ARBEL / SYMETRIC – Une révolutionnaire… arnaque !
Parmi les nombreux prototypes conçus en France dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, la Symétric, présentée au printemps 1951, reste sans conteste l’une des plus originales quant à l’esthétique et des plus révolutionnaires quant à la technique.
Cette curieuse voiture, affichant une puissance fiscale de 6 CV, a été créée par Casimir Loubières qui, grâce à l’aide financière de son frère, propriétaire d’une compagnie aérienne en Extrême-Orient, a pu effectuer la mise au point de son prototype au sein de la Compagnie normande d’études. La Symétric doit son nom à sa forme bien particulière et à l’interchangeabilité de la plupart de ses éléments de carrosserie. Elle apparaît effectivement complètement symétrique, à l’exception des ailes arrière qui ne comportement pas de phares comme celles de l’avant. Assez déconcertante, l’allure générale de cette voiture n’est pas sans rappeler celle d’un gros bidon ! Ce qui n’est, assurément, pas le gage d’une grande élégance ! L’élégance a, en effet, ici été sacrifiée au profit de l’accessibilité et de l’efficacité. De forme circulaire, l’ossature générale de la voiture a permis de prévoir des portières qui, au lieu de pivoter comme d’habitude sur des charnières, s’efface dans la carrosserie en glissant le long de chemins à billes. Les vitres des portes se dissimulent vers le haut sous le toit tandis que les panneaux inférieurs s’éclipsent sous le plancher, le tout étant commandé par des systèmes à dépression conjugués à des ressorts de rappel.
Mais le principal intérêt de la Symétric réside surtout dans sa partie technique, plus particulièrement dans sa transmission « thermoélectrique ». Au lieu d’une transmission habituelle avec une boîte de vitesse et un pont à l’arrière, son inventeur a, en effet, imaginé une transmission électrique qui apporte le grand agrément d’emploi de l’électricité sans le handicap des lourds et encombrants accumulateurs (n’autorisant, en tout cas à l’époque, que des performances et une autonomie modeste). Partant d’un moteur thermique classique (le 1100 cc d’une Simca Huit), Casimir Loubières a mis au point une transmission sur les quatre roues ne nécessitant aucun élément mécanique intermédiaire. Placé transversalement, le moteur à essence Simca entraîne une puissante dynamo dont la force motrice est transmise directement par un réseau de câbles à quatre moteurs électriques, situés chacun dans une des roues. Le moteur 6 CV tourne constamment à son régime optimum car la transmission agit automatiquement sur le couple en fonction des conditions de marche (charge, vitesse, profil de la route, vent,…). La réversibilité de cette transmission électrique permet en outre d’assurer un freinage efficace sans risque de blocage jusqu’à la vitesse de 15 km/h, après quoi, un système mécanique classique sur les roues arrière intervient et immobilise la voiture. La Symétric se conduit avec une seule pédale. Dès que le conducteur appuie sur celle-ci, les freinages hydraulique et électrique s’interrompent et l’accélération commence. Pour freiner, il suffit de relâcher la pédale unique, les moteurs contenus dans chaque roue deviennent alors en quelque sorte des générateurs qui agissent comme des ralentisseurs en débitant leur énergie dans des résistances.
En réalité, l’idée d’ une voiture électrique produisant sa propre énergie n’est alors pas nouvelle. Dès 1898, la firme autrichienne Lohner avait conçu (avec l’aide du jeune Ferdinand Porsche) une voiture équipée d’un moteur électrique installé dans chacune des roues à l’avant, permettant ainsi de se passer d’un système de transmission. Lohner construisit également d’autres voitures, dites « mixtes », dans lesquelles un générateur actionné pr un moteur thermique fournissant du courant à un moteur électrique. Dans un autre genre de véhicules, on peut aussi citer le char Saint-Chamond, étudié pendant la Première Guerre mondiale. Sur ce char pesant tout de même 23 tonnes (!), l’inconvénient du poids ne présentait évidemment qu’une importance relative, mais, par contre, pour des voitures de tourisme, il en allait tout autrement. C’est ce défaut majeur qui sera la cause principale des échecs successifs rencontrés par les prototypes qui produisaient leur propre énergie électrique. Après ces diverses tentatives, il faut donc une bonne dose d’optimisme aux frères Loubières pour se lancer dans l’ aventure de la Symétric. Dès 1951, les deux frères prendront de nombreux contacts, en France comme à l’étranger, pour une éventuelle production industrielle. Si, dans un premier temps, cette série de tentatives était restée sans suite, les frères Loubières poursuivirent néanmoins leurs essais, effectués sous le contrôle de l’UTAC, jusqu’en 1956, et avaient fini par attirer l’attention de financiers désireux de monter une opération spectaculaire autour de cette voiture si originale.
En mars 1958, une nouvelle version, modernisée, de la Symétric fut dévoilée au public sous la marque française Arbel. Présentée dans le cadre prestigieux du Pré-Catelan, cette nouvelle Symétric est présentée comme une voiture révolutionnaire et un somptueux catalogue bilingue avec de riches illustrations en couleurs la décrivant avec des termes assez « ronflants » (comme en usent et abusent à l’époque les constructeurs américains) qui se veulent « dans le vent » mais, pour certains, frisent parfois le ridicule : carrosserie en Polystic, freinage et transmission Electric-Dive, suspension Thermogum, générateur statique à gaz Génestafuel ou même nucléaire Génestatom !
L’Arbel est prévue pour être commercialisée avec un choix de trois modes de propulsion. Le premier étant un moteur classique d’une cylindrée allant de 1 300 à 2 000 cc, développant 50 à 75 chevaux. Le second consistant en un générateur statique d’électricité fonctionnant selon le principe des piles thermiques à thermocouple. Pour fournir l’énergie à ces dernières, deux systèmes sont envisagés. Le premier doit fonctionner au fuel et permettre d’offrir une puissance d’ environ 40 kw. L’autre, par contre, prévoit rien moins que d’utiliser la solution de la propulsion nucléaire ! Un système utilisant des déchets nucléaires et autorisant, selon ses promoteurs, une autonomie record de 5 ans ! Quelque peu prématurée, cette dernière installation annoncée pourtant avec sérieux par le patron de la société Arbel dans le catalogue que ce dernier a fait éditer, n’aurait, de toute manière, pas pu être commercialisée sans l’accord (bien improbable) du ministère concerné.
Imprimé en grand format (26 x 35 cm) sur papier glacé, le luxueux catalogue Arbel décrit la Symétric 1958 en français et en anglais… sans toutefois trop s’aventurer dans les détails techniques. Une série de superbes dessins en couleurs y montrent la voiture sous toutes ses faces. Outre ses portes bombées en deux parties qui s’escamotent par glissement sous le toit et sous le plancher, l’Arbel se singularise par l’abondance de ses chromes et l’importance de la taille de ses pare-chocs, aussi bien à l’ avant qu’à l’arrière. Si l’on ajoute à cela les quatre phares surmontés d’énormes visières et les ailerons arrière aux formes délirantes, l’inspiration d’origine américaine semble indéniable. Le patron d’Arbel s’intéressant aussi aux taxis, il présente dans son catalogue une Symétric spécialement destinée à cet usage, munie de pare-chocs droits fort imposants (comme en auront plus tard les taxis américains Checker). Parmi tous les équipements originaux dont doit être équipé l’Arbel, si certains apparaissent assez farfelus, d’autres, en revanche, apparaissent plutôt ingénieux et même fort utiles, comme un cric automatique, un éclairage latéral sur la gauche de la voiture s’ allumant automatiquement lors des croisements, un remplissage automatique du lave-glace par l’eau de pluie, un indicateur de vitesse transparent disposé sur la planche de bord dans le champ visuel du conducteur, des repères de peinture fluorescente autour des serrures, etc.
Le jeune patron de la société Arbel ne manque assurément pas d’ audace et l’ampleur de ses projets laisse supposer qu’il dispose de moyens financiers considérables. Il envisage en effet l’édification d’une importante usine, soit en Ile-de-France, soit aux environs de Nice, et il souhaite en outre acquérir l’une des grandes compagnies parisiennes de taxis. L’entreprenant constructeur prévoit aussi des voitures sportives et il imagine même de faire courir une Symétric aux 24 Heures du Mans en 1959 !…
Pour les mois à venir, le programme d’Arbel se limite à la construction d’une centaine de voitures à moteur classique (dont une cinquantaine de taxis) dans les ateliers actuels de la société. Dans l’immédiat, aussitôt après sa présentation au Pré-Catelan, le prototype Arbel part pour le Salon de Genève qui ouvre ses portes le 12 mars 1958. A cette occasion, la firme annonça la commercialisation prochaine de la version à moteur « classique » de la Symétric au prix de 900 000 FF (de l’époque), soit le prix de base d’une Citroën DS, mais si quelques clients intéressés se laissèrent convaincre de verser un acompte à la société Arbel, aucun d’eux ne put jamais s’installer au volant de la voiture qu’il avait commandé, ni obtenir non plus le remboursement des acomptes qu’ils avaient versés.
Très rapidement, on s’apercevra, en effet, que tout le battage publicitaire fait autour de l’Arbel ne reposait que sur du vent. Etablie sur une base technique insuffisamment solide et ne bénéficiant d’aucune implantation industrielle sérieuse et solide, cette seconde version de la Symétric n’entrera jamais en production et elle ira rejoindre la cohorte des utopies qui ont jalonné l’histoire de l’automobile. La société Arbel sera finalement dissoute en 1959. On ignore ce que sont devenus les prototypes (celui réalisé par Casimir Loubières en 1951 comme celui commandé par la société Arbel en 1958), mais il est probable que l’un comme l’autre ont été détruits peu de temps après. L’issue peu glorieuse que connue l’aventure de la Symétric ait nuit, de manière presque irrémédiable, à la réputation de son inventeur car, même si la responsabilité de cette arnaque revient (en grande partie) au directeur de la société Arbel, qui avait noué un partenariat avec ce dernier et s’était engagé à commercialiser sa création, aucun autre des projets développés par la suite par Casimir Loubières ne semble avoir connu de suite commerciale. Quant au patron de la société Arbel, une fois celle-ci mise en liquidation, il semble avoir disparu de la circulation et ne fit, en tout cas, plus jamais parler de lui.
Maxime Dubreuil
Photos Wikimedia
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