demi moins que la plus conventionnelle des Chrysler de l’année. La situation au sein de la marque DeSoto, qui produit les versions les plus « populaires » de l’ Airflow, la situation n’est guère meilleure et même encore pire, la marque accusant, à la clôture de l’année-modèle 1934, une chute de ses ventes qui atteint pas moins de 47 % par rapport à celles de 1933. Si Chrysler, en ayant eu la bonne idée de conserver des modèles de base aux lignes conventionnelles, a réussi à « limiter la casse », DeSoto, elle, en revanche, subit, elle, plus fort encore l’échec commercial de l’Airflow. C’est, en somme, le paiement « cash » d’ une gamme entièrement vouée à la nouvelle Airflow. Si 15 285 exemplaires de la DeSoto Airflow parviendront, malgré tout, à trouver preneur, une fois « l’effet nouveauté » passé, les ventes s’effondreront littéralement, avec à peine 6 797 Airflow vendues l’année suivante. (Elles parviennent pourtant à se maintenir à un niveau stable chez Chrysler, avec 12 747 Airflow, toutes séries confondues, produites pour ce millésime).
Pour venir épauler l’Airflow, ou, plutôt, sauver la marque DeSoto, un nouveau modèle d’entrée de gamme, l’Airstream, du nom dont sont aussi rebaptisés, à l’occasion du lancement des modèles du millésime 1935, les Chrysler six cylindres. Face à ce revers brutal et inattendu, la direction presse alors rapidement les dessinateurs du bureau d’études de remodeler d’urgence le dessin de l’Airflow pour le prochain millésime. Ainsi, les voitures de l’année-modèle 1935 présente un nouveau capot, qui s’étend plus loin en avant, et une nouvelle grille de calandre aux lignes plus « classique », avec une pointe saillante en V en forme « d’étrave », au profil presque vertical bien que descendant en pente jusqu’au pare-choc. Si ce lifting rend peut être l’avant de la Chrysler Airflow moins disgracieux, en tout cas aux yeux des automobilistes de l’époque, il lui enlève aussi une grande partie de son originalité. Tout comme pour les Chrysler, dans un volte-face discret, les Airflow de la gamme DeSoto reçoivent, elles aussi, une face avant redessinée, afin de tenter de lui donner un physique plus « consensuel », mais qui apparait peut être aussi moins personnel et moins original, avec une grille de calandre dont le dessin s’inspire, en grande partie, de celui des nouvelles Airstream.
Si les quatre séries que comprend la gamme Airflow sont maintenues au catalogue pour l’année-modèle 1936, avec toutefois de nouvelles appellations pour la plupart d’entre-eux (à l’exception du haut de gamme CW), l’offre en matière de carrosseries, elle, est sensiblement réduite, passant ainsi de trois à deux types de carrosseries sur l’Airflow « d’entrée de gamme » et de quatre à seulement deux pour l’Imperial Custom. Quant à la Custom Imperial Série CW, sa production est devenue tellement anecdotique, pour ne pas dire confidentielle, qu’elle ne figure d’ailleurs même plus officiellement au catalogue pour le millésime 1936 (qui sera la meilleure année de vente pour la marque depuis le déclenchement de la crise en 1929, avec plus de 71 000 voitures produites). Si les archives du constructeur mentionnent, en tout, dix exemplaires de cette série vendues, il n’existe, en revanche, plus de traces des carrosseries qui étaient proposées au catalogue cette année-là ni les chiffres détaillées de production. (On sait, en effet, que, dans chacune des séries de l’Airflow, un certain nombre de voitures, restés invendues étaient ensuite remodelées pour être ensuite présentées et vendues comme des exemplaires du nouveau millésime).
L’année-modèle 1937 (Les modèles sont dévoilés au public en octobre 1936) sera le dernier pour la Chrysler Airflow. Sa variante « populaire » au sein de la gamme DeSoto ayant, elle, déjà quittée la scène au terme du millésime précédent, après avoir été produite, en tout et pour tout, à 5 000 exemplaires, très exactement (250 Coupe et 4 750 Sedan, dont un nombre inconnu d’une version « hors-série » spécialement destinée aux compagnies de taxis). Comme pour l’Airstream, les dernières DeSoto Airflow recevront un toit entièrement métallique (remplaçant le toit souple monté sur les modèles précédents), insonorisé et isolé électriquement de la carrosserie afin de servir d’ antenne de radio. Cette De Soto Airflow III, comme elle est ainsi désignée dans le catalogue de la marque, se distingue, esthétiquement, de ses devancières par une calandre au dessin légèrement modifié et des ouvertures de capot de formes rondes ornées d’enjoliveurs chromés en forme de flammes.
Les dernières Chrysler Airflow, de leur côté, elle voit sa face remaniée une nouvelle (et dernière) fois. Par rapport aux modèles du millésime précédent, les voitures de l’année-modèle 1937 reçoivent une calandre plus bombée, plus proéminente et plus large, ce qui leur donne, surtout vues de face, un air plus imposant. (La face avant des dernières Airflow, de chaque côté des deux phares, augmente d’ailleurs en largeur, formant une ligne quasi droite et continue sur toute la longueur, de chaque côté de la voiture). Comme sur les modèles du millésime précédent, la moulure chromée qui englobe les phares intègre, là aussi, les avertisseurs. Mais, ici, leur forme est à nouveau changé, le grillage était désormais en forme de « masque d’escrime », avec des aérations rectangulaires séparées par une barrette centrale verticale. Les pare-chocs, quant à eux, sont eux aussi redessinés et deviennent plus épais. Le dessin de la calandre est étroitement inspiré de celui de la série Royal, le nouveau modèle de base de la gamme Chrysler, qui succède cette année-là à l’Airstream. Les ultimes modèles de la série Airflow bénéficient également de toute une série d’équipements dits de « sécurité », avec, en série, un dispositif à vis permettant d’ouvrir le pare-brise, un nouveau capot type « crocodile » s’ouvrant par devant, un plancher entièrement plat, de nouveaux instruments de bord sans boutons saillants, etc. Parmi les autres modifications notables figurent l’adoption d’une suspension télescopique à double effet, l’emplacement pour la plaque d’immatriculation à l’arrière maintenant fixée au centre du couvercle de la malle et le nom du modèle, « Chrysler Airflow », apposé en lettres chromées, de type « script », sur les côtés du capot.
Pour sa dernière année de production, la gamme Airflow se voit réduite de quatre à trois modèles : Série C-17, Imperial Custom et Custom Imperial Airflow, dont les prix vont de 1 610 à 2 610 dollars. En ce qui concerne la Custom Imperial Airflow CW-Eight, l’existence de celle-ci est devenue quasiment « fantomatique », puisque, selon les archives du constructeurs, seules trois exemplaires de ce modèle haut de gamme auraient été construits, mais il est néanmoins possible que plusieurs exemplaires aient échappé n’aient pas été comptabilisées dans les registres car ces voitures étaient réalisés avec des châssis et des structures de carrosseries d’anciens modèles rajeunis et transformées en modèles du millésime 1937 en utilisant les éléments de carrosseries (portières, capot et malle de coffre) des nouveaux modèles.
L’échec commercial de l’Airflow a, en tout cas, clairement prouvé, non seulement, que la fonctionnalité n’est pas toujours synonyme d’élégance et également que, n’en déplaise au célèbre architecte Le Corbusier, tout ce qui est fonctionnel n’est pas forcément beau. « La première impression est toujours la bonne, surtout si elle est mauvaise ! ». Si cette vieille expression bien connue n’est pas forcément toujours vraie, beaucoup de gens, aujourd’hui comme hier, en sont toujours convaincus. C’était sans aucun doute aussi le cas des acheteurs potentiels que l’Airflow étaient censés séduire en leur offrant quelque chose de « différent ». La plupart d’ entre-eux s’en sont détournés au premier regard et n’ont donc pas eu envie de se reposer sur les vastes banquettes et de s’extasier en découvrant l’incroyable largeur dévolue aux passagers (Ce qui étant l’un des avantages les plus probants de son design « enveloppant »).
S’ils s’étaient laissé convaincre de surmonter cette première impression pour le moins « mitigée » (où devaient sans doute se mêler la perplexité et l’incompréhension, voire même le dégoût) et avaient accepté l’ invitation des vendeurs à prendre la route à son bord, ils auraient pourtant aussi pu constater qu’elle pouvait sans difficulté atteindre et tenir sans problèmes, sur longue distance, le cap des 150 km/h. Preuve des performances qu’elle était capable d’atteindre, le 8 décembre 1934, une Airflow Custom Imperial, équipé d’un V8 de 140 ch, battra plusieurs records, dont celui des 500 kilomètres à une vitesse moyenne de 147,150 km/h. Un record qui restera invaincu durant vingt ans. Une mise en situation qui leur aurait également permis de découvrir que, grâce à sa structure monocoque, les vibrations et les bruits parasites étaient fortement réduits. Et surtout qu’avec elle, la route devenait plus sûre. Tout comme Citroën l’avait fait, lors du lancement de la Traction, Chrysler n’avait pas non plus hésité, lui aussi, à faire subir à l’un des exemplaires de l’Airflow une spectaculaire série de tonneaux qui, pourtant, n’avait réussis à venir à bout ni de ses vitrages ni de ses serrures de portes et qui, en plus, n’avait pas non plus empêcher, après cela, la voiture de repartir sans aucun problème sur ses quatre roues. Il est vrai aussi que, à l’époque, la sécurité ne faisait pas encore vendre, en tout cas pas autant qu’aujourd’ hui.
« Etre le plus à l’ avant-garde possible, tout en restant accessible au grand public », une autre devise de Loewy, qui définissait bien sa règle de base définissant le design industriel, pour l’automobile comme dans tous les autres domaines où il l’a appliqué. Une devise dont Walter Chrysler et Carl Breer auraient dû se souvenir et méditer avant de décider de commercialiser l’Airflow. Le fait de l’avoir négligé ou oublier a été fatal pour l’Airflow et le prix à payer pour le groupe Chrysler en a été lourd. Toutefois, comme l’a souligné James Flammang dans son ouvrage Chrysler Chronicle, considéré comme l’un des livres de référence sur l’histoire de la marque : « Si les panels de consommateurs et les études de marché rigoureuses avaient existé au début des années 30, la Chrysler Airflow n’aurait jamais vu le jour ! Mais quel dommage cela aurait été pour l’histoire de l’automobile ! ».
En dépit de fiasco commercial, beaucoup d’autres constructeurs, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, avaient, malgré tout, compris que Chrysler avait vu juste avec l’ Airflow. En ce sens qu’elle indiquait la voie à suivre pour les modèles du reste de la décennie, non seulement sur le plan du design mais aussi sur celui de l’aérodynamique. Il n’y a qu’à la comparer avec sa principale concurrente, la Lincoln Zephyr ou, en France, à la Peugeot 402, lancé toutes deux à peine un an plus tard pour constater, dès le premier coup d’oeil, que la source d’inspiration est aussi flagrante qu’indéniable. Sans parler d’autres modèles moins connus comme la Toyota AA au Japon (la première voiture de tourisme construite par le constructeur nippon) ou la Volvo Carioca en Suède. Ce qui aura permit à la Zephyr et à la 402 de réussir, là où l’Airflow avait échoué, c’est d’abord (Il faut lui rendre justice sur ce point) que l’ Airflow s’ était, en quelque sorte, chargée de « préparer le terrain ». Le fait d’être arrivé sans doute trop tôt sur le marché lui a, au moins, permis de « défriché » le chemin et de tailler ce qui allait bientôt être une véritable « autoroute » à la Lincoln Zephyr ainsi qu’au nombreux autres modèles qui, durant la seconde moitié de la décennie, vont eux aussi adopté le « streamlining ». Le public ayant, entretemps, appris à assimiler et à apprécier ce style, et aussi à en réaliser tous les avantages, sur le plan du comportement sur route, comme sur celui de la sécurité et de la vitesse. L’autre facteur qui a permis à un grand nombre de ces « descendantes » de trouver le chemin du succès est que les designers des autres constructeurs auront pris soin de revoir leurs dessins et d’affiner leur coup de crayon. Comparée à une Lincoln Zephyr, l’Airflow fait, ainsi, presque figure, sous certains angles, d’« enclume sur roues ».
Pourtant, d’un strict point de vue financier, l échec de l’ Airflow n’a toutefois pas eu un impact aussi grave et profond qu’on pourrait le croire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : La production de la marque Chrysler, tous modèles confondus, était d’ un peu plus de 30 000 exemplaires en 1933, un an avant le lancement de l’Airflow. Elle était passée à près de 108 000 en 1937, l’année où celle-ci quittait la scène. Celles de la marque DeSoto, grâce au renfort de la série Airstream, passant, de leur côté, d’un peu moins de 16 000 voitures vendues pour l’année-modèle 1934 (où, pour rappel, la gamme était alors exclusivement occupée par l’ Airflow) à près de 53 000 pour le millésime 1936 (Au moment où l’Airflow disparaissait du catalogue DeSoto). Ce qui vient donc démentir, de manière catégorique, une légende (pourtant longtemps tenace) comme quoi l’échec de l’Airflow aurait mis le groupe Chrysler au bord de la faillite. Si ce ne fut pas le cas, il eut néanmoins pour conséquence de rendre la nouvelle direction du groupe réfractaire à toute révolution en matière de style durant une bonne vingtaine d’années.
Si elle créa un effet de mode, véritable et durable, qui se poursuivit jusqu’à la fin des années 30, ceci, toutefois, ne constitua sans doute qu’une consolation plutôt maigre et amère pour Walter Chrysler. Atteint par la maladie et dégà gravement diminué, alors qu’il n’avait pourtant que 56 ans, il décida, au printemps de 1936, de céder les rênes de l’empire automobile qu’il avait quasiment bâti de ses mains. La disparition, à peine deux ans plus tard, de son épouse Della, alors qu’ elle n’avait que 58 ans à peine, aggrava encore son état. Il succomba à une hémorragie cérébrale en août 1940, à l’âge de 65 ans. Lorsqu’à l’automne 1937, après que la dernière Airflow soit sortie des chaînes, les ingénieurs et designers du bureau d’études de la marque ont alors tiré le bilan de cette aventure, à la fois fantastique mais aussi funeste et à laquelle le public, par son rejet rapide et catégorique d’un modèle si audacieux, à mit prématurément fin, nul doute que la déception fut grande pour eux aussi et qu’elle leur laissa, pendant longtemps, un goût amère.
Aujourd’hui, plus de quatre-vingt ans après son lancement, l’Airflow apparaît toujours aussi laide aux yeux de certains. Pour beaucoup de collectionneurs, souvent empreints d’une sorte de clémence ou de sympathie, ainsi que d’une tendre nostalgie pour tous les « ratés » de l’histoire de l’automobile, les Chrysler et DeSoto Airflow auront, en tout cas, en dépit de l’échec commercial cinglant ainsi que de tous les quolibets et moqueries qu’elles auront eu à subir à leur époque, ne serait-ce que pour le rôle de « pionniers » qu’elles ont eu dans le domaine du style comme dans celui de l’aérodynamique, elles auront bien mérité leur place au panthéon de l’automobile ainsi qu’une place de choix au paradis des « losers » magnifiques, à l’instar d’autres américaines infortunées, comme la Tucker, la Corvair ou l’Edsel.
Maxime DUBREUIL
Photos via Wheelsage
D’autres voitures US https://www.retropassionautomobiles.fr/2022/04/pierce-arrow/
En vidéo https://www.youtube.com/channel/UCdnjRO4CUpmk_cUsI5oxs0w?view_as=subscriber