HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN FJ 1953 - 56

HOLDEN 48/215 et FJ – Les aventures de GM au pays des kangourous.

Dans la seconde moitié des années 1940, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Australie ne compte alors, en tout, que huit millions d’habitants. Cette immense contrée connaît alors un besoin aussi grand qu’urgent de véhicules de toutes sortes, aussi bien en ce qui concerne les voitures particulières que les utilitaires. Un besoin d’ autant plus grand qu’à cette époque, le réseau ferroviaire est encore peu développé.

Sans doute du, pour une grande part, à l’éloignement géographique, aussi bien avec la « mère patrie », à savoir le Royaume-Uni comme de toute nation alors jugée comme « civilisée », l’industrie automobile y a connue un développement assez lent. Durant les trois premières décennies du vingtième siècle, malgré les intérêts, aussi nombreux qu’importants, que représentait pour le gouvernement britannique le Continent australien, aucun industriel local n’y a vu l’opportunité ni la nécessité d’y créer de constructeur local. Sans doute parce que, dans une telle contrée située, littéralement, à l’autre bout du monde, plus encore que dans les pays industrialisés, en Europe ou en Amérique, en dehors des classes les plus favorisées, la faiblesse du pouvoir d’achat de la grande majorité de la population limitait, de manière assez grande, les perspectives commerciales. Etant membre du Commonwealth, le marché automobile australien sera, assez logiquement, jusqu’au déclenchement du Second conflit mondial, la chasse gardée des constructeurs britanniques (Austin, Morris, Hillman, Standard,…). Une suprématie et un quasi-monopole qui, à partir des années trente, seront toutefois remis en cause par l’arrivée sur le continent des constructeurs américains. Les lourdes taxes d’importations instaurées par le gouvernement australien, souvent sur les conseils (pour ne pas dire la pression) de Londres afin de protéger les intérêts des marques anglaises, et donc leurs parts de marché, n’ont cependant pas découragé leurs concurrents venus des Etats-Unis de s’y implanter. Ceux-ci parvenant très vite à contourner cet obstacle en édifiant sur place des usines d’assemblage. A partir de cette époque, les Chevrolet, Ford et Chrysler commencent donc à faire leur apparition au pays des kangourous, dont les composants mécaniques livrés en pièces détachées par bateaux depuis les usines de Detroit et assemblés sur place par les ouvriers australiens où elles reçoivent des carrosseries construites sur place. Celles-ci ne conférant toutefois pas vraiment aux modèles locaux une personnalité propre, leur style ne différant guère de ceux vendus aux Etats-Unis. Un procédé auquel a également recours la filiale australienne du groupe General Motors, GM-H. Cette dernière est née en 1931 de la fusion réalisée entre General Motors Australia et la Holden’s Motor Body Builders, son principal fournisseur de carrosserie, une entreprise déjà réputé à l’époque pour son savoir-faire en la matière.

Crédit australie-voyage.fr

Auparavant à la tête de Vauxhall, la filiale britannique de General Motors, l’Anglais Laurence « Larry » Hartnett (1898 – 1986) devient, en 1934, le directeur de la nouvelle filiale australienne du géant américain. Homme au caractère bien trempé, ce vétéran des cadres de la GM va rapidement s’investir de manière profonde et personnel dans son nouveau rôle, prenant très à coeur les intérêts de sa « patrie d’adoption ». Durant le Second conflit mondial, il occupera également de très hautes fonctions au sein du gouvernement de Canberra et s’occupera, notamment, de coordonner les efforts des différentes industries locales consacrées à l’effort de guerre. C’est à cette époque qu’il prend très vite conscience du potentiel énorme que constitue non seulement le marché australien mais aussi ses industries et sa main d’œuvre, dont il estime qu’elle n’a rien à envier, sur tous ces points, à celle des Britanniques ou des Américains.

Lorsque le conflit prend fin, en 1945, Hartnett, ne tenant pas à voir une grande partie de cette industrie et des ouvriers qui y travaillent réduits au chômage, à cause de la fin des commandes militaires. Tous comme en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, il élabore rapidement un vaste programme de reconversion de l’industrie australienne vers de nouvelles activités civiles. Aux « antipodes » comme en Europe ou en Amérique, le besoin de nouvelles voitures se fait sentir et, en Australie aussi, il est énorme. Au début de la décennie, le pays ne comptait, en effet, que 800 000 véhicules à peine. Les usines qui ont été construites et la main d’oeuvre formée pour satisfaire aux besoins de l’effort de guerre vont donc trouver là une reconversion idéale. Le point essentiel du programme élaboré par Hartnett n’étant autre que la conception et la mise en production d’une voiture « 100 % » australienne. Laquelle ne serait donc plus, comme par le passé, une simple version des modèles américains ou anglais plus ou moins adaptés aux goûts et aux exigences du marché local mais bien un modèle qui, tant sur le plan technique qu’esthétique, serait spécifiquement conçu pour le marché australien et entièrement construite en Australie ? Faisant preuve d’une très grande habileté et d’un fort talent de persuasion, Larry Hartnett n’a guère de mal à convaincre rapidement les membres du gouvernement australien de soutenir son projet, dont l’aspect fortement « patriotique » ne leur a sans doute pas échappé.

Avec les membres de la direction de General Motors, ce sera, toutefois, une autre paire de manches. Lorsqu’il se rend aux Etats-Unis, en août 1945, afin de leur soumettre de son idée de créer une voiture entièrement australienne, ses interlocuteurs se montrent, en effet, pour le moins réservés, pour ne pas dire guère intéressés ni enthousiastes, ne croyant sans doute guère, contrairement à Hartnett, au potentiel d’un tel projet. Il est vrai qu’à cette époque, où la Seconde guerre mondiale est tout juste sur le point de se terminer (le Japon signant la capitulation au début du mois de septembre), et où le retour aux productions civiles vient tout juste de s’amorcer (les premiers constructeurs, comme Ford, Oldsmobile ou Plymouth, reprenant, lentement, la production des voitures particulières dès le mois de juillet), la priorité numéro un, pour General Motors comme pour tous les autres constructeurs américains, est bien leur propre marché. L’Australie leur paraît bien loin (parler du Continent Australien à un américain du middle West, à l’époque, c’est quasiment comme évoquer devant lui la Lune ou la planète Mars) et est loin de faire partie de leurs préoccupations premières. En plus du fait que cela ne fait qu’une quinzaine d’années à peine que la GM et ses concurrents se sont installés sur ce marché, depuis leurs débuts là-bas, ils se sont toujours simplement contentés d’y produire les mêmes modèles (ou quasiment) que ceux qu’ils vendaient aux Etats-Unis et ceux-ci se vendaient suffisamment à leurs yeux des deux côtés du pacifique pour qu’il n’y ait besoin de « gaspiller » du temps et de l’argent dans l’étude d’un modèle spécifique pour les habitants du pays des kangourous.

Déterminé, Hartnett refuse pourtant la promotion et le nouveau poste à Detroit que lui offrent les dirigeants du groupe et continue à défendre fermement son idée. L’autre raison principal de la tiédeur de leur accueil face au projet de Hartnett est le nouveau contexte politique qui commence à s’installer, tant aux Etats-Unis que sur le plan international. Si, en ces premiers mois d’une paix enfin retrouvée, la Guerre froide et le Maccarthysme n’ont pas encore officiellement commencé, certains, parmi les grands patrons de Detroit, commencent à pressentir ce qu’il pourrait être et, maintenant que le gouvernement de Washington n’a plus besoin de soutenir les Soviétiques face à l’Allemagne nazie, qui vient d’être vaincue, ils commencent à voir d’un oeil assez mauvais la couleur politique des gouvernements de certains pays pourtant considérés comme alliés aux Etats-Unis. Notamment l’Australie, alors dirigée par les Travaillistes, dont certaines des idées et des projets politiques apparaissent un peu trop de « gauche » au président de General Motors, Alfred Sloan (qui dirigea le groupe de 1923 à 1956). Notamment parce qu’il les soupçonne de vouloir nationaliser l’ensemble de l’industrie australienne (socialistes ou communistes, aux yeux de beaucoup d’Américains, la différence est nulle).

Les membres du directoire de la GM se retrouve, d’une certaine façon, face à un dilemme : d’une part, ils n’ont pas vraiment envie de débourser le moindre dollar pour un projet auquel ils ne croient guère mais, de l’autre, ils n’ont pas vraiment envie non plus de se mettre à dos le gouvernement australien, qui, lui, le soutient vigoureusement. D’où la réponse, plutôt paradoxale, qu’ils adressent à Larry Hartnett : ils acceptent d’apporter le soutien logistique (c’est à dire celui des membres du bureau d’études du groupe) mais la responsabilité de l’apport financier, quant à lui, incombe entièrement à ce dernier. Charge donc à Hartnett à se débrouiller pour trouver lui-même des investisseurs. La direction de General Motors étant sans doute convaincue que, malgré ses relations et son opiniâtreté, Hartnett ne réussira jamais à trouver le financement (assez conséquent) pour mettre en production sa voiture australienne et qu il en sera d’ailleurs de même pour le gouvernement de Canberra. Toutefois, contrairement à ce qu’ils pensaient, les représentants politiques Australiens, ayant sans doute aussi finis par deviner, tout comme Hartnett, les intentions réelles des dirigeants de la GM en leur donnant ce verdict plutôt ambigu. Ce dernier faisant, ici, une fois de plus, la preuve de ses talents de persuasion auprès de la majorité politique qui tient alors les rênes en Australie : le gouvernement contracte en effet un emprunt de 2 500 000 £ auprès de la banque du Commonwealth afin de financer le projet de ce qui deviendra la première voiture entièrement australienne. Hartnett peut alors, enfin, se mettre au travail.

Ce dernier a déjà défini les points essentiels du cahier des charges de la future voiture : Celle-ci doit être solide, avec une carrosserie aux lignes certes assez élégantes mais aussi simples afin de réduire au minimum l’emploi de machines-outils pour l’emboutissage de la carrosserie. Elle doit aussi être légère et compacte afin de consommer peu de carburant. Pour cette même raison, le choix de la motorisation qui doit équipée la voiture se fixe rapidement sur un six cylindres en ligne, de cylindrée réduite, ce genre de mécanique ayant la préférence des automobilistes australiens. De plus, elle est aussi économique qu’un quatre cylindres, tout en étant plus silencieux, plus souple et aussi très bien adapté à l’utilisation sur longue distance sur le réseau routier de l’Australie, composé, dans sa plus grande partie, d’interminables routes rectilignes.

Pour la conception du premier modèle à porter le nom de Holden, le bureau d’études de General Motors a justement dans ses cartons un projet de voiture compacte qui était destiné, à l’origine, à un modèle d’entrée de gamme pour la marque Chevrolet et juge que celui-ci conviendrait parfaitement pour servir de base au projet de Harnett. L’équipe chargée de la conception et de l’industrialisation de la future Holden, composée d’ingénieurs américains et australiens se met alors au travail mais de nombreux désaccords de toutes sortes ne tardent pas à se faire jour et l’atmosphère de travail ne tarde pas à devenir plutôt tendue entre les membres des équipes des deux pays. Larry Hartnett lui-même ne tarde pas à faire les frais de ces dissensions et à le payer au prix fort, se voyant contraint, sous la pression des grands patrons de Detroit, de démissionner de son poste de directeur de Holden. Cela faisait sans doute un certain temps déjà que Hartnett était dans le collimateur des dirigeants de la GM, qui n’ont jamais vraiment apprécié son esprit d’indépendance à leur égard et qu’il leur ait, à certains égards, avec l’aide du gouvernement australien, forcé la main pour faire aboutir le projet Holden.

Malgré ce limogeage sans ménagement ni beaucoup d’égards de la part des Américains, Larry Hartnett, comme on l’a dit, est un homme obstiné et n’est pas du genre à s’avouer vaincu ni à renoncer facilement. Il met bientôt à profit cette liberté retrouvée pour mettre à l’étude un nouveau projet d’automobile australienne, de taille plus modeste que la future Holden mais qui ne manque pourtant pas d’ambition puisqu’elle a été conçue en partenariat avec le célèbre ingénieur français Jean-Albert Grégoire. Il n’est donc pas étonnant que les lignes de la Hartnett-Grégoire rappelant fortement celle du prototype AFG conçu pensant la guerre et qui, sous une forme sensiblement modifiée, deviendra, en 1946, la Panhard Dyna X. Sa lointaine cousine australienne, elle, ne connaîtra, malheureusement, pas le même destin. En cause, la décision du gouvernement australien (auprès duquel Hartnett semble avoir perdu une grande part de son influence après son éviction de Holden) de restreindre ses approvisionnements en acier et de donner la priorité pour l’obtention des matières premières (justement) à la marque Holden. Le projet de la future première voiture australienne étant jugée plus convaincant et plus viable.

De là à dire que la direction américaine de General Motors, ainsi que les nouveaux responsables de Holden, ait fait pression sur le gouvernement de Canberra dans le seul but de tuer dans l’oeuf le projet de la nouvelle voiture conçue par Hartnett, il y a, malgré tout, un pas qu’on ne franchira pas. Mais il est toutefois assez clair que, même sans avoir exercer aucune pression et bien qu’ ils ne l’aient probablement réalisé qu’après coup, l’effet (et dommage) collatéral de cette décision, qui est que le projet de la Hartnett-Grégoire se voit ainsi condamné, n’est sans doute pas vraiment pour déplaire aux dirigeants de la GM, qui ne tenait évidemment pas à laisser à cet électron trop libre à leur goût l’occasion de leur mettre des bâtons dans les roues et de leur ravir la moindre part de marché. La Hartnett-Grégoire ne sera ainsi construite qu’à quelques dizaines d’ exemplaires avant que son créateur ne se voit contraint de l’enterrer, sans tambours ni trompettes. L’échec de cette aventure le laissera ruiné et, au sein de Holden, ses successeurs, sur instruction des Américains, s’emploieront même à effacer quasiment son nom de l’histoire officielle de la genèse du premier modèle de la marque. Dans ces conditions, même si on peut s’en indigner, on ne s’étonnera donc pas d’apprendre que celui qui est pourtant bien le « père » de la première voiture australienne n’ait même pas été invité à la cérémonie célébrant la sortie, en novembre 1948, des chaînes d’assemblage du premier exemplaire de ce nouveau modèle, dont le lancement revêt un caractère hautement symbolique et historique pour l’industrie automobile australienne. Ce qui explique d’ailleurs que le premier ministre australien de l’époque, le travailliste Ben Chifley, en ait été l’invité d’ honneur. En dépit de ce traitement injuste et du reniement de la part de ses anciens patrons du rôle essentiel et même capital dans cette aventure, Larry Hartnett n’a cependant pas dit son dernier mot et parviendra, bien plus tard, à prendre sa revanche.

HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN 48-215 (1948 – 53)

Recevant la dénomination 48/215, la première Holden 100 % australienne se présente sous la forme d’une berline quatre portes à deux volumes à la ligne tout ce qu’il y a de plus classique, laquelle est une copie presque conforme de celles de ses lointaines cousines américaines, mais en réduction. La Holden se caractérise, en effet, par des dimensions relativement compactes : à peine 4,35 mètres en longueur, soit quasiment la même taille qu’ une Peugeot 203 (présentée d’ailleurs la même année. En dépit de sa longueur réduite, grâce à une largeur assez généreuse (1,68 mètres), elle peut accueillir confortablement six adultes sur ses deux larges banquettes, à l’avant comme à l’arrière. A côté d’elle, la plus modeste des Chevrolet américaines, qui s’adressait pourtant au même genre de clientèle et était considérée elle aussi comme un modèle populaire, faisait presque figure de limousine ! Les dimensions ainsi que le poids raisonnable de la nouvelle Holden (elle affiche à peine une tonne sur la balance) lui permettent, malgré la puissance relativement mesurée de sa mécanique (60 chevaux à peine pour 2,2 litres de cylindrée. Même à la fin des années 1940, ce rendement n’a rien d’ exceptionnel) de revendiquer, dans des conditions de route optimales, en dépit d’une toute classique boîte de vitesses à trois rapports, une vitesse de pointe de 130 km/h environ et passer de 0 à 100 km/h en 20 secondes, des performances qui sont, pour l’époque, assez honorables.

HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN 48-215 (1948 – 53)

Si son moteur ne brille donc pas particulièrement par sa fiche technique (mais c est aussi alors le cas des Chevrolet ou même des plus prestigieuses Cadillac), c’est bien la fiabilité et la robustesse, garantes de facilité d’utilisation et de longévité qui ont été privilégié, comme cela avait d’ailleurs été défini dans le cahier des charges fixé par Larry Hartnett. Une certaine rusticité sur le plan technique qui, cependant, est souvent un gage d’efficacité. Tout comme le moteur et la transmission, le circuit électrique de la voiture a lui aussi été simplifié au maximum. Quant aux trains roulants, bien que eux aussi soient peu sophistiqués, ils ont fait l’objet d’une étude assez poussée et ils ont sérieusement renforcés afin de leur garantir la plus grande solidité et la plus grande longévité possible afin que les conducteurs puissent parcourir dans la plus grande sérénité les routes de la campagne ainsi que les pistes du bush australien. A cet effet, la garde au sol est aussi plus élevée que sur une voiture de tourisme ordinaire. En ce qui concerne la suspension, si elle ne fait pas vraiment preuve d’une très grande modernité, le train avant est néanmoins équipé de roues indépendantes, contrairement à leurs rivales de chez Ford, lesquelles s’avèrent encore assez en retard dans ce domaine. Tout comme la partie mécanique, afin de garantir un prix d’achat le plus compétitif possible, l’équipement s’avère plutôt succinct (faisant même l’impasse sur le chauffage, mais il est vrai qu’étant donné le climat qui règne la plus grande partie de l’année en Australie, celui-ci apparaît plutôt inutile) et la présentation intérieure assez spartiate. Même si, au moment du lancement de la Holden 48/215, cela faisait un certain temps déjà que Hartnett ne faisait plus partie de l’aventure, ses recommandations et ses préceptes concernant le cahier des charges de l’Holden ont, malgré tout, été respectés.

HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN 48-215 (1948 – 53)

L’accueil qui sera réservé par le public australien à la nouvelle Holden est à la hauteur des espérances que les dirigeants de la marque, ainsi que son créateur Larry Hartnett, avaient mis en elle et les dépasse même. La production est toutefois lente à se mettre en place et il faudra un certain temps avant qu’ elle n’atteigne un régime optimal. Les brochures consacrées au modèle ainsi que les publicités parues dans la presse préviennent d’ailleurs les futurs propriétaires ainsi que les acheteurs potentiels qu’il leur faudra se montrer patients avant de pouvoir prendre livraison de leurs voitures, même si certains d’entre eux ont déjà versé un acompte (représentant 15 % du prix de la voiture). A la fin de l’année 1948, à peine sept voitures sortent chaque jour des chaînes d’assemblage ! Des cadences de production qui, fort heureusement, augmenteront sensiblement au fil du temps mais aussi très lentement. La production quotidienne n’ atteint ainsi que 22 voitures en mars 1950 et seulement 80 à la fin de l »année. Il est donc aisément compréhensible que la patience de certains clients va sans doute être mise à rude épreuve et que les besoins des Australiens en matière d’automobiles à l’époque doivent être fort importants pour qu’ils acceptent des délais d’attente et de livraison qui peuvent parfois s’ étaler plus de six mois ! (Un cas qui n’est toutefois pas unique. Les acquéreurs de la Citroën 2 CV, lors des premières années de sa production, en ont, eux aussi, fait l’expérience). Ce n’est qu’en 1952 que la production atteindra un niveau (200 unités par jour) à même de satisfaire pleinement la demande.

En dépit des difficultés rencontrées au début de sa carrière par son constructeur pour parvenir à la produire en grande série, cela n’ empêchera pourtant pas l’Holden de réussir à se hisser à la première place des ventes de voitures en Australie en 1950, occupant à elle seule 14 % du marché. Une proportion qui grimpera même jusqu’à 17% dès l’ année suivante. Parallèlement à la montée des chiffres de ventes de l’Holden, ceux de la concurrence, eux, commencent à s’effondrer. Les premières victimes de cette montée en puissance de la marque Holden étant évidemment les deux principaux concurrents de General Motors sur le marché australien, à savoir Chrysler et Ford. Alors qu’ils faisaient partie, jusque-là, des modèles les plus vendus en Australie, les Plymouth Cranbook et les Dodge Kingsway peinent à résister face à la nouvelle berline de la GM, qui se taille désormais la part du lion. Ford, de son côté, malgré une baisse significative de sa production, parviendra néanmoins à résister, même si ce sera l’arrivée de la nouvelle Zephyr, similaire à celle produite en Angleterre, qui lui permettra de limiter, en grande partie, la casse et de se maintenir, dans les années 50, à la deuxième place des constructeurs australiens, juste derrière Holden.

 L’un des atouts de l’Holden 48/215, qui lui permettra de conquérir un grande part du marché automobile local, étant aussi un tarif très attractif. Elle est, en effet, vendue au prix de 1 466 dollars australiens, soit l’équivalent de 733 livres sterling, alors que sa principale concurrente de chez Ford, elle, est affichée à 815 £. Jusqu’en 1953, Holden produira, au total, 120 402 exemplaires de son modèle originel. La seule nouveauté marquante que celui-ci durant sa carrière sera l’apparition d’une version utilitaire, sous la forme d’un pick-up, en 1951. Ce genre de véhicules deviendra rapidement fort populaire et même incontournable en Australie, aujourd’hui encore, désormais mieux connus là-bas sous l’appellation Ute (abréviation pour coupe-utility).

En 1953, le modèle subit un léger lifting et reçoit alors la nouvelle appellation FJ. Par rapport à la 48/215 originelle, la face avant reçoit une grille de calandre de forme horizontale, la malle de coffre est également redessinée afin d’offrir une plus grande capacité de chargements pour les bagages et de nouveaux feux sont apposés à l’arrière et, côté technique, la suspension arrière est largement renforcée, afin de pouvoir encore mieux supporter les routes souvent défoncées de l’arrière-pays australien. La gamme s’étoffe aussi du point de vue de la finition, la berline « standard », jusque-là seule disponible au catalogue, se voit maintenant doublée d’une version haut de gamme baptisée Special. Celle-ci dispose d’une présentation, intérieure et extérieure, plus cossue, avec, notamment, des moulures chromées supplémentaires qui viennent décoré la carrosserie. A l’autre extrémité de la gamme, une berline Business Sedan, à la présentation fort austère et à l’équipement dépouillé, fait aussi son apparition.

FJ

Comme pour sa devancière, le succès sera là-aussi au rendez-vous et près de 170 000 exemplaires de la Holden FJ seront vendus jusqu’en 1956. Au total, en comptant ces chiffres et ceux de la 48/215, la lignée de cette première Holden 100% australienne aura été produite à plus de 290 000 unités. Un score plus que respectable à l’échelle du marché australien.

Au cours de la décennie suivante, Holden poursuivra sa conquête du marché automobile australien, confirmant ainsi qu’elle est devenue un acteur incontournable dont ses concurrents historiques, Ford et Chrysler, doivent désormais tenir compte et avec lequel ils doivent à présent apprendre à lutter pour conserver leur place et leurs parts. Dans les années 60, il n’y aura d’ailleurs guère que ces deux derniers constructeurs, le premier avec la Falcon et le second avec la Valiant (dérivées de celles produites en Amérique) qui réussiront à opposer une véritable résistance aux nouveaux modèles de la gamme Holden. Laquelle ne cessera, à cette époque, de s’agrandir et de se diversifier, avec un catalogue décline à l’américaine, couvrant désormais tous les segments du marché, des compactes aux utilitaires, en passant par les berlines, coupés et breaks medium et full size, et s’enrichissant de modèles de plus en plus performants comme des muscle cars. Les modèles de la gamme Holden étant désormais, pour certains, bien loin de la philosophie « rustique » et de l’austérité de la 48/215 originelle.

HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN FJ VAN 1953 – 56

Si, durant cette période, les marques américaines semblent bien avoir définitivement supplanté les constructeurs britanniques sur le marché automobile en Australie et en avoir fait, à certains égards, leur chasse gardée, à la fin des années soixante, une nouvelle menace se profile pour eux à l’horizon. Une menace venue d’Extrême-Orient. Celle des constructeurs japonais. Si, dans un premier temps, les constructeurs locaux, tout comme leurs maison-mères aux Etats-Unis, ne prennent guère celle-ci au sérieux, tous, chez General Motors comme chez Ford et Chrysler vont rapidement devoir déchanté et, au cours de la décennie des années 70, assistés, hébétés et comme impuissants, à la conquête du marché australien par les marques venues du pays du Soleil Levant. Leurs chiffres de ventes augmentant rapidement chaque année. Parallèlement, ceux de la plupart des autres constructeurs, pourtant présents sur le sol australien depuis des décennies, ne va pas tarder à fondre comme neige au soleil. Si les constructeurs anglais en sont les premières et les plus graves victimes de ce « raz de marée » nippon, les marques américaines, elles aussi, vont durement en souffrir.

HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN FJ VAN 1953 – 56

Plus encore que Ford et Chrysler, Holden en sera toutefois le plus gravement touché, la filiale australienne de General Motors subissant ainsi des pertes colossales à la fin de cette décennie. Ce n’est pourtant pas faute de renouveler ses modèles et d’offrir une gamme de modèles toujours aussi diversifiée, capable de répondre à tous les besoins et à tous les budgets au sein des acheteurs australiens. Malheureusement pour Holden et pour la GM, rien n’y fera, le public, à cette époque, ayant, semble-t-il, définitivement succombé aux « charmes » des voitures japonaises. Une conquête qui, pour ces derniers, aura été aussi fulgurante que celle qu’a connue Holden dans les années 50 et 60.

Parmi tous les constructeurs japonais qui ont envahi l’Australie durant cette période, et qui y ont durablement creusé leurs nids, figure la marque Datsun (nom sous lequel était alors vendus les modèles de la marque Nissan sur les marchés d’exportation, aussi bien en Australie qu’en Europe ou aux Etats-Unis, jusqu’au milieu des années 80). Ironie du sort pour la marque Holden, l’homme qui est l’origine de l’ implantation de Datsun en Australie n’est autre qu’un certain… Larry Hartnett ! Travaillant, en effet, depuis 1960 pour le compte de Nissan, Hartnett, en plus d’avoir été à l’origine de la création de la première vraie automobile australienne, peut aussi se targuer d’avoir été le pionnier de l’importation des voitures japonaises en Australie. Un nouveau challenge que l’homme a, une fois de plus, brillamment relevé et qui a aussi, sans doute, représenté pour lui une opportunité à la fois inattendue et « originale » de se venger aussi, d’une certaine façon, de son ancien employeur qui l’avait renvoyé sans ménagement en pleine gestation du projet de la première Holden et qui, en plus de cela, avait renié le rôle crucial qu’il avait joué dans l’ascension de la marque.

Pour celui que l’on peut considérer, à bien des égards, comme l’un des pères de l’automobile australienne, cette période sera aussi celle de la reconnaissance de la part de ses paires. Depuis 1965, la Society of Automotive Engineers Australasia décerne en effet chaque année le Hartnett Award, un prix qui récompense les industriels, les managers et ingénieurs australiens pour leur contribution à la connaissance ou à la pratique dans les domaines de l’automobile et de l’aéronautique. Déjà honoré du titre de Commandeur de l’Ordre de l’empire Britannique en 1945, il sera également fait Chevalier par la reine Elizabeth II le jour de l’anniversaire de la souveraine en juin 1967. Il décédera, à l’âge de 87 ans, en 1986, alors que la marque Holden, dont il avait tant contribué, naguère, à faire l’un des piliers de l’ ndustrie automobile australienne, connaissait une rude traversée du désert.

HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN PREMIER (1968 – 69)

Les Holden originelles, 48/215 (aujourd’ hui baptisé du surnom d’Old Number One par ses admirateurs, pour mieux souligner son statut de première vraie voiture australienne) et FJ, elles, seront épargnées par les vicissitudes de l’Histoire. Contrairement à la plupart des autres voitures australiennes contemporaines, les deux premières Holden n’auront pas à connaître le purgatoire du marché de l’occasion et accéderont rapidement au statut de modèles cultes. Là-bas, elles y sont vénérées depuis des décennies et elles y sont choyées quasiment comme véritables icônes religieuses.

A l’image de ce qu’ont été les Citroën Traction et 2 CV ainsi que la Renault 4 CV en France, la Mini en Angleterre, la Coccinelle en Allemagne ou encore la Fiat 500 en Italie, on peut dire, sans exagération, que ce sont bien ces deux modèles qui ont permis de mettre « l’Australie sur roues », en permettant à un grand nombre d’ automobiles australiens de s’offrir leur première automobile et de goûter aux joies du transport individuel. A une une époque, ou, un peu à l’image de la France contemporaine, où le réseau routier se limitait, pour les plus grands axes de circulation, à des voies comme la Nationale 7, au pays des kangourous, on ne devait pas non plus connaître (et sans doute encore moins là-bas, surtout au vu de l’ étendue du territoire australien) les problèmes d’embouteillages et d’accidents de la route (sauf, bien sûr, à tomber sur une ornière ou un kangourou égaré sur la route).

HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN STATESMAN (1980 – 84)

Si les Australiens ne peuvent peut être pas, tout du moins en ce qui concerne le nombre de constructeurs « nationaux », se prévaloir d’un passé et d’un patrimoine automobile aussi riche que celui des Américains ou des Européens, cela ne les a toutefois pas empêchés d’être, à cette époque déjà, de grands amateurs d’automobiles et de devenir très vite de vrais connaisseurs en la matière. Il n’y a qu’à examiner certains des modèles les plus emblématiques de la production australienne, comme le coupé Ford Falcon XB (rendue célèbre au cinéma pour avoir de servi de monture à Mel Gibson dans Mad Max) ou encore certaines des Holden les plus sportives des années 90 et 2000, comme le coupé Monaro (fort d’un V8 de plus de 400 ch), pour s’en convaincre. Des modèles qui, aussi bien sur le plan du design que des performances, n’ont rien à envier aux sportcars d’outre-Atlantique.

Même si ces dernières n’ont plus grand-chose à voir avec les premières Holden des années 50, tout comme leurs lointaines devancières, les Holden des décennies suivantes ainsi que celles d’aujourd’hui ont ceci en commun que, si elles n’ont jamais caché ou renié leur inspiration puisée chez les modèles produits au pays de l’Oncle Sam, elles ont pourtant, souvent, su se doter d’une identité propre, en ne contentant ainsi de simplement copier leurs « cousines » de Detroit et peuvent aujourd’hui revendiquer, en grande partie, une identité bien australienne.

HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN MONARO GTS (1977 – 78)

En tout cas, Larry Hartnett, de son côté, au moment de passer l’arme à gauche, est sans doute parti avec un sentiment de fierté d’avoir contribué à la naissance d’une véritable industrie automobile australienne (c’est à dire des modèles spécifiquement conçue pour le marché australien et non plus, simplement, des voitures assemblées, en totalité ou en partie, avec des pièces importées d’Amérique et qui ne soient, à quelques détails près, que de simples copies des modèles produits à Detroit).

HOLDEN 48/215 et FJ - Les aventures de GM au pays des kangourous.
HOLDEN MONARO CV8-R (2004)

Si, comme on l’a vu, Hartnett a payé au prix fort sa détermination à vouloir forcer la direction de General Motors a mettre en production « sa » voiture, en se voyant débarqué sans ménagement du navire avant même que le projet n’arrive à son terme, le succès immense et immédiat remporté par sa création lui a pourtant donné raison et à prouver qu’il existait bien une demande, très forte, pour une voiture « 100 % » australienne. Si, lors du lancement de la première Holden, GM a renié et même cherché à effacer cette paternité, l’Histoire et les collectionneurs l’ont aujourd’hui réhabilité, tout comme la voiture qu’il a créé. Preuve qu’en dépit de la relative « jeunesse » de leur histoire et de leur patrimoine automobile, les Australiens en sont néanmoins fiers, tout comme ils savent se montrer fiers des hommes qui ont contribué à l’édifier.

Maxime DUBREUIL

Photos Wheelsage

D’autres histoires https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/01/rosengart-5-cv-le-nom-de-la-rose/

En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=sFdG4ocjMOI&ab_channel=LorbekLuxuryCars

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici