ALFA ROMEO 1900- La renaissance du trèfle milanais.
Si les constructeurs allemands virent leurs capacités de production gravement atteintes et même, pour certains, presque entièrement détruites par les bombardements des forces Alliées durant la Seconde Guerre mondiale, les constructeurs italiens ne furent, eux non plus, pas épargnés. Parmi eux, celui qui eut le plus à souffrir du conflit fut certainement Alfa Romeo, qui vit ainsi son usine de Portello, près de Milan, presque entièrement détruite par plusieurs bombardements, en août et octobre 1944. Des destructions importantes qui ne l’empêcheront pourtant pas d’être rapidement remise sur pieds.
Si la production automobile peut ainsi reprendre dès le mois de juillet 1946, la nouvelle direction d’Alfa Romeo est toutefois bien consciente, dès le début, que, dans un pays qui, tout comme l’Allemagne, la France ou l’Angleterre (ainsi que tous les autres pays européens qui ont été directement touchés par la guerre, est en crise et en pleine reconstruction, l’élitiste 6 C 2500 ne peut séduire qu’une clientèle aussi fortunée que marginale et qu’elle ne peut prétendre, à elle seule, faire vivre l’entreprise. Aussi le bureau d’études de la marque se voit-il bientôt chargé de mettre en chantier l’étude d’un nouveau modèle d’un prix plus accessible. Il n’est alors pas du tout question de vouloir concurrencer Fiat sur le marché des voitures populaires, un tel projet ne figurant alors absolument pas dans les projets ni des dirigeants ni des stylistes ou des ingénieurs milanais. Mais bien, plutôt, de s’inscrire sur le marché des voitures de luxe de taille « intermédiaire », avec, bien entendu en ligne de mire, la marque Lancia.
Etant donné que, tout comme les constructeurs allemands, le constructeur a été obligé, avec la défaite de l’Italie et la chute du régime de Mussolini, d’abandonner toute production à caractère militaire (comme les engins blindés et les moteurs d’avions, qui ont abondamment équipés les forces armées italiennes durant le conflit) et, comme mentionné plus haut, la très luxueuse (et tout aussi chère 6 C 2500) ne peut suffire, à elle seule, à donner du travail aux ouvriers de l’usine milanaise, et attendant que l’étude de la nouvelle Alfa « intermédiaire » soit achevée et qu’elle soit prête à entrer en production, la firme doit aussi se diversifier, avec la fabrication d’appareils ménagers ou de camions. Le retour de la marque dans le monde de la compétition, avec les monoplaces Tipo 158 et 159 Alfetta, qui engrangeront les victoires sur les circuits en 1950 et 51, contribue, de son côté, à rétablir et à entretenir la renommée d’Alfa Romeo dans un domaine où elle s’était brillamment illustrée avant la guerre.
L’ingénieur Giuseppe Busso, qui vient de réintégrer le constructeur milanais après un court intermède passé chez Ferrari, est alors chargé, en février 1948, par la directeur des projets Orazio Satta Puliga, de se pencher sur l’étude de cette Alfa d’un nouveau genre. Le cahier des charges précisant que la voiture devra être équipée d’un moteur dont la cylindrée doit être inférieure à deux litres (pour des raisons fiscales, afin d ‘échapper à la surtaxation) avec une distribution à double arbre à cames en tête (une architecture que l’on retrouve sur tous les modèles de la marque depuis 1928), recevoir une caisse autoporteuse. En plus de la catégorie dans laquelle elle s’inscrit, cette nouvelle Alfa est aussi la première à être équipée du volant à gauche, un choix qui reflète bien l’ambition des dirigeants de la marque, non seulement, de viser un public plus large (le volant à droite étant alors réservé aux modèles de prestige), surtout sur les marchés d’exportation.
Comme on est en droit de l’attendre venant d’un constructeur comme Alfa Romeo, spécialisée depuis longtemps dans les voitures de sport et de prestige, en plus du moteur, la fabrication des différents organes mécanique (qu’il s’agisse de la transmission, du freinage et des trains roulants), a fait l’objet d’un soin attentif. Si la future berline Alfa a avant tout une vocation « familiale », elle doit aussi conservée, à côté de cela, une vocation de « grand tourisme ». Dans sa volonté d’ouvrir une nouvelle voie pour la marque et de s’inscrire dans le courant de la modernité, le bureau d’études avait même envisagé, au début, de l’équiper de la traction avant, une option qui sera toutefois rapidement abandonnée. Les lignes de cette première Alfa Romeo de classe moyenne, réalisées par le directeur du bureau de style, Ivo Colucci, si elles se veulent dans l’air du temps et suivent le nouveau courant esthétique alors à la mode, le style ponton intégral, venu des Etats-Unis, demeure néanmoins sages et équilibrées (afin de ne pas heurter la clientèle visée qui, en Italie comme ailleurs, demeure assez conservatrice), représentant la parfaite alliance entre classicisme et modernité.
Cette Alfa Romeo de nouvelle génération est dévoilée aux journalistes de la presse automobile dans l’un des plus grands hôtels de la ville de Milan le 2 octobre 1950, avant de faire sa première apparition public quelques jours plus tard, à l’occasion de l’ouverture du Salon automobile de Paris. Baptisée 1900, en référence à la cylindrée de son moteur, cette berline qui s’inscrit dans une catégorie que le constructeur milanais n’avait, jusque-là, jamais explorée, reçoit de nombreux commentaires flatteurs de la part de la presse. En plus d’une carrosserie aux lignes assez réussies, elle peut aussi se prévaloir de très bonnes performances pour une voiture de sa catégorie, avec un quatre cylindres développant 80 chevaux, qui lui permettent d’atteindre sans difficultés la barre des 150 km/h. Des chiffres qui, en ce début des années 50, sont même inédits et hors normes pour une voiture équipée d’un moteur de moins de deux litres. Ses concurrentes sur le marché italien, les Fiat 1900 et Lancia Aurelia B 21, ne développant, respectivement, que 60 et 70 chevaux. Peu de temps après son lancement, les acheteurs se verront même offrir la possibilité de remplacer le carburateur Solex 33 par un Weber 40, qui permettra d’augmenter la puissance de 5 ch. Sur ce plan, la 1900 n’en restera toutefois pas là et les évolutions suivantes gagneront rapidement en puissance.
La version Ti (pour Turismo Internazionale, deux initiales qui connaîtront, par la suite, une longue et fructueuse carrière sur les modèles de la marque), présentée en 1953, voyant sa puissance portée à 100 chevaux grâce à une alimentation assurée par deux carburateurs double corps. Du fait de ce surcroit de sa puissance, cette nouvelle version plus sportive se voit aussi équipée de freins à tambours ventilés de plus grande taille. Si la Super, commercialisée l’année suivante, conserve l’appellation 1900 et remplace alors la version 1900 « originelle », son moteur voit cependant sa cylindrée portée de 1 884 à 1 975 cc et sa puissance à 90 ch. La 1900 Super se voyant également déclinée en version Ti (qui prend donc la relève de la précédente), cette dernière atteignant les 115 chevaux. Quelques mois plus tard, c’est sur le plan esthétique que l’Alfa Romeo 1900 va connaître de nouveaux changements, avec de nouvelles moulures chromées ainsi que, dans l’habitacle, un nouveau tableau de bord avec de nouveaux compteurs à cadrans ronds qui remplacent l’unique cadrans en demi-cercle des premiers modèles.
Si l’usine milanaise n’a toujours produite que des berlines (ainsi que certaines versions spéciales, comme des berlines découvrables ou blindées réalisées pour le compte de la Police et de l’Armée italienne), les carrossiers italiens (alors nombreux et dont le savoir-faire, tant pour la réussite esthétique de leurs réalisations que pour la qualité de leurs méthodes de travail), vont rapidement s’intéresser à la nouvelle Alfa et en décliner des versions coupé ou cabriolet. Réalisés à l’unité ou en petite série, celles-ci seront soit vendues par les carrossiers eux-mêmes ou, quelques fois, diffusées par le réseau de la marque elle-même, notamment le cabriolet Victoria réalisée par les Stabilimenti Farina. Si ce dernier reprenait comme base le même châssis que la 1900 (avec un empattement identique, donc, à celui de la berline), le cabriolet Pininfarina et le coupé créé par Touring, baptisé 1900 C ou Sprint, qui bénéficiera lui aussi d’une alimentation par deux carburateurs, quant à eux, seront réalisé sur un châssis doté d’un empattement raccourci. Parmi les coupés réalisé sur l’Alfa Romeo 1900, si celui dû à Touring est le plus connu et la version la plus produite, d’autres carrossiers, connus ou moins connus, tels que Pininfarina, Vignale, Boano ou Ghia ont eux aussi livrés leur propre interprétation, parfois assez sages et classiques ou assez extravagantes. Zagato, de son côté, créera même une berlinette à al ligne encore plus radicale qui s’illustrera en compétition, pilotée par l’essayeur de l’usine, Consalvo Sanesi. La « palme » dans le domaine de l’extravagance revenant toutefois aux berlinettes BAT (surnommées « Batmobile ») réalisées par Bertone, dont les ailes arrière formaient deux plis de tôle en forme de triangle dont les pointes se rejoignaient au-dessus de la lunette arrière.
A l’autre extrémité de l’éventail en matière de style figure le coach sans montants, adoptant également une lunette arrière panoramique, une peinture bicolore (la teinte la plus foncée recouvrant la partie basse de al carrosserie et al plus claire le pavillon de toit), baptisé Primavera, réalisé, à la demande de l’usine, par Mario Boano. Construit sur le même châssis que la berline et produit à environ 280 exemplaires jusqu’à l’été 1957, il pouvait être équipé soit du moteur à simple carburateurs ou du moteur à deux carburateurs de la version Ti. Le coupé Touring, qui fera partie des versions « hors-série » diffusée par le réseau Alfa Romeo, verra, à l’été 1956, sa carrosserie recevoir un dessin entièrement revu, où transparait nettement l’influence du style du nouveau modèle d’entrée de gamme de la marque, la Giulietta. Cette nouvelle version se distingue de la précédente par l’absence de glace de custode et par un pavillon de toit redessiné, plus court et souligné par une moulure chromée qui lui donne l’apparence d’un hard-top. Le carrossier Touring étudiera bien le projet de décliner une version cabriolet basée sur le coupé, mais l’exemplaire présentée au Salon de Genève en mars 1957 restera (malheureusement) un exemplaire unique.
Les Alfa 1900 Super Sprint des dernières séries recevront plusieurs améliorations techniques, dont un carter d’huile en alliage léger, un corps de filtre à air en elektron, ainsi qu’un levier de vitesses au plancher monté en option. Les clients pouvant aussi, comme cela était d’usage avant-guerre sur les modèles de prestige) commander lui-même un châssis auprès du constructeur et le faire ensuite livrer au carrossier de son choix et le faire alors habiller d’une carrosserie entièrement réalisée selon ses instructions.
L’adaptation la plus étonnante et inattendue autour de la mécanique de l’Alfa 1900 sera toutefois la 1900 M, ou AR (puis 52), une camionnette à quatre roues motrices qui sera produite à 2 167 exemplaires, presque tous destinés à l’Armée italienne. Même si le moteur qui l’équipe est la version à double arbre à cames, celui-ci voit ici sa puissance limitée à 65 ch. Le montage de ce type de moteurs sur un utilitaire était, en tout cas, alors un cas unique et ne sera reprit sur d’autres véhicules de ce genre que dans les années 80.
Avec le passage du moteur à deux litres en 1954, les versions à châssis court sont alors rebaptisées Super Sprint et bénéficient, en même temps, d’une boîte à cinq vitesses qui permet de profiter au mieux des performances de la voiture.
A la fin des années cinquante, les lignes toutes en rondeurs de la 1900, avec sa ceinture de caisse assez haute, commence toutefois à être passée de mode. La relève arrivant au début de l’année 1959 sous la forme de la berline 2000, aux lignes plus tendues et à la ceinture de caisse plus basse qui, avec son pare-brise « panoramique » et ses ailerons arrière, ne cache guère que son style a trouvé son inspiration au sein des modèles de la production américaine. Les dernières berlines 1900, produites en 1958 et 59 seront aussi disponibles dans une peinture deux tons avec une découpe assez audacieuse. Une mode venue, là aussi, des Etats-Unis et qui, sur la 1900, tente (un peu maladroitement) de masquer les rides d’un modèle dont l’esthétique commence à dater.
Lorsque la dernière d’entre-elles, une berline 1900 Super, quitte l’usine de Portello, à la fin du mois de mai 1959, en comptant les dérivés 4×4, la première Alfa Romeo de catégorie moyenne aura été produite à un peu plus de 21 300 exemplaires. Un score encore jamais atteint jusque-là par un modèle du constructeur milanais. La marque au trèfle peut donc être reconnaissante à la 1900, qui lui a, non seulement permise de renaître de ses cendres après la guerre mais aussi de pérenniser son avenir au conquérant de nouvelles parts de marché ainsi qu’en attirant vers elle un nouveau genre de clientèle, qui, jusqu’à présent, n’avait jamais vraiment eu l’habitude de fréquenter le réseau Alfa Romeo ni vraiment eu les moyens de s’offrir l’un de ses modèles. Elle représente donc, aujourd’hui encore, un jalon important et même essentiel dans l’histoire de la marque au trèfle.
Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage
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