Dans les années 1980, le groupe Chrysler revient véritablement de loin. Celui-ci était, en effet, passé à deux doigts de la faillite à la fin de la décennie précédente, à cause d’une gestion assez calamiteuse et avoir été obligé, non seulement, de vendre toutes ses filiales européennes à Peugeot (dont Simca/Chrysler France, ce qui donnera naissance à l’éphémère et, surtout, pathétique renaissance de la défunte marque Talbot) ainsi que de demander l’aide du Gouvernement fédéral américain afin de se sortir de l’ornière. L’homme qui se retrouve alors parachuter à la tête du constructeur avec pour mission de remettre celui-ci sur les rails n’est autre que le créateur de la Mustang et de la GT40 (pour ne citer que les deux modèles les plus célèbres) durant sa carrière chez Ford, Lee Iacocca en personne.
Cependant, afin de faire retrouver au « petit dernier » (en termes de taille) des trois grands groupes automobiles américains toute sa santé d’antan et, surtout, d’y arriver vite et bien, le nouveau PDG va devoir administrer un véritable remède de cheval. Désormais, fini de concurrencer les deux rivaux de toujours, Ford et General Motors, avec de gros paquebots sur quatre roues qui, pour la plupart, peinent de plus en plus à trouver leur clientèle.
A la place, c’est à une autre concurrence mais tout aussi importante à laquelle Chrysler va s’attaquer à présent : le « péril jaune », c’est-à-dire les constructeurs nippons, dont les modèles, sans charisme mais économiques et endurants, font alors un carton aussi bien au pays de l’Oncle Sam que sur le Vieux Continent. Un virage brutal et à 190 degrés et un choix radical qui est donc pris par le groupe au pentastar mais qui s’avérera très vite payant.
Quelques années plus tard, au milieu des eighties, une fois requinqué, Chrysler peut de nouveau envisager de renouer (plus ou moins) avec le marché des voitures de prestige, lequel se trouve alors de plus en plus grignoté par les constructeurs européens comme Jaguar, BMW, Mercedes et d’autres encore. La nouvelle clientèle des années 80, y compris au sein des classes aisées, étant de plus en plus demandeuse pour des voitures cossues mais conservant un gabarit ainsi qu’une cylindrée raisonnable (tout au moins par rapport aux voitures américaines traditionnelles), ce qui correspond bien à la définition d’une grande part des voitures de luxe européennes.
La direction ainsi que le bureau d’études de Chrysler estiment que la conception ainsi que la production d’une voiture de haut de gamme de taille « medium » ne nécessiterait guère d’investissements élevés. La nouvelle plateforme « K » (sur laquelle, en dehors de la version américaine de la Talbot Horizon, produite et commercialisée aux USA sous les marques Dodge et Plymouth ainsi que des pick-up et autres 4×4) ayant été conçue pour pouvoir être facilement allongée voire même élargie afin de pouvoir ainsi être aisément modifiée et s’adapter à la plupart des modèles de tourisme de toutes tailles (elle servira même de base au monospace Voyager).
Les cabriolets étant fort prisés par la clientèle d’élite friande des GT de prestige anglaises, allemandes et italiennes et ceux-ci ayant de nouveau le vent en poupe sur le marché américain (après la vague sécuritaire des années 70 qui avaient vu les constructeurs américains abandonnés, quasiment toute la production des décapotables), laissant ainsi le champ libre aux marques européennes. Ce qui, dans une période où le marché automobile, outre-Atlantique, retrouve rapidement des couleurs, ne manque pas d’irriter quelque peu (voire assez fortement) les constructeurs de Detroit.
C’est pourquoi Lee Iacocca décide bientôt de faire mettre en chantier l’étude d’un cabriolet de prestige destiné à montrer que Chrysler n’a rien perdu de son savoir-faire dans ce domaine. D’autant que Cadillac vient de présenter, en 1987, son nouveau cabriolet Allanté, qui se veut une rivale directe de la Mercedes SL, ce qui convainque d’autant plus Iacocca de présenter, à son tour, sa décapotable de prestige afin de ne pas laisser la division de prestige de la GM dévorer seul le gâteau, Chrysler entendant bien en revendiquer aussi sa part.
Est-ce du fait que Cadillac avait fait appel à Pininfarina (le carrossier attitré de Ferrari, faut-il le rappeler?) afin d’apporter le supplément de prestige immanquablement attaché (surtout aux yeux de la clientèle américaine) à la « touche italienne ») ? Ou que, comme expliqué précédemment, une grande partie de l’élite américaine ne jure désormais plus que par les luxueuses GT venues d’Europe ? L’un comme l’autre explique, en tout cas, sans doute la raison pour laquelle Iacocca décide, comme pour Cadillac avec Pininfarina pour l’Allanté, de conclure un partenariat avec l’Italie.
En l’espèce, ce n’est toutefois pas avec un carrossier mais avec un autre constructeur, ou, plus exactement, avec le propriétaire de ce dernier que l’accord en question va se nouer. Celui-ci n’étant autre qu’Alejandro De Tomaso, ancien pilote et industriel italo-argentin.
Outre la marque de voitures de sport portant son nom, ce dernier est alors à la tête d’un véritable empire, avec, entres, les constructeurs automobiles Innocenti et Maserati (rachetés, respectivement, à Citroën et à British Leyland au milieu des années 70, alors que ceux-ci se trouvaient en proie à de graves difficultés financières mais aussi des firmes de motos Guzzi et Bellini. De Tomaso ayant, il est vrai, profité pleinement du système d’aides financières (et autres avantages de toutes sortes) mises en place par le gouvernement italien de l’époque pour la reprise en mains d’entreprise en difficultés.
L’idée de concevoir et commercialiser un cabriolet de prestige destiné au marché nord-américain séduit sans doute d’autant plus l’Italo-Argentin qu’il a une sorte de revanche à prendre sur sa précédente aventure américaine. Celle qui est considérée (sans doute à juste titre) comme le modèle le plus emblématique qu’il ait créé, la Pantera, ayant été conçue, entre autres, dans l’objectif avoué de séduire la riche clientèle américaine. Suivant en cela l’exemple de Ferrari, Maserati et Lamborghini et donc de croquer, à son tour, une part du fabuleux gâteau que représente le marché d’outre-Atlantique, lequel représente (depuis longtemps déjà) le premier marché d’exportation de la plupart des constructeurs de voitures de luxe.
Ne disposant toutefois pas de moyens comparables à ceux de la plupart de ses concurrents, qui lui permettent donc de mettre en place sa propre filiale aux Etats-Unis, il conclut alors un contrat avec le deuxième plus grand groupe automobile américain, Ford, qui fournit d’ailleurs à De Tomaso les moteurs V8 gorgés de chevaux que l’on retrouve sous des modèles de la marque depuis la Mangusta (la devancière de la Pantera). Les superbes Pantera vendues sur le sol américain étant ainsi distribuées et entretenues via le réseau Mercury & Lincoln (les divisions de gammes intermédiaire et de prestige du groupe Ford). Malheureusement pour l’artisan-constructeur qui nourrissait alors le rêve de pouvoir se mesurer, sur ce terrain-là aussi, à la marque italienne au cheval cabré, les problèmes de fiabilité, assez nombreux, que vous connaîtrent les De Tomaso Pantera décidera finalement Ford, en 1974, après à peine trois ans de carrière aux USA, d’y mettre fin à leur diffusion.
Si le géant américain continuera à vendre ses moteurs à De Tomaso, la fin prématurée de la carrière américaine de la Pantera aura aussi pour conséquence de lui fermer les portes du vaste et juteux marché américain, ce qui limitera d’autant la production de celle-ci ainsi que du reste de ses modèles. Autant dire que cette conquête du Nouveau Monde qui a tourné pour lui au fiasco lui laissera pendant longtemps un goût amer à De Tomaso.
Ce dernier, en cette fin des années 80, accueillant alors d’autant plus favorablement la proposition de Iacocca d’un partenariat avec le troisième constructeur américain qu’il y voit donc là une belle occasion de prendre, en quelque sorte, sa revanche sur celui qui reste, malgré tout, son fournisseur pour les moteurs de ses puissantes Pantera. Un désir de revanche qui anime sans doute aussi Lee Iacocca, même près de dix ans après, a sans doute encore du mal à digérer son limogeage du poste de président de Ford (le constructeur, pas le groupe du même nom) en 1978, conséquence de son conflit avec Henry Ford Jr. (petit-fils du fondateur avec qui il partageait le même prénom).
Ce point commun entre les deux hommes étant probablement déjà une raison suffisante aux yeux des deux hommes pour se mettre autour d’une table et discuter de la mise en place d’un projet commun. D’autant que le groupe au pentastar est maintenant complètement sorti de l’ornière et se mesurer à nouveau et sans difficulté à ses deux rivaux nationaux, que ce soit en termes de chiffres de ventes comme de bénéfices. A tel point qu’en 1987, Chrysler s’est offert le « luxe » de racheter American Motors Corporation à Renault (celui-ci l’avait racheté en 1979 afin d’étendre ainsi la production et la distribution de ses propres modèles sur le marché nord-américain), devenant ainsi, grâce à ce rachat, propriétaire de la marque Jeep.
La nouvelle santé retrouvée de Chrysler permet donc à celui-ci d’envisager de s’attaquer à nouveau (tout au moins sur certains créneaux bien précis) à ces deux rivaux nationaux ainsi qu’aux constructeurs de voitures de prestige européennes. S’il est vrai que la nouvelle politique commerciale appliquée par De Tomaso à Maserati (celle de la nouvelle Biturbo, bien plus habitable, facile à vivre et aussi meilleur marché que les précédents modèles de la marque au trident, rapidement déclinée en un grand nombre de versions) est loin de faire l’unanimité et divise même profondément la clientèle traditionnelle de la marque, celle-ci jouit toujours, en Italie comme en Amérique, d’une image fort prestigieuse. Iacocca entendant, évidemment, bien jouer sur celle-ci afin d’apporter la « caution » nécessaire pour montrer, aux yeux de la clientèle visée, que le nouveau cabriolet de prestige du groupe n’a rien à envier à ses concurrents, quelle que soit la nationalité de ces derniers.
C’est pourquoi il est décidé, quasiment dès le début du projet, que celui-ci portera le nom des deux constructeurs et sera ainsi baptisé Chrysler-Maserati. Le fruit de cette union américano-italienne (ou italo-américaine, selon les points de vue) est dévoilé dès 1986, à l’occasion du Salon Automobile de Los Angeles. Comme expliqué plus haut, depuis le début de la décennie, la presque totalité des voitures de tourisme et de sport des différentes divisions du groupe repose sur une plateforme commune, baptisée K-Body et le nouveau cabriolet de luxe au pentastar ne déroge pas à la règle, puisqu’il est basé sur le coupé Daytona (présenté en 1984) et est donc, comme cette dernière et la quasi-totalité des voitures produites par Chrysler (hormis les tout-terrains) une traction avant.
Si les modèles de luxe anglais, allemands et italiens, à l’image de la grande majorité des américaines de haut de gamme, restent fidèles aux roues arrière motrices, cette différence sera toutefois vue comme une marque de modernité aux yeux d’une partie des acheteurs. Si les lignes de ce nouveau cabriolet américano-italien, bien qu’agréables et assez élégantes, ne versent guère dans une grande originalité, la grande majorité de la clientèle visée restant assez conservatrice, Chrysler a préféré ne pas trop sortir des sentiers battus. Il faut aussi rappeler qu’en dehors de quelques exceptions notables (dans les années 80 comme durant les décennies précédentes), l’avant-gardisme esthétique n’a jamais fait partie des caractéristiques essentielles des voitures américaines.
Outre sa plateforme, la Chrysler-Maserati reprend aussi (assez logiquement) un grand nombre des composants mécaniques provenant des modèles contemporains des autres modèles de la famille des K-Cars. A commencer par le quatre cylindres turbo de 2,2 litres, une mécanique conçue, à l’origine, par Chrysler mais qui, dans le cas du cabriolet TC (des initiales renvoyant à l’appellation Touring Convertible, ou Turbo Convertible, selon les sources), sera revu par les soins des ingénieurs de Maserati, l’assemblage étant confié, quant à lui, aux soins du préparateur britannique Cosworth (bien connu pour ses moteurs équipant les versions sportives des Ford européennes comme la Sierra).
Celle-ci étant proposée, ici, en deux versions et niveaux de puissance : avec une culasse à 8 soupapes pour 160 ch ou 16 soupapes pour 200 chevaux. Outre celui-ci, l’acheteur peut également opter pour un V6, mais d’origine japonaise, cette fois, produit, plus précisément, par Mitsubishi (avec lequel Chrysler s’est associé depuis la fin des années 70, un partenariat qui donnera naissance au lancement de plusieurs modèles communs* ainsi qu’à la fourniture par le constructeur nippon de moteurs six cylindres pour les modèles du groupe américain). Le 6 cylindres en V que l’on retrouve sur la Chrysler TC affichant une cylindrée de 3 litres et une puissance de 141 chevaux. Bien que moins puissant, il possède toutefois un tempérament plus « placide » qui le prédispose plus au « cruising » et aux voyages au long cours sur les highways américaines, alors que les 4 cylindres Chrysler, de leur côté, ont un tempérament plus « nerveux » et sont donc destinés à ceux qui recherchent une conduite plus sportive. Seul le plus puissant des trois moteurs disponibles pouvant d’ailleurs être accouplé à une boîte de vitesses manuelle (à cinq rapports, d’origine Getrag), les deux autres motorisations n’étant équipées que d’une transmission automatique (à trois ou quatre rapports).
Contrairement à la plupart des modèles avec lesquels il entend rivaliser, ainsi, même, que le coupé Daytona sur la base duquel il est réalisé, le cabriolet Chrysler reste toutefois une stricte deux places. Le traitement de l’habitacle est assez flatteur et conforme à l’image que le public américain se fait alors d’une voiture de prestige italienne, avec des sièges et un accoudoir central entièrement recouverts de cuir et des appliques en bois verni sur les contre-portes, le levier de vitesses, ainsi qu’autour de l’autoradio, des commandes de chauffage ainsi que des cadrans face au conducteur, derrière le volant.
Ce qui n’empêche toutefois pas celui-ci de reprendre, là aussi, un grand nombre d’éléments des autres modèles Chrysler (notamment le volant, l’instrumentation ainsi que les manettes et boutons de commande). « Cerise le gâteau » ou sorte de client d’oeil aux décapotables de prestige d’antan, en plus de la capote (électrique, cela va sans dire sur un modèle de cette catégorie), la voiture est aussi livrée, de série, avec un hard-top dont la vitre ronde qui en décore le montant n’est pas sans évoquer celle d’autres cabriolets américains des années 50 et 60 comme la Ford Thunderbird.
L’accord signé entre Chrysler et DeTomaso prévoyant que les premières voitures seront livrées à leurs acheteurs au printemps 1987, le constructeur américain, convaincu que ce nouvel cabriolet de prestige ne manquera pas de séduire une grande partie de la clientèle américaine, escompte pouvoir en vendre au moins 5 000 exemplaires chaque année (les estimations les plus optimistes tablant même sur un score de 10 000 voitures par an). Un score qui apparaît d’autant plus réalisable aux yeux de Iacocca et de l’état-major de Chrysler que les modèles américains encore présents dans cette catégorie ne sont plus aussi nombreux qu’autrefois (General Motors et Ford concentrant désormais la production des décapotables sur les modèles sportifs comme la Mustang, la Camaro et la Corvette).
Sur tout le territoire américain, seuls 300 concessionnaires, en tout et pour tout, seront d’ailleurs habilités à assurer la vente ainsi que l’entretien du nouveau modèle haut de gamme de la marque. Ceci, afin de mieux souligner le caractère exclusif de la nouvelle TC et aussi, sans doute, parce qu’au vu de la nouvelle politique commerciale pratiquée par le groupe depuis le début de la décennie, la grande majorité des concessionnaires Chrysler sont désormais plus habituée à fourguer « au kilo » (voire « à la tonne ») de braves berlines compactes destinées aux familles de la classe moyenne. Plutôt qu’à sortir leur smoking et le champagne pour accueillir (comme il se doit) la clientèle souhaitant un cabriolet capable de rivaliser avec les meilleurs modèles européens dans cette catégorie.
Maxime DUBREUIL
Lire la suite de l’article https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/10/chrysler-tc-maserati-mesalliance-italo-americaine-partie-ii/
Photos WIKIMEDIA
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=HtnDw-q5CFw&ab_channel=RegularCarReviews
Plus d’articles ici https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/09/oldsmobile-la-doyenne-sacrifiee-partie-i/