CITROËN VISA 1000 PISTES
Si, lorsque la Visa fut dévoilée au public, en 1978, certains s’étaient hasardés à prendre le risque d’affirmer (que ce soit en plaisantant ou, plus encore, en étant un tant soit peu sérieux) qu’elle pourrait avoir ses chances en compétition, il y a fort à parier que tout le monde (ou presque), non seulement au sein de la presse automobile que du public, ainsi même que de la plupart des cadres de Citroën, aurait éclater de rire à s’en décrocher la mâchoire. Ce qui est facile à comprendre lorsque l’on connaît la genèse du modèle ainsi que ses débuts de carrière.
Au moment de son entrée en scène, même si cela fait alors quatre ans déjà que la marque aux chevrons a été rachetée par Peugeot, nombreux sont ceux, parmi les plus fervents des Citroënistes qui ne sont pas encore parvenus à digérer ce rachat. Si le grand ménage auquel a alors procédé le lion de Sochaux (avec la revente de Maserati et l’abandon des projets avec le moteur rotatif Wankel, entre autres) permettra assez rapidement à Citroën de se remettre sur les rails, ce que craignent une grande partie des clients les plus fidèles de la marque est que les voitures de la marque perdent une partie de leur personnalité en étant contraints, pour des raisons évidentes de rationalisation des coûts, d’utiliser un grand nombre d’éléments empruntés aux modèles de la gamme Peugeot. Voire même, dans le cas de figure le plus défavorable, en n’étant plus, tout simplement, que des Peugeot rebadgés avec des chevrons sur la calandre.
Si, sur ce dernier point, la suite des événements montrera qu’ils auront parfois raison (comme avec les LN et LNA, fruit de l’assemblage de la carrosserie du coupé Peugeot 104 avec la mécanique de l’Ami 8), il convient néanmoins de reconnaître que, dans l’ensemble, le groupe PSA (fondé suite au rachat de Citroën, afin de séparer en deux entités distinctes les activités de celui-ci et celle de Peugeot) a souvent su respecter et pérenniser l’image d’avant-gardisme et de singularité, technique et esthétique, de la marque aux chevrons. Même s’il est vrai également que le pragmatique ainsi que l’orthodoxie budgétaire, qui sont alors (et depuis longtemps déjà) des piliers de la politique de la firme de Sochaux, auront des conséquences, aussi concrètes que rapides, sur le programme commercial de Citroën.
L’un des premiers projets alors à l’étude au sein du bureau d’études de la marque à en faire les frais est le Projet Y. Destiné à remplacer l’Ami 8, celui-ci était prévu pour recevoir, en entrée de gamme, le bicylindre refroidit par air de cette dernière et, dans ses versions supérieurs, le quatre cylindres à plat de la GS. Le rachat de Citroën renvoie toutefois celui-ci dans les tiroirs (d’où il sera sorti quelques années plus tard pour être revendu au régime du dictateur roumain Ceausescu, donnant alors naissance à l’Oltcit, vendue sur les marchés occidentaux sous le nom de Citroën Axel) au profit d’une nouvelle étude conçue conjointement (bien que sans doute sans grand enthousiasme, voire un peu contraints et forcés) par les hommes de Peugeot et Citroën : le Projet VD (pour…. Véhicule Diminué, rien que cette dénomination trahissait sans doute le peu d’enthousiasme des gens de Citroën pour ce qu’ils considéraient, à bien des égards, comme un modèle « bâtard »).
Si, esthétiquement, le modèle qui découlera de ce nouveau projet, la Visa sera très proche des dernières études du Projet Y, elle reprend toutefois la plateforme de la Peugeot 104 et si, dans ses versions de base, elle conserve bien, comme prévu initialement, la mécanique de l’Ami 8, elle se voit aussi greffée, dans ses versions de gamme supérieure, les moteurs de la 104. Avec pour conséquence qu’aux yeux de nombreux Citroënistes, ces dernières n’ont plus grand-chose d’une « vraie » Citroën, si ce n’est le nom. Bien que, sur le plan commercial, la Visa connaisse un niveau de ventes assez « honnête », celles-ci restent cependant en deçà de ce qu’avaient espéré les responsables de Citroën.
L’un des points qui sont le plus montrés du doigt, aussi bien par la presse automobile que par une grande partie de la clientèle concerne le dessin de la face avant, jugé franchement raté, avec le pare-chocs ainsi que la calandre protubérantes formant un seul et même base. La calandre de forme trapézoïdale n’étant n’étant pas sans évoquer fortement le groin d’un cochon et le pare-chocs des lèvres gonflées au botox, sans compter le dessin des phares qui achève de donner à la face avant de la Visa, un « regard de chien battu ». Même si dans sa catégorie (celle des citadines ou des sous-compactes), l’esthétique n’a jamais été un critère de choix prioritaire au moment de l’achat, la direction du constructeur comprend toutefois, assez rapidement, que cela constitue un handicap assez sérieux s’ils souhaitent que la Visa puisse être un véritable succès commercial.
En 1981, Citroën fait alors appel au carrossier Heuliez (qui assure déjà pour la marque aux chevrons la production des carrosseries des utilitaires, ainsi que des versions breaks de ses modèles de tourisme) en lui demandant de redessiner la proue de cette dernière. La tâche pour l’entreprise de Cerizay n’est toutefois pas aisée car celle-ci a reçu comme consigne impérative qu’aucun panneau de carrosserie ne soit modifié (le budget alloué pour réaliser ce lifting ayant, en effet, été réduit à la portion congrue). Le travail effectué par Heuliez aussi consensuel dans son résultat que limité dans son étendue, même s’il correspond, en tout état de cause, à ce qu’attendait Citroën et qu’il portera rapidement ses fruits puisque les ventes décolleront alors de façon très nette.
C’est aussi à cette époque que, pour mieux dynamiser celles-ci ainsi que l’image du modèle, la marque décide d’offrir à la Visa plusieurs déclinaisons sportives. Après les Visa Chrono et GTI, qui, si elles n’auront jamais l’aura que connaîtront leurs « cousines » (mais néanmoins rivales, les 205 GTI et Rallye), le constructeur nourri toutefois l’ambition de franchir un pas supplémentaire avec la Visa en réussissant à la faire homologuer dans celle qui est alors la plus emblématique et aussi la plus élitiste des catégories du monde des rallyes dans les années 80 : le Groupe B. Une ambition portée par Guy Verrier, lequel fut lui-même pilote de rallyes avant de devenir, après avoir raccroché le casque et les gants, directeur du Département Compétition de Citroën.
Après le Trophée Visa, lancé en mars 1981, qui remporte très vite un large succès, c’est ensuite à la course automobile à l’échelle internationale que ce dernier s’attaque avec le Trophée Visa International, mis en place dès l’année suivante, avec le soutien (pour l’organisation comme pour le sponsoring) de Michelin et Total. Guy Verrier n’a toutefois pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin et entend bien à ce que l’aboutissement de cet ambitieux programme qu’il a mis en place soit rien de moins que de s’attaquer au Championnat et du monde des Rallyes. Un sacré défi, d’autant plus difficile et risqué que la concurrence ne manque pas et que celle-ci dispose d’armes redoutablement efficaces. Bien conscient que, pour avoir une chance sérieuse de se hisser sur les podiums, il faudra à la marque aux chevrons sa propre arme créée sur mesure pour ce championnat. Ce qui signifie devoir, sur bien des points, repartir d’une feuille vierge, ainsi qu’explorer plusieurs voies possibles afin de trouver laquelle sera la plus efficace afin d’atteindre cet objectif.
Parmi les différents projets et prototypes qui seront étudiés et réalisés, si certains, comme une voiture équipée du moteur central et roues arrière motrices, seront développés par le seul bureau d’études de Citroën, d’autres, en revanche, le seront en partenariat avec d’autres constructeurs ou préparateurs. Des alliances nouées afin de pouvoir ainsi apporter à la marque aux chevrons l’expérience et le savoir-faire qui lui font, en grande partie, défaut dans ce domaine. Outre celui développé par Strakit, l’autre projet principal conçu en externe sera confié au constructeur britannique Lotus (celui-ci, outre ses propres voitures de sport ultra-légères, est également connu pour ses activités de préparateur, notamment sur la Ford Cortina, la Talbot Sunbeam ainsi que, plus tard, dans les années 90, sur l’Opel Omega), lequel, pour ce projet qui lui a été confié par Citroën, prendra rien moins, comme base de travail, que l’Esprit Turbo. On peut d’ailleurs sans doute regretter que ce prototype de « Citroën-Lotus » ait finalement été abandonné et soit donc resté sans suite, car, lorsque l’on voit le résultat du travail de l’artisan-constructeur britannique sur les autres modèles cités précédemment, il y a fort à parier que ce projet recelait sans doute un haut potentiel en compétition.
La direction de Citroën lui préférera toutefois une voiture dont la conception sera 100 % français, ce qui n’est guère étonnant et même assez logique, la compétition automobile (quelle que soit la catégorie disputée) étant un domaine où l’aspect « patriotique » est loin d’être négligeable et a souvent même une importance primordiale. Ayant rapidement compris l’étendue des bénéfices qu’ils pourraient en tirer, notamment, en termes d’image de marque, Guy Verrier et les dirigeants de Citroën, décident alors, non seulement, de s’investir dans la catégorie du Groupe B mais également d’y faire concourir, la petite Visa. Une décision dont l’idée revient sans doute, évidemment, à Verrier, lequel, en dépit, de son charisme et du grand pouvoir de conviction qu’il possédait n’en a sans doute pas moins dû déployer des trésors de persuasion pour parvenir à les convaincre que cette « Citro-Peugeot » ou « Peugeotroën » comme devaient la surnommer (au mieux avec une certaine ironie, au pire avec un dédain non dissimulé) les Citroënistes les plus radieux avait une véritable chance, même avec une transformation radicale de battre des concurrentes pourraient bien plus puissantes.
La Visa Trophée obtient son homologation en Groupe B dès le mois de décembre 1981 et dispute alors ses premières compétitions dès le début de l’année suivante. Si elle démontre, en effet, autant grâce aux talents des hommes de Guy Verrier qu’à celui des pilotes qui s’en verront confiés le volant qu’elle pouvait effectivement devenir une véritable « machine à gagner », les équipes du Département Compétition et son directeur prennent toutefois conscience, assez rapidement, qu’ils vont devoir la faire évoluer de manière assez profonde s’ils veulent pouvoir la maintenir au même niveau que celui de la concurrence. Car en l’espace d’un an ou deux à peine, celle-ci a beaucoup évolué, à cause de l’entrée en scène d’une nouvelle bête de course : l’Audi Quattro Sport, laquelle, entre autres, grâce à un empattement raccourci et des motorisations encore plus puissantes que sur la Quattro « normale » (à « empattement long » donc) menace clairement de rafler tous les trophées dans la catégorie. Sans compter que ces dernières avaient prouvé, dès les premières épreuves qu’elles avaient disputées, la supériorité de la transmission intégrale, permettant ainsi d’offrir aux coupés Quattro une tenue de route hors pair, quelles que soient les difficultés du terrain.
Pour Citroën, ainsi que de nombreux autres constructeurs courant alors en rallyes, le constat s’impose donc clairement : c’est là que se trouve la voie à suivre. Guy Verrier met alors en compétition trois préparateurs spécialisés dans la compétition : Michel Odinet, Denis Mathiot et Strakit en leur donnant pour mission de concevoir leur propre interprétation de ce que doit être la future Visa à quatre roues motrices du Groupe B. Si le premier des préparateurs cités reprend le projet de Visa à moteur arrière déjà étudié auparavant par Citroën, en collaboration avec le préparateur Danielson et Politecnic en 1981, motorisée ici par un quatre cylindres de 1 434 cc à compresseur développant 160 chevaux, au final, seul les deux derniers, ceux développés par Mathiot et Strakit seront retenus par le Service Compétition de Citroën pour courir sous les couleurs de la marque à l’occasion de la saison 1983.
S’ils ne figurent parmi les préparateurs sélectionnés par Guy Verrier pour la réalisation des Visa de compétition, cela n’empêche toutefois pas Laurent Brozzi d’en concevoir sa propre interprétation, encore plus radicale, sur certains points que celles de Mathiot et Strakit, puisque celle-ci reçoit rien moins que deux moteurs, un sur chaque essieu (il ne serait pas étonnant d’apprendre qu’il en ait eu trouvé l’inspiration dans un autre modèle du même genre réalisé par Citroën à la fin des années 50, même si celui-ci n’était absolument pas destiné à la compétition : la 2 CV Sahara). Les deux moteurs réunis totalisant une cylindrée de 2 868 cc et une puissance de 180 chevaux. Autres préparateurs non sélectionnés par le constructeur mais qui s’intéresseront néanmoins eux aussi à la Visa pour en faire une reine des rallyes, Henry Dangel (pourtant plus spécialisé dans la transformation d’utilitaires Peugeot et Citroën en tout-terrains pour la gendarmerie, les pompiers et les garde-forestiers) réalisera un prototype motorisé par le V6 PRV de 2 849 cc et 175 ch ainsi que celui dû à Michel Mokrycki, équipé du quatre cylindres Chrysler de 2 155 cc que l’on retrouve sur la Talbot Tagora et porté ici à 210 chevaux.
Tout ceci ne concernant d’ailleurs que les projets étudiés à l’époque par Citroën ainsi que les préparateurs indépendants (travaillant ou non en partenariat avec ce dernier) sur la Visa, car Guy Verrier et son équipe portent aussi leur attention, au sein du programme compétition mis en place pour la marque aux chevrons, sur un autre modèle du constructeur : la BX. Même si cette dernière (comme le savent ceux qui connaissent l’histoire de la BX 4 TV) ne répondra pas vraiment (pour employer un euphémisme) aux espérances qui avaient été mises en elle.
La réglementation du Groupe B stipulant que les modèles courant dans cette catégorie doivent être produits à un minimum de 200 exemplaires dans leur version de route pour recevoir leur homologation dans cette catégorie, se seront donc bien deux cents unités de la Visa à quatre roues motrices qui sortiront des ateliers d’Heuliez (qui en réalisera tous les éléments de carrosseries spécifiques). Celle-ci, présentée en novembre 1983, reçoit l’appellation « 1 000 Pistes », en référence au rallye du même nom qui s’est couru sur le plan de Conjuers, dans le Var, au mois de juillet de la même année et o furent engagés les différents prototypes de la nouvelle Visa de compétition mentionnés précédemment. Au total, quatre Visa disputeront l’épreuve, aux mains des pilotes, Marc Lacaze, Christian Rio, Philippe Wambergue et Pierre Pagani. Celle conçue par Mathiot et pilotée par Wambergue, bien qu’étant la moins puissante et la moins évoluée des quatre sera pourtant la seule à terminer l’épreuve en remportant celle-ci dans la catégorie « expérimentale ».
Comme Guy Verrier l’expliquera avant le début de la course, à un journaliste de l’émission Auto Moto, celle-ci serait décisive pour décider clairement quelle voie devrait être choisie, non seulement, pour le futur de la Visa en compétition, mais aussi pour des autres modèles de la marque qui y seraient engagés par la suite. Le directeur du Département Compétition de Citroën expliquant qu’en définitive, il faudra choisir entre la course à la puissance (avec pour risque ou conséquence qu’à terme, les voitures courant dans les rallyes ou dans d’autres types d’épreuves, n’auront alors plus grand-chose à voir avec les modèles de série) ou la chasse aux kilos superflus (en créant ainsi des voitures qui soient les plus légères et agiles possibles pour que celles-ci, allié au talent des pilotes qui en prendront le volant, puissent ainsi avoir une véritable chance de battre des voitures concurrentes bien supérieures en taille et en cylindrée. La victoire de la Visa développée par Denis Mathiot démontrant bien, aux yeux de Verrier comme des dirigeants de Citroën que, pour la marque, la seconde option, est sans doute la meilleure.
Certaines versions de route des modèles s’illustrant en Groupe B, qui, par la volonté de leurs constructeurs ou parce qu’elles rencontrèrent un succès (un peu) plus grand qu’espéré auprès des amateurs de sportives exclusives, seront produites à un peu plus que les deux cents exemplaires, réglementaires pour leur homologation. Certains autres (en particulier les constructeurs généralistes qui ne sont guère spécialisés dans les voitures de grosses cylindrées, aussi bien s’agissant des exemplaires engagées en compétition que des modèles de série), sans doute bien conscients, dès le départ, de la difficulté à vendre, surtout dans un délai assez court ou « raisonnable » des « maxi-bombes » au caractère aussi radical, faute d’une image sportive ou prestigieuse aussi grande que celles de leurs concurrentes, pour toutes ses raisons, se contenteront de construire les 200 exemplaires requis et pas un de plus. Ce qui sera le cas, entre autres, de Citroën pour la Visa 1000 Pistes, laquelle obtiendra l’autorisation officielle de courir en Groupe B en avril 1984. La version compétition, baptisée Evolution, n’étant, de son côté, produite qu’à 20 exemplaires (très exactement), un nombre jugé largement suffisant par le constructeur pour lui permettre de disputer les principales épreuves du Championnat ouvertes aux voitures du Groupe B.
Même si les deux cent Visa 1000 Pistes sont, officiellement, homologuées pour la route, elles sont toutefois, elles aussi, destinées, en partie, à la course puisque la grande majorité de ceux qui s’en porteront acquéreurs sont eux-mêmes des rallymen amateurs souhaitent courrir à son volant (même s’ils le feront, évidemment, dans des épreuves réservées aux pilotes non professionnels et donc d’un niveau nettement moins élevé que celui du Groupe B). A ceux qui en douteraient ou qui l’auraient oublié, la vocation première (voire même unique) de la Visa 1000 Pistes était bien rappelée et expliquée en détail dans une lettre écrite par Guy Verrier lui-même et dont un exemplaire était remis à chacun des acheteurs : « Vous venez de prendre possession de votre Visa 1000 Pistes. Vous aurez la satisfaction de conduire la première voiture française quatre roues motrices destinées à la compétition (…). Cher client sportif (…), cette Visa étant destinée à la compétition, ne soyez pas surpris par les bruits importants provenant aussi bien du moteur que du pont arrière. Nous faisons cette réserve pour vous avertir que, dans le cas où vous auriez acheté cette voiture « pour vous promener », ce qui n’est pas son but, il ne faudra pas nous en tenir rigueur (…). Avec la vôtre, il suffit d’y ajouter les accessoires de sécurité conformes à la réglementation sportive, pour que vous puissiez participer à des rallyes de moyenne importance… ».
Ce que la plupart des acheteurs se voyant ainsi rappeler clairement ce à quoi était destiné cette « Visa en survêt » ne se sont sans doute pas priver de faire (même si tous n’avaient sans doute pas le même coup de volant que Philippe Wambergue ou les autres pilotes qui se sont illustrés en course à son volant, avec, sans doute, à la clé, de nombreuses sorties de route ou de piste dont certaines ne sont pas sorties indemnes) avec pour conséquence que, sur les 200 exemplaires produits, peu d’entre-elles sont sans doute restés en état d’origine.
Basée sur la Visa GT Tonic, la 1000 Pistes par le « survêtement blanc » mentionné plus haut, constitué d’un ensemble d’éléments d’accastillage comprenant des hantes Amil, chaussées des célèbres (mais coûteux) Michelin TRX en forme d’étoiles à cinq branches (avec le logo Citroën sur fond rouge) d’une calandre avec un curieux logo formé d’un « X » encadrée par deux doubles chevrons peints en rouge, quatre phares ronds similaires à ceux que l’on retrouve sur la Visa GTI (réalisés par l’équipementier Morette), les élargisseurs d’ailes rivetés sur la carrosserie (à l’avant et à l’arrière), le spoiler avant incorporant les antibrouillards, les longs stickers bleu et rouge avec l’inscription « 4 roues motrices » dessus (ces deux couleurs combinées avec le traitement intégral de la carrosserie, la seule proposée sur la 1000 Pistes, celles du drapeau français, comme pour mieux souligner les origines de la voiture et exciter ainsi la fibre cocardière des acheteurs potentiels), le béquet sur le hayon au bas de la lunette arrière, ainsi que la sortie d’échappement spécifique placée sur la droite. Tout ceci pour l’habillage extérieur.
A l’intérieur de l’habitacle, l’habillage est, certes, plus limité et la vue sur les places arrière est identique à celle d’une « vulgaire » GT Tonic, la grande majorité des modifications propres à la 1000 Pistes concernant avant tout le tableau de bord. L’instrumentation à l’ordonnancement et au graphisme typiquement Citroën propre aux Visa de cette époque ainsi que les mannettes de commande regroupées sur le « satellite placé à la gauche du conducteur (qu’apprécient tant les Citroënistes mais qui ont souvent de quoi dérouter le néophyte) se trouvant ici remplacées par un ensemble de cadrans signés Jaeger, similaires à ceux montés sur la Visa Chrono qui, comme sur cette dernière, évoque immanquablement l’univers de la course (même si l’on peut s’étonner de l’absence d’un thermomètre d’eau, pourtant assez utile pour surveiller la température de celle-ci lors d’un usage intensif dans les épreuves sportives).
Si la plupart des cadrans informant sur l’état de santé de la mécanique tombent idéalement sous les yeux du conducteur (ou plutôt s’agissant de la vocation de la voiture, du « pilote »), le voltmètre et la jauge à essence se retrouvent toutefois placés, assez curieusement (bien que sans doute faute de place derrière le volant) placés sur la console centrale, à droite des aérateurs. Ce qui rend d’autant plus utile ou nécessaire la présence à bord d’un copilote afin (outre, évidemment, la lecture du carnet de bord), d’en assurer la surveillance (surtout celui du réservoir, le carburant étant vite englouti lors des spéciales de rallyes).
Comme pour la banquette arrière, les sièges avant noirs à bordure rouge, comme cette dernière, proviennent aussi de la Visa GT Tonic et s’ils n’offrent quasiment aucun maintien (en dépit d’un confort honnête), ils n’ont, de toute façon, été installés sur la 1000 Pistes parce que (voiture de course homologuée pour la route ou pas), il était difficile (voire interdit) de vendre une voiture sans aucun siège, même (ou surtout) à la place du conducteur. La banquette étant destinée à être déposée et remisée au garage et les sièges de leur côté, remplacés par des baquets lors d’un usage en compétition, ce qui explique le caractère fort austère de l’habitacle, où les équipements de confort sont absents où se trouvent réduits au minimum.
Si le hayon est toujours fonctionnel et donne donc toujours accès au compartiment à bagages, celui-ci se trouve toutefois sérieusement réduit, à la fois par le réservoir d’essence de 55 litres (nettement plus que sur une Visa « standard ») ainsi que par la roue de secours surtout, venant ainsi rappeler à ceux de ses propriétaires qui l’auraient, par moments, oublié que la 1000 Pistes n’a pas (du tout) été conçue pour faire les courses mais bien, avant tout et surtout, pour faire la course.
Sous le capot, on retrouve une mécanique bien connue des propriétaires de Citroën de l’époque, puisqu’il s’agit du quatre cylindres XYR de 1 360 cc, dont l’alimentation se trouve toutefois confiée ici à deux carburateurs Weber 40 DCOE lui permettant d’atteindre une puissance de 112 chevaux à 6 800 tr/mn. Ce qui peut, certes, paraître bien peu pour la version de route d’une voiture de Groupe B surtout (quand on sait que certains modèles de la même catégorie, comme l’Audi Quattro Sport, atteignent ou dépassent la barre des 300 chevaux), mais qui, avec un poids plume de seulement 878 kg à vide, lui permet d’offrir des performances qui, sans être pour autant, extraordinaires, se révèlent fort honorables et même non négligeables pour une voiture de cette catégorie.
En rallye (dans le Groupe B comme dans les autres catégories), ce n’est toutefois pas la puissance et la vitesse qui font tout, en particulier sur les terrains les plus difficiles. A défaut de pouvoir faire, sur ce plan, jeu égal avec les plus emblématiques de ses rivales, la Visa 1000 Pistes pourra néanmoins compter sur sa légèreté et son agilité ainsi que la motricité phénoménale que lui confère sa transmission intégrale pour parvenir souvent à bout de tous les obstacles. (Concernant, celle-ci, il faut toutefois mentionner qu’elle n’est pas permanente un système de désaccouplement avant/arrière offrant aussi la possibilité au conducteur/pilote de ne rouler qu’en traction).
Afin d’offrir un freinage optimal (ce qui, là aussi, s’avère indispensable lors d’une utilisation en compétition), un système à disques est monté sur les quatre roues (les versions de série se contentant de freins à tambours sur les roues arrière). De même, pour parfaire la tenue de route, une barre antidévers est montée sur le train avant, le train arrière à bras tirés ayant, quant à lui, été conçu spécifiquement pour la 1000 Pistes, afin de pouvoir accueillir le pont arrière de l’arbre de transmission. Aux personnes qui en auraient fait l’acquisition en étant convaincues qu’il s’agissait d’une simple version un peu plus affutée de la GTI ou de la Chrono, en imaginant également que la transmission intégrale était simplement là pour éviter au conducteur les risques d’aquaplanage par temps de pluie ou de dérapage sur la neige et le verglas durant l’hiver, la désillusion n’en sera que plus forte et rude.
Autant les deux dernières citées conservent un caractère civilisé et même assez discret (tout au moins tant que l’on n’a pas le pied droit un peu trop lourd sur l’accélérateur) et peuvent donc parfaitement servir à aller déposer et rechercher les enfants à l’école ainsi qu’à aller faire ses courses au Carrefour, autant la 1000 Pistes se révèle caractérielle et même franchement invivable sur route ouverte, le moteur pétaradant et donnant, presque ou permanence, l’impression de s’engorger et d’étouffer tant que l’on ne dépasse pas la barre des 4 000 tr/mn. Si une fois franchi ce seuil, cette Visa « tout-terrain » s’en donne véritablement à coeur joie, le montage direct de la mécanique sur la coque retransmettant ainsi la moindre vibration de celle-ci au reste de la voiture et en particulier de l’habitacle. Ajoutez à cela que l’insonorisation de l’habitacle est ici quasiment absente ou réduite à sa plus simple expression et il est facile de comprendre pourquoi le vacarme engendré par le moteur est à ce point envahissant qu’à moins de crier ou d’utiliser un mégaphone, toute conversation devient impossible dès que l’on dépasse les 30 ou 50 km/h.
Dès lors, il va sans dire qu’un parcours sur autoroute au volant d’une 1000 Pistes relève, au choix, soit de l’inconscience ou du vice. La plupart de ceux qui s’y sont essayés étant arrivés à destination, non seulement, épuisés mais également sourds. La conduite sur n’importe quelle route asphaltée, même sur court trajet apportant bien la preuve la plus éclatante qu’elle est bien plus qu’une simple Visa coursifiée et/ou tout-terrain mais, sur bien des points, un modèle à part entière, ainsi que le fait qu’elle n’a été conçue que pour rouler (ou, plutôt, pour employer un terme plus juste) courir hors des sentiers battus. La lettre rédigée par Guy Verrier et remise à chacun des acheteurs de la Visa 1000 Pistes, en forme de rappel ou de mise en garde à ces derniers, n’étant donc pas vraiment superflue et parfois même indispensable pour que ces « pilotes en herbe » veillent toujours à s’en servir à bon escient.
Concernant les « vrais » pilotes qui prendront le volant des 20 exemplaires de la série Evolution, conçue uniquement pour la compétition (même si l’on pourra rétorquer que c’était aussi, d’une certaine façon, le cas de la version de route), la Visa 1000 Pistes ne connaîtra toutefois qu’une carrière assez courte en compétition. Si elle disputera plusieurs des épreuves les plus emblématiques des rallyes comme au Kenya, en Finlande et en Provence en 1984, ou encore au Rallye sur glace de Chamonix en 1985, elle n’obtiendra toutefois jamais mieux qu’une 2ème place en catégorie Groupe B et 8ème au classement général au Rallye de Monte Carlo en 1985.
Indépendamment du fait que Citroën avait prévu, dès le départ, de n’en construire que le nombre de voitures nécessaires pour son homologation (200 exemplaires donc et pas un de plus) et que les propriétaires qui, en font l’acquisition n’ont sans doute pas manqués, pour la plupart d’entre-eux, de faire la « publicité » de son «mauvais caractère » (pour ne pas dire de son caractère proprement inconduisible) sur routes, elle sera également et assez rapidement mise, en quelque sorte, de côté par la direction du Groupe PSA, au profit de la Peugeot 205 Turbo 16, encore plus radicale et, surtout, bien plus performante et dont le palmarès en compétition sera bien plus probant.
Outre, également, qu’elle n’était destinée et en pouvait donc séduire que les pilotes amateurs, un grand nombre de conducteurs sportifs, faute d’avoir les moyens de s’offrir une telle bête de course (vendue la bagatelle de 120 000 francs en 1983, la Visa 1000 Pistes valait ainsi plus cher encore que la Renault 5 Turbo 2), se rabattront sur la GTI, moins spectaculaire d’aspect comme sur le plan des performances mais toutefois beaucoup plus facile à vivre. Si elle reste, aujourd’hui encore, nettement moins cotée que sa « cousine » du lion sur le marché de la collection, elle n’en reste pas moins, en dépit de la faiblesse de son palmarès, par sa rareté comme la particularité technique de ses quatre roues motrices, la plus cotée de toutes les versions de la Visa.
Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage
D’autres articles sur la VISA 1000 PISTES https://www.retropassionautomobiles.fr/2020/09/visa-1000-pistes/
En vidéo https://youtu.be/JKMSN90pioQ