DEUTSCH & BONNET et RENE BONNET LE MANS – Un nouveau départ pour René Bonnet.
A l’occasion du Salon automobile de Paris en octobre 1959, le constructeur Deutsch & Bonnet dévoile sur son stand un nouveau modèle qui présente un certain nombre d’atouts qui ont de quoi intéresser et même réjouir l’amateur de petites voitures sportives. Aux côtés du coach HBR déjà bien connu des amateurs figurent en effet un roadster aux lignes assez réussies et au nom évocateur, qui en dit long sur les ambitions de son constructeur : le roadster Le Mans, baptisé ainsi en référence aux nombreuses victoires remportées par les voitures de compétions à moteur Panhard sur le célèbre circuit de la Sarthe.
Ce que la plupart des visiteurs du Salon de Paris ignorent sans doute, c’est que s’ils découvrent pour la première fois ce nouveau roadster, il ne s’agit pas pour celui-ci de sa première apparition publique. Celle-ci ayant, en effet, déjà eu lieu quelques semaines plus tôt et, qui plus est, quasiment à l’autre bout du monde, de l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, à Boston plus précisément. Sans doute fortement impressionnés par le succès remporté par les petits roadsters anglais de toutes sortes (Austin-Healey, MG, Triumph et autres) sur le marché américain, les deux fondateurs de la marque, Charles Deutsch et René Bonnet ont rapidement été convaincus que, sur ce vaste marché américain qui était devenu une sorte de nouvel « Eldorado » pour bien des constructeurs européens, il y avait aussi une place à prendre pour eux. A raison semble-t-il, puisque les petites sportives produites par la marque y connaissent rapidement un certain succès et que ses deux dirigeants entendent alors évidemment, non seulement, pérenniser, mais aussi tenter d’élargir le succès de leurs créations auprès de la clientèle américaine, en créant un modèle spécialement conçu pour elle.
Si la ligne du roadster Le Mans est a été fort bien dessinée, sa présentation, extérieure et surtout intérieure, n’en est pas moins assez spartiate, avec, notamment de simples butoirs en guise de pare-chocs à l’avant. Comme pour ses devancières, le nouveau modèle reste, bien évidemment, fidèle à la mécanique Panhard, à savoir la version Tigre bicylindre refroidie par air. En plus du moteur, la plupart des organes mécaniques (boîte de vitesses, trains roulants, etc) sont également empruntés aux modèles de la marque d’Ivry. Toutefois, contrairement à celles qui l’avaient précédé, la Le Mans ne fait plus appel, pour sa structure, au châssis-poutre mais (sans doute, à la fois, pour des raisons de facilité de réparation en cas d’accident grave ainsi que pour des raisons de coûts de réalisation) à une plateforme elle aussi emprunté à Panhard (en l’occurrence à la berline PL 17), sensiblement modifiée, avec l’adjonction de deux faux-châssis tubulaires à ses extrémités.
Si les prototypes du roadster Le Mans avaient reçu des carrosseries en aluminium, les modèles de série qui sortiront, à partir du printemps 1960, de l’usine DB, seront, eux, équipés de panneaux réalisés en polyester. Ces éléments étant fabriqués par l’entreprise Polyest et par Chappe & Gessalin (le futur constructeur des CG). Si la production débute au printemps 1960, ce n’est toutefois qu’à la fin du mois de juillet de la même année que le modèle est officiellement réceptionné par le Service des Mines et que la DB Le Mans pourra, dès lors, être officiellement commercialisé. Ce n’est, finalement, qu’au Salon d’octobre 1960 (soit un an après sa première apparition sous les verrières du Grand-Palais) que la Le Mans est présentée sous sa forme définitive. Par rapport à la version originelle dévoilée un an auparavant (au Salon de Paris et aux Etats-Unis), la version de série s’en différencie, outre par le montage d’un vrai pare-choc et d’un porte-à-faux raccourci à l’avant, ainsi qu’une calandre aux formes moins arrondies et des ailes arrière étirées. Malgré sa carrosserie aux lignes assez suggestives, le nouveau roadster DB pèche toutefois par un prix de vente assez élevé : 17 000 F, alors qu’une MGA 1600, malgré des droits de douane assez élevés (le Royaume-Uni n’intégrera, en effet, le marché européen qu’en 1972) ne coûte qu’à peine 500 F de plus. En plus du roadster, une version « coupé » est également disponible au catalogue. En fait de coupé, il s’agit, tout simplement, d’un roadster équipé d’un hard-top en remplacement de la capote. Celui-ci est également disponible en option sur le roadster (ou cabriolet, comme il est ainsi dénommé dans certains catalogues ou dans la presse automobile) contre un supplément de 1 500 F. Pour la même somme, l’acheteur peut également faire équiper sa voiture d’un moteur doté d’un arbre à cames spécial ainsi que d’un embiellage équilibré et dont la cylindrée portée à 954 cc permet de faire grimper la puissance à 75 chevaux (contre 851 cc et 58 ch pour la version « standard »).
A l’époque de la gestation et du lancement de la Le Mans, de profondes divergences de vues commençaient, toutefois, déjà à apparaître entre Charles Deutsch et René Bonnet. Le premier, partisan fervent et quasi inconditionnel du moteur bicylindre à air étant déterminé à poursuivre la collaboration avec la marque d’Ivry et le second estimant, en revanche, que la mécanique Panhard commence à montrer ses limites, et souhaitant, dès lors, nouer un nouveau partenariat avec un autre constructeur. En l’occurrence avec Renault. Des divergences qui auront évidemment pour effet, à brève échéance, la disparition de la marque DB. Au Salon d’octobre 1961, si le roadster Le Mans est toujours présenté sur le stand du constructeur Deutsch & Bonnet, la raison sociale de l’entreprise a toutefois changée. Il n’est maintenant plus question de la société EPAF, qui est remplacée par celle d’ « Automobiles René Bonnet et Cie », celle-ci ayant établi son siège social à Champigny-sur-Marne, l’usine étant, quant à elle, située à Romorantin, où est également installée la Société Générale d’Applications Plastiques qui a en charge la production des carrosseries. A l’occasion de la présentation de la gamme de l’année-modèle 1962, la DB Le Mans est maintenant disponible en trois versions : la première, baptisée Racing, se reconnaissant par son absence de pare-chocs (remplacés par de simples butoirs), proposée à 13 900 F (sans les options) et une version Grand Luxe qui, comme son appellation le laisse indiquer, se distingue par sa présentation intérieure plus cossue (planche de bord gainée, siège arrière garni, lève-glaces électriques,…). Une version Luxe, équipé de pare-chocs sommaires, et d’un équipement sensiblement enrichi (cendrier, lave-glace, garnissage arrière, vitres manuelles,…) est également disponible au catalogue contre 16 500 F. Sur le plan esthétique, si les versions Racing et Luxe conservent les phares simples du modèle d’origine, la Grand Luxe, de son côté, se voit équipée de doubles optiques fabriquées par la marque Megalux (similaires à celles montées sur les Facel-Véga) ainsi que d’une paire de phares antibrouillard placés des deux côtés de la calandre. Vendu au prix de 18 500 F, ce modèle « haut de gamme » peut aussi être équipé, contre un supplément de 1 700 F, d’un hard-top optionnel.
Si tous les modèles présentés au Salon 1961 sont encore équipés de la mécanique Panhard, à partir de février 1962, lorsqu’est rompu, à l’amiable, l’accord qui liait jusqu’ici René Bonnet et la marque Panhard, la Le Mans va alors (logiquement) changer d’identité. Bonnet, qui, lors des discussions fixant les termes de sa séparation avec son ancien associé, Charles Deutsch, a conservé les droits de production de la Le Mans, fait alors, aussitôt, étudié une nouvelle version pour l’adapter à la mécanique Renault. Désormais commercialisée sous la marque René Bonnet, la nouvelle Le Mans est présentée au service des Mines en mai 1962. Si le moteur qui l’équipe, baptisé Sierra (ou Cléon fonte, comme l’appelle plus familièrement les amateurs de Renault anciennes, en référence, à la fois, à son lieu de fabrication ainsi qu’à l’alliage qui constitue le bloc-moteur) a été, à l’origine, conçue pour la populaire R8, la version que l’on retrouve sous le capot de la René Bonnet, quant à elle, est celle du fourgon Estafette (ceci pour une question d’implantation mécanique : la R8 étant une propulsion à moteur arrière, alors que la fourgonnette de la Régie, tout comme le roadster René Bonnet, était, elle, une traction avant). En plus du moteur, la boîte de vitesses (entièrement synchronisée) ainsi que la plupart des organes mécaniques sont empruntés aux modèles de la marque au losange. Par rapport à sa devancière, elle bénéficie également d’une nouvelle suspension ainsi que de freins à disques à l’avant. Seule la finition Grand Luxe (à phares Megalux) est à présent disponible au catalogue, en «coupé» (avec ou sans hard-top) ou en «cabriolet» (avec ou sans capote), tous deux vendus au même prix : 18 300 F. La René Bonnet à moteur Renault se reconnaît de la version précédente équipée de la mécanique Panhard par de nouvelles jantes au dessin entièrement revu.
Au Salon d’octobre 1962, aux côtés de la Le Mans, René Bonnet dévoile également une version « d’entrée de gamme » de cette dernière, qui se veut plus « populaire » et accessible à un plus large. Baptisé Missile, il est, en effet, affiché à 12 800 F, soit 30 % de moins que la Le Mans. Il se reconnaît, extérieurement, à sa paire de phares simples et à ses portières simplement équipées de glaces coulissantes. Intérieurement, la présentation est (évidement) beaucoup plus sobre (pour ne pas dire simple, voire austère) que celle de la Le Mans, le tableau de bord reprenant même, pour des raisons d’économies, le cadran noir des premières R4, l’instrumentation étant réduite, en dehors de celui-ci, à un compte-tours placé au centre de la planche de bord. En dépit de cette présentation assez succincte, la Missile reçoit néanmoins, de série, un chauffage, des freins avant à disque ainsi qu’un ventilateur débrayable Au Salon de l’année suivante, elle aussi peut désormais être équipée d’un hard-top semblable à celui de la Le Mans (mais sans glaces de custode), en complément ou en remplacement de la capote. Basé sur la plate-forme de la Renault 4, la Missile en reprend également la suspension à barres de torsion, le moteur étant, quant à lui, celui de la Dauphine 1093 à carburateur double-corps, accouplé à une boîte à quatre vitesses (dont le premier rapport reste toutefois non synchronisé).
Après ce changement de nom et de motorisation, les René Bonnet Missile et Le Mans ne connaîtra, par la suite, plus guère de changements notables jusqu’à la fin de sa production, à l’été 1964. Matra, qui a racheté la firme René Bonnet, alors en difficultés financières, décidant alors de concentrer ses efforts sur le développement du dernier modèle commercialisé, peu de temps auparavant par René Bonnet, la berlinette Djet (que Matra produira désormais sous son nom). Si, au Salon de 1964, la Djet est encore commercialisée sous le double label Matra-Bonnet, le nom de ce dernier disparaîtra toutefois définitivement des voitures produites sur les chaînes de Romorantin à partir de 1967.
Handicapées par des prix de vente assez élevés (conséquence de leurs fabrications encore assez artisanales) ainsi que l’absence de véritable réseau commercial, les René Bonnet Missile et le Mans n’ont connu qu’une diffusion assez restreinte. (On estime leur production à environ 200 exemplaires pour la Le Mans avec la mécanique Panhard et guère plus pour celle à moteur Renault, celle de la Missile s’établissant, pour sa part à quelques 300 unités). Ce qui est d’autant plus dommage que, sur le plan des performances comme du comportement routier, elles méritaient tout à fait l’appellation de « sportives populaires ». La Djet continuera sa carrière, sous plusieurs déclinaisons et évolutions, esthétiques et mécaniques, jusqu’en 1968.
René Bonnet, lui, décédera en janvier 1983 à l’âge de 78 ans.
Philippe ROCHE
Photos Wikimedia et WheelSage
D’autres françaises https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/07/sera-panhard-les-mesaventures-dun-artisan-de-lautomobile-francaise/
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=EexGOk4q0DE&ab_channel=FLATAIR29