MATRA BAGHEERA – La panthère française.
Lorsque la Murena est dévoilée au public, en 1973, Matra est encore un « jeunot » au sein du paysage automobile français, ayant, en effet, moins de dix ans d’activité (en tant que constructeur automobile, tout du moins). Après avoir racheté, en 1964, la firme René Bonnet et avoir poursuivi, sous son nom (ainsi que dans une version sensiblement modifiée et améliorée) la production de la berlinette Djet, avant de lancer, quelques années plus tard, le premier « vrai » modèle de la marque, la 530.
Malgré le surnom dont elle fut baptisée à son lancement, « la voiture des copains » (traduisant qu’elle ciblait, avant tout, la clientèle des jeunes conducteurs), cette dernière restait encore empreinte, sur certains points importants, d’un caractère trop radical pour séduire l’ensemble de la clientèle visée. En 1969, la firme de Romorantin conclut un partenariat avec Simca (et, par extension, avec le nouveau propriétaire de celle-ci, l’américain Chrysler), ce qui mettra également fin, là aussi, à la carrière de la 530 (le groupe au pentastar voyant, en effet, plutôt d’un mauvais oeil le fait que ce modèle soit motorisé par un moteur d’origine Ford).
C’est aussi à la même époque que débutent les travaux sur la conception du nouveau coupé Matra, lequel, s’il devra (évidemment) présenter des lignes à l’accent fort sportif, mais, toutefois, avec un caractère plus « consensuel » que sa devancière, notamment dans l’agencement de l’habitacle. Ce nouveau coupé reprenant toutefois la plupart des recettes déjà appliquées sur la 530 et qui ont fait leurs preuves sur celle-ci. Notamment son architecture constituée d’un châssis-coque en acier habillé d’une carrosserie réalisée, quant à elle, en polyester, avec une motorisation placée, de son côté, en position centrale arrière. Sur ce dernier point, à la différence de la 530, la mécanique sera placée, cette fois-ci, en position transversale, afin d’offrir ainsi un encombrement plus réduit ainsi qu’une meilleure répartition des masses.
Ce genre de coupés n’ont, évidemment, pas avoir une vocation similaire à celle d’une berline familiale, mais entendent, néanmoins, se montrer plus accueillant et spacieux que les sportives « pures et dures » (telles que l’Alpine A110 ou les CG) qui n’offrent, elles, que deux places. La difficulté étant de parvenir à trouver le bon compromis entre une ligne devant refléter la vocation sportive de la voiture sans avoir à (trop) sacrifier l’habitabilité, en particulier pour les passagers à l’arrière. Un compromis souvent fort délicat à trouver et sur lesquels de nombreux stylistes se sont cassé les dents et les crayons, sauf à devoir se contenter de concevoir un classique coupé tricorps ou (choix plus radical) de créer alors une sorte de « break de chasse » (comme cela sera le cas de Bertone avec la Lamborghini Espada).
Si la Matra Bagheera (ainsi que celle qui prendra sa succession, la Murena) est, avant tout, restée dans les mémoires (celles du public de l’époque ainsi que des amateurs de youngtimers et autres curiosités automobiles) pour ses trois places à l’avant. Ce choix (pour le moins) singulier au sein de la production automobile européenne (les derniers projets de ce genre, en tout cas pour une voiture sportive, étant les prototypes développés, à la fin des années 1940, par le pilote de course Jean-Pierre Wimille*) résultant d’une sorte de « compromis » entre les représentants de Simca/Chrysler France et la direction de Matra. Les premiers souhaitant (assez logiquement) un coupé « classique » disposant de quatre places. Quitte à ce que les deux places arrière ne soient (comme sur la plupart des autres coupés, plus ou moins « sportifs ») que des places d’appoint, ne pouvant guère accueillir que des enfants ou de jeunes adolescents. Ceci, pour des raisons strictement commerciales : un coupé homologué comme un modèle à quatre places étant, en effet, nettement plus vendeur qu’une stricte deux places.
Or, c’était bien ainsi qu’avait imaginé, à l’origine Philippe Guédon, le patron de la division automobile du groupe Matra, pour le nouveau coupé de la marque. (Bien que la 530, dont celui-ci se voulait la descendante directe, disposait, elle aussi, de places d’appoints derrière les deux sièges avant). Ce compromis permettant ainsi d’offrir une habitabilité supérieure à celles des coupés deux places (tels que la berlinette Alpine), tout en évitant d’avoir à concevoir un châssis avec un empattement trop long qui aurait, ainsi, risqué de « déséquilibrer », sous certains angles (en particulier vue de profil) la ligne du nouveau coupé Matra.
Dû aux coups de crayons des stylistes Jacques Nochet et Jean Toprieux, celui-ci porte le nom de Bagheera, un nom choisi en référence à la panthère ami de Mowgli dans « Le Livre de la Jungle ». (Outre cette référence littéraire, le nom a sans doute aussi été choisi, car il évoquait fort bien, aux yeux des dirigeants de Matra, le caractère agile et élancé de ce fauve à la peau noire). Guédon et son équipe sont d’autant plus convaincus du succès que remportera la nouvelle Matra Bagheera auprès du public français qu’outre le fait qu’elle a réussi à corriger la plupart des défauts que la presse automobile avait reproché, naguère, à la 530, elle peut aussi profiter de la notoriété acquise par la marque grâce à ses nombreuses victoires en compétition (avec, entre autres, une triple victoire aux 24 Heures du Mans).
La nouvelle venue entendant donc réussir là où sa devancière avait (en partie) échoué, à savoir devenir le modèle fétiche au sein d’une clientèle « jeune » (entendez par là, ayant moins de quarante ans) et dynamique. La Bagheera n’entendant donc pas être une sportive « pure et dure » mais bien pouvoir être utilisé au quotidien par Monsieur (ou Madame) Tout-Le-Monde, le bureau d’études de la firme de Romorantin a donc décidé d’aller au plus simple en piochant, pour la mécanique comme pour l’ensemble des organes mécaniques, dans la banque d’organes de Simca. (Même si la raison principale reste, bien évidemment, de réduire au maximum les coûts de développement. Ceci, afin de pouvoir, ainsi, proposer ce nouveau coupé à un prix de vente le plus compétitif possible).
Celle qui est désormais la division française du groupe Chrysler n’étant pas vraiment spécialisée dans les voitures sportives (c’est même une sorte d’euphémisme), les gens de Matra n’auront, toutefois, pas vraiment l’embarras du choix en ce qui concerne les motorisations qui pourront, éventuellement, équipées la Bagheera. Celle-ci devant, en effet, se contenter de celle empruntée à la Simca-Chrysler 1307/1308, un « vulgaire » quatre cylindres en ligne de 1 294 cc développant, en tout et pour tout, 84 chevaux. Le poids contenu de la voiture (outre le fait d’éliminer tout risque de corrosion, la légèreté, par rapport à une carrosserie classique en acier, constitue l’autre avantage principal de la carrosserie en polyester) permettant à la nouvelle Matra d’offrir des performances assez bonnes (ou, tout du moins, « correctes »).
Malheureusement, comme ne se priveront pas de le souligner (avec une pointe d’amertume non dissimulée) que le ramage n’était, clairement, pas à la hauteur du plumage. (L’un d’entre-eux déclarant d’ailleurs, sans ambages, au représentant de Matra, en lui rendant les clés de la voiture dont il venait de terminer l’essai « Revenez me voir quand Matra y aura mis un moteur ! »). Si Philippe Guédon ainsi que le reste de la direction du constructeur ont donc probablement dû faire quelque peu la grimace en lisant les comptes-rendus de la presse spécialisée en ce qui concerne les performances de leur dernière création, ils ont, toutefois, dû, assez rapidement, se consoler en se disant que l’acheteur type d’une Bagheera ne s’appelait pas Henri Pescarolo !
Si le projet ambitieux d’une version à moteur huit cylindres (en réalité, deux blocs quatre cylindres jumelés, de 1 294 cc chacun) sera bien étudié par le bureau d’études de Matra, celui-ci restera (malheureusement, sans doute) à l’état de prototype. A la fois à cause d’une consommation jugée trop importante (surtout dans le contexte de la première crise pétrolière qui éclatera quelques mois à peine après le lancement de la Bagheera) mais également pour des raisons d’ordre technique. Malgré leurs efforts, les ingénieurs de Matra ne sont, en effet, jamais parvenus à obtenir une synchronisation parfaite des deux moteurs).
Lors de sa présentation (l’avant-première se déroulant en avril 1973 dans le cadre bucolique du lac d’Annecy), la Bagheera est proposée en deux niveaux de finitions. Le « Type 1 », laquelle, avec la sellerie de l’habitacle traitée dans une teinte unie ainsi que des jantes en tôle, se montre assez austère et spartiate. Le « Type 2 », quant à lui, avec sa sellerie bicolore et ses vitres teintées, affiche une présentation sensiblement plus affriolante. Mieux équipée aussi, avec des jantes en aluminium, une lunette arrière dégivrante, des ceintures à enrouleur, une montre à quartz. (Concernant cette dernière, elle ne s’avèrera, toutefois, guère utile pour le conducteur, étant donné qu’elle se trouve placée devant la place du passager. Preuve que, même si la Matra Bagheera fut, à juste titre, louée pour son ergonomie nettement meilleure que celles de la majorité des autres sportives françaises de l’époque, celle-ci présentait, toutefois, encore quelques imperfections).
C’est en septembre de l’année suivante (1974 donc) que sera dévoilée celle qui sera sans doute la version la plus exclusive de la Matra Bagheera : la Courrèges. Conçue en collaboration avec le célèbre couturier André Courrèges, celle-ci destinée à séduire une clientèle plus « branchée » (ou « huppée ») que celle d’une Bagheera « standard ». Elle se reconnaît, extérieurement, à sa livrée blanche intégrale de sa carrosserie ainsi, à l’intérieur, (entre autres) à la sellerie en skaï beige et blanc ainsi que les pochettes en forme de sacoches sur les contre-portes. Une version d’autant plus exclusive qu’elle ne sera produite, en tout et pour tout, qu’à 216 exemplaires, dont 51 avec la nouvelle motorisation qui équipera la Bagheera dans sa nouvelle version S à partir de juin 1975. A savoir, le bloc de 1 442 cc de 90 chevaux provenant de la Simca 1308 GT. Là encore, au vu du faible gain de puissance obtenu (à peine 6 ch de plus par rapport à la précédente motorisation), il n’y a pas vraiment de quoi grimper aux arbres !
Niveau équipement, la dotation de série reprend celle du « Type 2 » (qui est, désormais, le seul niveau de finition disponible au catalogue), avec, en sus, un prééquipement radio ainsi que des vitres électriques. En ce qui concerne la présentation intérieure et extérieure, la nouvelle Bagheera S se reconnaît à sa sellerie en tweed, ses jantes de couleurs argent et noir ainsi ses éléments d’accastillage traités en noir mat (en lieu et place de l’inox sur les autres versions). La Bagheera dans sa version 7 CV étant désormais la seule version proposée au catalogue, avec le niveau de finition « Type 2 ».
En juillet 75, le moteur de celle-ci reçoit un arbre à cames plus pointu, mais voit aussi, dans le même temps, son taux de compression légèrement abaissé (9,5 : 1 au lieu de 9,8 : 1 auparavant). La liste des options s’enrichit, quant à elle, d’un toit ouvrant souple. Ce seront les dernières modifications que connaîtra la Matra Bagheera dans sa version originelle, avant l’apparition de la Série 2, en juillet 1976.
Cette nouvelle série, disponible avec les motorisations de 7 ou 8 CV fiscaux, se reconnaissant à ses pare-chocs plus enveloppants, ses vitres de custode de taille agrandie, un capot dépourvu de grille d’aération au-dessus des phares ainsi que ses nouveaux feux arrière (empruntés à la Chrysler Sunbeam) avec, entre les deux, un bandeau translucide de couleur orange avec l’inscription « Matra-Simca ». Dans l’habitacle, le combiné d’instrumentation perd toutefois la glace de couleur verte placée devant celui-ci pour une nouvelle qui est, désormais, simplement transparente.
Si la version Courrèges est reconduite sur la Bagheera Série 2, sa présentation intérieure se voit, toutefois, sensiblement modifiée, avec, à présent, des sièges recouverts d’une sellerie entièrement de couleur beige. Si elle connaîtra un succès plus large qu’avec la Série 1 (445 exemplaires), elle sera, toutefois, retirée du catalogue en août 1977, date à laquelle elle se voit remplacée par la nouvelle version « X ».
Proposée uniquement avec le moteur 1,4 l de 90 ch, elle reçoit, elle aussi, une présentation (intérieure comme extérieure) spécifique comprenant une sellerie en velours, un bandeau pare-soleil, une montre digitale au plafond, un autoradio monté en série (ce qui n’était pas toujours le cas à l’époque, même sur les modèles à vocation « sportive ») ainsi que des décorations en liège, une carrosserie recouverte d’une peinture métallisée avec des liserés décoratifs. L’ensemble des versions de la Bagheera recevant également, à la fin de cette même année 77, un nouveau volant au dessin revu.
De nouvelles évolutions (non seulement sur le plan esthétique, mais aussi d’un point de vue technique) interviennent en juillet de l’année suivante, avec le montage d’un nouveau bandeau entre les feux arrière (désormais de couleur rouge et non plus orange), même si les modifications les plus nombreuses et importantes se situent dans l’habitacle. Avec une nouvelle planche de bord (qui perd une partie de l’originalité des précédents modèles, mais s’avèrent, en revanche, plus pratique), équipée d’une « casquette surmontant les instruments de bord (l’instrumentation se voyant elle-même enrichie*) ; un autoradio placé, désormais, en position horizontale (et non plus verticale, comme auparavant), des sièges redessinés et dotés de nouvelles ceintures à trois points.
Concernant les motorisations, la version 7 CV d’entrée de gamme est, à présent, motorisée par le même quatre cylindres de 1 442 cc que sur celle de 8 CV fiscaux, mais alimenté par un seul carburateur Weber (deux sur la version 8 CV) avec une puissance qui reste, cependant, limitée à 84 chevaux. La version X abandonnant, quant à elle, son bandeau pare-soleil sur le pare-brise ainsi que ses décorations en liège à l’intérieur de l’habitacle, les pare-chocs de butoirs de couleur noir, à l’avant ainsi qu’à l’arrière.
En mars 1979, une nouvelle version « spéciale » fait son apparition au catalogue, la Jubilé. Reprenant la motorisation ainsi que l’équipement de la Bagheera S (à la différence de cette dernière), elle reçoit également, en série, le toit ouvrant ainsi que des vitres teintées, une sellerie en velours, un tableau de bord ainsi que des sièges entièrement revêtus de noir.
A l’occasion de l’année-modèle 1980, la Bagheera X reçoit un nouveau système d’allumage transistorisé pour sa mécanique et voit sa puissance fiscale baissée de 8 à 7 CV. Cette dernière, ainsi que l’ensemble des autres versions de la Bagheera recevant, à présent, de nouvelles poignées de porte « à palette » ainsi qu’une montre (toujours de type analogique) placée, désormais, sur le tableau de bord (face au conducteur donc). A l’extérieur, l’essuie-glace sur la lunette arrière est supprimé et le bandeau entre les feux arrière porte, maintenant, la nouvelle inscription « Talbot-Matra » (suite au rachat de Chrysler France par Peugeot deux ans plus tôt, lequel a décidé de supprimer la marque Simca au profit du nouveau nom de Talbot).
Ce sera toutefois son dernier millésime de production, la Bagheera quittant alors la scène à la fin de celui-ci pour laisser place à la nouvelle Murena (dont la ligne s’inspirera, assez fortement, de celle de sa devancière et dont elle reprendra également l’aménagement intérieur avec les trois places à l’avant). Au total, ce seront près de 47 800 exemplaires (toutes versions confondues) de la Matra Bagheera qui seront sortis, en sept ans de carrière, des chaînes d’assemblage de l’usine de Romorantin. Un score plutôt flatteur pour un coupé qui (il faut bien l’avouer) n’avait, simplement, que l’apparence d’une sportive ainsi que pour un modèle qui n’occupait, finalement, qu’un marché « de niche ».
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=9dTMofFkb4E&ab_channel=PetitesObservationsAutomobiles
Une autre Matra https://www.retropassionautomobiles.fr/2021/04/matra/