SERA PANHARD – Les (més)aventures d’un artisan de l’automobile française.
Les débuts de l’aventure SERA datent de 1959, lorsque Jacques Durand créée la Société d’Etudes et de Réalisation Automobiles – d’où les initiales qui formeront le nom qui sera apposé sur les voitures qui sortiront de ses ateliers.
L’homme n’est alors pas un novice dans le monde de l’automobile et s’est même fait une spécialité de la fabrication, en petites séries (voire à l’unité dans certains cas) de petites sportives populaires. Avant la création de la SERA, ce dernier avait ainsi créé l’Atla, la première de ses créations qu’il ait réussi à produire en (très petite) série. Malgré des lignes assez aguichantes ainsi qu’un potentiel prometteur, comme la plupart des autres artisans-constructeurs dans les années cinquante, Durand découvre rapidement les nombreuses difficultés de toutes sortes que rencontrent ceux qui veulent se lancer dans l’aventure automobile.
L’invention de la technique des carrosseries en matières plastiques (initiée, notamment, aux Etats-Unis, par la Chevrolet Corvette) va, certes, lui permettre, comme à la plupart de ses confrères, de produire les différents panneaux constituant la carrosserie de ses voitures sans avoir à investir dans de coûteuses presses d’emboutissage et autres machines-outils que nécessitent les carrosseries métalliques classiques. Ce qui n’empêche toutefois pas, sur d’autres points, les coûts de production de monter en flèche, avec pour résultat que, une fois commercialisées, ces sportives artisanales présentent un rapport prix/performance qui ne leur est guère favorable.
Comprenant rapidement qu’un partenariat avec une société aux reins plus solides leur est nécessaire, non seulement, s’ils veulent pouvoir concrétiser leur projet de produire la berlinette Atla en série, mais aussi de pouvoir pérenniser leur propre entreprise, Jacques Durand et son associé Jean Schwab nouent alors des contacts avec la société Arbel, spécialisée dans la fabrication de matériel ferroviaire. L’une des premières et principales difficultés, pour Durand comme pour les autres, est de pouvoir trouver un site de production adéquat (faute de moyens suffisants pour faire édifier une usine spécialement dévolue à la production de leurs voitures), ces constructeurs « sans patente », ceux-ci doivent, en effet, souvent se contenter de bâtiments déjà existants et qui, dans la plupart des cas, n’ont, au départ, pas été conçus pour la production d’automobiles, même artisanales.
Une autre difficulté (et pas des moindres) consistant à trouver une mécanique adéquate pour leur modèle et (surtout) à convaincre le constructeur qui produit le moteur en question d’accepter d’en réserver ainsi que d’en vendre un lot à un prix qui (évidemment) ne soit pas trop élevé. Peugeot refusant (à quelques exceptions notables) de fournir les siens à ces artisans-constructeurs, Citroën (qui l’avait fait, avant-guerre, pour certaines firmes comme La Licorne ou Rosengart) ayant également décidé, après la fin du conflit, d’appliquer la même politique, les grandes marques françaises ayant les capacités de production suffisantes pour en fournir suffisamment à tous ces « petits poucets » de l’industrie automobile française de l’époque ne sont donc guère nombreux.
La tâche se complique d’autant plus lorsque Renault prend, à son tour, al décision d’arrêter la fourniture de ses moteurs aux artisans-constructeurs. Une décision que le PDG de la Régie Nationale des Usines Renault, Pierre Dreyfus, a, semble-t-il, prise suite aux « recommandations » de Jean Rédélé, le fondateur de la marque Alpine – qui, bien que de création récente, est déjà devenu le partenaire privilégié de la marque au losange. Il est vrai que, si Alpine est alors encore, lui aussi, un artisan-constructeur, tant par ses méthodes de production que par ses cadences de production, ces dernières sont à cent lieues de celles de la plupart de ses concurrents. Dans le petit monde des créateurs de sportives artisanales, Alpine fait, en effet, presque figure de grand constructeur.
Le seul choix possible, à défaut de pouvoir se fournir auprès d’un constructeur étranger – l’importation de moteurs produits dans d’autres pays étant alors sévèrement réglementée par le gouvernement français de l’époque – est alors de s’adresser au seul grand constructeur français qui acceptent encore de vendre ses mécaniques aux autres et aussi – accessoirement – dont les moteurs sont suffisamment performants pour répondre à la vocation des modèles auxquels ces artisans-créateurs comme Durand les destinent. Le constructeur en question n’étant autre que la doyenne des marques françaises alors en activité : Panhard. Il est toutefois probable que Durand, comme tous ceux qui adresseront aux responsables du constructeur de l’Avenue d’Ivry ont probablement esquissés une grimace au moment de signer le contrat. Panhard n’ayant, en effet, pas vraiment pour habitude de « brader sa marchandise » et vendant donc ses moteurs flat-twin – ainsi que les boîtes de vitesses qui allaient avec – à un tarif qui, sans être, à proprement parler, exorbitant, n’avait rien de négligeable non plus.
Même s’il a dû s’adresser à Panhard faute de véritable autre choix, Jacques Durand peut toutefois s’estimer satisfait, car ce petit byclindre refroidi par air – d’architecture quasiment identique à celle de la 2 CV Citroën – présente plusieurs avantages importants. Notamment sa compacité – une caractéristique et un avantage communs à tous les moteurs « boxer – qui lui permet d’offrir un centre de gravité très et de trouver sa place quasiment dans n’importe quelle carrosserie et donc de permettre au styliste de laisser libre cours à la créativité sans devoir sacrifier l’aérodynamique. Ce qui va permettre à Jacques Durand de réaliser une petite sportive effilée, avec une ceinture de caisse comme un capot ultraplat où le bicylindre Panhard n’aura aucun mal à trouver sa place.
Outre l’origine de sa mécanique, une autre différence importante de la SERA par rapport à d’autres de ses rivales, comme les Alpine, concerne son architecture mécanique. Alors que les petites sportives de Dieppe, comme la plupart des modèles de la Régie Renault de l’époque – 4 CV, Dauphine et Caravelle – qui conserve le moteur et la transmission placée à l’arrière, la petite sportive créée par Jcques Durand, de son côté – à l’image d’ailleurs des Panhard Dyna Z et PL 17 dont elle reprend l’architecture – a choisi la solution de la traction avant. Un choix technique qui offre l’avantage de lui conférer une tenue de route supérieure, sur bien des points, à celle de ses concurrentes. Il ne faudra que quelques mois à peine à Jacques Durand pour passer des premières esquisses à la maquette en plâtre et ensuite au prototype roulant.
C’est à l’occasion de l’ouverture du Salon de l’automobile de Paris, en octobre 1959, que ce dernier dévoilera sa dernière création au public. Faute de temps, Durand n’a toutefois pas eu la possibilité de louer un emplacement pour installer son stand à l’intérieur du Grand-Palais des Champs-Elysées – où se déroule l’événement depuis le début du siècle, avant que le besoin d’espaces d’exposition plus vaste ne l’oblige à émigrer, en 1962, au Palais des Expositions de la Porte de Versailles, où il se tient toujours aujourd’hui. Bien qu’il ait souvent été écrit que René Bonnet avait fait pression auprès des organisateurs du Salon pour que Durand ne puisse pas y obtenir de stand, de crainte que celle-ci ne fasse de l’ombre à son nouveau modèle, le cabriolet DB Le Mans, qu’il présentait, en avant-première, à ce même Salon. Une rumeur que Jacques Durand lui-même démentira lui-même, dans une interview qu’il avait accordée quelques mois à peine avant sa mort. Même s’il est vrai que René Bonnet ne manqua pas de faire la grimace en découvrant la nouvelle SERA qui « trônait » sur le parvis du Grand-Palais.
Une sportive que son créateur dotera de lignes assez suggestives, évoquant tout à la fois un hors-bord ou un avion sans les ailes. Consciemment ou non, Durand a certainement dû s’inspirer de quelques-unes des sportives les plus en vue du moment, comme les Jaguar Type D du Mans – ce qui se remarque assez nettement dans le dessin du profil ainsi que de la face avant, avec ses phares carénés – ainsi que, dans le traitement général des lignes, à la Chevrolet Corvette. Il est vrai que, comme sources d’inspiration pour une sportive, il y a pire et que, lorsque le créateur de celle-ci a un bon coup de crayon, il y a peu de chances que le résultat soit décevant. En plus des lignes qui font l’unanimité auprès des amateurs, ces derniers se montrent aussi plutôt satisfaits de la fiche technique.
Outre une mécanique déjà appréciée pour son potentiel en conduite sportive – un potentiel encore accru grâce à une puissance poussée à 50 chevaux avec le montage du moteur Tigre dévoilé sur la Panhard Dyna Z à peine quelques mois plus tôt -, le choix du châssis à poutre central qui supporte une carrosserie en polyester – le premier lui conférant une très bonne rigidité et la seconde une légèreté fort appréciable – son poids total n’étant, en effet, que de 580 kg à vide – ont de quoi en convaincre plus d’un de franchir le pas. Comme sur la Renault Floride/Caravelle, la SERA présente aussi l’avantage d’offrir, en quelque sorte, deux carrosseries en une, puisque, en plus de la capote, la voiture est aussi vendue avec un élégant hard-top qui permet ainsi à son conducteur de pouvoir rouler avec en toutes saisons. Un autre argument supplémentaire et important en faveur de la SERA est qu’avec son prix de vente de 14 000 francs (nouveaux), elle est vendue près de trois mille francs moins cher que la DB Le Mans !
Au sein de la catégorie des petites sportives artisanales, la nouvelle SERA Panhard semble donc n’avoir guère de concurrente sérieuse, surtout à ce niveau de prix. Chez les grands constructeurs français, le seul modèle qui pourrait véritablement l’inquiéter est la nouvelle Renault Floride, d’ailleurs présentée au public au même Salon de 1959 et affichée au prix très avantageux de 9 000 francs. Si celle-ci reçoit sous son capot arrière le moteur de la Dauphine Gordini, elle n’a toutefois pas de véritables prétentions sportives et ne s’adresse donc pas véritablement à la même clientèle que la SERA. Le prix de vente assez attrayant – pour une voiture artisanale s’entend – de la petite sportive créée par Jacques Durand étant, notamment, dû à un large emploi – outre le moteur et la boîte de vitesses d’origine Panhard, ainsi que les trains roulants – de composants techniques ainsi que de pièces d’accastillage issues des principaux modèles français de grande série de l’époque.
Certaines étapes de la conception et de la production de la SERA illustrent d’ailleurs bien les difficultés et les contraintes, matérielles et budgétaires, auxquelles devaient régulièrement – voire constamment – faire face les artisans-constructeurs de l’époque – en France comme ailleurs. Notamment en ce qui concerne le hard-top, que Jacques Durand avait conçu à partir de la lunette arrière d’une Citroën DS. Outre celle-ci, le pare-brise ainsi que les poignées de porte proviennent de la Simca Océane, les charnières de portes de la DS, etc. En ce qui concerne les éléments des trains roulants, ils provenaient soit de la PL17 ou de la Dyna X selon la disponibilité… C’est-à-dire les pièces que parvenaient à trouver Jacques Durand en faisant le tour des concessionnaires Panhard ainsi que les casses autos des environs. A chaque fois qu’il réussissait à vendre une ou plusieurs voitures sur un Salon, Durand était, en effet, souvent contraint, pour parvenir à réaliser ou à compléter les voitures qui lui avait été commandées, d’aller fouiller sur les épaves cédées aux démolisseurs afin d’en récupérer toutes les pièces qui pouvaient être réutilisées sur ses voitures !
Si les premiers exemplaires sont assemblés au siège de la société SERA, situés Porte de Villiers, la production sera, toutefois, rapidement transférée… à l’autre bout de la France. Plus exactement dans l’ancienne usine Motobloc, située dans le quartier de la Bastide à Bordeaux !
Fondée en 1902, la firme bordelaise, victime, comme d’autres, de la concurrence des voitures produites en grande série, comme les modèles de Peugeot, Renault et Citroën, décidera alors d’abandonner la production automobile au début des années 1930. Après avoir dû déposer le bilan, elle est relancée par Marcel Bloch – le futur Marcel Dassault, créateur, entre autres, des avions de chasse Mirage qui équiperont l’Armée de l’air française. La société se reconvertie alors dans la production de moteurs diesel, ainsi également, après-guerre, que des moteurs deux temps pour cyclomoteurs, des deux-roues et des moteurs à refroidissement par air. Ceci, en plus des moteurs marins, des poids lourds (destinés principalement à l’Armée française, sans compter, à partir de la Première Guerre mondiale, des obus et des moteurs d’avions. Après le dernier conflit mondial, la production de munitions, qui représentait la plus grande part de l’activité de l’entreprise décline fortement avant de s’arrêter complètement. Ce qui ne manque, évidemment pas, de plonger la société bordelaise dans de graves difficultés financières qui l’oblige à mettre, purement, et simplement, la clé sous la porte au début de l’année 1961.
Une fermeture qui signifiera aussi la cessation d’activité de la marque SERA. En un peu plus d’un an d’activité, la SERA Panhard n’aura été produite qu’à dix-huit exemplaires, en tout et pour tout. Si Jacques Durand tentera, par la suite, de relancer la production de la SERA en Espagne – le moteur Panhard étant alors remplacé par un trois cylindres deux-temps d’origine DKW. Dans le régime franquiste alors en place en Espagne, rien n’est toutefois simple et cette nouvelle aventure automobile au pays de Don Quichotte ne fera – hélas – pas long feu.
Malgré cette sévère déconvenue, Jacques Durand, toujours animé par une passion aussi grande pour l’automobile et toujours persuadé, aussi, de parvenir à s’y faire une place et un nom. Ce qui, après un nouveau « coup d’épée dans l’eau » que sera l’aventure du coupé SOVAM 110S, cela sera finalement le cas avec les marques Jidé et Scora, fondées, respectivement, en 1969 et 1974. La première disparaîtra toutefois au début des années 80. Quant à la seconde, l’aventure sera encore plus courte, puisqu’elle cessera en 1977, au bout de trois ans à peine… Avant d’être finalement relancée onze ans plus tard, en 1988.
Jacques Durand, qui avait accepté de participer à la résurrection de la Scora, quitte finalement l’aventure au bout de deux ans à peine, celle-ci se poursuivant désormais sans son créateur. Ce dernier s’étant éteint en 2009, à l’âge de 89 ans.
Philippe ROCHE
Photos WIKIMEDIA
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