CITROËN CX – La digne héritière de la DS.
A l’aube des années 70, la marque aux chevrons peut, légitimement, se montrer largement satisfaite et même très fière du succès commercial de la gamme D (une appellation interne qui reprend les différentes versions de la DS mais aussi des versions « low-cost » de cette dernière, les DSuper). C’est d’ailleurs en 1970 que la production de celle-ci atteint son point culminant, avec, au total, plus de 103 000 exemplaires sortis des chaînes de l’usine historique du quai de Javel.
Un succès sans doute dû (entre autres) au remaniement esthétique opéré par Robert Opron (qui a succédé à Flaminio Bertoni à la tête du bureau de style de Citroën au décès de ce dernier en 1964). Le lifting opéré sur la face avant de la DS, laquelle abandonne alors la simple paire de phares circulaires pour une double paire d’optiques placés sous vitres (dont celles placées du côté interne s’orientent dans la direction des roues) ayant certainement participé, pour une part non négligeable, à la pérennisation de ce succès.
Le lancement de la gamme D remontant, toutefois, à une quinzaine d’années déjà (1955 pour la DS et 1957 pour l’ID, qui sera, par la suite, remplacée par la DSuper), les dirigeants de Citroën ont, toutefois, bien conscience que (même si elle figure toujours parmi les références de sa catégorie), les effets de l’âge commencent, toutefois, à se faire sentir et qu’il est donc temps de mettre en chantier l’étude de sa remplaçante. C’est ainsi que le projet « L » voit le jour.
S’il est prévu, dès le départ, de conserver sur celui-ci la plupart des caractéristiques techniques essentielles de la DS (à savoir la traction avant, la suspension hydraulique ainsi que le système de freinage à haute pression). Sur le plan esthétique, si les lignes de la future grande Citroën devront se démarquer nettement des modèles de la concurrence et donc de bien rester dans « l’esprit Citroën ». Tout en se montrant, néanmoins, sensiblement, plus consensuelles et donc moins radicales que celle de son illustre devancière à son lancement. Opron faisant, assez rapidement, le choix de reprendre le concept de carrosserie bicorps déjà initié avec la GS mais à une plus grande échelle. Parmi les différents stylistes qui travailleront sous la supervision d’Opron sur le projet L figure Michel Harmand, qui s’occupera, plus particulièrement, du style intérieur. C’est à lui que l’on devra, entre autres, le célèbre tableau de bord en forme d’ellipse.
Si son esthétique lui permet de se démarquer nettement de ses (futures) concurrentes (la Peugeot 604 ainsi que les Renault 20 et 30 ne seront, en effet, commercialisées qu’un an après la nouvelle Citroën), elle lui confère également une excellente aérodynamique, avec un coefficient de 0,375. Elle mérite donc fort bien la dénomination qui lui sera finalement attribuée : celle de CX. Bien qu’elle paraissait, de prime abord (aussi bien en vraie qu’en photos) être d’une taille au-dessus de la DS, il s’agit, en quelque sorte, d’une « illusion d’optique » due, avant tout, aux proportions de la voiture. La nouvelle CX affichant, en effet, pas moins de 21 cm en moins que la DS ! Toujours concernant sa fiche technique, par rapport à cette dernière*, sa remplaçante se distingue par son ensemble moteur-boîte qui, outre le fait d’être placé en position transversale, repose sur un faux-châssis relié au soubassement de la caisse autoporteuse par deux longerons « de calèche »*.
La gestation et, surtout, la naissance du nouveau vaisseau amiral de la marque aux chevrons ne se feront, toutefois, pas sous les meilleurs auspices. Lorsqu’elle est dévoilée au public, à l’automne 1974, Michelin, propriétaire de Citroën depuis une quarantaine d’années, vient, en effet, de revendre celle-ci à Peugeot. Le constructeur au lion ayant également dû accepter, à rachetant la firme de Javel, de racheter également l’ardoise qui allait avec (environ un milliard de francs, rien de moins !). Ajoutez à cela le contexte de récession économique engendré par l’éclatement de la première crise pétrolière, un an auparavant (suite à la guerre du Kippour) et l’on comprend donc aisément que les débuts de la carrière de la CX ne furent pas ce que l’on pourrait appeler un long fleuve tranquille !
Lorsqu’il était mentionné que la CX devait succéder à la DS, pour être tout à fait exact, le projet L n’était destiné, à l’origine, qu’à remplacer les versions économiques de la gamme D (c’est-à-dire les DSuper). Les versions haut de gamme (les DS Pallas et Prestige) étant prévus, de leur côté, auraient dû voir leur succession assurée par une version à quatre portes du coupé SM à moteur V6 Maserati (Citroën ayant, en effet, racheté le constructeur italien en 1969) ou par un modèle dérivé de celui)ci. Malheureusement pour Citroën, une autre des conséquences du premier choc pétrolier sera que cet ambitieux projet restera dans les tiroirs. Ainsi que d’autres envisagés pour la CX, comme un quatre cylindres à plat ; un V8, déjà envisagé pour la seconde série de la DS ; ainsi qu’un moteur rotatif Wankel, à deux ou trois rotors selon les versions).
C’est pourquoi la CX devra se contenter, à son lancement, du quatre cylindres en ligne de 2 litres emprunté à la DSuper ainsi qu’à la DS 20. Celle étant affichée, sur le stand Citroën du Salon de l’automobile de Paris, en octobre 1974, à un peu plus de 28 700 F, soit à peine plus chère que la DSuper mais nettement moins, en tout cas, que la DS 23 Pallas (cette dernière étant ainsi affichée à plus de 39 500 F). Le lancement de la CX ne signant pas, en effet, la fin immédiate des modèles de la gamme D, ceux-ci ne quittant la scène qu’à la fin de l’année-modèle 1975.
Bien qu’au moment où elle est dévoilée au public, elle ne soit proposée que dans une gamme encore très réduite, celle-ci s’élargira toutefois progressivement au fil des années. D’abord vers le haut, avec l’apparition d’une version 2,2 litres et 112 chevaux (contre 102 pour la CX 2000) début 1975. Et, surtout, avec le lancement, l’année suivante, de la carrosserie break (qui sera fort appréciée, non seulement des ambulanciers et des pompes funèbres, mais aussi des familles nombreuses, à une époque où les monospaces n’ont pas encore fait leur apparition). Sans compter la première version équipée d’une motorisation Diesel (qui sera suivie de plusieurs autres durant toute la carrière du modèle) ainsi qu’une originale version C-Matic (laquelle, comme sa dénomination le laisse deviner, est équipée d’une transmission (semi-)automatique (un choix plutôt curieux sur un marché intérieur qui n’a toujours juré que par les boîtes de vitesses manuelles).
Dès le début de la seconde moitié des années 70, plusieurs niveaux de finition sont, à présent, proposés au catalogue de la CX (Confort, Super et Pallas), la gamme étant couronnée par la nouvelle version Prestige. Si cette appellation fait ouvertement référence à la DS Prestige (qui fut, elle aussi, la version la plus luxueuse de la DS), la CX du même nom connaîtra toutefois une diffusion nettement plus importante. Elle sera fort appréciée d’un grand nombre des personnalités politiques françaises de l’époque, au premier rang desquels l’on retrouve (assez logiquement) le président de la République de l’époque en personne (Valéry Giscard d’Estaing, pour ne pas le nommer). Ce dernier aura d’ailleurs la primeur d’un pavillon de toit rehaussé ainsi que d’un moteur équipé de l’alimentation par injection, deux caractéristiques qui n’apparaîtront sur la Prestige de série que lors de l’année-modèle 78.
Si la SM (qui a quitté le catalogue de la marque la même année que la DS) a disparu sans laisser de descendance directe, en dépit d’un contexte économique toujours assez morose, Citroën a finalement décidé de réinvestir le marché des voitures de grand tourisme, même si de manière moins ambitieuse et plus pragmatique. Ceci, sous la forme d’une version (légèrement) plus musclée de la CX, laquelle reçoit une dénomination en trois lettres qui va bientôt devenir mythique grâce à la version éponyme de la Volkswagen Golf : la CX GTI.
Bien qu’elle n’usurpe pas (vraiment) son appellation (ses initiales signifiant, évidemment, « Grand Tourisme à Injection », de type L-Jetronic dans le cas de la CX), au sein des journalistes de la presse auto comme de la clientèle potentielle, elle laissera toutefois certains quelque peu sur leur faim. Ces derniers espérant sans doute un peu plus que les 128 chevaux, même si ceux-ci (ainsi qu’une boîte à 5 vitesses) permettent à la grande Citroën d’approcher des 190 km/h en vitesse de pointe. Extérieurement, celle-ci se distingue, sur les flancs, par des bandeaux traités en noir mat et, à l’intérieur de l’habitacle, par une sellerie spécifique en cuir bicolore. L’habilement de cette nouvelle CX « en tenue de sport » restant, toutefois, dans le « politiquement correct » (les exubérances qui ont marqué certains modèles de la fin des années 60 et du début des années 70 étant, à présent, bannies, car faisant désormais « mauvais genre »).
Si la version GTI n’aura guère de difficultés à trouver son public, l’époque n’est, cependant, plus vraiment aux performances, l’une des priorités principales des propriétaires de CX (à l’image de la grande majorité des automobilistes) est désormais les économies en carburant. La preuve étant que les versions Diesel représentent alors, en cette fin des années 1970, près de la moitié des ventes. Malgré le second choc pétrolier (dû, cette fois, à la révolution islamique en Iran) en 1979, la clientèle pour les berlines de grand tourisme reste, toutefois, suffisamment importante en France (ainsi, plus généralement, que dans les autres pays d’Europe occidentale) pour que Citroën décidera bientôt d’apporter un nouveau supplément de vitamines à la CX.
Du côté des versions « courantes », la version d’entrée de gamme des CX essence bénéficiera, à partir de 1980, d’une nouvelle motorisation plus moderne (que l’on retrouvera également sur plusieurs modèles des gammes Peugeot et Renault), remplaçant avantageusement l’ancien bloc issu de la DSuper. Les appellations changeant aussi à la même époque, les anciennes dénominations faisant référence à la cylindrée des moteurs étant, à présent, remplacées par des noms jugés plus « évocateurs » (ou, en tout cas, dans « l’air du temps ») : Athena ou Reflex, suivant le niveau de finition.
Concernant le moteur Diesel, celui-ci verra, dans le courant de l’année 78, sa cylindrée passée à 2,5 litres et sa puissance de 66 à 75 chevaux. (A noter que si l’alimentation à carburateur restera proposée sur les moteurs à essence jusqu’à la fin de la production de la CX, ceux roulant au gazole, en revanche, ne seront toujours équipés, dès leur apparition au sein de la gamme, que de l’injection). De manière assez étonnante, cette motorisation se retrouvera sous le capot d’une version « populaire » de la Prestige, baptisée Limousine, qui fera son apparition au catalogue lors du millésime 1980.
Même si les ventes de la C-Matic seront toujours restées assez confidentielles, le constructeur poursuivra pourtant dans cette voie en remplaçant, en 1981, celle-ci par une boîte de vitesses, entièrement automatique d’origine ZF (une option qui ne sera, cependant, proposée que sur les versions 2,4 l et 2,5 litres (à carburateur et à injection). Si la CX 25 Turbo (proposée en finitions RD et TRD) ne restera pas comme les versions les plus puissantes dans l’histoire de la CX, elles pourront, néanmoins, se prévaloir d’avoir été les premières à bénéficier, à partir du printemps 1983, d’un moteur équipé de la suralimentation. (La puissance ne faisant, ici, un « bond » que de 75 à 95 chevaux, les nouvelles CX Turbo Diesel restant donc assez loin d’être des foudres de guerre, même si, avec une vitesse de pointe de 174 km/h, elle peut se prévaloir d’être, à son lancement, la plus rapide des berlines françaises à moteur Diesel).
La CX essence, pour sa part, ne bénéficiera du turbo (en l’occurrence, en version 2500) que deux ans plus tard, avec une puissance ainsi qu’une vitesse de pointe atteignant désormais des chiffres encore qui (en dehors de la SM) n’avaient encore jamais été vu sur un modèle de la marque en chevrons : 168 chevaux et 220 km/h. De quoi lui permettre de tenir son rang, mais aussi la dragée haute à ses rivales d’outre-Rhin qui domine, de manière insolente et depuis (trop) longtemps (sans doute) la catégorie des berlines grandes routières. A noter que l’ABS n’est encore monté, à cette époque, qu’en option (laquelle est d’ailleurs affichée à un tarif assez conséquent, même si la plupart des concessionnaires insistent souvent auprès des clients de la CX Turbo pour qu’ils en fassent équiper leurs voitures, afin de leur garantir une sécurité optimale en cas de freinage, surtout à haute vitesse).
Malgré les performances de la version Turbo qui permettent à cette dernière de porter haut les couleurs de la marque et de se revendiquer (en termes de performances, mais aussi de confort) comme l’égal complet des BMW et Mercedes, le constructeur doit, néanmoins, constater une baisse assez nette des ventes de sa grande berline. Il est alors décidé de lui offrir une opération de chirurgie esthétique.
La Série 2, présentée à la fin de l’été 1985, se distinguant avant-tout, au premier coup d’oeil des premières CX, par ses nouveaux pare-chocs plus épais et peints de la couleur de la carrosserie. Si (aux yeux de certains amateurs du modèle), ceux-ci lui font perdre une partie de la finesse de la ligne d’origine, ils permettent néanmoins de remettre, à peu de frais, d’effacer (en partie) les rides qui commencent à apparaître sur celle-ci. Les autres modifications extérieures consistant, principalement, dans l’abandon de l’accastillage chromé (jugé, désormais, désuet), la mode étant, à présent, en « tout plastique » noir pour les entourages de vitre ainsi que les pièces d’accastillage. Dans l’habitacle, le tableau de bord s’est, lui aussi, vu dans l’obligation de passé par un lifting afin de le remettre au goût du jour. Même s’il y perdra une partie de ce qui faisait son originalité dans sa version originelle (dont les fameux compteurs « pèse-personne », remplacés par de bien plus classiques compteurs à aiguilles, plus lisibles, peut-être, certes, mais plus banals aussi).
En tout état de cause, ce lifting extérieur et intérieur lui permettra de « jouer les prolongations » au catalogue Citroën durant quelques années encore, le temps que sa remplaçante (la future XM) se finalisée. Le constructeur pouvant ainsi célébrer la sortie du 1 000 000e exemplaire de la CX en 1987. Les dernières CX Turbo (désormais baptisées « Turbo 2 ») se voyant dotées d’un échangeur de chaleur, lequel, s’il n’aura quasiment aucune incidence sur les performances (la puissance et la vitesse de pointe demeurant quasiment inchangées), celui-ci permettra, en revanche, d’abaisser la consommation.
La présentation de la XM, au printemps 1989 (avec un an d’avance sur le calendrier prévu à l’origine, ce qui aura des conséquences assez malheureuses sur sa fiabilité et, conséquence directe, sur ses chiffres de vente) forçant alors les berlines de la gamme CX à quitter la scène à la même époque. (Seule la carrosserie break, qui recevra la nouvelle appellation de CX Evasion, subsistant, durant encore deux millésimes).
Succéder à une légende de la route est toujours un défi assez délicat, ce qui n’a, pourtant, pas empêché la CX, non seulement, de le relever, mais aussi (et surtout) de le remporter avec les honneurs. C’est d’ailleurs la tête haute qu’elle pourra quitter la scène, après dix-sept ans de carrière (en comptant les ultimes breaks Evasion, produits jusqu’en 1991) et un peu plus d’un million d’exemplaires produits (toutes versions confondues. Un score que sa remplaçante, la XM, sera bien loin d’égaler (malheureusement pour elle).
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=_ZlZabq6ZFk&ab_channel=PetitesObservationsAutomobiles
Une autre Citroën https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/12/citroen-bx-lautre-sauveur-de-psa/