DEUTSCH & BONNET HBR – Grand tourisme populaire.
A l’origine de la marque DB, il y a la rencontre de deux hommes, René Bonnet et Charles Deutsch. C’est à la fin des années 1930, peu de temps avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, que les deux hommes décident d’unir leurs forces dans l’intention de s’illustrer en compétition avec des bolides de course portant leur nom. Leur première création, un roadster équipé d’une mécanique d’origine Citroën, effectue ses premiers tours de roue en 1938. Leur création suivante, toujours animée par un moteur de la marque aux chevrons, présente une carrosserie au style inédit, entièrement carénée et équipée, à l’arrière, d’une dérive aérodynamique évoquant celle d’un avion. Un prototype qui semble avoir aussi puisé son inspiration aéronautique chez d’autres prototypes français du même genre apparus au cours des années 30, comme les Peugeot Andreau 402 et 802, la Chenard & Walcker Mistral ou encore certaines Delage destinées, elles aussi, à s’illustrer dans les plus grandes épreuves de la compétition automobile de l’époque.
Malheureusement pour les deux associés, le déclenchement de la guerre qui survient au début de l’automne 1939 met brutalement fin à leurs projets, sans que ce nouveau prototype ait eu l’occasion de faire ses preuves sur les pistes de course. Une fois le conflit terminé et la paix revenue, les deux hommes se remettent alors au travail et présentent bientôt un nouveau bolide destiné à s’illustrer sur les circuits, sous la forme d’une monoplace, compacte et légère, dans laquelle on retrouve, une fois encore, le moteur de la célèbre Traction Citroën. Si Charles Deutsch et René Bonnet sont avant tout intéressés, au départ, par la compétition, contrairement à d’autres (qui, par manque de moyens ou par volonté de conserver leur indépendance et, ainsi, leur liberté de création) décident de se cantonner au seul domaine de la course automobile (sans doute encouragés en cela par les succès, de plus en plus nombreux et importants, remportés par leurs voitures dans la plupart des épreuves, aussi bien régionales) que nationales, auxquelles elles participent, commencent alors à nourrir des ambitions plus grandes.
Les deux associés ne veulent,à présent, plus se « contenter » du domaine de la compétition mais veulent aussi, désormais, produire et commercialiser leurs modèles auprès d’une clientèle d’amateurs du sport automobile. Dans cet objectif, ils s’adressent au carrossier Antem pour leur demander de réaliser un coupé de grand tourisme qui bénéficierait de l’expérience acquise par la marque DB en compétition mais qui, en plus de présenter des lignes plus élégantes, aurait aussi l’avantage d’être plus spacieux et confortable que les étroites et spartiates barquettes et monoplaces qu’ils avaient construits jusqu’ici.
Construisant à l’origine des coupés, cabriolets et roadsters en petite série pour des constructeurs de voitures populaires ou généralistes comme Ariès, La Licorne, Chenard & Walcker ou Unic, le carrossier Antem s’était, progressivement attiré, par la qualité de ses créations, l’attention d’une clientèle plus aisée et avait ainsi commencé à exercer son talent sur des modèles haut de gamme tels que les Delahaye ou les Talbot. Le résultat du travail réalisé à la demande de Deutsch et Bonnet est dévoilé à l’occasion de l’ouverture du Salon automobile de Paris en octobre 1949. Malgré l’élégance de ses lignes, saluées aussi bien par le public que par la presse automobile, ce très beau coupé n’entrera, malheureusement, jamais en production.
Après avoir fourni, durant plusieurs années, avant la guerre, plusieurs constructeurs comme Chenard, Licorne ou encore Rosengart (ce dernier, pour la dernière version de la Supertraction), Pierre Boulanger, le patron de Citroën (qui dirigea la marque aux chevrons de 1937 jusqu’à sa mort en 1949) décide finalement de ne plus fournir de moteurs aux autres constructeurs automobiles. Si cette décision brutale met un terme au projet de produire le coupé DB-Antem, elle ne décourage pas pour autant les deux hommes dans celui de faire de la marque DB un véritable constructeur à part entière. N’ayant pas (comme, d’ailleurs, la plupart des autres artisans-constructeurs) les moyens (financiers comme techniques) de concevoir et de produire leurs propres moteurs, Deutsch et Bonnet n’ont alors, évidemment, d’autres choix que de se tourner vers un grand constructeur pour se fournir en moteurs (ainsi que pour les autres organes mécaniques).
En dehors de Renault, celui qui sera le plus sollicité par ces artisans-constructeurs sera Panhard. Pouvant se prévaloir d’être, à l’époque, le plus ancien constructeur français encore en activité (ses débuts remontent, en effet, à la fin des années 1880) la marque Panhard (d’abord connue sous le nom de Panhard & Levassor) s’était fait une spécialité, avant la guerre, de la production d’imposantes et luxueuses voitures à moteurs sans soupapes ‘un système développé par l’ingénieur américain Charles Knight, que Panhard sera d’ailleurs le dernier constructeur à utiliser jusqu’en 1939), lesquelles étaient aussi connues et réputées pour leur style fort avant-gardiste. Les bouleversements qu’entraîneront la Seconde Guerre mondiale ainsi que les quatre ans d’occupation allemande que connaîtra la France entre 1940 et 1944 décideront toutefois la marque, au lendemain de celle-ci, a changé complètement d’orientation et donc de politique commerciale. La France étant ressortie du conflit exsangue sur le plan économique et industriel et dans une situation politique et sociale, sur bien des points, aussi instables que précraires, la place qu’il y avait encore pour des constructeurs de voitures de luxe étant fort limitée. (Les « survivants » encore présents sur ce marché, Delage, Delahaye, Hotchkiss, Salmson et Talbot, rencontrant déjà du mal à écouler leurs productions, tant sur le marché français qu’à l’exportation).
La firme de l’Avenue d’Ivry décide alors de tirer un trait sur son passé prestigieux en se réorientant alors vers la production d’automobiles « populaires ». Même si ce terme peut toutefois sembler ici quelque peu « galvaudé » ou assez inapproprié, lorsque l’on compare le prix affiché pour la nouvelle petite Dyna X avec ceux de celles qu’elle prétend concurrencer (comme la Renault 4 CV ou la Simca Huit), celui-ci étant nettement supérieur à ces dernières, la plaçant presque au niveau d’une Traction Citroën 11 CV. Outre des méthodes de fabrication encore assez artisanales, ce prix de vente nettement plus élevé que les autres modèles de sa catégorie s’explique aussi par l’emploi massif de l’aluminium, notamment pour la carrosserie de la voiture. Ce qui lui permet, en contrepartie, d’offrir des performances égales, voire supérieures à celles de ses rivales malgré la faible cylindrée ainsi que la puissance quelque peu limitée de son moteur bicylindre refroidi par air. A défaut d’être véritablement puissant, celui-ci présente toutefois l’avantage d’être fiable et robuste ainsi que de pouvoir être facilement modifié afin, justement, d’obtenir des performances plus élevées. Ce dont un certain nombre de préparateurs ainsi que d’artisans-constructeurs vont rapidement se rendre compte lorsqu’ils chercheront une mécanique produite en grande série afin d’équiper leurs créations.
Parmi eux figurent Charles Deutsch et René Bonnet. Réalisant toutefois, assez rapidement, que les modèles de course mais surtout de route qu’ils ont produits ou étudiés jusqu’ici ne sont guère compatibles avec le bycilindre Panhard, les deux hommes décident alors de repartir (en tout cas, en grande partie) d’une feuille blanche en créant donc une nouvelle petite sportive spécialement adaptée à celui-ci. Cette première « DB-Panhard » prendra la forme d’un cabriolet qui sera présenté au Salon Automobile de Paris en octobre 1950, sur la base duquel sera réalisé, en mars 1952, un coupé doté d’une carrosserie au style revu par le célèbre et talentueux styliste italien Pietro Frua. Bien que marquant le début d’une collaboration fructueuse qui durera près de dix ans entre DB et Panhard, celle-ci, bien qu’homologuée pour pouvoir rouler sur routes ouvertes reste avant tout (en tout cas concernant le coupé Frua) destinée à la compétition et présente donc encore un caractère un peu trop « radical » pour pouvoir prétendre intéressé un très large public. Il n’en sera ainsi produit qu’une soixantaine d’exemplaires avant la présentation de celle qui sera la première vraie DB de « grande diffusion » (à l’échelle d’un artisan-constructeur comme Deutsch et Bonnet s’entend) : le coach HBR.
Celui-ci sera dévoilé à peine un an plus tard, là aussi à l’occasion du Salon de l’automobile qui se déroule au Grand-Palais des Champs-Elysées en 1953. (Signe sans doute que ses concepteurs avaient déjà compris, probablement avant même son lancement, que le coupé Frua ne connaîtrait qu’une diffusion restreinte). Si la silhouette générale du nouveau modèle reste assez proche de celle du coupé Frua, à savoir un coach d’allure assez racée avec un pavillon descendant une pente jusqu’à la malle et aux feux arrière, il présente toutefois des lignes (il faut l’avouer) plus élégantes et élancées (une allure sans doute due, aussi, à une longueur totale augmentée d’une trentaine de centimètres par rapport à sa devancière) ainsi que plus aérodynamiques. Le dessin de la proue, en particulier, ayant bénéficié d’un profilage soigné, illustrant ainsi que, outre l’emploi de matériaux légers, Deutsch et Bonnet avaient compris qu’un travail soigné sur l’aérodynamique des carrosseries permettrait, à la fois, de réduire la consommation et d’exploiter au mieux le potentiel de la mécanique Panhard sans en grever les performances.
Le modèle présenté sur le stand du constructeur n’est encore toutefois qu’un prototype et il faudra encore de longs mois de travaux pour que le modèle définitif soit enfin prêt à être mis en production. Celle-ci ne débutant, en effet, que près de quinze mois plus tard, en janvier 1955 (bien que le public ait déjà eu l’occasion de l’admirer lors du précédent Salon d’octobre 1954). Par rapport au prototype originel de 1953, le modèle de série s’en différencie essentiellement par le remplacement des panneaux en aluminium par une carrosserie en matière plastique (ce qui semble d’ailleurs avoir été prévu dès le début du projet, ou, en tout cas, décidé peu de temps après la présentation du prototype, l’utilisation en série de l’aluminium représentant sans doute un budget trop élevé pour le petit constructeur).
Sur les 429 exemplaires du coach HBR qui en seront construits jusqu’en septembre 1959, les carrosseries des 105 premières voitures seront réalisées par le carrossier industriel Chausson à Gennevilliers, avant qu l’entreprise SPCAV (Société Plastique de Construction Automobile), située près de Saint-Dié, dans les Vosges. Outre l’emploi de matière plastique pour sa carrosserie (une technique alors toute nouvelle au sein de l’industrie automobile et elle est l’une des premières voitures de série à bénéficier), la DB HBR se distingue aussi par son châssis à poutre centrale (une technique qui sera également utilisée par plusieurs autres constructeurs artisanaux, comme Alpine en France ainsi que Lotus en Angleterre sur leurs propres modèles).
Si elle repose toujours sur un châssis en acier, la coque du coach DB reprend toutefois le principe de la carrosserie monocoque composé, au total, de soixante-trois pièces (y compris les quatre ouvrants : les portières, le capot ainsi que la malle de coffre) moulées et soudées entre elles qui composeront la carrosserie (dont le soubassement, les joues d’ailes, les passages de roues, le caisson arrière, le tablier et la planche de bord). Si le bicylindre Panhard de 851 cc (identique à celui que l’on retrouve alors sous le capot des Dyna X et Z) ne développe que 42 chevaux sur la première version du coach DB, grâce à un poids plume de moins de 600 kilos (595 kg exactement), il peut atteindre sans difficulté les 140 km/h en vitesse de pointe, une performance très flatteuse, celui-ci présentant sans doute même l’un des meilleurs rapports poids/puissance de la production automobile française de l’époque.
Si, étant donné une production encore très artisanale ainsi que les moyens relativement limités de son constructeur, la DB HBR ne connaîtra que peu de véritables changements importants durant sa carrière, il existe néanmoins certaines différences qui, d’un point de vue esthétique, permettent de distinguer les différentes séries. Ainsi, à partir du 200e exemplaire, les charnières du coffre sont fixées à l’extérieure et deviennent donc apparentes, un capot sans nervure est monté à partir du millésime 57, le changement le plus marquant restant toutefois le montage, sur les derniers modèles (à partir de décembre 1958 et de la 235e voiture sortie d’usine), de nouveaux phares fixes carénés (placées sous des protections en plexiglas afin de conserver la meilleure aérodynamique possible).
Si sa production s’arrête donc au début de l’automne 1959, le coach HBR restera toutefois encore au catalogue durant un an, jusqu’au Salon de Paris d’octobre 1960, car il faudra, en effet, pas moins d’une année pour que la marque parvienne à écouler les derniers exemplaires encore en stock au sein de l’usine. L’ultime série du coach DB sera aussi disponible, à partir de la fin de l’année 1959, d’une version spécialement destinée aux « gentlemen racers », la Super Rallye, qui, outre une carrosserie surbaissée, recevra également un nouveau bicylindre de 954 cc développant 70 chevaux, en faisant ainsi la variante la plus puissante proposée sur la DB HBR. Est-ce parce que le modèle était déjà clairement arrivé en fin de carrière et que, en conséquence, le public s’en était déjà, en grande partie, détourné ? Ou que, pour la même raison, le constructeur ou le réseau de vente n’a guère fait d’efforts pour faire connaître cette version « course » ? Toujours est-il qu’il n’y aura, en tout et pour tout, que dix exemplaires du coach HB Super Rallye, tous réalisés, en sous-traitance, au sein de l’entreprise Polyest, dont les ateliers se trouvent situés au Plessis-Trévisse ainsi qu’à Roissy.
Pour Deutsch & Bonnet, l’ère des petites sportives « pures et dures », c’est-à-dire avant tout axées sur la compétition, semble, en grande partie, révolue, celle-ci ayant, en effet, à présent, d’autres priorités et objectifs. Le nouveau cabriolet GT Le Mans, présentée un an auparavant, au précédent Salon qui s’est tenu en octobre 1959 affichant clairement la nouvelle orientation que celle-ci entend donner à ses modèles : celle d’une sorte de « grand tourisme populaire ». Si l’on retrouve également sous le capot de celui l’incontournable bicylindre produit par Panhard, indépendamment du fait qu’elle soit vendue uniquement sous la forme d’un cabriolet, elle reflète bien, tant par ses lignes que par son équipement, que les performances (en dépit d’un poids toujours très léger grâce, là aussi à une carrosserie en matière synthétique) ne sont pas sa vocation première.
Après que le coach HBR ait quitté la scène, la firme se recentre sur la production de la Le Mans, laquelle se verra toutefois progressivement déclinée en plusieurs versions (Racing, Luxe et Grand Luxe), lesquelles se différencient avant- out par leurs équipements ainsi que leur présentation intérieure et extérieure. Le Salon de l’Auto qui ouvre ses portes en octobre 1961 sera le dernier qui se tiendra sous les verrières du Grand-Palais (devenu trop exigu pour pouvoir encore accueillir des exposants ayant besoin de plus d’espace afin de pouvoir exposer la plus grande partie de leurs gammes de modèles ainsi que des visiteurs toujours plus nombreux) avant le déménagement de l’événement au sein du nouveau Palais des Expositions de la Porte de Versailles.
Mais il sera aussi le dernier pour la marque Deutsch et Bonnet, les deux anciens associés officialisant, quelques mois plus tard, au début de l’année suivante, leur séparation. La cause de la fin d’une marque ainsi que d’un tandem qui aura duré près de vingt-cinq ans étant, « tout simplement », une question de moteurs : si Charles Deutsch entend rester fidèle au bicylindre Panhard ; René Bonnet, de son côté, en revanche, convaincu que celui-ci est arrivé en bout de développement, souhaite nouer une nouvelle collaboration avec Renault.
A partir de la fin du printemps 1962, le cabriolet Le Mans, dont la production (suite, toujours, au divorce entre Deutsch et Bonnet, est transféré de l’ancienne usine DB de Champigny au sein d’un nouveau site de production, à Romorantin) s’il reste, extérieurement, pratiquement inchangé ou presque, poursuivra, dès lors, sa carrière avec le quatre cylindres en ligne de la R8. Le Salon de 1962 marquera une étape importante pour René Bonnet, avec la présentation de la berlinette Djet, laquelle (bien que le fait soit, encore aujourd’hui, peu connu du grand public) sera la première voiture de série équipée du moteur central arrière, une architecture jusque-là réservée uniquement aux voitures de course. Malheureusement pour ce dernier, les soucis, souvent importants, de mise au point de la Djet le contraindront finalement d’accepter, en 1964, la vente de son entreprise au groupe d’armement Matra, désireux de se lancer dans l’automobile. Une vente qui aura pour effet la fin de la production de la Le Mans, Matra décidant alors de concentrer sur la Djet (désormais vendue sous son nom), avant que celle-ci soit remplacée, en 1968, par celle qui sera la première vraie Matra : le coupé 530.
Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage et Gooding Company
D’autres françaises https://www.retropassionautomobiles.fr/2022/11/citroen-visa-gti-gti-chevronnee-mal-aimee/
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=WIir3CKrqhw&ab_channel=LesPanhardduFurania