MAZDA RX-7 – L’esprit du rotor
Il n’y a pas nécessairement besoin d’être mécanicien ou d’avoir fait des études d’ingénieur pour réaliser, après un examen assez attentif que, dans son principe de fonctionnement même le moteur à combustion interne est une machine assez aberrante : vouloir transformer un mouvement vertical (celui des pistons qui montent et descendent dans les cylindres en exécutant les cycles d’admission, de compression, d’explosion et d’échappement) en mouvement de rotation (celui des demi-arbres qui entraînent chacune des roues motrices, permettant ainsi à la voiture d’avancer) n’étant, en effet, pas si évident ni simple que cela. Une telle opération nécessitant un grand nombre de pièces en mouvement telles que les soupapes, poussoirs, culbuteurs et autres arbres à cames chargés d’assurer l’exécution des différentes (et nombreuses) étapes de ce processus et donc le bon fonctionnement de toute cette machinerie. Dès son invention et sa mise en application sur les premiers véhicules automobiles (que l’on appelait alors les « voitures sans chevaux ») dans les deux dernières décennies du 19e siècle, certains ingénieurs n’ont d’ailleurs pas manqué de pointer la complexité du principe du moteur alternatif et ont alors cherché à mettre au point un autre genre de moteur à essence. Une mécanique qui ne possède qu’un minimum de pièces en mouvement et qui permettent de simplifier au maximum les quatre temps du cycle « Beau de Rochas » (du nom de l’ingénieur français qui en déposa le brevet en 1862) et, ainsi (entre autres) de diminuer le poids et le volume de la mécanique.
Si, en lui-même, le principe du moteur rotatif n’est pas nouveau (il fut, pour la première fois, décrit par l’Italien Agostino Ramelli au… XVIe siècle (!), qui l’applique sur des pompes à eau), c’est bien à l’ingénieur allemand Félix Wankel (1902 – 1988) que l’on doit les études les plus poussées dans ce domaine, ainsi que sa mise en application dans la production en grande série, non seulement dans le domaine de l’automobile mais aussi celui de la moto. C’est auprès du constructeur NSU que ce dernier exposa ses plans pour un nouveau moteur « révolutionnaire », d’abord destiné, à l’origine, dans l’esprit des dirigeants de la firme, installée à Neckarsulm, à équiper ses nouveaux modèles à deux roues, son concepteur a alors, quant à lui, déjà en tête d’équiper aussi les nouveaux modèles à quatre roues motrices lancées à la même époque par la marque. Au final, seuls deux d’entre-eux en seront équipés en série : le Spider (version décapotable du coupé NSU Prinz et la berline Ro80.
Malheureusement pour NSU, comme pour Félix Wankel et tous les apôtres du moteur rotatif (ainsi que pour tous les constructeurs qui, tels Citroën, Mercedes ou encore General Motors, qui s’étaient laissés séduire par les promesses de cette mécanique avant-gardiste), la première crise pétrolière, qui éclate à l’automne 1973 (conséquence de la guerre du Kippour entre Israël et les Etats arabes voisins) va mettre à terre tous ces beaux projets. De tous ceux à s’y être intéressé, NSU et Citroën furent d’ailleurs les seuls (en tout cas en Occident) à l’avoir commercialisé, les deux constructeurs s’étant mêmes associés pour fonder en commun la société Comotor, qui étudiera et produira les moteurs monorotor et birotor qui seront montés, l’un, sur le prototype M35 (sorte d’Ami 8 à trois portes) et, l’autre, sur la GS Birotor. Cette dernière, qui restera comme la seule vraie voiture française à avoir connue une véritable carrière commerciale, était supprimée du catalogue Citroën un an et demi à peine après son lancement. Quant aux autres constructeurs, qui avaient pourtant développé des projets souvent fort ambitieux autour du moteur rotatif (tels General Motors avec la Corvette Aerovette ou Mercedes avec la C111, deux voitures de sport à la ligne futuriste, toutes deux équipées de portes « papillon »), ceux-ci resteront malheureusement à l’état de prototypes). En dépit du fait qu’il présentait un certain nombre d’avantages non négligeables, comme de pouvoir accepté tous les types de carburant, y compris le sans-plomb (du fait de l’absence de soupapes et donc de sièges) et qu’il apparaissait tout à fait apte à respecter les nouvelles réglementations anti-pollution, tous ceux qui avaient cru dans le potentiel et dans l’avenir du moteur Wankel retourneront aussitôt leurs vestes et l’abandonneront aussi rapidement qu’ils l’avaient adopté. Tous sauf un : le japonais Mazda.
Les origines de celui qui est aujourd’hui (et depuis longtemps déjà) l’un des principaux représentants de l’industrie automobile nippone (avec ses principaux concurrents, Toyota, Mitsubishi, Nissan et Honda) remontent à 1921, lorsque Jujiro Matsuda rachète l’entreprise Toyo Cork Kogyo, installée à Hiroshima, spécialisée dans la production de bouchons en liège pour les bouteilles. Bientôt rebaptisée, plus simplement, Toyo Kogyo, celle-ci se lance alors dans la production de triporteurs à moteurs utilisés pour les petits commerçants et les entreprises comme véhicules de livraison, qui sont commercialisés sous le nom de Mazda. Si ce nom a été choisi en une forme de « clin d’oeil » à celui du fondateur (Mazda et Matsuda étant de consonance très proche), mais qui fait aussi référence à un dieu de la sagesse). Malgré cette première incursion, assez réussie, dans le domaine des véhicules motorisés, il faudra cependant attendre jusqu’en 1960 pour que Tsuneji Matsuda, le fils de Jujiro, présente la première voiture à porter le nom de Mazda, la R360, une petite citadine qui se range dans la catégorie des Kei cars (qui regroupe les plus petites automobiles proposées sur le marché japonais et qui, tant qu’elles ne dépassaient pas une cylindrée des dimensions d’un poids à vide déterminé, bénéficiaient du même régime fiscal que les deux roues).
C’est aussi à cette époque que Mazda (ou, plutôt, Toyo Kogyo, puisque celui-ci reste toujours la raison sociale – c’est-à-dire le nom officiel de l’entreprise) découvre le moteur rotatif conçu par Félix Wankel et produit par NSU. Séduit par le caractère innovant ainsi que le potentiel technique de celui-ci, le constructeur nippon signe, dès 1961, un contrat avec la firme allemande en faisant ainsi l’acquisition de la licence de fabrication du moteur Wankel. Outre qu’il permettra ainsi à Mazda et aux futurs modèles qui en seront équipés de se différencier de la concurrence, aux yeux des dirigeants du constructeur japonais, il doit aussi leur permettre d’affirmer, voire de renforcer, l’identité de la marque, et, ainsi, de mieux affirmer son indépendance face aux poids lourds de l’industrie automobile japonaise que sont déjà à l’époque Toyota et Nissan, à une époque où il est alors question d’envisager de rassembler les principaux constructeurs de l’archipel au sein d’un seul grand groupe automobile (une sorte de General Motors sauce nippone), un projet qui sera toutefois rapidement abandonné. En tout état de cause, Mazda a pour objectif, avec le moteur Wankel, de montrer, aux yeux du public comme de ses concurrents, sa capacité d’innovation et que, même s’il fait figure de « second couteau », en ce qui concerne ses chiffres de production, au sein de l’industrie automobile japonaise, ses ambitions de devenir lui aussi un acteur de premier plan sur la scène automobile, au Japon comme à l’étranger.
La première Mazda à être équipée de cette mécanique inédite sera le coupé Cosmo, présenté en 1967, dont la ligne moderne et même assez futuriste pour l’époque était bien au diapason du caractère singulier et avant-gardiste de sa mécanique. Lorsque l’on examine la liste des quelque vingt-cinq constructeurs ou entreprises qui, au début des années 70, ont acquis la licence d’exploitation du moteur Wankel, on constate que la plupart d’entre-elles présentaient un point en commun, un atout qui leur a souvent (voire toujours) fait défaut : un manque d’innovation technologique, en tout cas en ce qui concerne les moteurs qui équipaient leurs modèles de série. (Ainsi, malgré sa suspension hydraulique alors inédite et à l’efficacité reconnue, la révolutionnaire Citroën DS, avait due se contenter, faute de temps et d’un budget suffisant, de reprendre le moteur de sa devancière, la Traction Avant, sortie en… 1934). En faisant le choix d’adopter le moteur rotatif, ils espéraient ainsi, pour les uns, renforcer leur statut de constructeurs innovateurs et, pour les autres, de se doter d’une image avant-gardiste qui leur avait toujours fait défaut. Tous, en tout cas, voyaient véritablement dans le Wankel le moteur du XXIe siècle, certains (tant parmi les constructeurs concernés qu’au sein des spécialistes de la presse automobile) n’hésitant pas alors à affirmer que le rotatif allait bientôt enterrer définitivement le bon vieux moteur à explosion qui sévissait sur la quasi-totalité des automobiles construites depuis le début du XXIe siècle. On voit aujourd’hui ce qu’il en est !…
Mazda restant, à ce jour, et depuis plus de quarante ans, son dernier défenseur. Alors que, au vu de la flambée brutale des prix du pétrole et de l’essence, le constructeur nippon aurait pu être tenté de faire comme tous les autres et d’enterrer, rapidement et définitivement, le moteur Wankel, Mazda va, au contraire, persévérer dans cette voie,s s’ingéniant, au fil du temps et des générations de modèles à moteur rotatif qui se succéderont à son catalogue, à perfectionner cette mécanique atypique. Il est vrai que, à sa naissance, malgré des atouts indéniables (notamment une forte puissance pour sa cylindrée – pouvant ainsi développer une puissance équivalente à celle d’un moteur classique trois ou quatre fois plus gros -, dénué de vibrations grâce au nombre de pièces en mouvement réduites au minimum et une très grande aptitude à développer des montées en régime fulgurantes), il pâtissait toutefois aussi de défauts assez rédhibitoires, en particulier en ce qui concerne les joints qui avaient pour rôle d’assurer l’étanchéité du piston, à ses trois sommets à sur les côtés. Plus grave, et c’est là son plus grand défaut en usage quotidien, il s’avère très (voire beaucoup trop) gourmand en essence et en huile. Or, dans le contexte économique des années 70, où le prix du baril de pétrole se verra multiplié par six en un an et demi (de 2 dollars avant l’éclatement de la crise à 12 dollars au début du printemps 1975) et où les économies d’énergie sont désormais érigées en leitmotiv, pour ne pas dire en devoir impératif par les pouvoirs publics, le Wankel ne semble donc plus vraiment y avoir sa place et même appartenir au passé. Des défauts que, malgré tous leurs efforts, les ingénieurs de Mazda ne sont jamais vraiment parvenus à résoudre entièrement.
A l’aube des seventies, la firme d’Hiroshima avait été jusqu’à proposer des versions à moteur rotatif sur presque tous les modèles inscrits à son catalogue, celui-ci équipant aussi bien des voitures de sport comme la Cosmo que des modèles compacts ou des berlines familiales (tels que les RX » et RX4), et, surtout dans les premières années, l’avenir, tout comme le public, semble lui donner raison, puisqu’en 1973, Mazda produit ainsi près de 240 000 voitures à moteur rotatif (tous modèles confondus), ce qui représente, au total, la moitié de la production du constructeur. Bien que toutes les autres firmes qui avaient tenté l’aventure aient jeté l’éponge, au vu des très bons résultats commerciaux enregistrés par ses modèles à moteur rotatif, la nouvelle direction de la firme d’Hiroshima (la famille Matsuda ayant passé la main au milieu des années 70 à une nouvelle équipe de dirigeants) se montre persuadée que le Wankel a, bel et bien, encore un avenir. Est-ce un effet indirect de la crise pétrolière ainsi que des bouleversements qu’a connu, suite à cela, le marché automobile au niveau mondial ? Toujours est-il que Mazda va progressivement réserver, à partir de la fin des années 70, cette mécanique atypique, à ses voitures les plus sportives.
Notamment à la nouvelle RX-7, dévoilée au public à l’occasion de l’ouverture du Salon de Chicago en avril 1978. Un choix qui reflète bien les ambitions que le constructeur nourrit pour son nouveau coupé à moteur rotatif, ainsi que la conviction de celui-ci quant à l’avenir et au potentiel du Wankel, mais aussi – et surtout – qu’avec ce nouveau modèle, c’était clairement le marché américain qui était en ligne de mire (ce sera d’ailleurs ce dernier qui absorbera la plus grande partie de la production, devant même le marché japonais, qui sera son autre plus grand marché). La nouvelle RX-7 sera, d’ailleurs, à partir des années 80, la seule Mazda à moteur rotatif vendue sur les marchés occidentaux (la Cosmo étant désormais vendue uniquement au Japon). C’est aussi sans doute la raison pour laquelle elle sera présentée, dans les catalogues et les campagnes publicitaires (en tout cas celles destinées aux marchés européens) comme « la première voiture de sport à moteur rotatif » lorsqu’elle débarque sur le Vieux Continent l’année suivante.
Sans doute la marque avait-elle conscience qu’en Europe, qui vient tout juste d’être secouée par une seconde crise pétrolière (consécutive à la Révolution iranienne), le coupé RX-7 avait toutes les chances d’être condamné à n’y faire que de la figuration, qu’au moment où il y est commercialisé, la documentation publicitaire le concernant se résume à de maigres feuillets recto-verso, qui se contentent de montrer l’intérieur de l’habitacle et d’expliquer, dans ses grandes lignes, le principe de fonctionnement du moteur Wankel. Bien que conscient, lui aussi, que la RX-7 n’y serait jamais un best-seller et que ses volumes de vente seraient à cent lieux de la modeste compacte 323 (laquelle deviendra d’ailleurs l’une des voitures japonaises les plus vendues en Europe), la plupart des importateurs européens étaient certainement convaincus que son statut de coupé « haut de gamme » ainsi que son caractère atypique en feraient un très bon porte-drapeau pour le reste de la gamme (qui, il est vrai, dans son ensemble, n’avait rien de très affriolant). Ce seront donc eux, et non la maison-mère du constructeur, qui créeront, pour les pays d’Europe où était vendu la RX-7, des catalogues dignes de ce nom.
Si Mazda s’était alors déjà fait un nom en tant que constructeur de voitures de sport avec la Cosmo, en Europe, celle-ci n’était connue et appréciée que d’une poignée de connaisseurs et, tout comme elle, faute de pouvoir se prévaloir d’une prestigieuse ascendance (à l’instar de ses concurrentes allemandes, anglaises et italiennes), la RX-7 allait donc devoir usée d’arguments sérieux ainsi que de slogans publicitaires forts pour convaincre la clientèle visée (qui plus encore que le grand public auquel s’adressaient les modèles « ordinaires » comme la 323, nourrissait probablement des préjugés assez tenaces envers les voitures nippones). On peut ainsi lire dans les premiers catalogues publiés en français des slogans tels que « La voiture de sport comme vous la rêviez » et même certains autres qui se veulent assez imagés ou « poétiques », tels que : « L’ouragan de la vitesse se fait zéphyr soyeux ». Il fallait sans doute bien cela pour convaincre les « cadres dynamiques » ou les « golden boys » de la préférer à une Alfa Romeo Alfetta GTV ou à une Porsche 924. Lors du lancement de la RX-7, cela fait dix ans déjà que la firme Mazda est présentée dans l’hexagone et si, en Europe comme dans les pays dits « émergents » (en Amérique du Sud, en Asie ou même en Australie), la 323 va lui permettre de devenir véritablement un « grand » constructeur, le coupé RX-7 ne peut, sur le marché français, guère espéré mieux que le rôle de « porte-drapeau », voire, tout simplement, de curiosité exotique. Ajoutez à cela la gourmandise en carburant du moteur rotatif qui, même dans sa catégorie, constitue souvent un sérieux handicap, et il est facile de comprendre que les ventes de la RX-7 en France soient des plus confidentielles : seulement 182 en 1980 et à peine… 20 l’année suivante !
Si, comme la plupart des voitures japonaises, elle est proposée sur le marché français à un prix très concurrentiel (équivalent à celui d’un coupé Peugeot 504 à moteur deux litres) l’appétit du moteur rotatif comme le manque d’image de Mazda dans ce segment la maintient dans l’ombre. Ce manque de succès commercial dont elle pâtit chez nous n’empêche toutefois pas son constructeur de la faire évoluer régulièrement (même s’il ne s’agit, la plupart du temps, que de retouches assez légères). Pour l’année-modèle 1981, les pare-chocs sont redessinés (abandonnant les gros embouts en plastique noir qui étaient auparavant placés aux extrémités) et mieux intégré à l’ensemble de la voiture, une poupe elle aussi redessinée et rallongée (avec de nouveaux feux striés et plus larges, disparition du creux entre les feux où se trouve la plaque d’immatriculation, adjonction d’un béquet), des baguettes latérales plus épaisses, un tableau de bord (légèrement redessiné) et, surtout, de nouvelles jantes dont le motif évoque clairement les deux rotors de son moteur (affichant chacun une cylindrée de 573 cc), dont la puissance passe désormais de 105 à 115 chevaux, dont la consommation ainsi que les émissions de pollution se voient sensiblement diminuées grâce à l’installation d’un nouvel allumage électronique. Toujours sur le plan technique, le freinage se voit également amélioré avec des disques de freins dont sont maintenant aussi équipées les roues arrière.
Maxime DUBREUIL
Lire la partie 2 https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/10/mazda-rx-7-lesprit-du-rotor-ep2/
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Photos WIKIMEDIA
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=EZ28f-_FDyU&ab_channel=BenAutos
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