CHEVROLET CORVETTE C1 – Les débuts d’une légende américaine.
En ce début des années 1950, si l’automobile a toujours fait partie (depuis sa création, ou, à tout le moins depuis sa démocratisation par Henry Ford et son célèbre Model T) du quotidien de la grande majorité des Américains, durant cette première décennie de l’après Seconde Guerre mondiale, elle en constitue, plus que jamais, l’un des éléments essentiels. Au lendemain de la guerre, les Etats-Unis ont retrouvé une prospérité qu’ils n’avaient plus connus depuis la Grande Dépression des années 30 et ils ont bien l’intention d’en profiter largement.
Désormais et bien plus encore qu’en Europe, l’automobile est devenue reine et sert aux citoyens américains pour la grande majorité de leurs déplacements quotidiens, même lorsqu’il ne s’agit que de courtes distances. Celui qui pratique encore le vélo ou la marche à pieds (en dehors de ses activités sportives) passe alors, au mieux, pour un original ou, au pire, pour une sorte de « dinosaure », ultime survivant d’une époque, désormais révolue, où seules les classes les plus aisées de la société avaient les moyens de s’offrir une voiture neuve.
S’ils ne sont alors plus qu’une minorité à ne pas avoir encore les moyens d’acquérir une voiture dès sa sortie d’usine, il existe aussi, en parallèle, un marché de la voiture d’occasion tout aussi florissant. D’autant que le fort niveau que connaît alors le pouvoir d’achat des Américains permet à ces derniers de s’offrir le luxe de changer de voiture tous deux, trois ou quatre ans. Avec, aussi, pour effet qu’un grand nombre des véhicules qui constituent le marché de l’occasion n’ont souvent que de faibles kilométrages et sont donc encore presque neuves.
Si, aussi bien parmi les marques qui constituent les grands groupes de Detroit (dans l’ordre d’importance : General Motors, Ford et Chrysler) qu’au sein des (derniers) constructeurs indépendants encore présents sur le marché américain et quel que soit la hauteur de son budget, l’acheteur n’a donc que l’embarras du choix. Tout au moins au niveau des équipements et des tarifs, car, lorsque l’on observe dans le détail la production américaine au tout début des années cinquante et en particulier celle des grands groupes, l’on se rend assez rapidement compte que, quels que soient leurs prix de vente ainsi que les publics auxquels ils s’adressent leurs modèles (qu’il s’agisse des berlines, coupés, cabriolets et station-wagons des catégories medium et full-sizes) sont quasiment tous faits sur le même schéma.
Il n’y a alors que les indépendants pour oser jouer la carte de la « différence » en s’aventurant dans des marchés « de niche » alors délaissés par leurs concurrents (à l’image de Nash avec les roadsters et coupés Nash-Healey, créée en collaboration avec le constructeur britannique Donald Healey, le futur créateur des Austin-Healey). Il est vrai que cette carte est devenue une véritable nécessité, tant l’ascension qu’ont prise les trois géants de Detroit leur fait de plus en plus d’ombre et les marginalise de plus en plus.
A la même époque et depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les petites sportives européennes et en particulier les charmants roadsters produits par les constructeurs britanniques ont le vent en poupe, à tel point que ceux-ci ont rapidement fait des Etats-Unis leur premier marché d’exportation (à l’image d’ailleurs des marques spécialisées dans les modèles de prestige, telles que Jaguar, Bentley et Rolls-Royce), où ils écoulent ainsi souvent les deux tiers (voir, dans certains cas, les trois quarts) de leur production.
Un constat qu’outre les journalistes de la presse automobile américaine ne manque pas de faire lui non plus Harley J. Earl, le charismatique, talentueux et tout-puissant patron du bureau de style du groupe General Motors (dont il occupera la direction durant près de trente ans, de 1927 à 1958). Ce dernier n’a sans doute pas manqué de froncer les sourcils et de grincer des dents en découvrant les chiffres de vente de ces petits roadsters British au pays de l’Oncle Sam (en particulier des MG TD et TF ou de la récente Triumph TR2), lesquels, en dépit de leur style suranné pour la plupart d’entre-eux ainsi que de leur gabarit qui leur donne des allures de « jouets pour adultes » (à côté d’eux, même une modeste Chevrolet ou Plymouth faisait presque figure de poids lourds en comparaison) se vendent véritablement comme des petits pains.
Réalisant rapidement la taille de la « poule aux oeufs d’or » que représente ce nouveau marché, Earl est bien décidé à ne pas laisser les Anglais (ainsi que le reste des constructeurs européens) s’en accaparer le monopole. Il charge alors les hommes du département de Design avancé (lesquels s’occupent notamment de la réalisation des concept-cars, ces prototypes destinés à être exposés dans les Salons et autres manifestations automobiles afin de tester les réactions du public en vue de la création des futurs modèles) de réaliser l’étude d’un nouveau modèle, d’un genre encore inédit dans l’histoire du groupe GM et qui devra incarner la vision de celui-ci d’un roadster populaire à l’américaine.
L’événement choisi pour dévoiler cette vision en question étant l’un des plus prestigieux hôtels de New York, le Waldorf Astoria, en janvier 1953. C’est dans ce lieu et à cette date que débute le Motorama, un Salon automobile itinérant se déroulant alors chaque année dans les plus grandes villes américaines, aux quatre coins des Etats-Unis. Outre les nouveaux modèles de série proposés par ses différentes divisions (Buick, Cadillac, Chevrolet, Oldsmobile et Pontiac), celui-ci permet surtout au public de découvrir et d’admirer longuement les shows-cars sortis tout droit de l’imagination (parfois, il est vrai, assez délirantes) des designers du bureau d’études de General Motors.
Des créations censées annoncées ou préfigurer ce que sera le futur de l’automobile américaine à l’aube de l’an 2000 mais qui, pour certains, avec leur allure évoquant furieusement celle d’un avion de chasse sans ses ailes ou d’une soucoupe volante (l’aéronautique ainsi que la conquête spatiale étant les nouveaux thèmes à la mode au sein du public) évoque plus des engins des films de science-fiction ou des comics Marvel que dévorent à cette époque la jeunesse américaine que d’une voiture, même celle du futur. Si la plupart des visiteurs qui se pressent au Motorama de New York, se doutent assez bien, même sans le dire, que la grande majorité de ces shows-cars qu’ils y observent sous toutes les coutures ne descendront certainement jamais dans la rue et qu’eux ou leurs enfants n’auront donc jamais l’occasion d’en prendre le volant ou les commandes.
Certaines de ces créations paraissent toutefois, certes, moins ambitieuses ou délirantes mais aussi plus réalistes. Parmi ceux-ci figure, justement, celle qui se veut la réponse de la GM à l’insolent succès des roadsters britanniques. Laquelle se présente (comme ces derniers, dont elle semble d’ailleurs ne pas hésiter à copier ouvertement les codes et la recette) sous la forme d’une décapotable à deux places dont les lignes dessinées par Earl lui-même, bien qu’empreintes de ce côté glamour typique des américaines des années 50, allient toutefois l’élégance et la sportivité à une certaine sobriété. Il n’y a qu’à la comparer avec un grand nombre des autres shows-cars exposés à ses côtés, qui, n’hésitent pas, quant à eux, verser dans une sorte d’extravagance gratuite, avec une proue au dessin assez tarabiscoté ainsi que des ailerons aux proportions tout aussi délirantes (ceux-ci préfigurant ce que l’on verra sur certains modèles de la fin de la décennie, à l’image des Cadillac 1959).
Sur le roadster en question, rien de tout cela. Seul le dessin de la proue, avec des demi pare-chocs en forme de crosses encadrant une calandre longue et étroite dont la grille évoque, tout à la fois, la dentition d’un prédateur, un rasoir électrique ou encore un hachoir à viande (ou autres), ainsi que les phares placés sous des globes au dessin grillagé (évoquant fortement les voitures qui s’illustrent alors en compétition), ainsi, à l’arrière, que les extrémités des ailes et de la malle de coffre au profil incurvé, encadrée par deux petits feux rouges en forme d’obus au sommet des ailes revendiquent clairement l’identité américaine de cette petite sportive.
Baptisée du nom de Corvette, celle-ci intrigue aussi certains des visiteurs du Motorama par le nom de Corvette, celle-ci intrigue aussi certains des visiteurs de l’évenement par le nom de Corvette, celle-ci intrigue aussi certains des visiteurs par le nom du constructeur auquel elle se voit attribuée le patronyme : Chevrolet. Un choix marketing et stratégique qui peut surprendre de prime abord, étant donné que la marque, qui est (à l’époque et aujourd’hui encore) la division la plus populaire de General Motors (en termes de chiffres de ventes comme d’image de marque) n’a alors pratiquement aucune image sportive aux yeux du public. Sans doute ce choix vient-il de la volonté, tout à la fois, de rajeunir et de redynamiser l’image un peu trop « jaunie » et conformiste de Chevrolet, avec un modèle « anticonformiste ».
Au moment où s’ouvrent les portes du Motorama, sur le plan strictement marketing ou commercial, la Corvette n’est toutefois, au final, qu’un show-car parmi d’autres, qui n’est donc destiné (dans un premier temps, tout au moins), à ne briller devant les yeux du public que le temps d’un Salon, avant d’être condamné à tomber dans l’oubli en prenant la poussière au fond d’un atelier, lorsqu’il n’était pas, purement et simplement, envoyé à la ferraille (la sauvegarde ainsi que la mise en valeur de leur patrimoine et de leur histoire étant encore étranger à la mentalité de la plupart des constructeurs, aux Etats-Unis comme en Europe).
Si Harley Earl et son équipe espèrent évidemment qu’elle puisse connaître, dans un avenir proche, une suite en série, ils savent qu’outre l’aval de l’état-major de la GM, cela dépendra également des réactions du public du Motorama (un avis largement positif de ce dernier apportant, aux yeux du premier, la garantie du succès commercial du nouveau modèle inspiré (plus ou moins fortement, suivant les cas) du show-car en question. Les visiteurs du Motorama 1953 s’étant montré largement enthousiaste devant ce projet d’un roadster populaire 100% américain, la direction du groupe donne alors son feu vert pour intégrer officiellement la Corvette au sein de la gamme de la division Chevrolet.
Une production qui reste toutefois destinée, dans un premier temps, à se cantonner à une échelle semi-artisanale, celle-ci s’inscrivant dans ce qui est encore (pour les constructeurs américains) un marché de niche, avec des perspectives commerciales qui sont donc bien loin de celles des modèles courants de la gamme comme la Bel Air. Avec pour conséquence que pour sa production en série comme cela avait été le cas pour l’étude du show-car exposé lors du Motorama, le budget a été réduit à la portion congrue. Ce qui explique qu’en ce qui concerne son architecture mécanique, la Corvette ne soit, en réalité et sous sa robe au dessin pourtant suggestif, qu’un patchwork d’éléments divers puisés dans la banque d’organes du constructeur.
Le moteur que l’on retrouve sous son capot n’est, ainsi, malheureusement pas (encore) un V8 (celui-ci ne viendra qu’un peu plus tard) mais, plus modestement, un simple et (très) rustique six cylindres en ligne, lequel, malgré son appellation de « Blue Flame » (« Flamme Bleue ») porte bien mal son nom, car il n’a rein d’un foudre de guerre. Même avec un système d’alimentation revu (avec trois carburateurs Carter) qui permet ainsi au vénérable « Blue Flame » d’atteindre les 150 chevaux, les performances ne sont pas spécialement « ébouriffantes », surtout que cette motorisation se retrouve accouplée à une boîte de vitesses automatique Powerglide (dont l’appellation est, là aussi, un peu galvaudée) ne comportant, en tout et pour tout, que… deux rapports ! Sans compter que cette transmission ne semble pas vraiment être le mieux appropriée pour une voiture à la vocation un tant soit peu sportive, étant, en effet, caractérisée avant tout par sa placidité. Sur un show-car qui est uniquement destiné à être admiré sous les spotlights des Salons automobiles, la nature de la mécanique qui se trouve placée sous le capot ainsi que le potentiel réel de celle-ci importe peu.
La voiture en question ayant pour rôle d’annoncer au public la tendance concernant les futurs modèles à venir et n’étant donc pas destinée à être commercialisée « telle quelle » est exposée aux Salons, le constructeur ne délivre donc (assez logiquement) aucune donnée sur les performances et ne confie donc, non plus, aucun exemplaire de celle-ci aux journalistes de la presse automobile pour que ces derniers en public l’essai dans les pages de leurs revues. Le budget restreint que s’est vu attribué l’équipe chargée de la conception de la Corvette (la direction de la GM ne croyant, manifestement, guère au potentiel commercial de la Corvette et ayant aussi, sans doute, alors d’autres priorités) et la contrainte qui en découle de recourir à des éléments de grande série déjà existants ayant, au moins, l’avantage de pouvoir proposer (si, évidemment, la décision est finalement prise de produire la voiture concernée en série) un prix de vente assez compétitif.
Dans le cas de la Corvette, celui-ci est estimé à environ 3 000 dollars, soit le tarif d’une MG TD (l’un des modèles les plus représentatifs de la famille des roadsters anglais de l’époque) sur le marché américain, dont le modeste quatre cylindres que l’on retrouve sur celle-ci ne délivre qu’une puissance fort modeste elle aussi, qui n’est même que d’environ un tiers de celui de la Corvette.
Si cette dernière, par son rattachement à la marque Chevrolet comme par son prix de vente, entend clairement se positionner comme une sportive populaire (bien que celui-ci soit environ deux fois supérieures à celui d’une Chevrolet Bel Air), elle se rapproche toutefois plus, par son niveau de puissance, de certaines sportives de prestige européennes les plus prisées par la riche clientèle américaine de l’époque, à l’image des Jaguar XK 120 et 140, dont le six cylindres XK de 3,4 litres équipé de deux arbres à cames en tête est alors considéré par beaucoup (dans la presse comme au sein du public) comme l’une des meilleures références en matière de mécaniques à hautes performances et qui atteint les 180 chevaux dans sa version la plus puissante. Une comparaison démontrant ainsi, de manière inattendue, mais cependant bien concrète, non seulement que le six cylindres Blue Flame de Chevrolet, bien qu’étant quasiment dépourvu de la moindre once de raffinement technique, car ayant été conçu, à l’origine pour motoriser de braves berlines familiales ainsi que des utilitaires, recelait néanmoins un potentiel de développement que personne, avant qu’il ne se retrouve sous le capot de la Corvette, n’avait sans doute soupçonné jusqu’ici. Prouvant ainsi que pour parvenir à la performance, la sophistication et le raffinement technique n’étaient pas toujours des critères indispensables.
Outre ses lignes bien plus sobres dans leur ensemble que celles des américaines classiques ainsi que son concept encore inédit de la part de l’un des grands constructeurs de Detroit, ce qui différencie également la Corvette de la grande majorité des autres modèles américains contemporains est le matériau dans lequel est fabriquée sa carrosserie : la fibre de verre. Une matière alors inédite qui, jusqu’ici, n’avait jamais été employé en grande série (bien qu’un certain nombre de constructeurs, notamment en Europe, aient déjà entamé, depuis le courant des années 1930, des études sur la mise au point de matériaux synthétiques destinés à être appliqué à la production en grande série de carrosseries automobiles, aucun n’avait encore connu d’aboutissement jusqu’ici). Si la légèreté ainsi que la rigidité qu’elle procure sont deux qualités essentielles qui constituent, aux yeux des concepteurs de la Corvette comme des dirigeants de la GM, des arguments importants dans le choix de ce matériau, un autre point essentiel va également faire pencher la balance dans ce sens.
Le point en question étant qu’elle permet de donner aux carrosseries toutes les formes souhaitées, même les plus complexes, sans avoir besoin, pour cela, d’investir dans de coûteuses presses d’emboutissage (comme dans le cas de la fabrication de carrosseries « classiques » en acier). L’aluminium, qui avait déjà commencé à être utilisé dans l’industrie automobile à la même époque et qui, dans le courant des années 50, est à présent employé pour réaliser certaines parties, voire même, dans certains cas, l’ensemble de la carrosserie de certains, reste alors, lui aussi, encore fort coûteux, ce qui en limite, dès lors, l’utilisation aux voitures de prestige. La fibre de verre (ainsi que d’autres matériaux destinés à la création de carrosseries en matériaux composites comme le polyester) permettant ainsi à un grand nombre d’artisans et créateurs en tous genres en Europe de se lancer, eux aussi, dans l’aventure automobile.
Dans le cas de la Corvette, c’est aussi la mise au point de cette technique nouvelle qui permettra à la Chevrolet Corvette de voir le jour en série, car, comme mentionné plus haut, bien que prenant rapidement de l’ampleur, le marché des voitures sportives (de grosses comme des petites cylindrées) demeure encore assez marginal, en tout cas aux yeux des dirigeants de General Motors. C’est pourquoi, malgré le fort pouvoir d’influence dont il dispose auprès de l’état-major du groupe (celui-ci n’oubliant pas que c’est, en grande partie, au génie artistique de Earl que la GM est devenue le plus important de tous les constructeurs américains), les membres du directoire du groupe ne manquent toutefois pas de lui rappeler que la mission principale de la Corvette était de « dépoussiérer » l’image de Chevrolet et que ce nouveau « roadster à l’américaine » n’est destiné, dès le départ, qu’à une production en petite série, celle-ci reste d’ailleurs, sur bien des points, à un stade semi-artisanales.
Comme l’explique le constructeur dans une annonce publique au début de l’été 1953 (qui ne manque pas d’insister sur le fait qu’il s’agit de la première voiture de sport américaine dotée d’une carrosserie en fibre de verre), moins d’un an seulement s’est écoulé entre les premières esquisses réalisées par les stylistes du bureau d’études de la GM et l’assemblage de la première Corvette. Comme de souligner que celle-ci servira également de test concernant le potentiel d’utilisation de ce nouveau matériau, tant en ce qui concerne la production (en petite comme en grande série) de carrosseries automobiles (en général et des sportives en particulier) comme pour d’autres éléments de celles-ci (tel que le volant ou le tableau de bord. En précisant également que la ligne d’assemblage, entièrement dédiée à la production de la Corvette, ne permet aux ouvriers qui lui sont affectés que de travailler sur six châssis à la fois seulement, le modèle se trouvant encore en « phase expérimentale ».
Il est aussi indiqué que (malgré cette faible cadence de production), les responsables de la division Chevrolet espèrent pouvoir atteindre sans trop de difficultés, l’objectif initial des 300 exemplaires produits avant la fin de l’année, tout en se montrant également enthousiastes et même fort optimistes quant au succès qu’elle ne manquera pas de remporter auprès du public américain, puisqu’il est mentionné dans ce communiqué que la production est prévue pour passer à un millier d’exemplaires par mois dès l’année suivante. Des prévisions ainsi que des objectifs de vente qui paraissent très (voire trop) élevés à plus d’un.
S’il est vrai que cette décennie est celle de la prospérité retrouvée (après la Seconde Guerre mondiale et la Grande Dépression des années 30) et de tous les records de production pour l’industrie automobile américaine et que Chevrolet, à l’image des autres grands constructeurs de Detroit, peut estimer avoir raison de ne douter de rien (concernant la Corvette ainsi que les autres nouveaux modèles lancés par la GM). Néanmoins, concernant celle qui se voulait comme la première vraie sportive populaire américaine, la réalité va toutefois doucher (assez froidement) les convictions initiales de ses concepteurs.
Si les 300 exemplaires assemblés (en grande partie à la main) en 1953 n’ont guère eu de mal à trouver preneurs (il est vrai que cette production volontairement limitée a sans doute excité la convoitise de certains amateurs de pouvoir posséder ainsi une voiture exclusive et que l’effet nouveauté a, lui aussi, grandement contribué), l’année 1954 va toutefois voir ces derniers quelque peu déchanter. Bien qu’un peu plus de 3 500 exemplaires de la Corvette soient sortis de chaîne, ce ne sont pas moins de 1 400 d’entre-eux qui sont toutefois restés invendus. L’on peut donc bien parler, à certains égards, d’une sorte de « demi-échec » pour la nouvelle sportive de Chevrolet.
Outre le fait qu’en dépit d’un tarif calculé pour être le plus compétitif possible, celui-ci équivalait tout de même à celui d’une Cadillac « d’entrée de gamme » et que ses performances, bien qu’assez honorables paraissaient encore insuffisantes aux yeux de certains (surtout en comparaison avec ses rivales européennes), le fait d’être encore (pour l’heure, en tout cas) la seule du genre, non seulement, au sein de la gamme Chevrolet mais aussi de la production de General Motors ne l’a, probablement, sans doute pas aidé non plus. En tout état de cause, cette mévente de la Corvette fait bientôt naître et enfler des rumeurs importantes sur la suppression pure et simple de la première vraie sportive américaine de « grande série ».
Heureusement pour elle, outre le fait que ses concepteurs ainsi que plusieurs cadres importants de la GM (dont Edward Cole, alors directeur de la division Chevrolet, avant de prendre, en 1956, la tête du groupe General Motors) vont lutter pour la maintenir en production, plusieurs changements à la fois importants et bienvenus vont lui permettre de prendre un nouveau départ mais, plus encore, de pouvoir désormais revendiquer pleinement l’appellation de voiture de sport. Ainsi d’ailleurs que l’expliquera William « Bill » Mitchell, qui succédera à Earl en 1958, à la tête du bureau de style de la GM, l’un des principaux problèmes est que le ramage n’était pas à la hauteur du plumage. En plus du fait qu’il ne lui permettait pas d’atteindre les performances que promettait sa ligne, le six cylindres en ligne que l’on retrouvait sous le capot des premières Corvette avait pour conséquence néfaste qu’elle souffrait, malgré ses lignes séduisantes, d’un manque, assez important, d’image de marque, à une époque où le V8 commençait désormais à devenir la norme (aussi bien sur les modèles populaires que les voitures de prestige).
Le constat s’imposait donc d’emblée : il fallait que la Corvette soit, elle aussi, équipée d’un moteur huit cylindres si elle voulait pouvoir rester dans la course. D’autant que le principal concurrent de Chevrolet, Ford, a, entretemps, fourbi ses armes et dévoiler, cette même année 1954, sa réponse à la Corvette : la Thunderbird. Laquelle, en plus de se montrer plus spacieuse et confortable, mieux équipée (d’autant qu’en bonne américaine des fifties, elle propose une liste d’options en tous genres longue comme le bras), elle est proposée uniquement avec un V8. La riposte de Chevrolet et de General Motors se doit donc d’être ferme, rapide et efficace. Fort heureusement pour la Corvette, elle le sera. Non seulement grâce à l’arrivée du V8 (que d’aucuns, tant au sein de Chevrolet que du public, ont dû regretter qu’il n’ait pas équipé la Corvette dès son lancement mais aussi d’un ingénieur d’origine russe du nom de Zora Arkus-Duntov qui permettra à celle-ci de démontrer tout son potentiel.
Comme une grande partie du public américain, ce sera à l’occasion du Motorama de 1953 qu’il découvrira la nouvelle Chevrolet Corvette. Diplômé de l’école d’ingénieurs de Charlottenburg, en Allemagne, (né à Bruxelles, il avait émigré à Berlin en 1926 lors du remariage de sa mère) vivant aux Etats-Unis depuis 1940 (après fait, comme tant d’autres, la montée du nazisme), il s’intéresse au monde de l’automobile dès la fin de la guerre en 1945 et commence d’abord par mettre au point une série d’éléments mécaniques destinés à améliorer les performances du V8 Ford. Après un passage chez Allard en Angleterre ainsi que chez Pegaso en Espagne, il retourne en Amérique. Cependant, faute de trouver de place (dans un premier temps) au sein de l’industrie automobile à Detroit, il entre au service de l’avionneur Fairchild.
Après de nombreuses tentatives restées vaines jusqu’ici, c’est grâce à un courrier adressé au Directeur du développement chez Chevrolet, Maurie Olley, qu’il parvient finalement, en mai 1953, à décrocher un poste chez Chevrolet. Passionné par la compétition, il continue (comme il l’avait déjà fait par le passé) de participer à des épreuves d’envergure, comme aux 24 Heures du Mans où il continue de courir pour le compte de Sydney Allard (même si cela ne manque toutefois pas de faire froncer les sourcils et grincer des dents chez ses supérieurs au sein de la GM).
Bien que regardé d’un oeil suspicieux par certains des cadres du groupe, il parvient néanmoins à s’attirer la confiance et le soutien de Cole, ce dernier étant convaincu, comme l’ingénieur Arkus-Duntov que l’une des clés essentielles pour asseoir définitivement l’image sportive de la Corvette passe par l’engagement en compétition. Duntov ferme alors un groupe de travail dédié à ce seul objectif, ce qui va lui permettre de mettre au point une version à hautes performances de la Corvette destinée à la compétition tout en poursuivant, en parallèle, sa carrière (non officielle) de pilote de course.
Pour cette dernière, l’heure est maintenant venue de passer à la vitesse supérieure (au sens propre comme au figuré). La Corvette devra d’ailleurs beaucoup à Zora Arkus-Duntov, car si son nom est, depuis cette époque et aujourd’hui encore, associé, de manière profonde, au sport et à la vitesse, c’est, en grande partie, grâce à lui.
Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage
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