CHEVROLET 1949 – La renaissance américaine.
Contrairement à ce que l’on peut (assez logiquement) penser et au contraire de ceux des pays européens, tous les constructeurs américains ne devront pas attendre la fin officielle des hostilités et donc la capitulation du Japon, au début du mois de septembre 1945, pour reprendre la production de leurs modèles civils. Cette reprise étant toutefois conditionnée à l’aval du gouvernement fédéral et accordé, au fur et à mesure du temps, selon deux critères essentiels : l’importance de leur contribution à l’effort de guerre ainsi que celle que les constructeurs occupaient sur le marché automobile avant l’éclatement du conflit.
Chevrolet, la division la plus populaire du groupe General Motors (en termes de prix des différents modèles de la gamme et donc, assez logiquement, de chiffres de ventes) étant parvenu, durant la seconde moitié des années trente, à ravir à son éternel rival Ford le titre de premier des constructeurs américains, il figurera donc (avec ce dernier) parmi les premiers constructeurs de Detroit (ou d’ailleurs, car si celle-ci est alors surnommée, à juste titre, « la capitale de l’automobile », tous les constructeurs, notamment parmi les firmes indépendantes, n’y eut pas leur siège) à recevoir le feu vert du gouvernement de Washington.
Dès le courant de l’été 1945 (alors que les Américains n’ont pas encore largué les bombes atomiques qui anéantiront les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki et que le Japon s’obstine, envers et contre tout dans une guerre dont ils savent pourtant que la défaite était inévitable), les camions, les véhicules tout-terrains ainsi que les chars d’assaut et autres moteurs d’avions qui, depuis le début de l’année 1942, sortaient en masse des usines de Detroit se retrouvent progressivement remplacés par les premières voitures de tourisme de l’après-guerre.
Lesquels ne sont toutefois que les modèles produits au début de la décennie (présentés, selon les constructeurs, à l’occasion des millésimes 1941 ou 42), avec, simplement de légères modifications en ce qui concerne l’accastillage (calandre, pare-chocs, enjoliveurs de roues, moulures latérales) ainsi que la présentation et l’aménagement intérieur. Ce qui était d’ailleurs déjà le cas avant la guerre (chez Chevrolet et les autres divisions de la GM, comme au sein des autres grands groupes, Ford et Chrysler), la refonte complète des gammes (c’est-à-dire le changement complet des carrosseries) n’intervenant, en règle générale, que tous les trois ou quatre ans.
Il est vrai qu’en plus de leurs usines, les constructeurs américains est également vus leurs bureaux d’études mobilisés pour l’étude des nouveaux véhicules destinés à équiper en masse l’US Army au lendemain de l’attaque de Pearl Harbor et que ceux-ci n’ont donc guère eu la possibilité de concevoir de nouveaux modèles pouvant être mis en production aussitôt le conflit terminé. Sans compter un parc automobile ayant subi une usure aussi accélérée qu’inattendue, due autant à l’impossibilité de se fournir en voitures neuves durant les plus de trois ans et demi qu’a duré la Seconde Guerre mondiale (pour les Américains s’entend) ainsi que des pénuries et rationnements de toutes sortes frappant, entre autres, l’essence et les pneumatiques. Avec pour conséquence une demande (et même un besoin) en voitures neuves dont les constructeurs eux-mêmes n’avaient pas anticipé l’importance.
Face à l’affluence des commandes enregistrées par les concessionnaires, les constructeurs (quelle que soit leur taille ainsi que leur segment de marché) se contentent donc (avant tout par nécessité, même si la recherche d’un profit maximal, qu’une telle demande ne manquera pas d’engendrer, entre aussi clairement en ligne de compte) de relancer la production de leurs anciens modèles. Ce n’est finalement qu’à l’automne 1948, à l’occasion donc de la présentation des gammes de l’année-modèle 1949 que les nouvelles et premières Chevrolet de l’après-guerre sont enfin prêtes à être commercialisées.
C’est avant tout vues de profil que les nouvelles séries se distinguent, au premier coup d’oeil, de leurs devancières en adoptant (tout au moins en ce qui concerne la partie avant) le style « ponton intégral », les ailes avant se fondant désormais entièrement avec le reste de la carrosserie, dont les flancs présentent désormais une surface entièrement plane, sans aucune protubérance. Seules les ailes arrière se détachent encore de celle-ci, même si elles présentent désormais des lignes plus bombées, tout en étant cependant moins proéminentes et se terminant en pente presque abrupte sur les feux arrière. La nouvelle gamme comprenant, en ce qui concerne le dessin des carrosseries, deux grandes catégories de modèles : les Styline, désignant les carrosseries « classiques » à trois volumes et les Fleetline, ceux habillés de carrosseries de style fastback.
La série d’entrée de gamme, la 1500 GJ Special, proposant quatre carrosseries au sin de la première catégorie contre deux seulement dans la seconde. Il en est de même pour celle occupant le haut de gamme du catalogue Chevrolet, la série 2100 GK DeLuxe, en ce qui concerne les modèles Fleetline, celle-ci bénéficie toutefois d’une gamme plus large s’agissant des modèles Styline avec un total de six carrosseries différentes.
Ces deux familles de carrosseries recevant toutefois une présentation extérieure quasiment identique et partagent donc (en dehors de quelques exceptions notables) les mêmes éléments d’accastillage chromés. La gamme des carrosseries comprenant, uniquement pour les modèles Fleetline, pour la série Special comme la série DeLuxe, les berlines à deux et quatre portes. Outre ces dernières, celle des modèles Styline comprend également le cabriolet, le Sport Coupe, le Business Coupe ainsi que le station wagon en deux versions : avec la partie arrière réalisée en bois verni ou entièrement tôlé. Les modèles de la série DeLuxe se distinguent toutefois par une présentation intérieure ainsi qu’un équipement plus cossues.
Si les deux séries sont toutes deux équipées d’un moteur six cylindres, à l’image des carrosseries, les motorisations, elles aussi, ont bénéficié d’une cure de modernisation (comme, d’ailleurs, les modèles des autres divisions de General Motors) avec une distribution à soupapes en tête remplaçant avantageusement l’ancien système à soupapes latérales (lequel avait clairement montré ses limites). Même s’il est vrai que cela ne fait pas pour autant du six cylindres Blue Flame (son « nom de baptême »), une mécanique particulièrement avant-gardiste dans sa fiche technique, bien au contraire, puisque celle-ci conserve sur de nombreux points, les principales caractéristiques de son prédécesseur (dont les origines remontent déjà à 1928), avec, entre autres, un bloc-moteur ainsi qu’une culasse entièrement en fonte. Une simplicité de conception garantissant, tout au moins, une grande facilité d’entretien ainsi qu’une fiabilité et une robustesse proverbiales (deux des caractéristiques sur lesquelles Chevrolet avait bâti une grande partie de son image de marque).
Si les Chevrolet de l’époque, réalisées (ainsi que l’ensemble de leurs concurrentes) en bon acier américain, ne sont pas vraiment des poids plume. Elles n’ont, toutefois, aucune prétention sportive (même si l’on retrouvera ensuite celui-ci sur la version originelle de la Corvette). Néanmoins, le moteur Blue Flame, développant entre 92 et 105 chevaux suivant les versions, suffit amplement à la tâche et permet ainsi d’emmener, sans trop d’efforts, les nouvelles Chevrolet à un rythme de croisière de 130 à 135 km/h. Ce qui s’avère largement suffisant pour remplir pleinement leur usage quotidien au service des Américains des classes populaires, qu’il s’agisse des déplacements interurbains ou des trajets de ville en ville longs de plusieurs dizaines (voir centaines) de kilomètres sur les Interstates qui parcourent en lignes droites les différents Etats américains.
Le brave six cylindres en ligne Blue Flame, sans véritable panache, certes, mais infatigable suffisant donc amplement à la tâche, même si Chevrolet, ainsi que les autres divisions de General Motors, se verra bientôt entraîné dans une vaste course à la puissance où quasiment l’ensemble des modèles du groupe bénéficieront alors d’une importante « cure de musculation ». La première étape de cette politique nouvelle étant l’abandon du programme du moteur à 6 cylindres unique et de l’apparition, en haut de gamme, d’un V8 à partir du millésime 1955.
Pour l’heure, en tout cas, l’année 1949 sera celle d’un fabuleux record de production pour Chevrolet, la marque dépassant, en effet, la barre des 1,1 million d’exemplaires, ce qui représente alors le score le plus important de celle-ci depuis sa création en 1912. (Soit près de 334 000 voitures de plus que durant l’année-modèle 1948, l’effet nouveauté des modèles 1940, bénéficient de carrosseries au style entièrement renouvelé participant, évidemment, en grande partie, à ce large succès des nouvelles Chevrolet auprès du public).
En comparaison, Ford (qui s’était vu rétrogradé à la deuxième place des constructeurs américains par son éternel rival Chevrolet en 1936) ne peut revendiquer qu’un peu plus de 841 000 voitures produites (tous modèles et séries confondues) et Plymouth (la division la plus populaire du groupe Chrysler), qui se classe pourtant à la troisième place, 508 000 unités seulement.
Preuve aussi qu’une grande partie que la clientèle américaine (qu’elle appartienne à la classe populaire ou aisée) restait, dans son ensemble, assez conservatrice ou conformiste, elle préférera le style « semi-ponton » assez classique des Chevrolet qui, bien que se présentant une silhouette plus moderne, encore fort empreint des rondeurs de ses devancières aux lignes « ponton intégral » adoptées, à l’occasion de cette même année-modèle 1949, par le rival Ford.
Sans doute parce que bien que présentant un aspect plus moderne, les lignes de la nouvelle Ford V8 paraissent un peu trop « massive », surtout vues de profil, avec une ceinture de caisse encore assez haute (mêm si c’est aussi le cas des modèles Chevrolet) ainsi que les flancs lisses (qui, à l’exception de la baguette chromée courant depuis le passage de roue à l’avant jusqu’à l’extrémité de l’aile arrière, est quasiment dépourvu de tout ornement d’accastillage). Ce qui confère ainsi à la nouvelle génération des voitures de Dearborn, une allure assez « martiale » qui n’est pas sans évoquer quelque peu celle d’un char d’assaut ou encore la silhouette d’une baignoire renversée (un reproche que se verront d’ailleurs adresser la plupart des modèles de la première génération du style ponton).
Toujours concernant celui-ci, un grand nombre d’acheteurs ont probablement aussi opté en faveur de la Chevrolet car ils jugeaient le dessin de la face avant de la calandre des nouvelles Ford, avec son motif central évoquant une ogive ou encore l’entrée d’air d’une turbine, un peu trop agressive. Si ces dernières conservent encore, sous leur capot, l’ancien V8 à soupapes latérales (des trois grands groupes de Detroit, la Ford sera le dernier à abandonner ce type de motorisations, puisque celles-ci n’adopteront la distribution à soupapes en tête qu’avec les modèles du millésime 1954), celui-ci a toutefois bénéficié, depuis son lancement, en 1932, de plusieurs remises à niveau afin de lui permettre de rester dans la course face à la concurrence.
Du côté du groupe Chrysler, les modèles de la gamme Plymouth (la division la plus populaire de celui-ci et qui propose donc les voitures les meilleurs marchés, qui entrent donc directement en concurrence avec ceux de la gamme Chevrolet) se voient également offrir (à l’instar de ceux des marques Chrysler, DeSoto et Dodge) des carrosseries aux lignes entièrement renouvelées, dont le style général présente d’ailleurs des similitudes assez fortes et évidentes avec celui de ses rivales.
Sans aller jusqu’à dire que ces similitudes esthétiques résulteraient d’une quelconque forme d’espionnage de l’un ou l’autre des constructeurs sur ses concurrents, cette sorte d’uniformité en matière de style n’est toutefois pas réellement étonnante lorsque l’on sait que ce qui avait été ,pendant longtemps, l’une des préoccupations majeures de la plupart des constructeurs généralistes ou spécialisés dans les voitures populaires était que celles-ci offrent des lignes qui puissent plaire au plus grand nombre. Ce qui explique donc que vues sous certains angles (notamment de profil ou de l’arrière), il était assez facile de confondre une Chevrolet avec une Plymouth ou encore une Oldsmobile ou une Pontiac (même si ces deux derniers constructeurs occupaient, plutôt, de leur côté, le marché des modèles de classe « intermédiaire », entre les voitures populaires et celle de prestige donc).
A la fin des années 40 et au début des années 50, il n’y avait donc, avant tout, que par le dessin de la face avant que la plupart des voitures américaines populaires affichaient leur personnalité propre. Pour en revenir aux nouvelles Plymouth de l’année-modèle 1949, est-ce parce que malgré le fait qu’elles se soient ralliées, elles aussi, au style ponton (seules les ailes arrière se détachant, là aussi, du reste de la carrosserie), elles apparaissent toutefois trop « classiques » et « consensuelles » (et donc un peu trop « fades ») ?
Toujours est-il que (comme mentionné plus haut) la marque ne pourra revendiquer mieux que la troisième place du classement. Ce qui, au sein d’une industrie automobile comptant alors plus d’une vingtaine de constructeurs, était, évidemment bien loin d’être négligeable mais ne parvenaient pas à masquer entièrement l’écart important avec Chevrolet en termes de chiffres de ventes : près de 602 000 ventes à l’avantage de cette dernière. Les autres constructeurs américains s’inscrivent dans la même catégorie comme Nash ou Studebaker restant, de leur côté, assez loin derrière, avec, respectivement, 142 000 et un peu moins de 130 000 voitures (tous modèles et séries confondues) produites durant cette même période.
Le record de production qu’a réussi à atteindre le premier des constructeurs américains durant cette année 1949 résultant, non seulement, du très bon rapport qualité/prix de ses modèles mais également (il est n’est pas inutile et même important de le souligner) de la puissance commerciale du groupe General Motors, lequel bénéficie, en effet, d’un vaste réseau de concessionnaires aux quatre coins de l’Amérique (aussi bien pour Chevrolet que pour ses quatre autres divisions), que ce soit dans les grandes villes que dans les bourgades des Etats ruraux. La plus populaire des divisons de la GM réussira à continuer d’occuper la première place des constructeurs américains durant tout le reste de la décennie suivante (même si Ford la talonnera souvent de très près, la différence de production entre les deux constructeurs ne se chiffrant, en effet, certaines années, qu’en quelques centaines d’exemplaires à l’avantage de Chevrolet).
Suivant en cela la politique déjà adoptée avant la guerre par General Motors (ainsi que par les deux autres grands groupes de Detroit), consistant à renouveler entièrement le style des voitures tous les trois ou quatre ans, la génération des modèles Chevrolet inaugurée lors de l’année-modèle 1952, avec un succès toujours aussi grand, puisque la production grimpera même à plus de 1 520 000 exemplaires à la fin de l’année 1950, même si elle retombera ensuite à seulement 1 118 000 l’année suivante, pour redescendre encore à un peu moins de 878 000 unités en 1952 (une baisse assez significative des ventes dues autant au fait que l’effet nouveauté était désormais passé, ainsi probablement qu’aux actions de la concurrence, bien qu’une grande partie de celle)ci avait renouvelé ses gammes de modèles à la même époque que Chevrolet et les renouvellera également au même moment).
A l’image de ses rivales, les Chevrolet des années-modèles 1950, 51 et 52 ne connaîtront donc que des changements assez mineurs, portant essentiellement sur la grille de calandre, l’emplacement ainsi que l’aspect des feux de position ainsi que l’emblème sur le capot et les enjoliveurs de roues. A noter qu’à l’occasion de l’année-modèle 1950, le capot ainsi que la malle de coffre seront légèrement redessinés (ce qui est plutôt rare, car, en règle générale, lors des millésimes dits « intermédiaires », les constructeurs préfèrent ne pas toucher aux panneaux de carrosserie, celle-ci étant chargée entièrement en une seule fois.
Un autre changement significatif, à l’occasion du millésime 1950, sera la possibilité offerte aux acheteurs d’opter pour une transmission automatique Powerglide (celle-ci n’étant toutefois disponible, en option, que sur la série haut de gamme, les modèles de la série de base devant encore se contenter, quant à eux, de la boîte mécanique classique). Bien que celle-ci ne comporte, en tout et pour tout, que deux rapports et soit avant tout réputée pour son caractère assez placide, plus que pour sa fiabilité et sa robustesse (certes réelles).
Avec, au total, plus de 4,6 millions d’exemplaires produits sur quatre millésimes, les responsables de Chevrolet ainsi que la direction de la GM ont toutes les raisons de se montrer satisfaits du succès de ces modèles, qui contribuent, pour une grande partie, à assurer à celle-ci sa place de premier groupe automobile américain. Un succès qui ne se démentira d’ailleurs pas au fil des années et même des décennies à venir, la marque Chevrolet demeurant toujours (et aujourd’hui encore), en dépit des aléas et des vicissitudes que connaîtra General Motors au cours de son histoire, l’un des piliers essentiels sur lequel le groupe GM peut s’appuyer pour affirmer son leadership sur le marché américain.
Photos Wikimedia
Maxime DUBREUIL
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