WILLYS CJ2 JEEPSTER – Jeep en tenue de plage.
Contrairement à ce que l’on serait en droit de croire, lorsqu’à la fin de l’été 1945, le Japon dépose finalement les armes fasse à l’ennemi et vainqueur américain, au pays de l’oncle Sam, certains ne sautent pas vraiment de joie à l’écoute de cette annonce qui signe la fin définitive du Second Conflit mondial. Outre les fabricants d’armement, d’autres industriels font également grise mine, à savoir les constructeurs de véhicules militaires et, plus particulièrement, l’un d’entre-eux : Willys-Overland.
Son président, Ward Canaday, a, en effet, bien conscience que c’est le déclenchement des hostilités (et surtout l’entrée, contrainte et forcée, des Etats-Unis dans celle-ci, après le raid des Japonais sur Pearl Harbor, en décembre 1941) ainsi que la production en grandes quantités de la nouvelle Jeep MB (qui entrera dans l’histoire pour avoir été le premier véhicule militaire équipé de quatre roues motrices) qui ont, rien moins que sauvés le constructeur d’une faillite qui, en ce début des années 1940, paraissait alors quasiment inévitable, tant les difficultés financières et autres auxquelles celui-ci se trouvait alors en proie depuis plusieurs années apparaissaient véritablement comme un gouffre impossible à franchir et dans lequel il menaçait de tomber, au fur et à mesure que le sol s’érodait dangereusement devant eux.
C’est donc avec un soulagement aussi grand que non dissimulé que les dirigeants de Willys accueillirent la signature de cet important contrat passé avec l’Armée américaine pour la production de ce nouveau véhicule léger à l’architecture alors inédite. Même s’il est vrai que celui-ci s’était vu contraint de partager ce fabuleux gâteau avec Ford. Les responsables de l’US Army craignant sans doute qu’étant donné la faiblesse de sa santé financière ainsi que ses capacités de production (à cent lieues de celles du groupe à l’ovale bleu, qui occupe déjà à l’époque la deuxième place des constructeurs américains, derrière General Motors), Willys ne soit pas en mesure d’apporter les garanties de pouvoir produire et livrer autant d’exemplaires que nécessitent les besoins (importants) de celle-ci dans les délais impartis.
Malgré ce partage imposé du gâteau, le nombre d’exemplaires de la Willys MB (son nom originel, l’appellation « Jeep » n’étant alors qu’un surnom qui lui sera attribué par les GI’s) qui sortiront des chaînes d’assemblage de Willys-Overland sera loin d’être négligeable. En outre, le public, dans son écrasante majorité, oubliera (ou ignorera, tout simplement, qu’une autre part importante de sa production fut assurée par Henry Ford et s’est donc bien le seul nom de Willys que celui-ci retiendra et sous lequel elle passera ainsi à la postérité.
Toutefois, en ce mois de septembre 1945, ainsi que durant ceux qui suivront, nombreuses seront sans doute les fois où Ward Canaday ainsi que les principaux cadres de la marque, seuls dans leurs bureaux comme lors des réunions d’entreprises, se poseront, intérieurement ou ouvertement, la question devenue essentielle (pour ne pas dire vitale) pour l’avenir du constructeur et qui pourrait se résumer ainsi : « Et maintenant, qu’est)ce que l’on va bien pouvoir produire ? ».
S’ils savent qu’ils pourront sans doute toujours compter sur des commandes émanant de l’US Army, ils se doutent également que celles-ci ne seront plus aussi importantes que durant le dernier conflit mondial (la guerre de Corée ne surviendra que quelques années plus tard et la très grande majorité des Américains sont alors intimement persuadés qu’ils ne se retrouveront plus mêlés à un conflit majeur). D’autre part, ils ont aussi parfaitement conscience que leurs modèles de voitures de tourisme qu’ils produisaient avant le conflit (et qui apparaissaient déjà clairement désuets au moment où l’entrée en guerre des Etats-Unis allait interrompre toutes productions de véhicules civils) n’ont quasiment plus guère de chances de se faire à nouveau une place au sein du marché américain de l’après-guerre.
Le constat s’impose donc assez rapidement : pour que la firme Willys-Overland puisse assurer son avenir, il lui faut prospecter de nouveaux marchés en dehors du domaine des véhicules militaires. De par sa conception même, la Jeep Willys MB est, non seulement, simple à produire mais peut aussi être aisément modifiée pour s’adapter à de nombreux usages (ce qu’elle a d’ailleurs bien démontrée durant le conflit, où elle servit aussi bien de véhicule de liaison que de ravitaillement en munitions et en matériel pour les unités combattant sur le front, celles-ci n’hésitant pas non plus à l’utiliser, en première ligne, où elle se verra alors équipée d’armements légers ou lourds).
C’est pourquoi le constructeur est convaincu que cette vocation « multiusages » qui a si bien fonctionné pour les militaires américains marchera tout aussi bien pour les civils. C’est ainsi que ces derniers se verront bientôt proposer de nouvelles déclinaisons en tous genres de la Jeep qu’ils avaient connu durant les années où ils ont servi sous les drapeaux : pick-ups à châssis « normal » ou rallongé et à simple ou double cabine, fourgon vitré ou tôlé (décliné, lui aussi, sur différents empattements), plateau-benne, etc. Ces nouvelles versions « civiles » (bien que l’on retrouvera, toutefois, également certaines d’entre-elles sous l’uniforme militaire) de l’ex-Willys MB, lesquelles a maintenant reçu la nouvelle dénomination CJ2A, rencontrent un certain succès, non seulement auprès des agriculteurs mais aussi de divers corps de métiers (comme dans l’industrie et la construction) ainsi que les commerces des bourgades en zone rurale.
Toutefois, cette nouvelle clientèle reste cependant assez limitée à l’échelle de l’ensemble du marché américain et les ventes des versions civiles des Jeep Willys ne permettent donc guère mieux à la firme que de se maintenir la tête hors de l’eau. C’est pourquoi le bureau d’études du constructeur, sur instructions de Canaday, se penche alors sur la conception d’un dérivé de la Jeep destiné, cette fois-ci, à être, exclusivement, un véhicule de loisirs. Le patron de Willys n’a, en effet, pas manqué de découvrir et d’être séduit, comme de nombreux Américains, par les petits roadsters britanniques qui ont fait leur apparition sur le marché américain au lendemain de la guerre.
Découverts en Angleterre par les GI’s partis combattre en Europe, beaucoup d’entre-eux les ramèneront alors de l’autre côté de l’Atlantique lors de leur retour au pays. Réalisant très rapidement et même bien avant tous les autres constructeurs américains (y compris Chevrolet avec la première génération de la Corvette, laquelle ne fera son apparition qu’en 1953) qu’il y avait là l’émergence d’un nouveau marché qui allait certainement prendre rapidement de l’importance et était donc promis à un bel avenir, ce dernier est bien décidé à être à croquer une part (qui soit, évidemment, la plus grosse possible) du gâteau.
C’est ainsi que Canaday demande au styliste indépendant Brook Stevens (surtout connu, par la suite, pour ses réalisations sur les modèles de la firme Studebaker à la fin des années 50 et au début des années 60) de concevoir les lignes de celle qui doit incarner la nouvelle identité de la marque et incarner ainsi la nouvelle « Jeep des loisirs ». Si, aujourd’hui, un tel slogan ainsi que le concept en lui-même apparaîtraient assez « classiques » (voire même assez banals), dans l’Amérique de la fin des années 1940, qui venaient à peine de sortir du Second Conflit mondial, ils constituaient bel et bien une véritable révolution et sans doute peut-on y voir, à certains égards, les prémices de la naissance d’un nouveau segment de véhicules, alliant les qualités de franchissement ainsi que la robustesse d’un tout-terrain à l’élégance, l’équipement et le confort d’une grande berline (ou d’un grand break) classique.
Un segment dont les modèles qui s’y inscriront recevront, originellement, l’appellation Recreative Vehicle, avant de se voir rebaptisés de la dénomination SUV. Si c’est bien à la firme Willys que l’on doit la paternité de la création de ces nouveaux tout-terrains si prisés aujourd’hui, en cette période de l’immédiat après-guerre, où Ward Canaday donne pour mission à Brook Stevens de parvenir à créer, pour le constructeur de la Jeep des GI’s, un nouveau modèle qui doit réunir « le meilleur des deux mondes » (qui plus est véritablement antinomiques et apparaissant même aussi difficiles à mélanger que l’huile et l’eau), la firme Willys en est encore loin. (Il faudra, en effet, encore attendre près de quinze ans, au début des années soixante, pour avoir apparaître sur le marché celui qui sera le pionnier des tout-terrains de « haut de gamme »).
S’il n’a pas encore acquis la notoriété qui sera plus tard la sienne à partir de la décennie suivante, Stevens a, néanmoins, déjà eu l’opportunité de faire ses preuves en matière d’automobiles (à l’image d’un autre grand designer de son temps, Raymond Loewy, il aura également l’occasion d’exceller dans de nombreux autres domaines du design). Cependant, même si l’on ignore si ce dernier a fait l’objet d’une pression particulière de la part du PDG de Willys-Overland, Ward Canaday a, toutefois, sans doute bien conscience que, malgré l’optimisme qui l’anime (ou, en tout cas, qu’il affiche), lui ainsi que le constructeur qu’il dirige jouent assez gros avec cette nouvelle Jeep civile, d’autant qu’elle s’adresse, en priorité, à une clientèle qui, jusqu’ici, non seulement, n’avaient jamais roulé au quotidien au volant d’un des modèles tout-terrains produits par Willys mais, en outre, n’aurait probablement jamais eu l’idée d’en faire l’acquisition.
Lorsque la Jeepster est dévoilée au public en 1948, celui-ci ne cache pas sa surprise devant cette création inattendue de la part d’un constructeur qui (à l’exception notable, il est vrai, de la déjà célèbre Jeep MB de la dernière guerre mondiale) n’avait jamais vraiment versé dans l’innovation ou l’originalité, qu’il s’agisse de l’esthétique de ses modèles ou de leur fiche technique. Pour le dessin de la carrosserie, en ce qui concerne la partie avant, le public en général et la clientèle habituelle des Jeep Willys en particulier reste en terrain connu, tant celle-ci reste très proche dans son style des précédents modèles créés par la marque depuis la présentation de la Jeep MB originelle.
L’on retrouve donc, la face avant traditionnelle des Jeep Willys, laquelle se voit, simplement, gratifiée d’une grille de calandre au dessin différent et légèrement plus proéminent avec des barrettes transversales chromées (celles longitudinales, c’est-à-dire dans le sens de la hauteur de la calandre restant, pour leur part, peintes de la couleur de la carrosserie), le pare-chocs avant, les entourages de phares ainsi que la mascotte stylisée trônant au sommet de la calandre, à l’extrémité du capot en forme de « V ». Il est manifeste que Stevens, même s’il a veillé (comme on n’a pas dû manquer de lui prescrire son commanditaire) à conserver au maximum l’identité esthétique des Willys, s’est, néanmoins, efforcé d’apporter à la Jeepster une certaine « touche de classe » qui, il est vrai, faisait défaut, jusqu’ici aux tout-terrains produits par la marque. (Il est vrai que ces derniers étant, à l’origine, des engins à vocation purement militaire, avant d’être reconverti, une fois la paix revenue, en véhicules utilitaires, destinés à un usage commercial ou agricole, il n’est, dès lors, guère surprenant d’apprendre que l’esthétique ne faisait pas du tout partie des critères figurant dans le cahier des charges lors du lancement de l’étude de la Willys MB).
L’on retrouve également, de chaque côté du capot, les ailes plates rapportées (dont les formes plates ne sont pas sans évoquer, vues de profil, une sorte de « Z » inversé), empruntées, elles aussi, à sa glorieuse aînée de la Seconde Guerre mondiale (ainsi qu’à celles qui lui ont succédé). Les Jeep Willys restant, toutefois, en cette fin des années 40, sans doute les seuls (ou, en tout cas, parmi les rares) véhicules de la production américaine à encore utiliser ce qui constituait, véritablement, une réminiscence des automobiles d’avant-guerre. (Les voitures de tourisme, pour leur part, en Amérique comme en Europe, ayant abandonné celle-ci au milieu des années 30).
C’est à partir du pare-brise et en ce qui concerne l’ensemble de la carrosserie que les différences sont les plus importantes et évidentes. Si, sur les autres Jeep Willys CJ, celui-ci est d’une seule pièce, entièrement plat et rabattable, sur la Jeepster, en revanche, il se présente en deux parties, légèrement inclinées (en forme de « coupe-vent »), bénéficiant également d’un entourage chromé. A la base du pare-rise, on retrouve aussi une longue baguette chromée couvrant l’entièreté de la largeur de la voiture et se prolongeant sur tout le contour de la cellule de l’habitacle.
Pour celle qui se voulait une version à la fois « chic » et sportive de la Willys CJ2, le constructeur n’a pas vraiment lésiné sur les éléments d’accastillage chromé (sans verser, toutefois, non plus, dans l’outrance ou le côté « m’as-tu vu », la Jeepster veillant, en effet, à conserver, en dépit de la singularité, à l’époque, de sa vocation, ainsi que de la silhouette, vue de profil ou de l’arrière, une certaine retenue dans son style). Les rétroviseurs de type « obus » entendant apporter, eux aussi, une touche sportive supplémentaire à l’ensemble.
Si l’habitacle profite d’une ceinture de caisse abaissée par rapport à la ligne du capot ainsi que des portières légèrement échancrées, permettant ainsi au conducteur et au passager assis à ses côtés ainsi qu’aux autres occupants prenant place sur la banquette à l’arrière de pouvoir profiter, en plus d’une balade « cheveux aux vents », d’une conduite et d’une posture « le coude à la portière » ou sur le dessus du flanc de la voiture. Les deux seules portières à l’avant (comme c’est d’ailleurs le cas pour l’ensemble des modèles de la gamme Willys, y compris dans leurs versions station-wagons), en plus de se révéler un brin « sous-dimensionnées » (bien que la banquette à l’avant soit, de manière assez singulière, divisée selon la formule « 1/3 – 2/3 » et que le dernier tiers en question, divisé et se présentant sous la forme d’un siège individuel est inclinable afin d’avoir accès à l’espace dévolu au passager à l’arrière) et auraient sans doute gagner à être sensiblement rallongées afin de faciliter la montée et la descente des occupants de la deuxième banquette. En plus de cela, la poignée de la portière se trouve réduite à sa plus simple expression, d’un dessin tout ce qu’il y a de plus passe-partout à l’époque, aussi rustique que simpliste, que les automobiles et les utilitaires d’avant-guerre.
Une autre partie de la voiture où transparaît, assez clairement, les origines ainsi que la vocation militaire et utilitaire des précédentes Jeep-Willys est le dessin de la partie arrière, laquelle se résume à un plan légèrement incliné sur lequel se trouve fixée la roue de secours, encadrée par deux minuscules feux rouges de forme circulaire, le tout surmontant un long pare-chocs, certes, lui aussi chromé comme à l’avant mais se présentant sous l’aspect d’un simple « rail de chemin de fer », avec, en son centre, l’inscription « Willys-Overland » en écriture calligraphiée. Un style ainsi qu’une présentation assez « sommaire » et qui (sans doute plus encore qu’avec la face avant) évoque, à la fois et de manière assez forte, celle des voitures d’avant-guerre ainsi que des roadsters britanniques (une lignée de petites sportives populaires qui a, elle-même, pris naissance dans la période de l’entre-deux-guerres).
Un parti pris esthétique qui, plus qu’un choix délibéré du styliste Brook Stevens, doit probablement, avant tout, à la volonté du patron de Willys-Overland, Ward Canaday, que la silhouette de la nouvelle Jeepster colle directement et le plus parfaitement possible à celle des MG et autres roadsters britanniques auxquels elle est destinée à se mesurer. Un choix stratégique et commercial assez singulier mais aussi plutôt risqué et qui, même s’il sera tenté par d’autres constructeurs, en Amérique comme en Europe, sera (malheureusement pour eux) souvent voué à l’échec.
En cherchant à imiter, le plus fortement possible, le style des modèles venus de l’autre continent, ceci, afin de ravir à ces derniers la clientèle « locale » qu’avait, justement, été séduite par la singularité des modèles étrangers en question (laquelle, pour une certaine partie d’entre-elles, avait été quelque peu lassée par les modèles proposés par les constructeurs américains à l’époque, qui étaient, presque tous, faits sur le même modèle), les marques qui ont opté pour cette stratégie se sont souvent trompés d’arme et, en conséquence, ont donc manqué (parfois même complètement) leur cible. Ce que souhaitait la clientèle ciblée en question, lorsqu’elle s’adressait à ses constructeurs nationaux, c’était bien un (ou des) modèle(s) dont le style comme le concept soit clairement et typiquement américain…. ou propre à la production nationale et non pas une sorte « d’ersatz » des modèles étrangers.
En matière d’automobile comme beaucoup d’autres domaines, les clients, dans leur grande majorité, préfèrent toujours l’original à la copie. Outre les Américains en cherchant ainsi à « singer » les sportives anglaises, certains constructeurs européens (britanniques ou autres) commettront aussi la même erreur en voulant calquer le concept et/ou les lignes de certains de leurs nouveaux modèles sur celui ou celles des modèles américains en étant convaincus que cela leur permettrait ainsi de séduire la clientèle américaine.
Ce sur quoi les constructeurs qui jouèrent cette carte-là se fourvoyèrent complètement, en ne s’étant, en effet, pas rendu compte que ce que souhaitait les acheteurs d’outre-Atlantique était des modèles dont le concept ainsi que l’esthétique soient typiquement britannique ou européen et non pas un « pastiche » ou une caricature de leurs propres modèles. En conséquence, il n’est guère étonnant d’apprendre que l’Austin Atlantic fut un échec commercial plutôt cinglant. Malheureusement pour Willys-Overland et pour les mêmes raisons, la Jeepster peinera assez fortement à trouver son public.
L’un des problèmes majeurs de la Willys Jeepster est qu’elle était, sur un certain nombre de points, déjà désuète et, sur d’autres, trop en avance sur son temps. Notamment en ce qui concerne son concept en lui-même. Si, aujourd’hui, un tout-terrain de « sport » ou de loisirs, alliant ainsi l’allure plus ou moins « martiale » ainsi que l’architecture à quatre roues motrices et les capacités de franchissement dignes de ceux d’un engin militaire à la présentation extérieure assez « clinquante » d’une belle décapotable de grande classe n’a plus rien de vraiment original et est même devenue assez courant (la grande majorité des constructeurs présents sur le marché des tout-terrains proposant, en effet, ce genre de modèles ou de versions dans leur gamme), dans l’immédiat après-guerre ainsi que les années 50, en revanche, un tel concept était alors inédit et même avant-gardiste, aussi bien en Amérique qu’en Europe.
En ce temps-là, que ce soit dans l’Ancien comme dans le Nouveau Monde, un 4×4 ne pouvait être, soit, qu’un engin à usage militaire ou utilitaire, mais certainement pas, en tout cas, aux yeux d’une grande partie du public, un véhicule destiné à la balade sous le soleil durant la belle saison. Dans l’esprit de celui-ci, une voiture de tourisme ou un véhicule utilitaire (dans les deux cas, au sens large du terme) devait servir à un seul usage bien spécifique. Lorsque l’on avait besoin de se déplacer en ville ou encore d’aller d’une ville à une autre via les longues Highways et autres Interstates, on prenait sa voiture et, lorsque l’on avait besoin de se déplacer (souvent par nécessité professionnelle ou autre besoin impérieux) à travers champs, forêts et montagnes, on prenait alors sa Jeep, c’était aussi simple que cela.
Dans l’Amérique d’alors, qui était, à la fois, celle de la paix et de la prospérité retrouvée, cela posait d’autant moins de problèmes, aussi bien sur le plan financier que matériel, où de nombreux automobilistes pouvaient désormais s’offrir le « luxe » d’avoir deux voitures ou deux véhicules différents. Outre le fait qu’en cette fin des années 190, le public (qu’il s’agisse de celui des voitures « classiques » comme celui des utilitaires et des tout-terrains) n’était sans doute pas encore prêt pour ce genre de véhicules « hybrides » (au sens originel du terme, c’est-à-dire composé d’éléments de différentes natures), l’autre problème du concept de la Willys Jeepster est qu’elle entend s’adresser et pouvoir séduire plusieurs publics à la fois mais que ses défauts ou les limites de son concept ont pour conséquence qu’elle ne parviennne guère à convaincre, véritablement ou totalement, aucun des publics visés.
Bien que de taille relativement « compact » en comparaison avec une voiture américaine « standard » de l’époque, la Jeepster se révélait, toutefois, également trop grande, trop lourde ainsi que trop peu puissante et pas assez rapide pour réussir à séduire la clientèle des roadsters britanniques comme les MG. Le style de sa carrosserie qui (en dehors de la clientèle « traditionnelle » des Jeep Willys) apparaissait probablement déjà démodé, y compris en comparaison avec les plus modestes des Chevrolet, Ford et Plymouth (lesquelles s’étaient déjà converties à la nouvelle mode du style « semi-ponton » ou même, pour certaines d’entre-elles, au style « ponton intégral ».
Sous le capot, ne figure ni V8 ni même de six cylindres en ligne (alors même que ce dernier est devenu, depuis longtemps déjà, la motorisation standard de la grande majorité des modèles produits par les constructeurs de Detroit, mais un simple 4 cylindres (alors même que ceux-ci ont abandonné ce type de motorisations pour leurs voitures de tourisme depuis, au moins, une quinzaine d’années). Celui-ci a beau être le célèbre « Go-Devil », celui-ci, malgré son appellation assez « tonitruante », porte assez mal son nom car, en dépit de sa robustesse et de son endurance dont il fera preuve sur les différents théâtres du conflit, il n’est pas vraiment ce que l’on pourrait appeler un « foudre de guerre ».
Sans doute Ward Canaday et les autres cadres de la firme Willys avaient-ils estimé que si les petits roadsters british dont étaient alors si friands leurs compatriotes se contentaient fort bien d’un simple petit quatre cylindres d’à peine 1,5 litre, la Jeepster qui avait été conçue pour rivaliser avec ces derniers s’accommoderait fort bien de la motorisation qui avait équipé sa glorieuse aînée durant le conflit.
Si celui-ci sera finalement remplacé, sur les modèles du millésime 1950 par une nouvelle motorisation, celle-ci, bien que se montrant (sensiblement) plus performante, d’une sonorité plus agréable à l’oreille ainsi que d’un caractère plus civilisé que le Go-Devil, le « nouveau » moteur Hurricane ne transfigure pas pour autant les performances de la Jeepster (avec 72 modestes chevaux et 115 km/h en vitesse de pointe), même s’il est vrai que (comme expliqué précédemment) les premiers tout-terrains produits par Willys étaient destinés, à l’origine, à un usage militaire ou utilitaire et que les performances n’étaient donc pas vraiment un critère prioritaire aux yeux de la plupart des acheteurs.
S’il faut aussi mentionner que les charmants petits MG TD et TF étaient, sur ce point, à peine plus rapides, elles présentaient, toutefois, sur ce point, à peine plus rapides, qu’un rapport poids/puissance nettement plus favorable. En outre, sa conception n’est guère moderne et même plutôt rustique avec sa distribution à soupapes latérales. Sur un utilitaire ou un véhicule tout-terrain, la rusticité de ce genre de mécanique n’a rien de rédhibitoire (présentant même des avantages non négligeables comme une grande robustesse leur permettant d’être utilisés dans les conditions les plus rudes ainsi que de pouvoir être entretenus et réparés par le premier apprenti mécanicien venu).
En revanche, sur un véhicule de loisirs destiné à une clientèle (a priori) sensiblement plus aisée et où un certain silence de fonctionnement (ou, tout du moins, un moteur n’affichant pas la sonorité d’un tracteur à vapeur d’avant-guerre ou d’une lessiveuse en mode essorage) ainsi que des commandes agréables et faciles à manier (ce qui n’était pas toujours le cas sur la plupart des utilitaires des années 1940 ou 50, lesquels nécessitaient, assez souvent, des muscles d’haltérophiles pour être manoeuvrer), notamment en ce qui concerne le passage des vitesses.
Si la Willys Jeepster n’est, certes, pas véritablement ce que l’on pourrait appeler un « poids lourd », il n’en reste pas moins qu’avec près de 1,5 tonne à vide (1 450 kg pour être exact), elle n’est pas véritablement une « ballerine » non plus et que le système de circulation à billes qui équipe sa direction (laquelle, comme c’est alors également le cas sur les Jeep utilitaires et à usage militaire) est dépourvue de tout système d’assistance (qui commence alors à se généraliser sur la plupart des voitures américaines à l’époque).
La seule partie de sa fiche technique qui puisse revendiquer une certaine modernité est la suspension à l’avant, à roues indépendantes, même si les bras supérieurs restés combinés avec de très « classiques » ressorts à lames (alors qu’assez étrangement, ceux à l’arrière s’avèreront plus modernes puisqu’étant de type semi-elliptique, l’essieu à l’arrière restant, quant à lui, tout ce qu’il y a de plus rigide).
La boîte de vitesses à laquelle se trouve accouplé le Go-Devil ou le Hurricane restant, elle aussi, tout ce qu’il y a de plus classique et même rustique, ne comportant, en tout, que trois vitesses (même si elle reste également, sur ce point, dans la norme, la grande majorité des voitures américaines n’en possèdent guère plus), laquelle, sur la Jeepster comme sur les autres modèles de la gamme Willys contemporaine, reste entièrement mécanique. Un type de transmission qui restait encore assez largement répandu sur les modèles de la production américaine (qu’il s’agisse des voitures de tourisme ou des utilitaires), notamment sur les plus populaires. Si les boîtes de vitesses ont fait leur apparition chez les constructeurs américains de Detroit quelques années plus tôt, elles restent encore, en cette fin des années 40, réservées aux voitures de prestige et ne commenceront à se généraliser au reste de la production (en particulier chez les constructeurs indépendants) qu’au cours de la décennie suivante.
Toujours en ce qui concerne la transmission, étant donné que la vocation de la Jeepster est de faire ce que l’on appellera plus tard du « cruising » (à savoir une conduite détendue à allure tranquille) le long des plages (pour ceux qui habitent dans les Etats des Côtes Est et Ouest, en particulier les plus ensoleillés comme la Floride et la Californie) ou pour les balades à la campagne ou en forêts (pour ceux habitant dans les Etats du Middle West), son constructeur n’a pas jugé nécessaire ou même utile de l’équiper de la transmission à quatre roues motrices de sa glorieuse aînée et se contente donc d’une transmission « classique » avec, donc, les seules roues arrière motrices.
Un élément essentiel qu’elle a, par contre, hérité de son aînée est la capote ou la bâche assez rudimentaire qui lui tient lieu de toit, celle-ci restant constituée d’une toile peu épaisse, certes suffisante pour offrir de l’ombre aux passagers (et faire donc office de « parasol ») mais guère adaptée pour permettre aux occupants de faire face aux intempéries, l’étanchéité de celle-ci en cas de fortes pluies. Ce qui ne manquera pas de constituer un handicap assez important qui ne manquera évidemment pas de déteindre sur les ventes de la Jeepster.
Si de plus en plus d’Américains, en plus de leur voiture principale destinée à leur travail et/ou leurs déplacements quotidiens, souhaitent également pouvoir disposer d’un second véhicule pour le week-end et les vacances, celui-ci doit cependant pouvoir également utiliser, selon les besoins ou les envies de son propriétaire, durant la plus grande partie de l’année et donc se montrer le plus polyvalent possible dans son utilisation. Or, la Jeepster ainsi que la marque Willys ne pouvaient se contenter du marché des seuls Etats du Sud (aussi bien ceux au climat « tropicaux » que ceux où celui-ci est même « désertique » comme le Texas ou l’Arizona) pour s’assurer des ventes suffisantes. En outre, même si son côté « command car en tenue de soirée » aurait pu être à même de séduire une partie de la clientèle aisée, souvent avide d’originalité (dans le but affiché de mieux se différencier de son voisin).
Le problème de la clientèle en question étant que celle-ci se montre, souvent aussi, exigeante et versatile et peut donc se désintéresser du jour au lendemain de ce qu’elle adorait et encensait le jour d’avant. Même si la Willys Jeepster avait réussi à séduire une clientèle d’élite, son succès n’aurait sans doute représenté qu’un feu de paille. La classe américaine dite « supérieure », lorsqu’elle souhaitait acquérir un véhicule décapotable pour ses déplacements, surtout estivaux, portait le plus souvent son choix sur les versions décapotables des modèles proposés par les constructeurs de prestige comme Cadillac, Lincoln, Packard ou encore les Chrysler Imperial, dont la silhouette n’avait rien à voir avec un véhicule militaire ou utilitaire et qui, en plus d’un style jugé bien plus à la mode et donc valorisant pour une voiture de grand luxe, se montraient également mieux finis, plus confortable et aussi mieux équipées.
Car, une fois franchie la frêle portière (ou plutôt, le « portillon ») donnant accès à l’habitacle, le moins que l’on puisse dire est que, sur chacun des différents points évoqués plus haut, le résultat reste assez (voire très) loin de l’ambiance que distille l’intérieur d’une Cadillac. Qu’il s’agisse du dessin du volant à deux branches ainsi que de celui de la planche de bord, tout évoque, à la fois, la Jeep des valeureux soldats du dernier conflit mondial et les voitures populaires d’avant-guerre, le côté clairement désuet de l’un comme de l’autre rappelant que la Jeep reste d’abord (et sans doute même, avant tout) une Jeep Willys mais trahit aussi le manque de moyens dont souffrait alors la firme Willys-Overland.
Si l’habitacle se montre suffisamment vaste pour accueillir six adultes de taille moyenne dans des conditions de confort somme toute assez honnêtes (en tout cas par rapport à son célèbre aîné ainsi qu’aux versions de la CJ2 qui équipent, à la même époque, les Forces Armées américaines combattant en Corée), celui-ci reste toutefois, comme pour le reste, assez loin de ce que l’on retrouve sur une berline américaine « standard ». Même si elle peut se vanter d’une présentation, intérieure comme extérieure, bien plus attrayante que les autres versions contemporaines (civiles comme militaires à produites à l’époque par la firme Willys et que la Jeepster est présentée par son constructeur comme son modèle « haut de gamme », à côté d’elle, la plupart des Ford, Chevrolet et Plymouth disposant d’un minimum d’options pouvaient apparaître comme des voitures de luxe.
Au vu de cette liste de handicaps assez longue, il n’est, dès lors, guère étonnant que l’accueil manifester par le public lors de la présentation de la Jeepster fut assez tiède et que seuls un peu plus de 19 000 exemplaires seulement en seront produits en quatre ans à peine, la Jeepster disparaissant du catalogue Willys à la fin de l’année-modèle 1951 (la production ayant, en réalité, cessée à la fin de l’année précédente mais la Jeepster restera toutefois encore présente dans les brochures publicitaires et les tarifs du constructeur durant encore près d’un an, ce qui reflète, incidemment, que celle qui se présentait comme une « Jeep de loisir » eut assez bien de mal à trouver son public).
C’est d’ailleurs durant la première année de sa (courte) carrière commerciale que sa production sera la plus élevée (un peu plus de 10 300 exemplaires, avant de chuter à un peu moins de 3 000 exemplaires dès l’année suivante pour remonter ensuite à plus de 5 800 unités en 1950, même si, comme mentionnés plus haut, une partie assez importante des dernières Jeepster produites eurent assez bien de mal à trouver preneurs et que l’on peut estimer qu’au moins un quart, voire un tiers des modèles du millésime 1950 restèrent encore invendus au terme de celui-ci).
Concernant les motorisations qui furent proposées sur la Jeepster, si celle-ci fut également disponible, successivement, avec deux types de six cylindres en ligne différents : en premier lieu, le Lightning de 2,4 l, apparus au cours de l’année-modèle 1949, lequel sera remplacé par une version dont la cylindrée sera augmentée et passera alors à 2,6 litres à l’occasion du millésime 1950. Avec une puissance de 90 chevaux, ce dernier n’avait toutefois pas grand-chose d’un foudre de guerre est, manifestement, même les acheteurs qui se laissèrent convaincre par l’acquisition d’une Jeepster jugèrent que l’écart en matière de puissance par rapport au quatre cylindres Hurricane n’était pas suffisamment important pour justifier pleinement le supplément de prix demandé. D’autant qu’en ce qui concerne les équipements (de série ou optionnels) comme la finition, les différences n’étaient guère significatives.
Ce qui explique, dès lors, assez aisément, que ces deux versions à six cylindres ne représentèrent qu’une part assez faible de la production. Celle équipée du bloc de 2,6 litres n’ayant ainsi été produite, selon certaines sources, qu’à un peu plus de 650 exemplaires seulement. Bien qu’afficher à un tarif relativement raisonnable lors de son lancement en 1948 (un peu plus de 1 700 dollars, soit l’équivalent des modèles plus « cossus » de la marque Chevrolet, celui-ci restait cependant encore trop élevé aux yeux d’une part importante de la clientèle visée et des clients traditionnels de la marque Willys en particulier.
Afin de faire baisser le prix de vente de la Jeepster, les dirigeants de celle-ci décidèrent alors d’enlever un certain nombre d’équipements de confort qui étaient auparavant montés en série et qui n’étaient maintenant plus disponibles qu’en option, ainsi qu’un certain nombre d’éléments de l’accastillage chromé comme la calandre et les pare-chocs. Cela eut, effectivement, pour effet d’abaisser (sensiblement) le prix de vente (ramenant celui-ci à un peu moins de 1 500 dollars, soit au même niveau que les modèles d’entrée de gamme, pour rester dans la même gamme de comparaison, lesquelles figuraient alors parmi les voitures les meilleur marché de la production américaine de l’époque).
L’impact au niveau des ventes ne se révélera, toutefois, pas vraiment au niveau des espérances du constructeur. L’année suivante (1952 donc) verra la présentation d’un nouveau modèle inédit, à bien des égards, l’Aero, celle-ci marquant, en effet, le retour de la firme Willys sur le marché des voitures de tourisme (qu’elle avait abandonné au moment de l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1941, pour se concentrer alors sur la production de la Jeep). Un retour qui ne sera toutefois qu’un feu de paille, puisque sa production sera abandonnée au bout de trois ans à peine. Une décision trouvant son origine dans le rachat, l’année précédente, de la firme Willys par l’industriel Henry Kaiser.
Ce dernier ayant, lui aussi, tenté de conquérir sa place sur le marché automobile avec la marque portant son nom (Kaiser-Frazer). Après des débuts très prometteurs, celle-ci se retrouvera, malheureusement, confronté à la domination, devenue alors écrasante, des grands groupes de Detroit (General Motors, Ford et Chrysler) et décidera finalement, au moment où Kaiser rachète le constructeur de la Jeep des GI’s, d’abandonner la production des voitures de tourisme pour se concentrer sur celle des tout-terrains et des utilitaires.
Malgré ce rachat, Ward Canaday sera maintenu à la tête de la firme Willys (laquelle verra toutefois alors sa raison sociale, c’est-à-dire le nom officiel de l’entreprise, modifié avec la disparition du nom d’OVerland) jusqu’à son départ à la retraite en 1963 (il avait alors atteint les 78 ans). Il décédera en 1976 à l’âge vénérable de 91 ans.
Peu de temps avant son départ, Willys dévoilera un tout-terrain d’un genre entièrement nouveau, puisqu’il sera le premier à réunir la robustesse ainsi que les qualités de franchissement d’un 4×4 avec l’élégance, l’équipement et le confort des voitures américaines classiques : la Jeep Wagoneer. Laquelle, outre une carrière commerciale qui ne s’arrêtera qu’en 1991, donnera naissance d’un nouveau genre de véhicules devenus incontournables sur le marché automobile d’aujourd’hui : celui des SUV.
Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=3z-Dht10db8&ab_channel=Nick%27sGarage
Un autre 4X4 https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/04/delahaye-vlr-la-premiere-jeep-francaise/