AWZ P70 ZWICKAU – En attendant la Trabant.
Après la défaite de l’Allemagne nazie et la partition du pays entre les différents vainqueurs (Américains, Britanniques et Français d’un côté, Russes de l’autre), les constructeurs automobiles tentent lentement de se relever de leurs ruines. A l’Est, au sein de la zone d’occupation attribuée aux Soviétiques, si un régime communiste n’a pas encore été officiellement mis en place (ce qui ne sera officiellement le cas que lors de la proclamation de la naissance de la RDA, la République Démocratique Allemande, en 1949), cela n’empêche toutefois pas les constructeurs automobiles, ainsi que le reste des grandes entreprises, d’être nationalisées à peine le défunt Reich allemand enterré.
Outre l’usine BMW d’Eisenach, en Thuringe, la principale usine de la future (ex-)Allemagne de l’Est est celle du groupe Auto-Union installée à Zwickau. Créé au début des années 1930, sur le modèle des groupes automobiles américains, afin de faire face à la crise économique qui sévit alors en Allemagne, celui-ci regroupe les constructeurs Audi, DKW, Horch et Wanderer. C’est de cette époque et de la réunion de ces quatre marques que date la création du célèbre symbole des quatre anneaux, que l’on retrouve, aujourd’hui encore, sur les modèles de la marque Audi.
Lorsque la production reprend, une fois le conflit terminé, seule la division la plus populaire (c’est-à-dire la plus importante en termes de chiffres de ventes), DKW, est conservée (même si le groupe produira également plusieurs modèles sous son nom, dont la 1000 SP, une sorte de version en réduction de la Ford Thunderbird, équipée, comme les autres modèles du groupe, d’un moteur trois cylindres à deux temps). A l’Est, la production des voitures de tourisme reprend simultanément, au même moment, en 1948. L’usine de Zwickau se trouve alors incorporée au sein du groupe industriel IFA, un vaste conglomérat qui regroupe pas moins d’une quarantaine d’entreprises, de différentes natures ou tailles mais toutes en rapport avec l’industrie du transport. C’est sous ce nom que seront commercialisés les premiers modèles d’après-guerre produits à Zwickau, les IFA F8 et F9.
Si la première n’est rien d’autre qu’une ancienne DKW d’avant-guerre (la Meisterklasse, présentée en 1939 et dont la carrière s’était arrêtée trois ans plus tard, en 1942, à cause, évidemment, de la guerre), la seconde, en revanche, se voit habillée d’une carrosserie au style bien plus moderne et motorisée par une mécanique équipée de trois cylindres (au lieu de deux seulement pour la F8) mais reprenant, elle aussi, le principe du cycle à deux temps. Si cette dernière ressemble beaucoup aux nouveaux modèles de la marque DKW produits en Allemagne de l’Ouest (la RFA, République Fédérale Allemande), la raison est que l’une comme l’autre s’inspirent directement d’un modèle conçu par DKW juste avant la guerre (mais qui n’avait toutefois pu être mis en production à cause du déclenchement de celle-ci).
Après l’arrêt de la production de la F8 à l’automne 1955 et celle de la F9 quelques mois plus tard, en janvier 1956, le nom d’IFA disparaît alors des voitures de tourisme qui seront produites par la suite à Zwickau, l’usine étant alors rebaptisée AWZ (pour Automobilwerk Zwickau), même si le sigle et le nom d’IFA continueront à figurer sur les documents émanant de l’usine quasiment jusqu’à la chute du Mur de Berlin, à la fin des années 1980. Si, au milieu des années 1950, cela fait dix ans que le second conflit mondial a pris fin, l’Europe (à l’est comme à l’ouest du Rideau de fer) n’a pas encore entièrement fini de panser ses plaies et la possession d’une voiture neuve, même de la catégorie la plus modeste, est encore une sorte de privilège qu’une partie de la population ne peut encore s’offrir. Si elle n’a jamais vraiment fait partie des premières priorités du nouveau pouvoir communiste, celui-ci prend néanmoins, assez rapidement conscience (ne serait-ce que pour une raison d’image face à l’Occident capitaliste) de la nécessité de pouvoir « motoriser les masses ».
En janvier 1954, le Conseil des ministres charge le bureau d’études de Zwikau de commencer l’étude d’une remplaçante de l’IFA F8, dont la silhouette, même au sein du paysage automobile des pays de l’Est, commençait à apparaître franchement désuète. Comme souvent (surtout durant les années 50, où la plupart des ponts étaient entièrement coupés entre l’Est et l’Ouest et où toute coopération, industrielle ou technique, était alors inenvisageable), au sein des régimes communistes), ce sont les responsables politiques concernés qui établissent les points essentiels du cahier des charges de ce que devra être la future « vraie » voiture populaire est-allemande. Celle-ci devra présenter un gabarit d’une taille sensiblement inférieure à celle de l’IFA F8 et pouvoir être affiché à un prix de vente plus compétitif, offrir quatre places à l’intérieur de l’habitacle (même si les deux places arrière sont avant tout destinées à des enfants), afficher un poids à vide ne dépassant pas les 600 kg et pouvoir atteindre une vitesse de 80 km/h en ne dépassant pas une consommation moyenne de 5,5 litres aux 100 km (ce qui était considéré à l’époque comme un niveau très raisonnable).
Dans un pays où un certain nombre de matières premières sont en pénurie chronique et sont, pour cette raison, contingentées par le pouvoir en place, au premier rang desquelles figurent, évidemment, l’acier, la direction d’AWZ comprend très vite que la solution, afin de pouvoir produire en grande série, la voiture populaire souhaitée par le régime en réussissant à passer outre cette pénurie d’acier passe par l’utilisation de matériaux synthétiques. S’il est vrai que, concernant les modèles de série, l’utilisation de ceux-ci est alors toute récente (aux Etats-Unis, le premier d’entre-eux, la Chevrolet Corvette, a été présenttéeil y a un an à peine et en Europe, les quelques constructeurs artisanaux qui commencent à s’intéresser à cette nouvelle technique en sont encore au stade des prototypes), l’intérêt d’un certain nombre de constructeurs pour celle-ci, lui, ne l’est pourtant pas tant que cela.
Au sein du groupe Auto-Union, les premières études en ce sens avaient ainsi déjà été entamées en 1935. Les premiers prototypes recevant une carrosserie entièrement réalisée en matériau composite effectuant leurs premiers tours de roue deux ans plus tard et effectuent alors des essais intensifs qui, malgré le déclenchement des hostilités, qui empêcheront la mise en production du modèle qui était censé recevoir cette carrosserie synthétique (la DKW F9, déjà évoquée précédemment) se poursuivront jusqu’en 1941. Outre le contexte de la Seconde Guerre mondiale, c’est toutefois aussi en raison d’un coût de fabrication jugé trop élevé à l’époque que cette technique alors inédite dans la production de carrosseries automobiles n’a pu être mise en application à l’époque. Avec un paysage industriel et une économie quasi entièrement en ruines où les gouvernements (dans les nouveaux pays socialistes comme au sein des nations capitalistes), les constructeurs et entreprises de toutes sortes ainsi que les particuliers souffrent de pénuries en tous genres, y compris pour les activités de la vie au quotidien, la recherche de solutions et de matériaux de substitution devient donc une véritable priorité.
Dans ce contexte, le Centre de recherches et développement d’Auto Union, rebaptisé Unité de Recherche et de développement, installé à Chemnitz, reprend ses travaux en ce sens. Si, dans un premier temps, les coûts de production demeurent un problème récurrent, les efforts déployés par les ingénieurs est-allemands dans la mise au point de procédés de fabrication plus rapides et économiques, permettant également d’obtenir des éléments de meilleure qualité finissent par porter leurs fruits. Après la réalisation d’un nouveau prototype à la fin du printemps 1951, les essais effectués sur celui-ci sont jugés suffisamment concluants pour mettre en place, en 1953, une production en grande série.
Ce nouveau matériau est baptisé Duroplast et est réalisé grâce à un mélange de résidus de coton et de résines phénoliques (le phénol étant produit à partir de la lignite, un combustible fossile présent en grande quantité dans le sous-sol de l’Allemagne de l’Est et sert aussi à la fabrication de la bakélite, souvent utilisée par l’industrie automobile à l’époque pour le revêtement des volants), le tout donnant toutefois un rendu et une texture assez différente du polyester alors utilisé généralement pour les carrosseries en matériau plastique. Par rapport aux carrosseries classiques réalisées en acier, il est vrai que le Duroplast présente des avantages non négligeables : pesant plus de 30 % de moins qu’une carrosserie métallique, insensible à la corrosion et beaucoup plus résistant aux chocs sans compter qu’il se révèle également un meilleur isolant pour la chaleur comme pour les bruits.
Les seuls véritables inconvénients ne résidant pas dans le matériau en lui-même mais plutôt dans les contraintes liées à la fabrication. Celle-ci, surtout pour obtenir des éléments de carrosserie présentant la qualité requise, nécessitant l’emploi de presses d’emboutissage, pouvant exercer une pression atteignant les 400 tonnes ainsi que de chauffer le Duroplast à une température de 240 degrés. En comptant le temps nécessaire pour former chacun des éléments composant la carrosserie ainsi que celui au refroidissement de chacun des éléments en question, il faut ainsi compter pas moins de dix minutes avant qu’ils puissent être assemblés sur la structure de la voiture et que la carrosserie puisse alors passer en peinture.
Si le projet étudié et approuvé par le Conseil des ministres, baptisé du nom de code P50, prévoyait la conception et la mise en production d’un modèle qui soit, sur bien des points, entièrement nouveaux, les cadres ainsi que le bureau d’études restent cependant convaincus qu’en dépit de sa conception déjà ancienne (remontant, il faut le rappeler, aux années 1930), l’IFA F8 pourrait néanmoins poursuivre sa carrière en étant simplement rhabillée d’une carrosserie aux lignes plus modernes, réalisée (justement) en Duroplast. Même si les autorités de tutelle privilégient (assez logiquement) le projet qu’elles ont elles-mêmes étudié, elles autorisent néanmoins l’usine ex-Auto Union (bien que de manière non officielle) à étudier leur propre projet.
Le personnel de leur projet ainsi que celui-ci emportera certainement l’approbation du gouvernement qu’étant donné que la P50 doit être conçue en partant, en grande partie, d’une feuille blanche, il ne pourra donc sans doute être mit en production avant plusieurs années. Le premier prototype de la P50 qui sera présenté aux représentants des autorités concernées à la fin de l’année 1954 présentant d’ailleurs, aux yeux de ses derniers, plusieurs inconvénients majeurs, notamment une habitabilité insuffisante par rapport à ce que prévoyait le cahier des charges du modèle. Alors que de son côté, le projet d’une version modernisée de la F8 (nom de code : F8K), utilisant une base technique déjà existante, pourrait déjà être assemblé en grande série à court ou moyen terme. Outre le fait que le directeur général d’IFA, Kurt Lang, (groupe dont dépend l’usine de Zwickau) est ouvertement en faveur de ce projet et y apporte donc son soutien devant les autorités de tutelle, c’est sans doute bien cet argument qui fera pencher la balance en faveur du projet F8K, rebaptisé désormais P70.
Le premier prototype de cette dernière est finalisé à la fin du mois d’août 1954 et est finalement validé par le gouvernement de Berlin-Est au début du mois d’octobre suivant. Celui-ci précise toutefois d’emblée aux responsables de l’usine AWZ que la P70 est destinée à n’être qu’un modèle de transition afin de pouvoir ainsi proposer une voiture au style plus moderne que la vieillissante F8, le temps que la conception de la P50 ait pu être menée à son terme. Toutefois, bien que se trouvant déjà à un stade plus abouti que celui de cette dernière, le prototype de la P70 demeure encore perfectible et donc doit recevoir un certain nombre de modifications et d’améliorations avant de pouvoir aboutir au modèle de série. Les hommes du bureau d’études doivent donc redoubler d’efforts et les essais sont menés tambour battant afin de pouvoir respecter les délais fixés par le gouvernement, selon lesquels la production doit débutée au mois d’août 1955. Les dix mois de délais restants seront donc fort chargés au sein de l’usine de Zwickau, d’autant plus que les difficultés auxquelles ils seront confrontés ne s’arrêtent pas aux problèmes d’ordre technique mais aussi au temps de livraison des accessoires devant équipés la voiture et dont la fabrication ne présente pas toujours le niveau de qualité requis.
La « nouvelle » P70 n’étant donc, sur le plan technique, qu’une IFA F 8 dotée d’une carrosserie modernisée, elle reprend donc (assez logiquement) l’architecture ainsi que la plupart des organes mécaniques de sa devancière, au premier rang desquels figure évidemment la motorisation. En l’occurrrnce, un bicylindre à deux temps de 690 cc, qui bénéficie toutefois d’une série d’améliorations afin d’en augmenter la puissance, avec le montage d’une nouvelle culasse ainsi que d’un taux de compression plus élevé. Même s’il est vrai que le gain de puissance obtenu est finalement assez faible : de 20 à…. 22 chevaux, en toute et pour tout. Des modifications qui nécessiteront d’en apporter également d’autres sur les organes périphériques : le montage d’une nouvelle batterie de 12 volts (contre 6 précédemment) d’un nouveau carburateur ainsi que d’un nouveau filtre à air et de modifier le dessin de l’échappement.
Si le châssis reste, lui aussi, fortement similaire à celui de l’ancienne F8, l’empattement a toutefois été ramené à 2,38 m (contre 2,60 mètres pour cette dernière). Bien que le montage en grande série d’une carrosserie en matière « plastique » constitue alors un progrès indéniable, ou, en tout cas, un certain avant-gardisme, celle-ci repose toutefois toujours une structure en bois (une autre caractéristique héritée de la F8 et qui, en Europe de l’Ouest, paraissait déjà absolument obsolète). Celle-ci étant sans doute la conséquence du manque de temps et/ou de moyens dont disposaient les ingénieurs d’AWZ pour étudier et, surtout, produire en série une structure entièrement métallique. La grande majorité des voitures produites au sein des pays du bloc de l’Est seront d’ailleurs souvent empreintes de ce mélange assez paradoxal (tout au moins aux yeux des automobilistes occidentaux) de ce mélange de modernité et d’anachronisme.
Concernant la mise en place de la production de la P70 sur les chaînes d’assemblage de l’usine de Zwickau, les cadres et ouvriers réussiront à tenir les délais fixés par les autorités, puisque les premiers exemplaires de présérie sortent d’usine d’avril 1955 et les premières voitures de série au mois de juillet suivant. Si, à cette date, la production de la P70 en grande série peut effectivement débuter, l’usine se trouve toutefois toujours confronté, au début de celle-ci, à des problèmes d’approvisionnement en matière de pièces détachées dont certains causeront quelques soucis (parfois assez cocasses) aux propriétaires des premières P70. Ainsi, celles-ci n’étaient équipées que de vitres latérales fixes, ce qui, dans la chaleur de l’été, ne manqua pas de transformer souvent l’habitacle en une véritable serre. A partir du mois d’août et la production des derniers exemplaires de l’IFA F8, la nouvelle p70 devient alors et durant trois ans, le seul modèle de voiture de tourisme produit au sein de l’ancienne usine Audi de Zwickau.
Le groupe Auto-Union possédait également, avant la guerre, une autre usine de production automobile à Zwickau, d’où sortaient alors les modèles de la division la plus prestigieuse du groupe Horch. Après le conflit, en dehors de l’éphémère P240 Sachsenring, produite à moins de 1 400 exemplaires entre 1956 et 1969, elle sera toutefois cantonnée à la production des poids lourds. Les deux sites de production seront finalement fusionnés, en novembre 1957, en une seule et nouvelle entité commune, baptisée VEB Sachsenring Automobilwerke Zwickau).
Le lancement officiel de l’AWZ P70 Zwickau intervenant à l’occasion de la Foire internationale de Liepzig, à l’automne 1955, le public occidental, pour sa part, la découvrant pour la première fois lors du Salon automobile de Bruxelles en janvier de l’année suivante. Si elle n’est d’abord vendue que sous la forme d’un coach quatre places, une version break baptisée Combi fait son apparition au catalogue dès le mois de mars 1956. Malgré un aspect pratique indéniable, avec un volume de charge utile qui n’était pas négligeable pour un véhicule de cette taille, cette dernière ne rencontrera toutefois qu’une diffusion assez limitée, puisqu’environ 4 000 exemplaires seulement en seront produits.
La version la plus rare de la P70 restant toutefois le coupé, dévoilé au printemps 1957, lequel se distingue du coach classique par son pavillon surbaissé ainsi que sa grille de calandre spécifique, même si, sur le plan technique, elle reste absolument identique aux deux autres versions, sa carrosserie n’est pas réalisée au sein de l’usine de Zwickau mais sur un autre site d’AWZ situé à Dresde. Si la production exacte de cette version (principalement destinée à l’exportation, comme souvent avec ce genre de carrosseries jugées « frivoles » par le pouvoir socialiste) n’est pas connue, on peut toutefois estimer qu’elle n’a sans doute pas dû excéder le millier d’exemplaires, tout au plus.
Son constructeur ayant annoncé clairement, dès sa présentation, que la P70 ne serait qu’un modèle de transition, dans l’attente de l’achèvement de la mise au point de la P50, il n’est donc guère étonnant de la voir quitter les chaînes de production de l’usine de Zwickau au bout de quatre ans à peine, en juin 1959. (A cette date, la production de sa remplaçante a déjà débuté depuis près d’un an, mais elle ne sort toutefois encore de l’usine qu’à une cadence assez réduite, la production n’atteignant son rythme de croisière qu’en janvier 1959). Au total, un peu plus de 36 700 exemplaires de l’AWZ P70 Zwickau (toutes versions confondues) auront été produits.
Celle qui lui succède sera le premier modèle à porter un nom qui deviendra l’un des plus célèbres (voire le plus célèbre de tous) dans l’histoire de la production automobile des pays de l’ancien bloc de l’Est : la Trabant. (Même si celle que tout le monde connaît et qui a rendu celle-ci est la troisième génération, la 601, qui connaîtra une carrière longue d’un quart de siècle, puisqu’elle sera produite de 1964 jusqu’en… 1991 !
Texte Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage
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