PEUGEOT 403, 404 et 304 américaines –Les débuts de l’aventure du lion au pays de l’oncle Sam.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au sein de la grande majorité des constructeurs automobiles, en France comme dans les autres pays d’Europe, l’heure est à la reconstruction. La priorité numéro, pour ne pas dire la seule préoccupation, est d’entamer et de terminer au plus vite la reconstruction de leurs usines et de leurs chaînes de production afin de satisfaire la demande. Durant près de dix ans, de la libération jusqu’au début ou au milieu des années 50, la demande demeurait supérieure à l’offre et, dans ce contexte, l’exportation ne figurait donc pas parmi les priorités ni même dans les projets de la plupart des constructeurs. C’est pourtant bien au lendemain de la guerre que le marché automobile américain a vraiment commencé à s’ouvrir aux constructeurs européens, même si, dans un premier temps en tout cas, ce sont surtout les constructeurs de voitures de sport et de prestige qui récolteront la plus grosse part du gâteau. Toutefois, celui-ci était jugé suffisamment grand par beaucoup de constructeurs du Vieux Continent pour que certains autres, parmi les marques « généralistes » ou plus orientées vers les modèles « populaires », finissent par se convaincre que le marché américain pouvait offrir à eux aussi des perspectives intéressantes. D’autant plus qu’au lendemain de la libération, du temps où le Plan Pons, mis en place au début de l’année 1945, entendait régenter l’organisation de l’industrie automobile française, les marques de prestige (Delage, Delahaye, Hotchkiss, Talbot, etc) étaient encouragées par les pouvoirs publics à exporter la plus grande partie de leur production, celle-ci devant constituer une source importante de devises, fort utile (voire même vitale) pour assurer le plus rapidement possible le redémarrage de l’industrie et de l’économie française.
Parmi les constructeurs français, le premier a tenté le pari de l’aventure américaine sera la Régie nationale des usines Renault, au début des années cinquante. Suivie peu de temps après, en 1952, par Citroën. Auparavant, certaines marques françaises étaient déjà présentes aux Etats-Unis, mais leur vente sur le territoire américain était assurée par des importateurs indépendants qui, bien souvent, n’avaient ni les moyens ni le réseau de concessionnaires des constructeurs américains. Ce qui explique, en grande partie, la raison pour laquelle leur diffusion aux Etats-Unis était demeurée jusqu’ici fort marginale. En plus de cela, les voitures vendues sur place ne bénéficiaient d’aucune garantie de la part des constructeurs. Au milieu des années 50, la reconstruction de son industrie (dans l’automobile comme dans tous les autres domaines) est maintenant complètement achevée et la production automobile ayant atteint un niveau optimal, qui permettait désormais de satisfaire pleinement la demande. Si la France, tout comme le reste des pays d’Europe de l’Ouest, commençait à connaître une certaine période de prospérité et de renouveau économiques (ce que l’on appellera par après les « Trente Glorieuses »), étant donné que de plus en plus de citoyens avaient maintenant les moyens de s’offrir une voiture, la concurrence entre les constructeurs devenait de plus en plus féroce. Si à cette époque, la très grande majorité des Français demeuraient fortement attachés à leurs marques nationales (beaucoup de familles restant même fidèles à la marque de génération en génération et, suivant celles-ci, roulaient ainsi en Citroën, en Peugeot, en Renault ou en Simca de père en fils), les état-majors des différents constructeurs hexagonaux commencent à prendre conscience que, à terme, ils ne pourront plus compter éternellement sur le seul marché nationale et qu’il leur faut s’employer à faire connaître leurs marques à l’étranger.
A cette époque, l’Amérique, devenue la première puissance mondiale, tant sur le plan économique qu’industriel, fait véritablement figure d’Eldorado pour les constructeurs européens et plus seulement pour les marques spécialisées dans les modèles de sport ou de luxe. A la fin des années cinquante, en effet, beaucoup d’Américains commencent en effet à se lasser des immenses paquebots sur quatre roues produites par les constructeurs de Detroit, dont les formes deviennent de plus en plus extravagantes et les chromes de plus en plus imposants, au point, parfois, de friser le mauvais goût et de friser l’overdose. Désormais, en plus de réclamer plus de sobriété dans le style des nouveaux modèles, les automobilistes américains demandent aussi des modèles de taille plus réduite, plis légers et plus faciles à manier. Notamment la clientèle féminine, qui commence à s’émanciper et qui représente un marché potentiel de plus en plus grand que les constructeurs ne peuvent plus ignorer. D’autant qu’avec l’éclatement de la crise de Suez, en 1956, (due à la nationalisation brutale, décidée par le président égyptien Nasser, du canal de Suez), qui sera la première crise économique que connaîtra l’Europe depuis la fin de la Guerre, l’exportation, pour les constructeurs français, n’est maintenant plus une option, mais bien une obligation. Chez Peugeot, tout comme chez ses concurrents, la direction de la marque est elle aussi convaincue du potentiel que représentent les marchés d’exportation et pas seulement vers les pays qui sont dépourvus d’industrie automobile nationale (comme la Belgique ou la plupart des pays scandinaves).
Sur ce plan, Peugeot se montre même le plus dynamique parmi les constructeurs français, en exportant, en 1955, ses modèles dans pas moins de 90 pays à travers le monde, portant même ce chiffre à 130 pays en 1960.
Si, jusque là, l’importation des Peugeot aux Etats-Unis était assurée par des structures indépendantes du constructeur sochalien, à partir de 1958, la marque au lion décide d’assurer elle-même la vente de ses voitures sur le marché américain. Comme l’expliquait le magazine L’Auto Journal en janvier 1958 : « L’activité de Peugeot aux USA a été très limitée jusqu’à maintenant. En fait, il y aurait, paraît-il, des listes d’attente de clients à satisfaire … La plupart des 500 voitures importées en 1957 ont été vendues ou sont en passe de l’être. Mais les projets pour 1958 sont enfin plus réalistes. Les distributeurs seraient assurés d’un arrivage de 10 000 voitures. Les représentants de Peugeot aux USA sont d’autant plus confiants que les prix ont été réduits de 200 dollars par rapport à 1957, la 203 se vendra 1795 dollars, la 403 2195 dollars. Les automobiles Peugeot sont maintenant représentées aux Etats-Unis par la Continental Car Combine. Cette société a développé, au cours des dix dernières années , un réseau de distributeurs qui couvre tout le territoire américain. On en compte actuellement environ 750. En dehors de Peugeot, cette firme représente aussi la Goggomobil et la Skoda 440 vendues à 1 595 dollars, ce qui avec les modèles Peugeot, assure à cette firme une gamme considérable de prix ».
C’est à l’occasion de l’International Automobile Show de New York, en avril de cette année-là, que Peugeot annonça officiellement son implantation. La filiale américaine du constructeur, qui comprenait les services en charge de la publicité et de l’après-vente, était d’ailleurs basée dans cette même ville, plus précisément à Long Island. Le programme mis en place par le constructeur était de parvenir à vendre, pour cette première année d’exercice, environ 8 000 voitures aux USA. Sur les recommandations du gouvernement français, Maurice Jordan, alors à la tête du constructeur de Sochaux, entra en contact avec l’un de ses concurrents, Pierre Dreyfus, le PDG de la Régie Renault, dans le but d’unir leurs forces et, ainsi, de partager les coûts de dédouanement et de distribution. Toutefois, en ce qui concernait le transport des véhicules par bateau vers les Etats-Unis, les coûts de celui-ci restaient entièrement à charge de Peugeot, ce dernier préférant, en effet, faire appel à une compagnie qu’il jugeait plus compétitive que celle de Renault. L’accord conclu entre les deux constructeurs prévoyait que l’un comme l’autre s’appuierait sur le réseau commercial qui avait déjà été mis en place par Renault. Ceci, afin de proposer, à eux deux, une gamme complète et bien organisée, en se partageant les principales catégories du marché. Selon cet accord, le secteur des petites voitures citadines était laissé à Renault, qui vendait déjà aux Etats-Unis la 4 CV et la Dauphine. C’est pourquoi la Peugeot 203 ne fut pas exportée outre-Atlantique, celle-ci risquant, comme sur le marché français, d’y faire concurrence à la Dauphine. En revanche, toujours selon les termes de l’accord, le marché des berlines familiales, lui, était laissé à Peugeot et à sa 403 (Renault renonçant donc à y commercialiser sa Frégate).
En mars 1958, L’Auto Journal évoquait ce nouvel intérêt de Peugeot pour le marché américain : « Tout arrive : Peugeot vient, à son tour, de découvrir l’Amérique. A Sochaux, où l’épaisseur d’un carnet de commandes avait toujours tenu lieu d’horizon, on a fini par comprendre les exigences actuelles. On s’est donc déclaré prêt à vendre des 403 outre-Atlantique, tout en faisant observer que l’établissement d’un réseau de distribution était long et difficile. Là dessus Renault a opportunément offert à Peugeot de mettre les 450 points de vente américains de la Dauphine à la disposition de la 403. Le geste est élégant, il répond aux besoins de notre économie, il sert les intérêts de Peugeot comme ceux de la Régie dont les frais généraux vont être plus largement répartis… ». Au sujet de la 403, cette même revue déclarait, dans son numéro du début d’avril: « Il est intéressant de noter que les 403 destinées aux Etats-Unis toutes d’ailleurs dotées d’un toit ouvrant, présentent quelques différences avec celles vendues sur le marché intérieur. Le taux de compression a été augmenté, l’indice d’octane du carburant américain étant élevé. Le motif de capot est supprimé, les garnitures intérieures ne sont pas en drap, mais en tissu synthétique clair, une commande de phares au pied est disposée sur le plancher, sous le capot, l’insonorisation est très soignée. Les couleurs dominantes semblent être le bleu clair et le gris. Les pneus, de marques diverses, sont assez rarement à flancs blancs. On estime que Peugeot maintiendra, pour ses exportations aux Etats-Unis, une cadence de 1200 véhicules par mois, à peu près égale à celle des Simca, tandis que Renault atteint un rythme trois fois supérieur. Grâce au réseau américain de la Régie, l’écoulement des 403 encore inconnues outre-Atlantique ne pose aucun problème ».
Si Renault avait mal maitrisé ses volumes d’exportation, la marque au lion, elle, s’engagera sur le marché américain avec plus de prudence. Bien que le succès remporté par ses modèles fut, somme toute modeste, il fut toutefois que meilleur que celui de son partenaire. Comme ce dernier, Peugeot eut néanmoins à subir, au début des années 1960, une baisse assez importante de ses ventes et, tout comme Renault avec la Dauphine, se retrouva avec un stock assez important de 403 qui étaient demeurées invendues et qu’elle fut finalement contrainte de rapatrier par bateau jusqu’en France, où elles avaient évidemment plus de chance de pouvoir êtres écoulées. Cet écroulement des ventes de la 403 aux Etats-Unis s’expliquait, notamment, par l’arrivée sur le marché (en Europe comme aux USA) de sa remplaçante, la 404, de ligne plus moderne, qui faisait paraître celles de la 403 comme démodées.
Devant les difficultés toujours plus importantes que connaît alors Renault avec sa filiale américaine, Peugeot finit par décider de se séparer de son partenaire et de faire désormais cavalier seul. Le constructeur entreprit donc de constituer son propre réseau, en concentrant d’abord ses efforts sur les Etats de l’Est des Etats-Unis. Afin de se démarquer de ses concurrents (français comme européens), la marque décida de mettre l’accent sur la « qualité de construction à la française » en offrant d’emblée sur ses modèles vendus aux USA une garantie d’un an ou 12 000 miles, ce qui était alors un avantage certain sur un marché où la plupart des constructeurs (américains ou étrangers) ne proposaient qu’une garantie qui était généralement limitée à six mois. La filiale américaine de Peugeot, baptisée Peugeot Incorported, installa son siège dans le quartier très chic de Forest Hill à New York. Au milieu des années soixante (entre 1963 et 1967), Peugeot parvint à écouler environ 3 000 voitures par an aux Etats-Unis. Dans la première moitié de cette décennie, la 403 et le nouveau modèle qui devait, à terme, la remplacer au sein de la gamme du constructeur, la 404, poursuivirent parallèlement leur carrière, d’une manière assez similaire que ce soit sur le marché américain ou européen.
Seule une poignée d’exemplaires de la 403 avait déjà débarqué sur le territoire américain (A partir de 1956 par Vaughn Imported cars à New York, John L. Green Jr. À Los Angeles ainsi que par Eastern Auto Distributors à Norfolk en Virginie, qui en était l’importateur principal) avant que Peugeot ne reprenne en mains l’importation de ses propres modèles au pays de l’Oncle Sam. En plus du fait que les moyens dont disposaient ces importateurs indépendants étaient beaucoup moins importants que ceux des constructeurs (qu’il s’agisse de Peugeot ou de n’importe quel autre). Par rapport au modèle d’origine, celui qui était vendu sur le marché français, les changements apportés à la version américaine ne se comptaient toutefois que sur les doigts d’une main. Les principales différences étant les phares « sealed beams » que l’on retrouvait à l’avant des voitures ainsi que le rétroviseur extérieur côté conducteur. Au départ, seule la berline 403 était vendue sur le marché américain. Si la version longue de la 403, c’est-à-dire le break (qui recevait l’appellation « familiale » lorsqu’il était équipé d’une troisième banquette à l’arrière) fut présenté et commercialisé en France à l’automne 1956 (soit environ un an et demi après la berline), en revanche, il ne fit son apparition sur le marché américain qu’en mai 1959, sous la dénomination « station wagon », comme pour quasiment tous les breaks commercialisés sur le marché US.
Quant à la version cabriolet, celle qui sera popularisée, bien plus tard, auprès du public américain par Peter Falk lorsque celui-ci endossera l’imperméable fripé du célèbre inspecteur Columbo, elle n’était vendue aux Etats-Unis que sur commande spéciale. (Si on ignore le nombre exact d’exemplaires du cabriolet 403 qui furent vendus outre-Atlantique, étant donné que la production totale de ce dernier, entre 1956 et 1961, n’a atteint qu’un peu plus de 2 000 exemplaires, on peut donc estimer que ceux qui furent vendus en Amérique ne se comptèrent guère qu’à quelques dizaines d’exemplaires, tout au plus).
Par rapport au modèle français, la 403 américaine ne proposait toutefois aucune option au catalogue, Peugeot préférant vendre des voitures déjà entièrement équipées, le constructeur estimant (sans doute à juste titre) qu’il fallait proposer sur le marché US des modèles possédant déjà un équipement le plus complet possible afin de séduire la clientèle américaine. Parmi ces équipements qui équipaient de série les 403 américaines mais qui n’étaient vendus qu’en option en France et dans les autres pays européens figurait le toit ouvrant. Un équipement qui, en Europe, était encore considéré comme un luxe sur les voitures populaires, mais qui, aux Etats-Unis, à l’époque, figurait déjà parmi les équipements de confort jugés « indispensables » sur n’importe quelle voiture. A la fin des années 50 et au début des années 60, si l’Amérique ne constitue guère pour Peugeot un marché prioritaire, à la fin de l’année 1959, les ventes aux Etats-Unis représentèrent tout de même 8,6 % de la production de la marque au lion. Ce qui peut sembler peu, mais représente tout de même un beau score au vu de la concurrence en présence (c’est-à-dire celle des autres constructeurs étrangers. Ces deniers étant presque exclusivement constituée par les marques européennes, les Japonais étant encore quasiment absent du marché US et n’y commenceront leur expansion que durant la seconde moitié de la décennie suivante). Dans sa vision et son approche du marché automobile américain, les dirigeants de Peugeot faisaient preuve à la fois de prudence et de pragmatisme. Bien conscient que, s’ils espéraient voir la marque devenir, dans l’avenir, un acteur majeur du marché automobile aux USA, il leur faudrait consentir des investissements, sans doute conséquents, sur le long terme, et donc ne pas viser à tout prix la rentabilité immédiate.
Devant les difficultés, de plus en plus grandes, rencontrées par Renault à la même époque et qui mettront prématurément fin à la carrière de la Dauphine outre-Atlantique, la direction de Peugeot est bien consciente que (en dehors de Citroën et de Simca), une grande partie des perspectives de débouchés pour l’automobile française aux Etats-Unis reposent sur elle. A l’exemple de ce qui se pratiquait déjà avec un certain succès en France, Peugeot tenta aussi d’intéresser les compagnies de taxis américaines à la 403, notamment en leur consentant d’importantes remises. En ce qui concerne les ventes aux particuliers, le constructeur mit aussi en place un système de crédit, qui, manifestement, fonctionna assez bien, car c’est avec celui-ci qui fut réalisé la plus grande partie des ventes. La firme de Sochaux devait toutefois souvent attendre un certain temps avant d’en récolter les bénéfices, les banques américaines ne faisant, en effet, pas vraiment preuve d’une grande rapidité pour transférer au constructeur les sommes qui lui étaient dues. Tout comme la mise en place d’un réseau suffisamment vaste pour couvrir une grande partie du territoire américain, la constitution d’un stock de pièces assez grand pour offrir un service après-vente digne de ce nom était, elle aussi, une opération à la fois longue et coûteuse. Afin de maintenir sa présence et de poursuivre son développement sur le marché américain, Peugeot se vit d’ailleurs obliger de contracter plusieurs emprunts au cours des années 1958 et 1959.
Des investissements lourds qui se révélèrent néanmoins payants, puisque, durant ces deux années, Peugeot parvint à vendre plus de 22 600 exemplaires de la 403 aux Etats-Unis (6 867 en 1958 et même jusqu’à 15 787 l’année suivante, doublant ainsi presque son objectif des 8 000 voitures vendues. Si, par la suite, les ventes de la 403 sur le sol américain commencèrent à marquer le pas et à décliner sensiblement chaque année, c’était tout simplement du à l’arrivée sur le marché de sa remplaçante, la 404. Celle-ci détrônant alors la 403 de son rôle de porte-drapeau de la gamme Peugeot, sur le marché américain comme sur le marché français. Ce qui n’empêcha toutefois pas la marque de parvenir encore à écouler un peu plus de 4 800 exemplaires de la 403 jusqu’à la fin de sa carrière en 1966. La stratégie de Peugeot aux USA, assez similaire à celle de la marque sur le marché français, qui était, malgré l’arrivée au catalogue de la nouvelle 404 au catalogue, de maintenir la 403 en production (cette dernière, sur le marché européen en tout cas, se voyant simplement rétrogradée au rang de modèle « low-cost ») eut néanmoins pour effet de nuire quelque peu à la fin de la carrière de la 403 aux Etats-Unis, car, là-bas, la coexistence au catalogue de deux modèles, un nouveau et un ancien, appartenant à la même catégorie paraissait étrange aux yeux des acheteurs américains. Pour ne pas dire que cela apparaissait à beaucoup d’entre-eux comme une « aberration ». Si les chiffres de vente de la Peugeot 403 pour l’année 1960 demeurent inconnus, la présentation de la 404 eut évidemment pour effet de faire baisser de manière très nette les ventes de sa devancière, surtout de l’autre côte de l’Atlantique (où « l’effet de la nouveauté » était encore plus important que sur le marché français).
Conséquence, la marque se retrouva avec 1 225 exemplaires de la 403 du millésime 1960 restés invendus aux USA et qui furent finalement rapatriés en France où elles furent vendues comme véhicules d’occasion, bien qu’elles n’aient encore quasiment aucun kilomètre au compteur. Ces anciennes 403 américaines, bien que vendues en tant que « modèle d’exportation » furent évidemment, avant cela, reconverties aux normes européennes (avec, notamment, de nouveaux cadrans du tableau de bord comme le compteur de vitesse ou la jauge de carburant remis en km/h et en litres, au lieu des miles et des galons qui étaient utilisés aux USA). On est toutefois en droit de s’interroger sur la rentabilité d’une telle opération et se demander si le constructeur de Sochaux en récolta vraiment un réel bénéfice. En plus du fait que, en France et dans le reste de l’Europe comme aux Etats-Unis, la 403 (bien qu’elle restait toujours très populaire, surtout sur le marché français) était désormais un modèle « passé de mode », le client qui était éventuellement intéressé par ces « occasions à saisir » n’avait pas toutefois pas la possibilité de choisir la couleur de sa voiture ni même (évidemment) de voir celle-ci avant d’en prendre livraison. Bien que (en théorie), une fois de retour en France, ses ex-403 américaines étaient remises en état, si besoin était, par l’usine installée par la marque à Courbevoie, certaines de ces voitures risquaient de porter encore les traces de leur long voyage en mer et des longues semaines (voire des longs mois) passées à végéter sur les docks du port de New York dans l’attente d’un hypothétique acheteur (chromes piqués par l’air marin, griffures ou traces de chocs légers ou profonds à certains endroits de la carrosserie). Des dégâts éventuels qui, étant donné les conditions « particulières » des conditions de livraison et de vente de ces voitures, n’étaient pas couverts par la garantie qui était, d’ordinaire, appliquée par le constructeur sur le reste de ses modèles vendus en France. Seule la mécanique restant couverte par la garantie du constructeur qui s’appliquaient aux véhicules neufs.
La Régie Renault subit elle aussi, indirectement, les effets du « revers de fortune » de la 403 aux USA. Même si, en ce qui concerne la vente comme l’importation de ses voitures sur le territoire américain, la marque au lion faisait désormais « bande à part », en vertu des accords signés en 1957 entre les deux constructeurs, Renault se trouvait néanmoins dans l’obligation de prendre à sa charge 40 % des coûts du rapatriement ainsi que de la remise en état de ces voitures.
Présentée à la presse automobile française en mai 1960, la nouvelle berline « haut de gamme » de Peugeot, la 404, fut disponible sur le marché américain à partir de février 1961. Tout comme sa devancière, aux yeux des Américains, elle demeurait une voiture de taille compacte, tant par ses dimensions extérieures que par la cylindrée du moteur qui se retrouvait sous son capot. Comme pour la 403, les lignes de la berline avaient été dessinées par le carrossier italien Pininfarina. Celui-ci s’était manifestement inspiré des lignes des modèles de la production américaine, ce qui se remarquait particulièrement dans le traitement des ailes, notamment à l’arrière avec des embryons d’ailerons. Sur ce point, les lignes de la nouvelle 404, si elles apparaissaient sans doute fort modernes, lors de son lancement, sur le marché français, toutefois, au regard des nouveaux modèles de la production américaine, elles devaient probablement apparaître quelque peu démodées aux yeux de certains acheteurs. Chez les constructeurs américains, la mode des ailerons avait, en effet, pris fin et le design des nouveaux modèles s’orientait progressivement vers plus de sobriété. Toutefois, s’agissant des modèles de la production européenne, cette sorte de « décalage » en matière de style n’était pas vraiment un handicap et constituait même parfois un atout qui leur permettait, d’une certaine façon, de jouer la carte de la « différence » face aux modèles proposés par les constructeurs américains.
Au moment où la Peugeot 404 fit son apparition sur le marché américain, le segment des voitures « compactes » (à l’échelle américaine s’entend) commençait à connaître son expansion (après que certains constructeurs américains, comme Nash avec la Rambler ainsi que Studebaker avec la Lark, au cours des années 50, aient ouvert la voie et que, au début des années soixante, les grands groupes, comme Ford avec la Falcon, General Motors avec la Chevrolet Corvair ou Chrysler avec la Plymouth Vaillant, leur aient emboîté le pas). Pour l’heure toutefois, c’était toujours bien les modèles « full-size » produits par les constructeurs de Detroit qui tenaient le haut du pavé et il sera ainsi jusqu’au début des années 70. Jusqu’à ce que l’éclatement de la première crise pétrolière, en 1973, ne vienne mettre mal et même faire voler en éclats la dénomination, jusqu’ici écrasante, des constructeurs américains sur leur marché et marque la fin du règne sans partage des « grosses américaines ». Même si la place qui leur était laissée par les géants de Detroit était loin d’être aussi grande que la leur, les parts de marché qu’elle représentait étaient néanmoins suffisamment grandes pour que les constructeurs, européens et aussi, à présent, les marques japonaises, continuent d’y investir et de s’y développer. En tout cas, à l’époque de la présidence de Kennedy, les Nippons commençaient à peine leur incursion sur le marché américain et, du côté des Américains comme des constructeurs venus du Vieux Continent, beaucoup jugeaient alors la menace qu’ils représentaient comme quasi nulle et ne pensaient nullement que ces « Petits Poucets » pourraient un jour menacer leurs parts de marché. En une dizaine d’années à peine, les choses auront pourtant bien chané et les uns comme les autres se mordront les doigts de les avoir sous-estimés.
Si, globalement, la Peugeot 404 ne pouvait guère se targuer d’offrir plus d’atouts que les autres voitures importées appartenant à la même catégorie, aux yeux d’une partie du public américain, son origine française et sa ligne italienne (même si, comme la dit, celle-ci « singeait » quelque peu celle des américaines de la fin des années 50) constituaient une manière à la fois originale et bon marché de se différencier de la grande majorité des autres automobilistes. Tout comme la plupart des autres constructeurs européens spécialisés dans les modèles populaires, les deux créneaux sur lesquels misait Peugeot pour réussir à se faire une place sur le marché américain étaient celui des acheteurs appréciant le caractère « original » offert par une voiture de marque étrangère et, aussi, celui de la seconde voiture. Dans l’Amérique prospère du début des années soixante, nombreuses étaient les familles à posséder deux voitures. (La première, la plus grande, étant le plus souvent réservée au mari, tandis que la seconde, plus petite, était destinée à Madame. Le fait que cette dernière puisse posséder sa propre voiture et ainsi se déplacer librement étant présenté à l’époque comme un moyen d’émancipation de la femme).
Dans un pays où la transmission automatique était depuis longtemps devenue la norme sur la plupart des automobiles, américaines ou importées, en particulier sur les modèles full-size, l’absence de ce type de transmission constituait toutefois un handicap de poids pour la Peugeot 404. Surtout dans un pays où la grande majorité des conducteurs n’avaient ni l’habitude des boîtes manuelles et ni ne les appréciaient guère non plus, trouvant leur maniement trop contraignant. Il fallut attendre 1968 pour que le constructeur se décide enfin à corriger ce défaut, lorsque la 404 fut enfin disponible aux USA avec une boîte automatique de marque ZF. Un autre oubli assez fâcheux était l’absence, même en option, d’une climatisation. Quand on sait les températures que peut atteindre le thermomètre en plein été dans certains Etats du Sud, comme le Texas, le Nouveau-Mexique ou l’Arizona, un tel équipement n’était pourtant pas un luxe. Un atout indéniable de la 404, reconnu aussi bien en Europe qu’en Amérique, était toutefois sa robustesse. Un atout que Peugeot ne manquait évidemment pas de mentionner et d’insister dans les brochures et les publicités consacrées à la 404.
Peu de temps après le lancement de la berline, Peugeot, renouvelant la formule inaugurée après-guerre sur la 203 puis reprise avec la 403, présenta, en 1962, les versions coupé et cabriolet de la 404. Toutefois, à la différence de ses devancières, et bien que leur dessin soit dû, là aussi, à Pininfarina, leur style était radicalement différent et ne comportait aucun panneau de carrosserie en commun avec la berline. Le succès remporté aux USA par les cabriolets comme la MG B, la Fiat 124 Spider ou la Volkswagen Karmann-Ghia incita Peugeot à les commercialiser aussi sur le marché américain. En France, ils étaient déjà affichés à un prix nettement plus élevé que celui de la berline (rançon de leur fabrication « à l’italienne ») et aux Etats-Unis, ces modèles se trouvaient, en plus, handicapés par le surcoût dû aux taxes d’importation. Ce qui explique la raison pour laquelle le coupé et le cabriolet 404 n’y connurent qu’un succès d’estime. Au total, environ 30 000 exemplaires de la 404 furent vendus aux USA entre 1960 et 1973.
Seule une partie des modèles que Peugeot proposait dans sa gamme vendue en France et en Europe étaient importés et vendus aux Etats-Unis. Les Américains n’eurent ainsi jamais droit à la 104 ni à la 204. Quant à la « grande soeur » et remplaçante de cette dernière, la 304, sa carrière outre-Atlantique fut, pour tout dire, « météorique ». Elle y fut proposée, en berline et en break (mais ni en cabriolet ni en coupé) à partir de 1970, mais elle n’y rencontra toutefois qu’un succès fort mitigé. Tant et si bien que le constructeur la retira du catalogue américain dès la fin du millésime 1972. Un peu moins de 4 300 exemplaires seulement furent écoulés en trois ans.
Si les 504 et 505 qui seront commercialisées par la suite connaîtront un succès commercial bien plus probant, il ne s’agira, somme toute, à l’échelle du marché automobile américain, qu’un succès d’estime. Les Peugeot (ainsi que les Renault, produites et/ou vendues sur le sol américain via la nouvelle filiale américaine, la firme au losange) se trouvant handicapées par une fiabilité ainsi qu’une qualité de fabrication bien ou trop en deçà des attentes et des exigences de la clientèle américaine. (Surtout en comparaison avec les autres modèles européens vendus aux Etats-Unis, en particulier ceux des marques allemandes et suédoises ainsi que ceux des constructeurs japonais). Si le caractère économique des voitures françaises leur avait permis de connaître leur heure de gloire outre-Atlantique lors de la récession économique engendrée par les deux crises pétrolières des années 70, après que celle-ci se soit finalement estompée au milieu de la décennie suivante, ce succès finit, assez rapidement, par se tarir. Si la 405, en particulier dans sa version sportive Mi16 reçue des critiques assez positives venant d’une part importante de la presse américaine, cela ne suffira toutefois pas à lui assurer un succès suffisant auprès de la clientèle visée aux USA. Le retrait de Renault du marché américain, en 1987 (après la vente d’AMC à Chrysler) contribuant à jeter (ou à renforcer) la défiance du public vis-à-vis des voitures françaises, ce qui, évidemment, n’arrangea rien pour la filiale américaine de la marque au lion. Quatre ans plus tard, en 1991, celle-ci décide, finalement, de jeter l’éponge et quitte à son tour l’Amérique du Nord, signant ainsi la fin (probablement définitive) de la présence française au sein du paysage automobile américain.
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
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