RENAULT 3 – La R4 du pauvre.
Dans l’histoire de la marque au losange (ainsi que celles de la plupart des autres grands constructeurs français ou étrangers), à côté des icônes incontournables (parfois même « statufiées de leur vivant »), il y a toujours aussi eu les « vilains petits canards ». Des modèles qui, pour des raisons souvent très diverses, furent mal-aimées, non seulement par le public, mais aussi, parfois même, leurs propres constructeurs. Qui durent affronter, parfois sans raisons apparentes ou méritées, le plus profond dédain et qui se virent parfois, tout aussi injustement, voués aux gémonies, éjecter de la scène sans aucun égard et qui, aussitôt leur production arrêtée, tombèrent alors dans l’oubli le plus total.
Si certains d’entre-eux bénéficièrent, par la suite, d’une forme de « réhabilitation », notamment grâce aux collectionneurs ainsi qu’aux historiens de l’automobile, il n’en reste pas moins la « traversée du désert » fut, la plupart du temps, aussi longue que difficile. Pour certains autres, en revanche, la réhabilitation se fait toujours attendre ou, à tout le moins, vient à peine de s’amorcer.
Tel est le cas de la Renault 3, version d’entrée de gamme de la mythique R4. Tous ceux qui connaissent l’histoire du constructeur savent que, depuis la Renault 4 qui fut (justement) la première Renault à être désignée par un chiffre plutôt que par un « véritable » nom, jusqu’à la R19 (dernier modèle du losange à recevoir un « matricule », la marque a « sauté » pas mal de nombres (surtout dans ceux à deux chiffres, le plus élevé pour une Renault étant le nombre 30). Pourtant, même au sein de ces derniers, peu nombreux sont sans doute ceux qui se souviennent de la Renault 3 ou même qui n’ont jamais su que le constructeur avait produit un modèle portant cette appellation.
La genèse du projet que aboutira à la R4 débute en 1956, alors que la Dauphine vient à peine d’être dévoilée au public et que la 4 CV, bien que cette dernière ait déjà dix années de carrière à son actif (un âge auquel la plupart des autres modèles de la production automobile, citadines populaires ou autres, prennent leur retraite) remporte toujours un large succès auprès du public. Si ces dernières se sont fait les « chantres » du tout à l’arrière, la direction ainsi que les ingénieurs de la marque ont, toutefois, décidé, pour la nouvelle citadine et modèle d’entrée de gamme du catalogue Renault de prendre donc un virage à 180 degrés. Non seulement pour des raisons d’image de marque (Citroën s’étant fait une spécialité de la traction avant depuis le lancement du modèle mythique du même nom en 1934, Renault n’entend, désormais, plus lui en laisser le monopole sur le marché français. Mais aussi (ou surtout ?) pour des raisons d’ordre pratique, la transmission aux roues avant, en supprimant ainsi l’arbre de transmission, permettant ainsi de libérer au maximum l’espace de charge utile en offrant, ainsi, un plancher entièrement plat.
Cependant, ce ne sera pas la nouvelle citadine du losange qui inaugurera cette révolution technique chez Renault, mais la nouvelle fourgonnette Estafette, qui sera dévoilée à l’été 1959. En outre, le succès assez insolent que connaît la 2 CV de Citroën, depuis sa commercialisation en 1949, ne manque, évidemment, pas d’exacerber Pierre Dreyfus, nommé à la tête de la Régie Renault en 1955. Celui-ci souhaitant, évidemment, réussir à ravir une (grosse) part du gâteau à la marque aux chevrons. A l’image de la « Deudeusche », sa mission essentielle est de permettre à de nombreux Français (ainsi que de nombreuses Françaises) de s’offrir enfin leur première voiture, qu’il habite dans la banlieue ou le centre des grandes villes ou, même, dans les bourgades les plus reculées de la campagne aux quatre coins de la France. Le maître mot qui pourrait résumer le mieux le cahier des charges remis aux hommes du bureau d’études par l’état-major de la Régie est donc : la simplicité.
Ce qui n’empêche toutefois pas, outre la traction, de recourir à des solutions techniques modernes, notamment avec une plate-forme supportant l’ensemble moteur-boîte de vitesses ainsi que tout le reste des organes mécaniques. Concernant la motorisation, si, outre le traditionnel quatre cylindres en ligne en position longitudinale, la même solution, mais en plaçant celui-ci en position transversale ainsi qu’un bicylindre refroidi par air (preuve supplémentaire que c’était bien la clientèle de la 2 CV qui était en ligne de mire) ou par eau. Pour des raisons de facilité et, donc, afin de maintenir des coûts de production qui soient les plus faibles possible, il est, finalement (et assez rapidement) décidé de conserver le moteur de la 4 CV (lequel recevra, certes, quelques modifications pour s’adapter à la remplaçante de cette dernière, mais sans importances majeures). La boîte de vitesses, à trois rapports, étant, quant à elle, placée en avant de l’axe des roues. Toujours dans l’objectif de garantir un entretien qui soit le plus facile et le moins coûteux possible, le bureau d’études décide d’opter pour des suspensions dotées d’un système d’articulations ne nécessitant aucun graissage ainsi qu’un circuit de refroidissement scellé.
Au cours de cette même année 1959, les différents prototypes réalisés par le bureau d’études effectuent leurs premiers tours de roue. Si la plupart d’entre-eux effectueront leurs essais sur les pistes de Lardy au sud de Paris, d’autres seront envoyées dans des contrées beaucoup plus lointaines, à l’image de l’Etat américain du Minnesota (et cela, en plein hiver) ainsi que la Guinée ainsi que le désert du Sahara). Ceci, afin de permettre aux ingénieurs ainsi qu’aux différents pilotes essayeurs de Renault de tester, en conditions réelles, leurs capacités ainsi que leur endurance sur les terrains et dans les conditions climatiques les plus hostiles. (Des essais qui ne se dérouleront d’ailleurs pas toujours sans difficulté, Louis Buty, qui en assura la supervision, sera, ainsi, victime de blessures assez graves suite à un accident de la route subit par l’un des prototypes en Sardaigne). Au total, tous réunis, les différents prototypes auront parcouru un total fort impressionnant de quelques 2 900 000 kilomètres.
Au début de juillet 1961, après quinze ans de bons et loyaux services, l’ultime exemplaire de la 4 CV quitte l’usine historique de Billancourt, celle-ci prenant alors sa retraite. Si l’activité de l’usine est alors stoppée durant un mois à l’occasion des congés annuels d’été, celles-ci vont alors être mises à profit pour installer sur les chaînes d’assemblage tout l’outillage nécessaire à la production de la nouvelle citadine du losange, qui doit commencer au début du mois prochain. Même si la commercialisation officielle n’interviendra, de son côté, qu’à l’occasion du Salon d’octobre 1961, une trentaine d’exemplaires d’avant-série seront confiés aux journalistes de la presse automobile entre la région de la Camargue ainsi que celle des Cévennes.
Ceci, afin que ces derniers aient ainsi l’opportunité de publier de larges comptes-rendus et photos de la nouvelle Renault R4 dans les différents numéros qui seront publiés avant l’ouverture du Salon. Une opération marketing savamment orchestrée, qui aura, évidemment, pour effet d’augmenter fortement l’intérêt du public français pour la nouvelle venue (ainsi que son souhait de signer les bons de commande) ! Les clients potentiels ayant droit, eux aussi, à un essai gratuit de la nouvelle R4, les 200 voitures qui seront, ainsi, mis à leur disposition parcourant environ 440 000 kilomètres avec pas moins de 62 000 conducteurs et conductrices à leur volant. Une pratique pratiquée aujourd’hui (et depuis longtemps déjà) par la grande majorité des constructeurs, mais qui était encore assez inhabituelle au début des années soixante.
Si, comme il a été mentionné plus haut, l’esthétique n’a jamais fait partie des préoccupations premières du bureau d’études dans la conception de la R4, même si le patron de la Régie, Pierre Dreyfus, recommandera aux hommes du bureau de style d’offrir à cette dernière un style, à la fois, plus moderne et, selon ses propres termes, « moins laid » et « plus exportable » que cette dernière. Car si c’est (naturellement) les classes populaires françaises qui sont les premières visées, la Régie Renault vise aussi, clairement, les marchés d’exportation. Si, au sein de la presse auto (en France comme à l’étranger), les lignes de la R4 (dues au styliste Robert Barthaud) ne font pas vraiment l’unanimité, cela n’empêchera toutefois pas les clients potentiels, dans leur grande majorité, de passer outre. A cette époque (et durant plusieurs décennies même), le côté esthétique n’entrait pas (ou très peu) en ligne de compte dans l’achat d’un modèle à vocation citadine.
En tout état de cause, les auteurs des premiers articles sur la nouvelle Renault ne manqueront pas de souligner (à l’image de son constructeur) que c’est bien le côté pratique qui a prévalu lors de sa conception et c’est bien ce que recherchait la clientèle visée. Outre le concept du hayon qui est alors fort novateur, celle-ci à l’instar des essayeurs, se montre également très satisfaite par le confort ainsi que la tenue de route (y compris sur les routes et chemins en mauvais état, un autre atout inspiré de sa rivale aux chevrons). En réalité, si, aujourd’hui, au sein de la plupart des amateurs des anciens modèles de la marque au losange ainsi que de ceux de voitures anciennes en général, on parle quasi exclusivement de la R4, c’est oublié que celle-ci, au tout début de sa carrière, elle fut aussi proposée dans une version nettement plus basique que la célèbre 4L restée dans la mémoire du grand public. Cette dernière n’étant d’ailleurs, elle-même, à son lancement, que la déclinaison « haut de gamme de la R4 « tout court. Laquelle se reconnaît, extérieurement et au premier coup d’oeil, à son absence de vitre de custode derrière la portière arrière ainsi que sa présentation (intérieure comme extérieure) nettement plus dépouillée.
En matière de dépouillement (pour ne pas dire de « dénuement »), la R4 se voit toutefois surpassée, sur ce point, par la R3. L’objectif de Renault avec cette dernière étant (encore et toujours) d’aller chasser sur les terres de la 2 CV en proposant ainsi une alternative plus moderne (sous certains aspects, tout au moins) mais tout aussi bon marché. Il n’y a d’ailleurs qu’à observer le prix de vente des deux modèles pour s’en convaincre : la R3 étant ainsi affichée à 4 800 (nouveaux) francs et la 2 CV dans sa version de base (recevant la dénomination AZL), de son côté, 4 840 F, très exactement. De prime abord, la différence de prix peut apparaître minime, voire insignifiante. La direction commerciale de Renault reste, néanmoins, convaincue que pour une clientèle aux moyens fort limitées, pour laquelle l’achat d’une voiture particulière, s’il est souvent une nécessité, n’en représente pas moins, par certains côtés, presque un « luxe », cette R3 ultrabasique constitue la meilleure réponse à la « Deudeusche ».
Même si la seule véritable différence entre la R3 et la R4 de base est que la première citée se contente d’une mécanique dont la cylindrée dépasse à peine les 600 cc (603, très exactement) pour une puissance de 20 ch (22,5 selon d’autres sources), avec pour conséquence que la vitesse de pointe reste, ici, limitée à 95 km/h. Alors que celui des R4 et R4L affiche, de son côté, 747 cc pour 24 chevaux et entre 105 et 100 km/h en vitesse maximale. (Il faut souligner qu’il s’agit de l’une des rares fois dans l’histoire de Renault où l’appellation numérale coïncide avec la puissance fiscale, aussi bien s’agissant de la R3 que de la R4. Tout du moins, s’agissant des versions originelles). Une seule teinte de carrosserie était également disponible pour la R3 : à savoir le gris.
Dans l’esprit et la conviction de Pierre Dreyfus et des autres membres de la direction de Renault, c’est bien la Renault 3 qui était amenée à constituer l’essentiel des ventes (avec la R4 de base) et non la 4L. La suite des événements ainsi que la clientèle lui donneront toutefois tort, car ce sera, bel et bien, cette dernière qui sera, très vite, la version la plus prisée par la clientèle. La différence de prix entre les deux modèles (la R4 étant vendue un peu moins de 200 francs de plus que la R3) ayant pour effet que les acheteurs préféreront opter pour la Renault 4 de base, certes, tout aussi austère dans sa présentation ainsi que son équipement, mais pouvant, toutefois, se prévaloir de performances (sensiblement) meilleures.
Avec pour résultat que l’infortunée (dans tous les sens du terme) R3 se verra bientôt contrainte de quitter la scène, quasiment sur la pointe des pieds, à l’été 1962, quasiment dans l’anonymat le plus complet et dans l’indifférence générale, après un seul et unique millésime et un peu plus de 2 500 exemplaires seulement qui seront sortis de chaîne. Sur lesquels, il ne resterait plus, en tout et pour tout, selon les estimations, qu’entre… 17 et 29 exemplaires ayant survécu intacts jusqu’à aujourd’hui !
Philippe ROCHE
Photos WHEELSAGE
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=5gE3mnCFda0&ab_channel=PHOTOGRIFFON
Une autre Renault https://www.retropassionautomobiles.fr/2024/02/renault-6-le-losange-oublie/