ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 100 (1960 - 62)

ROVER P4 – Chapeau melon sur quatre roues.

Le premier Salon automobile de Londres de l’après-guerre, qui ouvre ses portes à Earls Court à l’automne 1948 a été marqué par un événement de taille pour la firme Rover, avec le lancement de celui qui sera, non seulement, le premier tout-terrain britannique mais aussi le premier véritable concurrent de la célèbre Jeep américaine. Celui de l’année suivante sera aussi à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la marque au drakkar, puisqu’elle voit la présentation au public de celle qui sera la première berline Rover de l’après-guerre : la P4.

Ainsi que ce fut également le cas de la grande majorité des constructeurs britanniques (en dehors de quelques exceptions notables), lorsque la Seconde Guerre mondiale prend finalement fin, au printemps 1945 et que Rover peut donc commencer à préparer le retour à la vie civile, c’est-à-dire la reprise de la production automobile, celui-ci se contente (en tout cas dans un premier temps) de reconduire à l’identique (ou presque) sa gamme d’avant-guerre. La seule exception étant celui qui fut, jusqu’en 1939, le modèle haut de gamme de la marque, la Twenty, dont la production ne sera donc pas reprise après le conflit. La gamme pour les années-modèles 1946 et 47 restant, néanmoins, assez fournie avec cinq modèles en tout : les deux premiers à moteurs quatre cylindres (avec des cylindrées respectives de 1,4 l et 1,6 litre) et les trois autres de mécaniques dotées de six cylindres (affichant, respectivement, 1,9 l ; 2,1 l et 2,5 litres de cylindrée), avec une gamme de carrosserie, elle aussi, assez complète (même si les plus produites restent, assez logiquement, les classiques conduites intérieures à quatre et six glaces).

Il est vrai que durant l’ensemble de la durée du conflit, non seulement les chaînes de production du constructeur mais aussi son bureau d’études furent mobilisés par l’effort de guerre, sans véritablement de possibilité de pouvoir se consacrer (même à « temps partiel ») à l’étude de nouveaux modèles. Comme dans la France occupée ou même au sein de l’Allemagne nazie), les automobilistes britanniques se retrouvèrent confrontés aux rationnements des matières premières et des produits essentiels comme le carburant ou les pneus (quand ces derniers n’étaient pas, tout simplement, obligés d’avoir recours à des équipements et des carburants de substitution comme le gazogène à bois). Sans compter les nombreux véhicules détruits dans les bombardements qui frappèrent non seulement Londres mais aussi la plupart des grandes villes d’Angleterre.

Le contexte économique et social fort difficile de l’immédiat après-guerre expliquant aussi que les constructeurs (une fois les usines, souvent durement touchées, elles aussi, par les bombardements) reprennent, tout simplement, la production de ses voitures d’avant-guerre que la grande majorité des citoyens britanniques que, durant la seconde moitié des années 1940, font l’acquisition d’une voiture neuve (et ils ne sont pas nombreux) le font donc avant tout par nécessité. Le parc automobile (en Angleterre comme dans les autres pays d’Europe) ayant, lui aussi, fortement souffert des destructions engendrées par les bombardements ennemis. Sans compter que la mauvaise qualité des carburants de substitution utilisés durant ces années sombres et la difficulté (voire, parfois même, l’impossibilité) que rencontraient alors les automobilistes à faire entretenir correctement leurs voitures faisant qu’un grand nombre d’entre-elles.

C’est pourquoi, au sortir, du conflit, au vu de l’état d’usure (voire de délabrement) assez avancé qui affecte celui-ci, la priorité première pour une grande partie des citoyens britanniques est de pouvoir remplacer, de manière assez rapide, leurs anciennes automobiles, souvent usées jusqu’à la corde. Tout au moins ceux qui, dans un pays certes victorieux mais dont l’économie ressort fortement affaiblie de ces années de guerre, ont les moyens de s’offrir une voiture neuve, aussi modeste soit-elle, et ils ne sont pas tellement nombreux. Au vu de ce contexte où le ciel où l’orage vient à peine de cesser, qui apparaît encore bien gris et commence à peine à s’éclaircir, la conception ainsi que la mise en production de nouveaux modèles n’apparaît donc clairement pas comme une priorité absolue.

D’autant que pour redresser son économie, le nouveau gouvernement travailliste dirigé par Clement Attlee, décide d’instaurer des taxes assez importantes sur les véhicules neufs dont le prix dépasse les 1 000 Livres sterling (soit pas moins les deux tiers, sinon les trois quarts des modèles de la production automobile d’outre-Manche en cette seconde moitié des années 1940) et que les constructeurs sont fortement encouragés (pour ne pas dire quasiment obligés) de réserver une part importante de leur production à l’exportation. Si, sur les automobiles de catégories populaire ou « intermédiaire » comme sur les modèles de prestige tels que les Daimler ou les Rolls-Royce, le style d’avant-guerre se voit offrir, en quelque sorte, une « seconde carrière » et perdurera sur celle-ci jusque dans le courant des années cinquante, dès les premières années du retour à la paix, le vent du changement commence néanmoins (lentement mais sûrement) à souffler.

Même au sein de ce pays qui passe pour être l’un des plus conservateurs d’Europe (en matière d’automobiles comme dans de nombreux autres domaines), certains constructeurs, sans doute pour mieux symboliser et incarner le début de ce qu’ils voient ou présentent comme une ère nouvelle et, ainsi, tirer un trait sur le passé, décide de s’inspirer d’un nouveau style venu d’Amérique. Où les ailes se trouvent entièrement intégrées au reste de la carrosserie, à l’avant comme à l’arrière et ne forme désormais plus qu’un seul et même ensemble avec celle-ci, de même que les phares et la calandre en ce qui concerne la face avant. Un courant baptisé du nom de style « ponton » ou « semi-ponton », un certain nombre de constructeurs et modèles, sans doute par difficulté de tourner brutalement la page de leurs anciens modèles d’avant-guerre (et de crainte, aussi, que ce changement trop brutal ne déroute trop une clientèle souvent assez conservatrice) décidant de passer par une sorte de « période de transition ».

Dans les deux cas, les nouveaux modèles en question, comme la Jowett Javelin (qui sera l’une des premières en Grande-Bretagne a incarner ce nouveau courant esthétique) dès 1946) ainsi que la Standard Vanguard, deux ans plus tard, figureront parmi les exemples les plus illustratifs. Si certains, notamment au sein de la presse automobile britannique de l’époque, ne se priveront pas de dire qu’elle n’était, d’une certaine façon, que des versions en réduction des modèles alors en production aux Etats-Unis. Bien que cela soit, en partie, vrai, cela ne les empêchera toutefois pas de trouver rapidement leur public. Ce qui achèvera, assez rapidement, de convaincre les autres constructeurs d’outre-Manche de s’engouffrer eux aussi dans cette voie, qu’il s’agisse de Morris avec les Minor et Oxford ainsi que les modèles des marques Hillman, Humber, Singer, Vauxhall et autres.

Si les frères Spencer et Maurice Wilks, qui dirigent alors la marque au drakkar, mettent rapidement à l’étude un nouveau modèle doté du style « ponton » venu d’outre-Atlantique, outre le fait que l’un comme l’autre semblent avoir été séduit par ce nouveau courant qui incarne alors une nouvelle modernité en matière de design automobile (même si le terme n’avait pas encore été inventé) mais aussi parce que son adoption pour le nouveau modèle qui est alors en chantier au sein du bureau d’études leur permettra de prendre de court leurs concurrents. Le style « ponton » commence à peine, en effet, à faire son apparition en Europe, le modèle Vanguard de la firme Standard (laquelle incarne alors, avec Austin et Morris, l’archétype des voitures populaires anglaises) étant encore le seul qui puisse prétendre à une grande diffusion.

Dans un contexte économique difficile, aussi bien au Royaume-Uni que dans le reste de l’Europe, où la concurrence est désormais rude sur le marché automobile, les frères Wilks ont bien compris que l’une des clés essentielles pour parvenir à s’y faire la meilleure place possible était de s’embarquer le plus tôt possible dans « le train de la modernité ». En ce qui concerne l’esthétique extérieure du nouveau modèle en question, tout au moins, car la « révolution », chez Rover (ainsi, d’ailleurs, qu’au sein de la plupart de ses concurrents et compatriotes qui opteront, eux aussi, pour ce nouveau style) s’arrêtera toutefois là. Pour tout le reste, que ce soit en ce qui concerne la présentation intérieure de l’habitacle ainsi que la partie technique, la firme de Solihull demeure ici dans la « plus pure tradition britannique ».

Ce n’est donc pas sur la future Rover qu’il faudra chercher des perfectionnements techniques tels que les roues avant motrices ou la suspension hydraulique comme cela sera le cas sur la future et révolutionnaire Citroën DS (même si cette dernière deviendra, lors de son lancement, l’une des principales concurrentes étrangères de la Rover sur le marché britannique). Dans ce domaine, la marque au drakkar reste donc « prudemment » dans le rang (celle-ci ayant aussi bâti une part non négligeable de sa réputation sur la fiabilité et la robustesse de ses modèles, il est, dès lors, assez compréhensible qu’elle préfère continuer à faire appel à des solutions techniques simples et éprouvées qui rassureront donc la clientèle). Ce qui n’empêchera toutefois pas la nouvelle berline Rover d’adopter, au fil du temps, un certain nombre d’évolutions et de progrès techniques qui lui permettront ainsi de continuer à « maintenir son rang » durant une carrière qui durera, au final, durera pas moins de quinze ans !

Outre ce choix assez hardi pour les lignes de son nouveau modèle, l’autre « révolution » chez Rover sera au niveau de l’organisation de la gamme des voitures de tourisme, le constructeur décidant alors, en effet, d’adopter la politique du modèle unique. Une politique commerciale alors inédite de la part d’un constructeur britannique, surtout venant d’une firme comme Rover qui se présentait, surtout jusqu’ici, comme un constructeur « généraliste » et qui, par définition, se devait de proposer une gamme assez « pléthorique » afin de pouvoir ainsi couvrir les principales catégories du marché. Une décision qui ne manquera pas d’en surprendre plus d’un, aussi bien au sein de la presse et de l’industrie automobile que du public et qui s’explique sans doute, en grande partie, par le succès du premier tout-terrain européen, le célèbre Land Rover (dont l’ampleur du succès a surpris jusqu’à son constructeur lui-même).

Au vu de la demande, aussi bien sur le marché intérieur qu’à l’étranger, qui mobilise une grande partie des capacités de production de l’usine de Solihull, les frères Wilks décident donc, finalement, de concentrer la gamme des voitures particulières sur le segment de marché qui leur apparaît le plus lucratif. Si Rover avait bien étudié, à la même époque, le projet d’une petite voiture citadine dotée d’un moteur de 700 cc sur le modèle de la Fiat 500 C (aussi connue sous le nom de Simca 6 sur le marché français), celui-ci, baptisé en interne du nom de « Projet M », sera finalement abandonné.

Plus encore que Jowett et Standard avant elle, la firme de Solihull franchira donc un pas supplémentaire et important vers le style ponton, en adoptant donc, d’emblée, le style « ponton intégral » allié à la silhouette de la berline tricorps dotée, à l’arrière, d’une malle de coffre de grande taille et donc d’un porte-à-faux fort prononcé. Un style qui trouve, de manière plus précise, son inspiration dans les nouvelles Studebaker des millésimes 1947 et 48. (Dont les lignes ont longtemps été attribuées au seul Raymond Loewy, alors consultant attitré du constructeur américain, mais dont il est, aujourd’hui, établi que la plus grande partie d’entre-elles sont dues à l’un de ses principaux assistants, Virgil Exner. Lequel prendra, quelques années plus tard, la tête du bureau de style de Chrysler).

Les frères Wilks étant convaincus (et à juste titre) que celle qui est (en dehors des Kaiser-Frazer, présentées un an plus tôt et qui ont été les premiers modèles américains à inaugurer la ligne « ponton intrégale ») la première nouvelle voiture de grande série d’après-guerre produite au pays de l’oncle Sam indique la voie à suivre. Afin que leurs propres stylistes puissent mieux l’étudier et s’en inspirer pour la future Rover, ils vont jusqu’à faire l’acquisition de trois exemplaires des nouvelles Studebaker « Exner/Loewy », lesquelles passeront alors sous la loupe des hommes du bureau d’études de la firme au drakkar. Ces derniers s’étant d’ailleurs aperçu que (hasard, à la fois, curieux et cocasse) les dimensions du châssis des Studebaker étaient fort similaires à celles de la Rover 75 P3 produite alors sur les chaînes de l’usine de Solihull, ils n’hésiteront pas à prendre l’un d’entre-eux pour l’habiller de la carrosserie de l’une des Studebaker qui leur avaient été livrées.

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P3

Si plusieurs maquettes à l’échelle réelle sont également réalisées, elles ne diffèrent toutefois que par une série de détails, les lignes générales du style de celle qui recevra (assez logiquement) le nom de code interne de P4 étant rapidement figé. Celui-ci se caractérisant, entre autres, par la malle arrière plongeante et les portières s’ouvrant en « armoire » ou en « éventail », favorisant ainsi l’accès à bord. Les passages de roues étant placés, de leur côté, non pas à l’aplomb du montant arrière du pavillon de toit mais juste derrière celui, cela permet ainsi de dégager un plus grand accès aux places arrière, ainsi que des vitres d’une seule pièce descendant donc entièrement lorsque les passagers en actionnent les manivelles. Un autre trait de style qui caractérise la silhouette de la nouvelle berline Rover étant les lignes « rondouillardes » du pavillon de toit, en particulier à l’arrière, ce qui, allié à l’aspect quelque peu « joufflu » des faces avant et arrière de la voiture, n’est pas sans évoquer assez fortement (aussi bien vue de profil que de deux tiers ou de trois quarts avant ou arrière) la silhouette des célèbres chapeaux melon que se devait alors de porter tout vrai « gentleman » britannique.

Ce qui n’empêchera toutefois une part assez importante de la presse ainsi que du public (notamment au sein de la clientèle de la marque) de se montrer à la fois surpris et même un brin acerbe en découvrant pour la première fois, à l’occasion du Salon automobile de Londres qui ouvre ses portes en octobre 1949, la nouvelle Rover P4. Beaucoup jugeant, en effet, son esthétique trop américaine et donc pas assez britannique, même si, avec le recul, l’on peut juger et même affirmer que c’est surtout l’allure, il est vrai, assez massive de la ligne « ponton » qui a de quoi en choquer ou dérouter certains. Ces mêmes esprits critiques lui reprochant également sa proue au dessin, lui aussi, assez massif et également quelque peu surchargée en ce qui concerne l’accastillage chromé. L’élément qui fait le plus débat étant le phare antibrouillard unique placé au centre de la calandre, ce qui vaudra à l’un ainsi qu’à l’autre le surnom de phare ou de calandre « cyclope ». Un type d’éclairage alors autorisé par la législation de l’époque mais dont Rover sera, toutefois, l’un des rares constructeurs britanniques à équiper ses modèles.

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 75 (1949 – 50)

Une fois les portières ouvertes, la clientèle peut, cependant, se montrer rassurée car elle se retrouve en terrain connu, la nouvelle berline P4 restant, sur ce point, dans la droite ligne de ses devancières. Qu’il s’agisse de la présentation intérieure de l’habitacle ainsi que de la qualité des matériaux employés, la nouvelle Rover offre, en effet, tout ce que les acheteurs britanniques sont en droit d’attendre d’une berline anglaise de grande classe. Celle-ci bénéficiant, en effet, d’une sellerie entièrement en cuir, d’un tableau de bord ainsi que d’encadrements de vitres et des contre-portes en bois véritable et verni, de lampes de lecture pour les passagers à l’arrière, d’une moquette épaisse pour les occupants des deux banquettes (à l’avant et à l’arrière) ainsi que d’un système d’éclairage pour le coffre à bagages et même la boîte à gants. (Ce dernier équipement étant alors considéré comme un vrai luxe à l’époque, notamment en France, où ces concurrentes, comme les Hotchkiss en sont, pourtant, dépourvues).

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 75 (1949 – 50)

Sur le plan technique, si la Rover P4 demeure dans un « conservatisme prudent et pragmatique », c’est avant tout (comme expliqué plus haut) afin de ne pas risquer de rebuter (et donc de perdre) une clientèle qui se méfie assez fortement de la nouveauté (plus encore, probablement, en ce qui concerne l’aspect technique qu’esthétique). L’un des points qui reflètent le mieux cette politique de la « demi-mesure » étant le système de freinage, lequel, s’il reçoit un système hydraulique à disques (mis au point par la firme Girling) sur les roues avant, se contente, en revanche, de simples tambours commandés par câbles sur les roues arrière. Aux yeux de certains, cette solution « hybride » commence déjà à paraître quelque peu anachronique (le freinage entièrement hydraulique étant déjà considéré, à l’époque, à la fois comme une preuve de modernité technique mais également comme étant bien plus efficace). Ce que ni l’empêche toutefois pas d’être alors encore employé par un grand nombre de constructeurs (aussi bien au Royaume-Uni que dans d’autres pays), y compris par des marques encore plus prestigieuses que Rover (Rolls-Royce continuera ainsi à y avoir recours jusqu’à la fin de production de la Silver Wraith en 1959), même si, s’agissant du nouveau modèle de la marque au drakkar, celui finira par devenir entièrement hydraulique dès le courant de l’année 1951.

A son lancement, la P4 n’est encore, toutefois, proposée qu’en une seule version, la Seventy-Five, affiché au tarif de 1 106 livres sterling (« purchase tax » inclue). Si, au sein de la catégorie dans laquelle elle s’inscrit, la concurrence est alors fort rude sur le marché britannique, où Rover doit affronter des rivaux à la réputation, elle aussi, bien établie, comme Armstrong-Siddeley, Daimler ou Riley, elle présente toutefois l’avantage non négligeable d’un prix de vente nettement plus attractif que la plupart d’entre-elles. (A signaler que l’une de ses rivales qui peut se prévaloir d’un tarif le plus proche du sien n’est pas une voiture anglaise mais la Citroën Big Six, qui n’est autre que la version anglaise de la Traction 15 CV, produite dans l’usine que la marque possède alors outre-Manche, à Slough).

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 75 (1949 – 50)

Si les premiers exemplaires de série sortent des chaînes d’assemblage de l’usine de Solihull à la fin de l’année 1949, conformément aux directives gouvernementales mises en place à la fin du conflit afin de permettre le redressement de l’économie du pays, les deux tiers de la production sont alors réservés à l’exportation (en premier lieu vers les pays du Commonwealth). Si les besoins et donc la demande en ce qui concerne les voitures neuves sont alors fort importants, une grande partie des matières premières restent alors fortement contingentées, notamment pour l’acier. (Les dernières mesures en la matière ne seront d’ailleurs levées que dix ou douze ans après la fin de la guerre !). L’autre difficulté importante à laquelle se retrouve confronté le constructeur est que la plus grande partie de ses chaînes d’assemblage sont alors accaparées par la production du Land Rover. Ce qui, bien évidemment, limite d’emblée, les capacités de production qui peuvent être accordées pour la berline P4.

Afin de pouvoir contourner ces deux obstacles ainsi que répondre, du mieux possible, aux commandes déjà importantes qu’enregistrent les concessionnaires pour la nouvelle P4 (preuve que, même si son style ne plaît pas à tout le monde, en tout cas, au départ, la clientèle saura passer outre), Rover s’adresse alors à la firme Pressed Steel. Installée à Cowley, à proximité d’Oxford, celle-ci figure, à l’époque, parmi les plus importants carrossiers industriels d’outre-Manche, la qualité de ses productions étant largement reconnue (au point que Rolls-Royce n’hésitera pas à lui confier la réalisation des carrosseries de la version berline de la Bentley Mark VI).  Pour limiter les besoins en acier, les responsables de Pressed Steel et la direction de Rover décident de faire réaliser tous les éléments « ouvrants » de la voiture (les portières ainsi que le capot et la malle de coffre) dans un alliage d’aluminium baptisé Birmabright.

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 75 (1950 – 54)

Alors qu’elle n’est en production que depuis moins d’un an, la Rover P4 reçoit déjà, à l’automne 1950, ses premières modifications. Celles-ci touchant la calandre, dont les quinze barrettes horizontales de la version initiale se voient remplacées réduites au nombre de huit, plus larges et plus espacées, placées, à présent, en position horizontale. Un changement opéré pour des raisons techniques, afin d’éliminer ainsi les problèmes de surchauffe dont se trouvaient affectés les premiers modèles, en raison de manque d’espacement entre les barrettes de la calandre pour le passage de l’air vers le radiateur. L’habitacle recevant, de son côté, un nouveau tableau de bord à cadrans circulaires plus conventionnels remplaçant ceux de forme rectangulaire qui équipaient la P4 à son lancement.

C’est toutefois à l’occasion du Salon de Genève, en mars 1952, que celle-ci connaîtra son lifting le plus important concernant sa face avant. Le premier visage de la P4, avec son troisième phare « cyclopéen », n’ayant jamais fait l’unanimité et ayant même été l’objet de critiques plutôt acerbes, tant de la part de la clientèle que de la presse automobile, le constructeur décide finalement de supprimer celui-ci, ainsi, simultanément, que les grilles d’aération placées sous les phares (lesquelles, depuis la mise en place de la nouvelle grille de calandre, un an et demi plus tôt, avaient perdu leur utilité concernant le refroidissement de la mécanique). Le modèle recevant ainsi un nouveau visage, certes, beaucoup plus classique mais aussi plus sobre et élégant, faisant, cette fois, l’unanimité auprès du public visé. La calandre verticale chromée, comprenant, en dehors de l’épais montant central divisant celle-ci en deux parties, comprenant chacune de fines barrettes pour l’aération de la motorisation, restant, quant à elle quasiment inchangée. Cela, jusqu’à l’extinction des dernières versions de la lignée des Rover P4 dans le courant des années soixante.

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 75 CABRIOLET 1950

L’intérieur de la voiture restant toutefois quasiment identique, le seul changement notable étant l’emplacement de la trousse à outils, placée auparavant sous le siège conducteur et qui migre, à présent, sous la planche de bord. L’importance de la demande en voitures neuves (surtout s’agissant des nouveaux modèles) ainsi que celle, tout aussi grande, pour le Land Rover expliquent sans doute, en grande partie, outre le choix d’un unique modèle de voiture de tourisme, que la marque n’ait proposé, à son lancement, sa P4 que dans une seule et unique version. Quelques années plus tard, le contexte des pénuries de l’après-guerre appartenant désormais, pour l’essentiel, au passé, face à une concurrence qui fourbit de plus en plus ses armes. Rover comprend donc rapidement que, si elle souhaite persévérer dans cette politique commerciale, pour se maintenir face aux assauts répétés de ses rivales, elle ne peut désormais plus se contenter de la seule version 75. Il lui faut donc élargir la gamme de la P4 en de nouvelles versions, aussi bien vers des déclinaisons plus populaires et donc meilleur marché que vers le haut de gamme.

Si une nouvelle version du moteur de la P4 75, dont la cylindrée avait été portée à 2,6 litres, avait bien été envisagée par les ingénieurs du bureau d’études, réalisée à une trentaine d’exemplaires qui seront confiés, dans le courant de l’année 1954, pour des tests en conditions réelles sur le terrain, aux cadres du constructeur ainsi qu’à une série de clients triés sur le volet. Cette motorisation révélera toutefois rapidement un certain nombre de problèmes techniques, en particulier au niveau des pistons, victime de ruptures trop fréquentes.

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 75 MARK II (1954 – 59)

Ce qui obligera alors les ingénieurs de Solihull à revoir leur copie en repartant, en grande partie, d’une feuille blanche. Ce ne seront toutefois pas un mais deux moteurs six cylindres qui seront créés par ces derniers, l’un comme l’autre partageant toutefois une grande majorité de pièces en commun et se différenciant, essentiellement, par la taille de l’alésage ainsi que celle de la course à l’intérieur des cylindres du moteur. Le premier, présenté fin 1953, de 2,6 litres (2 638 cc exactement) développe entre 90 et 93 chevaux, équipe la nouvelle série 90, laquelle devient donc (assez logiquement) le nouveau haut de gamme de la marque au drakkar et représentera également, durant plusieurs années, l’essentiel des ventes de la P4. Extérieurement, cette nouvelle version ne se distingue toutefois guère des autres ou précédentes versions de la P4, sinon par une lunette arrière légèrement agrandie.

Outre son nouveau moteur, elle bénéficie également d’une boîte de vitesses dont la synchronisation des rapports a été améliorée et dépourvue désormais du système de la « roue libre » (un héritage des modèles d’avant-guerre qui commençait alors déjà à paraître anachronique, bien qu’il ne disparaîtra toutefois définitivement des Rover qu’avec l’arrêt de la production de la seconde version de la P4 75, à la fin des années 50). La P4 90 sera également la première Rover à inaugurer un autre système, assez novateur à l’époque, celui de l’overdrive. (Lequel permet ainsi de disposer d’une cinquième vitesse et de soulager la mécanique à hauts régimes, sans avoir à modifier la boîte de vitesses initiale ni à en concevoir une nouvelle). Celui-ci, fonctionnant par un mécanisme électrique, étant fournie par la firme Laycock-de-Normanville (qui équipera un grand nombre de voitures de prestige, de sport ou de grand tourisme de l’époque). Si cette option, apparue au catalogue à partir de l’année-modèle 1956, sera d’abord exclusivement réservée à la série haut de gamme 90, il sera également proposé, par la suite, aux autres modèles de la gamme Rover.

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 75 MARK II (1954 – 59)

Le second 6 cylindres de nouvelle génération, conservant la dénomination 75 originelle, commercialisé à l’automne 1954 (et commercialisé donc en tant que modèle du millésime 1955) affichant une cylindrée de 2 230 cc (contre 2 103 sur la version initiale) pour une puissance de 80 ch. L’alimentation n’étant plus, à présent, assurée que par un seul carburateur SU (contre deux précédemment).

Toujours dans l’objectif d’élargir sa gamme et afin d’attirer également vers elle une clientèle plus populaire, qui n’avait guère les moyens, jusqu’ici, de faire l’acquisition d’une Rover et qui roulait plutôt en Austin ou Morris, le constructeur présente également, simultanément avec la P4 90, la nouvelle série d’entrée de gamme 60 (est-ce en référence à la puissance de son moteur, qui est de 60 ch ?). Outre une présentation extérieure et (surtout) intérieure plus spartiate, sous le capot de cette dernière, l’on trouve un quatre cylindres dérivé de celui qui équipe alors les Land Rover. Bien qu’étant affichée à un prix de vente moins élevé que celle des modèles des séries 75 et 90, cette première version « populaire » de la Rover P4 sera toutefois jugée encore sensiblement trop chère pour sa catégorie, notamment par rapport à ses rivales. N’étant guère parvenue à trouver son public, elle quittera finalement la scène en 1959, étant alors remplacée par la nouvelle série 80, équipée d’un 4 cylindres de 2 286 cc dont l’alimentation est, cette fois-ci, assurée par un carburateur d’origine Solex et dont la puissance fait un bond significatif en passant à 77 chevaux. Celle-ci profitera du seul moteur dont l’alimentation sera entièrement assurée par des soupapes en tête (les autres versions, qu’elles soient à quatre ou six cylindres, conservant toutes le principe de la distribution « semi-culbutée », avec des soupapes d’admission en tête et celles pour l’échappement placées en position latérale).

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 80 (1959 – 62)

Après la partie avant, c’est le dessin de la partie arrière qui sera, à son tour, revue à l’automne 1954. Celle-ci perdant alors sa forme plongeante, pour la malle de coffre ainsi que les ailes, pour adopter un profil presque entièrement horizontal. Ce nouvel aspect « bombé » renforce l’allure quelque peu massive de la poupe, en lui donnant presque (lorsque la voiture est vue de plein profil) un air de symétrie avec la proue (renforçant ainsi l’aspect « chapeau melon sur quatre roues). Plus que l’esthétique, cette modification de la partie arrière de la P4 profitera surtout au coffre à bagages, lequel gagnera alors en volume (celui-ci ayant également gagné en profondeur grâce à l’abaissement de l’extrémité du châssis).

Les nouvelles Rover produites à partir de l’année-modèle 1955 se reconnaissant également (toujours vues de l’arrière) à leurs nouveaux feux arrière placés aux extrémités des ailes et remplaçant les feux horizontaux qui équipaient la P4 depuis son lancement, ainsi qu’une lunette de style « panoramique » en trois parties améliorant nettement la visibilité vers l’arrière. Ce remaniement esthétique étant dû à un jeune styliste qui imprimera, plus tard et de manière assez profonde, sa marque sur les futurs modèles de la marque au drakkar, notamment le Range Rover « Classic » ainsi que la Rover SD1. La P4 ne connaîtra plus, après cela, de modifications esthétiques majeures et conserveront donc une ligne quasiment identique sur ses différentes versions jusqu’à l’extinction de ses dernières représentantes, une dizaine d’années plus tard.

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 80 (1959 – 62)

Dans l’habitacle, l’acheteur peut désormais opter, à partir de l’année-modèle 1956, pour des sièges séparés à la place de la traditionnelle banquette à l’avant. Sur le plan technique, la série 90 se voit dotée, au même moment, en série, d’un système d’assistance pour le freinage. Cette dernière perdant toutefois, un an plus tard, son statut de modèle haut de gamme au profit de deux nouvelles séries, les 105 R et S. Celles-ci étant motorisées par une nouvelle version du six cylindres de 2,6 litres, lesquelles se différencient essentiellement par leur système d’alimentation. La première étant équipé d’un carburateur unique alors que la seconde, en revanche, bénéficie deux deux carburateurs (ceux-ci étant, dans les deux cas, toujours produits par la firme SU). Malgré cela, la différence de puissance entre les deux versions est presque insignifiante : la 105 S développant, en effet, à peine… 3 ch de plus que la 105 R.

Concernant la première citée et sachant cela, l’on devine alors, assez facilement, que le S accolé à sa dénomination ne signifie pas « Sport », mais, plus simplement, « synchronisée ». La 105 R, de son côté, cette dernière lettre renvoie à la transmission maison qui reçoit (en toute logique) l’appellation Roverdrive, celle-ci étant rien moins que la première boîte de vitesses automatique développée par la firme au drakkar. (Auparavant et, même, pendant très longtemps encore, la grande majorité des constructeurs britanniques qui souhaiteront proposer une transmission automatique sur leurs modèles se « contenteront » d’acheter, ou, au mieux, de produire sous licence, des boîtes de vitesses conçues par les constructeurs américains, comme General Motors ou Chrysler, ou par des firmes indépendantes spécialisées comme ZF ou Borg-Warner).

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 95 (1962 – 64)

Pour en revenir à la nouvelle transmission Roverdrive, celle-ci comprend un convertisseur de couple, un embrayage commandé par dépression, une boîte de vitesses à deux rapports (ce qui peut sembler peut, mais il faut rappeler que c’était aussi le cas sur la plupart des premières transmissions automatiques développées par les constructeurs américains et que, à la fin des années cinquante, la plupart d’entre-elles ne comportaient guère plus de trois rapports) ainsi qu’un overdrive qui s’enclenche à partir de 30 miles (soit un peu moins de 50 km/h). A l’image des autres modèles de l’époque équipés de ce type de transmission (et aujourd’hui encore), les Rover P4 équipées du système Roverdrive se reconnaissent, une fois ouverte la portière du conducteur, par le fait qu’il n’y ait que deux pédales seulement au plancher.

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P4 100 (1960 – 62)

Malheureusement pour la firme de Solihull, il s’avérera, rapidement, non seulement, complexe mais affichant aussi des performances assez décevantes. Bien qu’elle puisse revendiquer une vitesse de pointe de 150 km/h (tout au moins, selon les chiffres fournis par le constructeur), en termes d’accélération, en revanche, la 105 R se situe au même niveau que la version 60 d’entrée de gamme. Vendue, en outre, à un prix de vente assez élevé, il n’est donc guère étonnant d’apprendre qu’elle ne rencontrera guère de succès (que ce soit auprès du public britannique comme à l’étranger), disparaissant de la gamme Rover dès le printemps 1958, après avoir été produit à un peu plus de 3 500 exemplaires seulement. A la suite de ce double échec (commercial et technique), la marque renoncera à proposer une transmission automatique sur sa berline P4.

Bien qu’il semble, néanmoins, que,suite à la sortie de la nouvelle P5, le bureau d’études ait étudié le projet d’une version haut de gamme de la P4 reprenant la boîte de vitesses de fabrication Borg-Warner équipant cette dernière et accouplé, sur le prototype en question, avec le 6 cylindres de 3 litres (emprunté, lui aussi, à la P5), ce projet ne connaîtra toutefois aucune suite en série. Si la version « survivante », la 105 S, perdant cette dernière lettre lors des Rover de l’année-modèle 1959 et se voit donc alors rebaptisée 105 « tout court » (mais restant, en dehors de ce changement d’appellation, quasiment identique à l’ancienne 105 S), elle disparaîtra cependant, à son tour, du programme de production de Rover moins d’un an plus tard.

L’entrée en scène de la P5, la nouvelle génération des berlines Rover, à l’occasion du Salon de Londres de 1958 n’entraîne pas la mise à la retraite de sa devancière (cette dernière restera même présente encore durant six ans au catalogue). Celle-ci entraînant, toutefois, peu de temps après, un remaniement progressif de la gamme de la P4 : la première à en être « victime » sera l’austère version 60, qui se voit ainsi remplacée par une nouvelle version 80 pour le millésime 1960. Cette dernière, qui est, à la fois, la seule mais aussi la dernière version de la P4 équipée d’un moteur à 4 cylindres, n’aura toutefois qu’une carrière assez éphémère, puisqu’elle sera supprimée, elle aussi, à peine deux ans plus tard. De toutes les versions de la Rover P4, la 75 originelle aura été celle qui aura connu, au final, la carrière la plus longue, prend également sa retraite définitive (bien que dans deux déclinaisons sensiblement différentes), après quasiment dix ans de bons et loyaux services, à la fin de l’année 1959. Avec elle, la marque au drakkar abandonne alors, définitivement, le système (désormais clairement anachronique) de la roue libre (que la P4 75 était d’ailleurs l’une des dernières voitures britanniques à encore utiliser).

Les versions 90 et 105 étant, quant à elles, toutes deux remplacées par une seule nouvelle version, recevant la dénomination 100, laquelle, si elle ne reçoit qu’un seul carburateur, bénéficie, néanmoins de la transmission équipée de l’overdrive en série. La motorisation à 6 cylindres que l’on retrouve sous son capot se caractérisant par son architecture à course courte ainsi que sa cylindrée  (très légèrement) inférieure par rapport au précédent :2 625 cc contre 2 638 cc sur les versions 105 (celui-ci ne perdant pas grand-chose non plus en matière de puissance, puisque celle passe, simplement, de 108 à 104 ch). Le vilebrequin, en revanche, comportant désormais sept paliers au lieu de cinq précédemment (ce qui bénéficie, à la fois, à la souplesse d’utilisation du moteur et donc à l’agrément de conduite ainsi qu’à sa longévité). L’un des points communs entre les P4 80 et 100 est que ces deux versions bénéficient (enfin) de freins à disques à l’avant (toujours de fabrication Girling), le freinage devenant donc entièrement hydraulique.

Sur le plan esthétique, plusieurs remaniements sont également à noter : à l’automne 1959, la P4 reçoit ainsi de nouvelles moulures latérales ainsi que des barrettes de calandre légèrement en retrait (manifestement inspirée par celle de sa remplaçante, la berline P5). Si cela permet désormais à la face avant de la berline P4 d’afficher une (légère) ressemblance avec le nouveau modèle de la marque, il est évident que c’est toutefois (très) loin d’être suffisant pour masquer véritablement le fait que la silhouette de la P4 commence désormais clairement, à l’aube des années 60, à accuser clairement son âge, ses lignes « rondouillardes », avec, de profil, sa haute ceinture de caisse ainsi que ses surfaces vitrées assez réduites étant, désormais, clairement passées de mode. Il n’y a, toutefois, pas que d’un point de vue esthétique qu’elle apparaît assez démodée. Certains points de sa fiche technique aussi (outre le système de la roue libre, déjà mentionnée auparavant) : il en est ainsi de la direction, laquelle reste dépourvue de tout système d’assistance, ce qui rend évidemment celle-ci assez lourde à manoeuvrer, surtout en ville ainsi qu’à faible vitesse.

Il apparaît clairement que, même dans ses versions plus puissantes, elle n’a jamais eu aucune prétention sportive. Qui plus est, le conducteur qui se serait trompé sur sa vocation en serait, de toute manière, rapidement découragé par sa tendance assez prononcée au roulis au moindre virage abordé à une allure un peu trop élevée. Malgré son âge désormais avancé et alors que celles de ses rivales qui sont apparus sur le marché au même moment qu’elles ont, dans leur grande majorité, déjà quitté la scène, la Rover P4, de son côté, n’est pas encore véritablement décidée à faire valoir ses droits à la retraite. Outre une qualité de finition qui représente toujours ce qui se fait de mieux en matière d’automobile britannique (seuls Aston-Martin, Bentley, Jaguar ainsi que Rolls-Royce pouvant prétendre faire mieux), c’est aussi, justement, ce côté « délicieusement daté » qui lui permet de conserver une clientèle fidèle.

Ce qui explique, dès lors, aisément que celle qui sera l’ultime représentante de la lignée n’aura guère de mal à trouver son public. Présentée à l’automne 1962. A cette date, la gamme P4 se voit à nouveau « élaguée », avec la suppression des versions 80 et 100 (le catalogue Rover ne comportant donc plus, désormais, que des modèles à 6 cylindres, jusqu’à la présentation de la nouvelle P6 dont la version originelle se verra équipée d’un 4 cylindres de 2 litres), lesquelles se voient remplacées, la première, par la 95 et la seconde par la 110. La P4 95 ainsi que la 110 se voient toutes deux équipée, comme sur l’ancienne version 100, d’un moteur de 2 625 cc. Si, sur la 95, il demeure quasiment identique à cette dernière, avec une puissance ainsi que des performances quasiment similaires. Sur la version 110, en revanche, elle bénéficie d’une culasse réalisée par le célèbre préparateur Harry Weslake qui lui permet d’atteindre 123 chevaux, ce qui en fera la version la plus puissante de la Rover P4. Du côté de la transmission, seule cette dernière reçoit l’overdrive.

Afin de réduire les coûts de production, à partir de mars 1963, les ultimes P4 abandonneront les parties ouvrantes en alliage léger, lesquelles seront désormais construites entièrement en acier comme pour le reste de la carrosserie (ce qui aura évidemment des conséquences sur la balance, le poids total augmentant de quinze à vingt kilos selon les versions) et sera l’ultime modification que connaîtront les ultimes Rover P4. Preuve de l’importance que ce modèle représenta pour la firme au drakkar, lorsque l’ultime exemplaire de la première berline Rover d’après-guerre (appartenant à la version 95) tombe des chaînes d’assemblage en mai 1964, celui-ci aura droit à une haie d’honneur pour sa sortie de l’usine de Solihull. Au total, un peu plus de 130 300 exemplaires de la P4 auront été produits au cours d’une carrière longue de près de quatorze ans.

Durant la plus grande partie de sa carrière et à l’instar de la plupart de ses concurrentes, la plus grande partie de la production de la Rover P4 sera, évidemment, réservée au marché britannique, ainsi, en ce qui concerne l’exportation, qu’aux pays du Commonwealth. Ce qui ne l’empêchera toutefois pas d’acquérir également une réputation fort enviable sur d’autres marchés étrangers. Il en sera ainsi sur le marché français, où elle était alors distribuée par la société Franc-Britannique, qui importait également, à l’époque, les Bentley et Rolls-Royce. (En plus de l’une de ces dernières, certains clients feront d’ailleurs le choix d’une Rover lorsqu’ils souhaitaient pouvoir se déplacer avec plus de discrétion).

Dans l’Hexagone (le Royaume-Uni n’étant alors pas membre de l’Union européenne, n’intégrant celui-ci qu’en 1972), la Rover (à l’image d’une grande partie de ses compatriotes) se voyait toutefois handicapée par d’importantes taxes d’importation, ce qui en limitera (assez logiquement) la diffusion. Les premières versions de la P4 étant ainsi vendues pas moins de deux millions d’anciens francs, soit deux fois le prix d’une Citroën DS. Un tarif qui (malheureusement pour les amateurs de belles Anglaises) ne baissera toutefois pas lorsque la France passera au Nouveau Franc (augmentant parfois même d’un cran pour certains modèles venus de l’étranger).

Les chiffres parlent d’ailleurs d’eux-mêmes : en 1960, celle-ci, dans sa version 100, était ainsi affichée à 24 000 francs, soit au même prix (à quelques centaines de francs près) qu’une Jaguar Mark II en version 2,4 litres. En comparaison, chez les françaises, la révolutionnaire DS 19 (incarnation par excellence de la modernité et du génie automobile made in France) se laissait emporter contre la « modique » somme de 11 700 F et (pour ceux qui souhaitaient les charmes d’une américaine sur la majorité des inconvénients) une Simca Chambord contre 12 500 F. Même au sein des berlines de prestige de taille « intermédiaire », l’on pouvait alors trouver des modèles à un niveau (sensiblement) plus abordable. Ainsi, une Austin A99 Westminster se laissait emporter pour 18 500 F à peine. Par rapport au drakkar britannique, dans sa catégorie, seules de rares concurrentes affichaient un tarif plus élevé, telles que la Mercedes 220 S, pour laquelle il fallait un chèque atteignant pas moins de 26 000 F.

De l’autre côté de l’Atlantique également, la berline au drakkar a reçu de nombreuses louanges de la presse automobile américaine (en premier lieu de la part de Road & Track, qui comptait alors déjà parmi les références dans ce domaine et déclarera que sa qualité de fabrication ainsi que sa finition n’avait guère à envier à celle d’une Rolls-Royce). Malgré cela, la P4 ne connaîtra toutefois, sur le plan commercial, qu’une carrière assez anecdotique aux Etats-Unis, puisqu’elle n’y sera diffusée qu’à quelques centaines d’exemplaires à peine. La faute, sans doute, principalement, à un réseau de vente insuffisamment développée à l’époque. Rover ayant alors fait le choix, assez étrange, il faut l’avouer, de confier la vente de ses modèles sur le sol américain à la branche new-yorkaise de l’un de ses concurrents, le groupe Rootes. Ce n’est que par la suite que la firme de Solihull décidera de créer sa propre filiale aux USA, afin d’assurer une plus large diffusion à la P6, qui sera dévoilée en 1963.

Si la Rover P4 a donc connu un grand nombre de versions et de motorisations, à quatre comme à six cylindres, elle ne fut, en revanche, toujours proposée qu’avec une seule et unique carrosserie : la berline à quatre portes. Pourtant, il semble bien que le bureau d’études du constructeur ait étudié, lors de la conception et du modèle ainsi qu’à d’autres moments de sa carrière, plusieurs projets pour d’autres carrosseries. Le premier connu est celui d’un break « canadien » (en référence à l’appellation qu’avaient reçeu, à l’époque, les breaks dont la partie arrière était construite, entièrement ou en grande partie, en bois), réalisé en 1950, mais qui est toutefois restée sans suite.

La même année, le carrossier Tickford (lequel est surtout connu pour être le carrossier attitré d’Aston Martin, lequel en fera d’ailleurs l’acquisition en 1954) réalisera, à la demande même du constructeur, deux exemplaires d’un cabriolet ainsi qu’un unique coupé. On ne sait, toutefois, s’il s’agit, là aussi, d’un projet pour des versions à deux portes de la P4 qui n’ont finalement pas abouti à une production en série ou d’une commande spéciale pour les frères Spencer et Maurice Wilks ou encore des cadres « privilégiés » de l’usine. S’il n’y a eu que peu de carrossiers étrangers à s’être intéressés à la P4, l’une des plus connues (et aussi, sans doute, des plus réussies) est un cabriolet (de couleur or métallisée) sorti des ateliers de l’Italien Pininfarina, qui fut exposé au Salon automobile de Londres en 1953, ainsi qu’un coupé (revêtu, pour celui-ci, d’une teinte vert métallisée), issu de la commande spéciale d’un client d’origine espagnole.

ROVER P4 - Chapeau melon sur quatre roues.
ROVER P5

En 1950, Peter Wilks (qui n’était autre que le neveu de Maurice Wilks) s’associa avec deux anciens cadres de Roveer, Spen King et George Mackie, pour fonder la société Wilks, Mackie & Co. Celle-ci ayant pour objectif de créer un roadster sportif équipé de la motorisation de la Rover 75. Plus qu’un modèle à part entière, la Marauder n’était toutefois, sur bien des points, qu’une simple version roadster de la Rover P4, car, bien qu’habillée d’une carrosserie spécifique, elle reprend la plus grande partie des éléments mécaniques de cette dernière. Si les premiers exemplaires reçoivent donc le 6 cylindres développant entre 75 et 80 ch, dès l’année suivante, le moteur verra sa cylindrée portée à 2,4 litres et, grâce aussi à une alimentation assurée par trois carburateurs, verra sa puissance passée à 105 chevaux. Malheureusement pour les trois associés, les performances de la Marauder restent encore en deçà de celles de la plupart de ses concurrentes ainsi (du fait de leur production très artisanale) d’un prix de vente trop élevé par rapport à ces dernières. Après n’avoir réussi à assembler, en tout et pour tout, qu’une quinzaine de voitures (dont l’une d’entre-elle recevra une carrosserie coupé) en un peu plus d’un an et demi (entre juillet 1950 et mars 1952), le trio se voit contraint de baisser le rideau. Les trois hommes reprenant alors le chemin de Solihull pour réintégrer la marque au drakkar.

Maxime DUBREUIL

Photos Wheelsage

En vidéohttps://www.youtube.com/watch?v=W5-X2WUtgAw&ab_channel=RupertWaddington

D’autres anglaises https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/04/les-daimler-de-lady-docker-les-derniers-fastes-de-lempire-britannique/

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici