AUSTIN, WOLSELEY et PRINCESS – Le luxe populaire à l’anglaise.
Pour la British Motors Corporation, le premier constructeur automobile britannique, l’année 1959 représente une date clé, une étape cruciale dans son histoire. Non seulement avec la présentation de la révolutionnaire Mini, créée par le talentueux ingénieur Alec Issigonis, mais aussi avec le renouvellement d’une grande partie de la gamme des modèles « intermédiaires » par le carrossier italien Pininfarina. C’est en effet à l’entreprise turinoise (qui, à cette époque déjà, est passée du statut d’officine artisanale à celle de carrossier industriel) que le groupe BMC a fait appel pour concevoir le style des modèles du projet référencé sous les noms de code ADO 9 et ADO 10. (Bien que son talent n’était alors déjà plus à prouver, le carrossier italien avait aussi, déjà à cette époque, la fâcheuse manie de « se copier lui-même » et de remettre à certains constructeurs des projets souvent fortement inspirés de certaines de ses réalisations précédentes. Ce qui explique pourquoi, à leur lancement, beaucoup d’automobilistes, surtout en France, trouveront que les modèles du projet BMC ADO 9 et 10 auront un fort air de ressemblance avec la Peugeot 404!).
Ces deux références regroupant, pour la première, les modèles populaires à quatre cylindres et, pour la seconde, les modèles de classe « supérieure » à six cylindres. Le rôle de modèle d’entrée de gamme de cette nouvelle (et double) génération de modèles étant confié à l’Austin A55 Cambridge. Juste au-dessus d’elle, sein de la gamme Austin, se trouve l’A99 Westminster, présentée au Salon londonien d’octobre 1959, qui succède à la fois les Austin A 95 et A 105, dont les lignes assez « rondouillardes » sont maintenant passées de mode. Si cette dernière présente des lignes modernes tout à fait dans le style de l’époque, sa fiche technique, demeure, elle, en revanche, tout ce qu’il y a de plus classique, qui ne diffère en rien, ou presque, de sa devancière. Le changement le plus notable étant la cylindrée du moteur six cylindres, qui est portée de 2,6 l à 2,9 litres, tout comme sur les roadsters Austin-Healey (puisque ces derniers sont équipés de la même mécanique). Tout comme ces derniers, l’Austin A99 bénéficie également d’une alimentation par deux carburateurs SU. Une double alimentation qui n’est pas inutile pour permettre à cette lourde berline (près de 1 500 kg à vide) d’atteindre sans trop de difficultés la barre des 160 km/h. Autre différence et autre perfectionnement technique, le système de freinage bénéficie désormais de disques à l’avant et est équipé d’une assistance et d’un limiteur de pression. L’Austin reçoit également une nouvelle transmission inédite, avec une boîte à trois vitesses complétée par un surmultiplicateur Borg-Warner (qui, s’il n’agit toutefois que sur les deux derniers rapports, est actionné automatiquement dès que la voiture dépasse les 45 km/h si l’accélérateur est relâché), le tout commandé par un sélecteur placé près du volant. Pour déconnecter ce système de surmultiplication des vitesses, le conducteur peut soit réduire sa vitesse, donner une forte accélération ou alors actionner une manette spécialement prévue à cet effet, placée sous la planche de bord. Le client pouvant aussi opter pour une transmission entièrement automatique (elle aussi fournie par Borg-Warner), un système qui, déjà à cette époque au Royaume-Uni, commence à séduire une grande part de la clientèle des voitures de « prestige ». Au catalogue des options figurent également une radio (un équipement qui, en ce temps-là, n’était pas encore systématiquement monté de série, même sur les modèles les plus luxueux) et une carrosserie peinte en deux tons (le dessus des ailes et des portières, le capot, la malle de coffre et le toit recevant alors la couleur la plus sombre, celle plus claire étant appliquée sur le bas de la carrosserie). Si la sellerie en cuir figure parmi les équipements de série, celle-ci ne recouvre toutefois que les surfaces d’appui, le dos des sièges et les contre-portes se contentant, eux, de simili).
Au sein de la gamme du groupe BMC, dans la catégorie des voitures de luxe de taille intermédiaire, on retrouve également la Wolseley 6/99. Si elle officie sur le même marché que l’Austin A 99, la Wolseley s’adresse toutefois à une clientèle plus conservatrice. Si, sur le plan technique, elle demeure quasiment identique à sa « cousine », elle s’en différencie, extérieurement, par sa calandre verticale, dans le style traditionnel des modèles de la marque, qui reçoit même un écusson lumineux, son pare-chocs échancré à l’avant, ses phares additionnels et, intérieurement, par sa planche de bord au dessin spécifique, recouverte d’un placage en ronce de noyer, de contre-portes décorées de boiseries ainsi que d’une moquette plus épaisse et de meilleure qualité. Bien que les deux modèles dérivent étroitement l’un de l’autre et sont construits sur une même base, ils sont pourtant produits dans deux usines différentes : à Longbridge pour l’Austin et à Cowley pour la Wolseley.
Au Salon d’Earls Court de 1959 est également présentée le troisième modèle du programme ADO 10, la Princess 3 litre. Réalisée par les ateliers londoniens du carrossier Vanden Plas (devenu une filiale d’Austin en 1946), elle se caractérise par son habitacle doté d’une finition encore plus soignée et d’un équipement encore enrichi par rapport à la Wolseley : sièges, banquettes et contre-portes entièrement recouverts de cuir et décorés de boiseries, moquette en laine épaisse et tablettes en bois verni au dos des sièges avant. Le client pouvant même, en option, faire équiper sa voiture d’une séparation intérieure entre les places avant et arrière. La Princess se reconnaissant, extérieurement, par sa calandre dont le style s’inspire de celui des Bentley. Si elle est vendue sur les marchés étrangers sous le nom d’Austin, au Royaume-Uni, elle ne portera le nom de Princess que durant quelques mois seulement, avant d’être rebaptisée Vanden Plas 3 Litre en avril 1960, le carrossier devenant alors une marque à part entière.
Deux ans plus tard, en octobre 1961, les Austin, Wolseley et Vanden Plas reçoivent tous trois une série de modifications et d’améliorations techniques, avec le montage d’un essieu rigide légèrement reculé et équipé de nouveaux supports (qui entraîne un allongement sensible de l’empattement des voitures, d’un nouveau moteur équipé d’un nouvel arbre à cames et à la puissance légèrement augmentée (à l’origine, sa cylindrée était de 2 912 cc, mais sur le marché français, celle-ci fut réduite à 2 852 cc, par réduction de l’alésage, afin de leur permettre de rester dans la catégorie fiscale des 16 CV), d’un sélecteur au plancher pour les voitures équipées de la boîte mécanique (laquelle est toujours montée avec un overdrive en série). Si la Wolseley (désormais désignée 6/110) et la Princess (baptisée désormais Mark II), conservent un aspect quasiment identique, l’Austin, quant à elle, (qui conserve toujours l’appellation Westminster, mais avec, à présent, le nom de code A 110) bénéficie, en revanche, d’un léger lifting de sa face avant qui lui permet de mieux se différencier de ses « cousines », avec une nouvelle calandre à barres horizontales, des clignotants rectangulaires (et non plus ronds comme sur la version originelle) ainsi qu’un tableau de bord d’aspect plus cossu grâce à un placage en bois (qui remplace la planche de bord en tôle peinte de la première version). La fiche technique des trois modèles évolue à nouveau en mai 1964, où le client dispose à présent d’un choix entre plusieurs transmissions : si la boîte mécanique à quatre vitesses (dont la première reste toutefois non synchronisée) demeure la transmission standard, laquelle peut bénéficier d’un montage d’un overdrive (fonctionnant seulement sur la quatrième vitesse) ou la boîte automatique Borg-Warner. Les roues voient, elles, leur taille sensiblement diminuée, passant de 14 à 13 pouces. La suspension étant, elle aussi, modifiée par le remplacement des amortisseurs Armstrong à levier, devenus archaïques, sont remplacés, à l’arrière, par des amortisseurs télescopiques plus modernes.
Si la Wolseley 6/110 Mark II garde un aspect extérieur inchangé, l’Austin A 110, de son côté, est maintenant disponible en deux versions : De Luxe et Super De Luxe. Cette dernière se distinguant de la première par sa calandre chromée équipée de barres horizontales et d’un entourage plus épais, sa sellerie entièrement confectionnée en cuir, et ses moulures chromées sur les flancs (qui équipait déjà sa devancière) ainsi que (ce qui est une nouveauté sur ce modèle) des boiseries plus grandes et plus nombreuses, des tablettes au dos des sièges (comme sur la Vanden Plas) ainsi qu’un tableau de bord maintenant équipé d’un tachymètre horizontal (sans doute jugé plus moderne que les traditionnels compteurs circulaires). La version « de base » De Luxe, quant à elle, est surtout destinée aux administrations, et se contente, extérieurement, d’une simple grille de calandre aux barres et à l’entourage très fins, d’une mince applique de bois sous les cadrans (qui conservent leur forme traditionnelle) et, à l’intérieur, d’une sellerie en simili-cuir.
A peine quelques semaines après ce remaniement, British Motors annonce le lancement d’une nouvelle génération de la Princess, recevant une carrosserie redessinée, baptisée 4 Litre, en référence à son un moteur dont la cylindrée passe à quatre litres (3 909 cc exactement, pour une puissance de 175 chevaux). Si le « R » qui termine son appellation fait référence à celle qui est sans doute la plus prestigieuse marque automobile britannique, à savoir Rolls-Royce, et si cette référence confère à la nouvelle Princess un supplément de prestige qui ne peut que lui être bénéfique, il convient toutefois de mentionner que l’intervention de la firme de Crewe pour la réalisation de ce modèle fut, somme toute, assez limitée. Celle-ci se limitant à la fourniture du moteur. Recevant la désignation FB 60 se caractérise par sa construction entièrement en alliage léger et par sa distribution dite « semi-culbutée », avec des soupapes d’admission en tête et celles se chargeant de l’échappement placées, elles, en position latérale). Ce nouveau moteur présentant l’avantage d’être à la fois plus léger et plus puissant que l’ancienne mécanique BMC (dont le bloc-moteur était réalisé en fonte, occasionnant un poids certain sur le train avant) et offre à la Princess 4 Litre des performances nettement améliorées et est accouplé uniquement à la transmission automatique. La finition intérieure étant encore revue à la hausse, avec une insonorisation encore plus soignée. La carrosserie recevant, elle, plusieurs améliorations pratiques et de modifications esthétiques, avec un pavillon de toit redessiné pour améliorer l’habitabilité à l’arrière (au niveau de la hauteur) et une partie arrière redessinée, avec des ailes aux formes « adoucies », débarrassées de leurs ailerons (désormais passés de mode) et des feux qui sont à présent de forme rectangulaire. Si le moteur Rolls-Royce, la finition encore améliorée et l’équipement lui aussi revu à la hausse peuvent justifier une certaine augmentation du prix de vente, l’écart par rapport à celui de sa devancière est toutefois assez conséquent : 38 500 F pour la nouvelle Princess 4 Litre (soit plus chère encore qu’une Jaguar Mark II 3,8 litres, qui elle, ne coûte « que » 31 000 F), contre 25 450 F seulement pour la précédente Vanden Plas 3 Litre. En comparaison, une Citroën DS 19 Pallas apparaît presque comme un modèle populaire, puisqu’elle se laisse emporter contre à peine 15 750 F. Il n’est donc guère étonnant que les ventes à l’exportation soient souvent restées assez confidentielles. Même sur le marché britannique, elle ne connaîtra pas vraiment le même succès que sa devancière, puisqu’à peine 6 555 exemplaires en seront produits (contre un peu plus de 17 200 unités pour les Vanden Plas 3 Litre Mark I et Mark II) jusqu’en mai 1968. Au moment où elle quitte la scène, la Princess ‘ Litre était d’ailleurs le dernier modèle de la génération ADO 10 à être encore en production, les Austin et Wolseley ayant, quant à elles, disparues du catalogue de leurs constructeurs en juin 1967 pour la première et en mars 1968 pour la seconde.
En cette fin des années soixante, le groupe BMC, devenu British Motor Holding après le rachat de Jaguar et ensuite British Leyland après la fusion avec le constructeur d’utilitaires Leyland et l’incorporation de Rover et de Triumph va bientôt entrer dans une zone de turbulences qui vont devenir de plus en plus fortes au fur-et-à mesure des années. Pour celui qui rêvait sans doute, avec ces fusions successives de devenir l’un premier groupe automobile mondial et d’égaler les géants américains comme Ford ou General Motors, une grave période d’instabilité et de déliquescence, commerciale et économique, commence alors, qui va bientôt conduire celui-ci au bord de la faillite… Avant sa nationalisation en catastrophe par le gouvernement britannique. Aux yeux d’un grand nombre d’automobilistes anglais (y compris au sein d’une partie de la clientèle visée par les modèles de la génération ADO 10), lorsqu’elles furent mises à la retraite, en 1967 et 68, les Austin A110, Wolseley 6/110 et Princess 4 Litre apparaissaient comme des modèles démodés d’un point de vue esthétique et même presque obsolète sur le plan technique. Néanmoins, leur technique, bien que fort conventionnelle, leur offrait l’avantage de présenter une grande fiabilité (l’un des critères primordiaux pour des voitures de cette catégorie), durant toute leur carrière (à l’exception de la Princess 4 Litre), elles rencontrèrent un succès assez enviable (plus de 95 000 exemplaires, tous modèles et marques confondues), que celle qui remplacera ce trio, l’infortunée (et disgracieuse) Austin 3 Litre, sera loin d’égaler.
Au sein de la clientèle, un certain nombre d’acheteurs, adeptes d’un certain style de vie « campagnard », émirent rapidement le souhait de voir une version break (Estate Car, selon la terminologie anglaise en usage à l’époque) s’adjoindre à la gamme. Si le carrossier Vanden Plas construira bien cinq ou six exemplaires d’une telle carrosserie (basée sur le châssis des Princess 3 ou 4 Litre) pour des clients (très privilégiés) comme la Reine-Mère d’Angleterre (la mère de la reine Elizabeth II), au sein des gammes Austin, Wolseley ou Vanden Plas, cette demande ne sera (malheureusement peut-être) suivie d’aucun effet de la part du constructeur.
Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=MOY6e_FEsiI&ab_channel=fran%C3%A7oisCarion
D’autres anglaises https://www.retropassionautomobiles.fr/2022/12/rover-p6-revolution-a-langlaise/