ALFA ROMEO 2000 & 2600 – Le trèfle mal-aimé.
Si, une fois la guerre terminée, Alfa Romeo reprend (lentement) la production de l’élitiste 6 C 2500, les dirigeants de la marque milanaise ont toutefois bien conscience, dès le départ, que ce modèle, affichant certes d’excellentes performances qui en font, avant comme après la guerre, l’une des meilleures sportives européennes, mais d’un prix exorbitant (rançon d’une construction entièrement artisanale) ne peut, en tout cas à elle seule, assure l’avenir de la marque. D’autant plus que, en cette seconde moitié des années 1940, le client traditionnel d’Alfa Romeo, l’Armée italienne, n’existe plus. Ou, en tout cas, n’est plus guère en mesure de commander quoi que ce soit. Et surtout pas des moteurs d’avions, comme du temps du régime de Mussolini. Pour assurer le « pain quotidien » à ses ouvriers, l’entreprise en est même réduite à fabriquer des gazières.
Dernière Alfa Romeo vendue en châssis nu, la 6 C 2500 quitte discrètement la scène en 1951. Au même moment, un nouveau modèle entre en scène, l’Alfa Romeo 1900, qui marque la naissance d’une nouvelle génération de modèles et le début d’une nouvelle ère pour la firme milanaise. Celle du passage de la construction artisanale à la production en série. Née de la volonté du nouveau directeur, Pasquale Gallo, et étudiée, en grande partie, grâce aux subsides du plan Marshall, cette berline « moyenne » à caractère familiale, si elle ne peut pas pour autant être qualifiée de voiture populaire (son prix de vente étant, de très loin, supérieur à celui d’une Fiat), est, en tout cas, bien plus accessible que la 6 C 2500 et va contribuer à amener vers Alfa Romeo de nouveaux acheteurs qui, jusque-là, que ce soit par goût ou un certain manque de moyens, n’avait jamais franchis la porte d’un agent de la marque.
Si la 1900 marque donc pour le constructeur une véritable « révolution culturelle », elle n’en oublie ni ne renie pas pour autant ses racines ni le passé, aussi longs que glorieux, de la marque en compétition. Sous le capot de cette superbe berline, dont les lignes sont dues à Ivo Colucci, on trouve en effet un brillant quatre cylindres à double arbre à cames en tête (rare sont alors les berlines de moins de deux litres à disposer d’un tel raffinement mécanique). Dû à Giuseppe Busso et entièrement réalisé en alliage léger, ce moteur, affichant 1 884 cc, est équipé d’un vilebrequin à cinq paliers et développe une puissance de 80 chevaux. Grâce à un poids assez mesuré (1 100 kg à vide), la berline 1900 peut atteindre sans difficulté les 150 km/h, ce qui représente une performance très flatteuse à l’époque pour une voiture à caractère « familiale ».
Si les efforts de la marque se focalisent, logiquement, sur celle-ci, ses dirigeants n’en oublient pas pour autant que, au sein de sa clientèle « traditionnelle », il subsiste toujours une « élite », composée aussi bien de membres de la haute société que d’amateurs de sport automobile, qui, si elle accepte, sans trop rechigner, de revoir quelque peu ses exigences à la baisse, n’en réclame pas moins des versions « spéciales » (c’est à dire « haute couture » de la nouvelle Alfa). Répondant à leurs désirs, la première de celles-ci, le coupé Sprint, assemblé chez Touring, l’un des plus célèbres carrossiers italiens et partenaire de longue date de la marque (pour laquelle il a réalisé aussi bien des voitures de compétition que des coupés et cabriolets « d’apparat »), fait son apparition au Salon de Genève en mars 1951. Alimenté, cette fois, par deux carburateurs Solex, le quatre cylindres double arbre bénéficie également de soupapes de plus gros diamètre, ce qui lui permet de gagner une vingtaine de chevaux supplémentaires. La berline bénéficiera, elle aussi, rapidement de cette mécanique améliorée, sur la berline TI (pour Turismo Internationale), commercialisée dès l’année suivante. La berline standard voyant, elle, sa puissance passée à 90 ch en 1953. Capable d’atteindre les 170 km/h (en comparaison, la Renault Frégate, pourtant équipée d’un moteur de cylindrée comparable, doit se contenter d’ à peine 58 ch et ne peut guère prétendre qu’à 130 km/h), la TI va s’illustrer dans les plus grandes compétitions internationales et fera honneur à la réputation d’Alfa Romeo dans le milieu du sport automobile.
En 1954, la 1900 reçoit un nouveau bloc dont la cylindrée passe à 1 975 cc (la puissance étant toujours de 90 ch) et est rebaptisée 1900 Super. L’alimentation par deux carburateurs restant réservée à la berline TI et au coupé Sprint, lesquels atteignent à présent les 115 chevaux. Equipée, quant à elle, d’une boîte à cinq vitesses, la version Super Sprint revendique une vitesse de pointe de 190 km/h.
Si la carrière de la 1900 a sans doute atteint là son apogée, elle commence toutefois par être quelque peu occultée par celle qui est désormais le nouveau fer de lance de la marque, la Giulietta 1300. Les efforts de la direction d’Alfa Romeo se focalisant maintenant sur cette dernière, la 1900 va alors, progressivement, se voir plus ou moins reléguée sur une « voie de garage ». Il est vrai que, en cette seconde moitié des années 50, son style tout en « rondeurs » a plutôt vieilli. Giuseppe Scarnati, le nouveau directeur du bureau de style Alfa, décide alors de la redessiner pour lui redonner un coup de jeune.
Faisant son apparition au Salon de Turin à l’automne 1957, l’Alfa Romeo 2000 présente une ligne à la fois plus moderne et aussi plus « statutaire ». En plus d’une carrosserie entièrement remodelée, elle bénéficie également de voies élargies (passant de 2,63 m à 2,72 m), ce qui procure d’avantage d’espace aux passagers à l’arrière. Les suspensions, elles, sont pratiquement inchangées par rapport à celles de sa devancière, la 2000 conservant ainsi un dispositif classique composé de triangles transversaux à l’avant et un essieu rigide à l’arrière, tous deux guidés par des ressorts hélicoïdaux. La direction, elle aussi, ne verse pas dans un modernisme radical, avec son système à vis globique, tout comme les freins à tambours sur les quatre roues. Succombant, comme un certain nombre de modèles européens de l’époque, à la mode en vigueur sur les voitures américaines, la nouvelle berline Alfa arbore une décoration plutôt chargée avec de nombreuses moulures chromées, qui ornent notamment la proue ainsi que le pavillon et les flancs. En plus de cela, la volonté de conserver la calandre traditionnelle propre à la marque à imposer le montage d’un capot-moteur plongeant aux formes torturées.
Voyant sa puissance (volontairement) limitée à 105 chevaux, le bloc de 1 975 cc, même secondé par une boîte de vitesses à cinq rapports, à plutôt fort à faire pour mouvoir dignement cette grande berline qui affiche tout de même 1 340 kg sur la balance et elle peine à dépasser les 160 km/h. On comprend dès lors que ceux qui avaient auparavant conduit les 1900 TI et Super Sprint restent sur leur faim. Il n’est, dès lors, pas étonnant que la berline 2000 n’ait séduit qu’un peu plus de 2 800 acheteurs, jusqu’à son retrait en 1962.
Ayant pris conscience que, sur le plan des performances, la berline 2000 souffrait de la comparaison face à la concurrence, tant nationale (qu’il s’agisse de la « plébéienne » Fiat 2100 ou de la Lancia Flaminia) qu’étrangère, la direction d’Alfa Romeo décide, en 1962, de corriger le tir et dévoile, au Salon de Genève, la Berlina 2600. Les ingénieurs d’Alfa Romeo n’ont pas fait dans la demi-mesure. La voiture passant désormais de quatre à six cylindres. Sous le capot se trouve, en effet, à présent, un six cylindres en ligne de 2 584 cc doté d’un vilebrequin à sept paliers, alimenté par deux carburateurs Solex et, toujours, d’une distribution à double arbre à cames. Développant une puissance de 130 chevaux, le modèle haut de gamme du constructeur milanais apparaît désormais mieux armé pour affronter sa principale rivale, la Lancia Flaminia 2,8 litres. Si la carrosserie reprend les grandes lignes de celles de sa devancière, elle est à la fois plus anguleuses et d’un style encore plus statutaire, une impression renforcée par la face avant plus massive et d’un style encore plus « baroque ». Par rapport à celle de la 2000, la proue de la 2600 se reconnaît à ses deux grilles rectangulaires qui encadrent la calandre traditionnelle en forme de blason (ou de boucler) caractéristique des Alfa, dans lesquelles ont été intégrés deux projecteurs additionnels. La partie arrière, de son côté, perd l’extrémité saillante de ses ailes (les ailerons, ou plutôt les embryons d’ailerons, dont se parait la 2000 étant passés de mode) et et équipée à présent de feux arrière verticaux de forme rectangulaire. Le couvercle de malle, à l’image de la partie avant, affiche lui aussi un air tout aussi massif avec ses formes taillées à la serpe. Par contre, la 2600 a conservé de sa devancière ses nombreux enjoliveurs chromés et la décoration latérale toujours aussi chargée n’allège pas vraiment l’ensemble. D’autant plus qu’avec sa ceinture de caisse assez haute, la 2600 trahit bien, là aussi, qu’elle a été conçue (pour sa version originelle) dans les années 50. Affichant ainsi un air très « guindé », la Berlina 2600 n’est pas sans évoquer, par certains côtés, une berline Giulia, en plus grande et plus « baroque ». Cette dernière, considérée par beaucoup comme le chef d’oeuvre de Giuseppe Scarnati, présente toutefois des proportions mieux maîtrisées qui, sur le plan esthétique, font paraître les lignes de sa grande soeur assez « brouillonnes ». Contrairement à la 1900, la 2600 ne revendique, elle, aucune prétention sportive. La puissance de son moteur six cylindres lui permet néanmoins d’atteindre les 175 km/h tout en préservant le confort et l’agrément de ses occupants. Un autre de ses avantages, par rapport à la 2000 qu’elle remplace, est le montage de freins à disque à l’avant (avant tout dans le but de compenser sa prise de poids – Elle atteint désormais 1 420 kg à vide – et lui assurer un freinage efficace).
Si la berline 2000 ne rencontrera guère son public sur le marché européen, elle aura toutefois plus de chance en Amérique du Sud, en particulier sur le marché brésilien, où elle réussira à trouver un second souffle. A partir de 1961, elle y sera construite par la société FNM (Fabrica Nacional de Motores), qui en a acquis la licence, dans l’usine que celle-ci possède à Xerém, près de Rio de Janeiro. Cinq ans plus tard, en 1966, la gamme brésilienne s’agrandit avec l’apparition d’une version sportive, la 2000 TIMB (abréviation pour Turismo Interzionale Modello Brasile) dont la mécanique sera poussée jusqu’à 160 chevaux, qui vient épauler le modèle standard. Les cinéphiles amateurs du cinéma populaire français des années soixante se souviennent peut-être du film Furia à Bahia pour OSS 117 (A cette époque, bien avant que Jean Dujardin n’endosse à son tour le costume de Hubert Bonnisseur de la Bath, alias OSS 117, le héros des romans de Jean Bruce avait déjà connu plusieurs adaptations au grand écran. Réalisés par André Hunebelle (Aqui l’on doit les films de cape et d’épée comme Le Capitan et surtout la trilogie Fantômas, tous avec pour héros Jean Marais), cet épisode voyait l’agent secret, interprété par Frederick Stafford (Acteur un peu tombé dans l’oubli aujourd’hui, l’un de ses autres rôles les plus marquants fut dans L’Etau d’Alfred Hitchcock, où il côtoiera notamment les acteurs français Michel Piccoli et Philippe Noiret), arpenter les routes brésiliennes au volant d’une berline FNM 2000. Lorsqu’en 1968, le constructeur milanais prend le contrôle de l’usine, la FNM 2000 est remplacée par la FNM 2150. Si la carrosserie a été redessinée, sous son capot, on retrouve toujours une mécanique à quatre cylindres. Elle y sera produite jusqu’en 1974, avant de céder sa place à l’Alfa Romeo 2300.
Si l’arrivée d’un nouveau six cylindres au Salon de Genève en mars 1962, ne parviendra pas à relancer la carrière de la berline 2000 (présentée en 1957), rebaptisée 2600 et légèrement restylée pour l’occasion, les carrossiers italiens qui se pencheront sur le châssis de la berline Alfa pour en dériver des versions sportives en feront eux, un meilleur usage, en lui offrant un meilleur écrin. Le coupé Bertone et le spider créé, lui, par Touring, (dévoilés, eux aussi, au Salon de Genève, en même temps que la berline), nantis d’une version plus poussée du six cylindres (qui, avec l’aide de trois carburateurs Solex, délivre 145 chevaux) verront leur comportement transfiguré et se montrent donc bien plus véloces que la berline, qui ne dispose, elle, que de 130 ch (même s’il est vrai que le sport n’ est pas sa vocation à elle). Comme sur cette dernière, les trains roulants bénéficient de freins à disques à l’avant (qui équiperont les quatre roues à partir de 1963). Pouvant approcher les 200 km/h, elles permettent à la marque de revenir dans le peloton de tête dans la catégorie des modèles de grand tourisme et les Alfa n’ont désormais plus à rougir face à la concurrence. Le Spyder en profite pour recevoir, dans la foulée, un léger lifting bienvenu qui modernise sa silhouette. Le maillage de la grille de calandre est simplifié, les deux prises d’air parallèle ornant le capot-moteur de la 2000 se réunissent pour n’en former plus qu’une seule sur la 2600. Par ailleurs, les doubles baguettes latérales et les fausses ouïes d’ aération disparaissent (ce que certains amateurs regretteront), ainsi que les superbes roues fil, remplacées par une seule baguette courant le long des bas de caisse. Sa carrière sera malheureusement écourtée à cause des difficultés financières croissantes auxquelles est confronté le carrossier milanais. Acculé à la faillite, Touring est contraint d’en cesser la fabrication dès 1965, après avoir produit 2 255 Spiders 2600 en trois ans. L’atelier renommé fermera ses portes le 31 décembre 1966.
De son côté, le coupé Sprint est reconduit sans aucune modification esthétique notable. Après des débuts de carrière plutôt difficiles, il va enfin connaître le succès qu’il méritait. L’usine du carrossier Bertone, située à Grugliasco, assure son assemblage jusqu’en 1966, portant sa production totale à 6 999 exemplaires exactement. Un score appréciable compte tenu du caractère élitiste de l’engin et de son prix élevé.
Les performances de la 2600 attirent inévitablement l’attention du carrossier Zagato, désireuse d’exercer ses talents sur ce châssis prometteur. Au Salon de Turin en 1963, il expose un prototype fortement inspiré par les lignes bulbeuses de la Giulietta SZ. Après une longue gestation, le modèle de série (si l’on peut parler de série pour un modèle à caractère aussi « élitiste ») entre en production deux ans plus tard. Il repose sur la plateforme du Spyder, doté du même empattement de 2,50 m. Dû au crayon du designer « maison » de Zagato, Ercole Spada, l’insolite 2600 SZ arbore une esthétique allégée et dépouillée, typique des créations du célèbre carrossier turinois. La traditionnelle calandre Alfa, considérablement élargie en son sommet, se voit cernée par deux optiques rectangulaires encastrées dans de larges enjoliveurs chromés. Quant à la poupe tronquée, elle n’est pas sans rappeler celle de l’Aston Martin DB6, dont l’arête esquisse un embryon de becquet. Malgré sa carrosserie en acier, la 2600 SZ s’avère beaucoup moins lourde que ses cousines issues des ateliers de Touring ou de Bertone. Elle ne pèse en effet que 1 140 kg à vide, contre 1 280 kg pour le coupé Sprint et 1 220 kg pour le Spyder. Fort de cet avantage, le coupé de Zagato peut revendiquer une vitesse de pointe dépassant les 210 km/h avec le moteur standard de 145 chevaux. Le coupé SZ restera toutefois un modèle assez marginal dans la famille des Alfa 2600, puisque seuls 105 exemplaires en seront construits jusqu’en 1967. Il est vrai qu’en plus de sa silhouette assez atypique, en qui tous ne voient pas un premier prix de concours d’élégance, comme toutes les créations du carrossier, chacun des exemplaires de la SZ était assemblé à la main, avec son propre numéro de carrosserie. Celui-ci était d’ailleurs inscrit à la craie au dos de chacun des panneaux. Ce qui explique à la fois sa faible production ainsi que son prix élevé. En dépit des apparences, aucune 2600 SZ n’était donc identique à une autre. Ce qui explique que la longueur n’est jamais la même sur chacune des voitures sortant des ateliers de Zagato et même que certaines soient plus longues d’un côté que de l’autre ! C’est aussi la raison pour laquelle les ailes avant (pour prendre un exemple) d’un modèle ne seront sans doute compatible avec aucun des 104 autres exemplaires produits. (La différence de longueur entre celles-ci pouvant aller de seulement un ou deux millimètres jusqu’à plusieurs centimètres). Voilà pourquoi la réparation de toute trace d’accident au prix fort, chaque élément abîmé ou détruit devant être refait à la main. (Après, évidemment, que le tôlier ait soigneusement pris les mesures afin de s’assurer que la pièce sera compatible et s’emboîtera parfaitement avec les autres éléments de la carrosserie). La plupart des voitures portant une carrosserie signée par Zagato comme la rareté du modèle, plus encore aujourd’hui (une cinquantaine de survivantes auraient été recensées), explique que la cote d’un coupé SZ sur le marché de l’automobile de collection dépasse aisément la barre symbolique des 100 000 euros (contre à peine entre 15 et 18 000 euros pour la berline et 30 000 euros pour le coupé Sprint) mais, dans ce milieu, les cotes ne sont données qu’à titre indicatif et ne doivent jamais être prises au pied de la lettre, surtout pour des modèles aussi exclusifs. Dans une vente aux enchères, il n’est pas rare qu’une 2600 SZ atteignent plus de deux fois cette cote !
Malgré cette carrière assez terne (ou, peut-être, justement, dans le but d’offrir une nouvelle jeunesse au modèle et de redynamiser ses ventes), le carrossier Ghia présente une version entièrement remodelée de la 2600, qui ne conserve aucun panneau de carrosserie de la berline de série. D’une ligne plus réussie que cette dernière (en tout cas, bien plus sobre et plus moderne), bénéficiant de vastes surfaces vitrées et d’une présentation intérieure plus sportive, la berline 2600 de Ghia, due au crayon du prolifique designer Giovanni Michelotti, n’est pas sans évoquer une version berline de la Giulia GT. Elle sera la seule version 2600 à pouvoir recevoir (en option) la climatisation ainsi que la direction assistée. Présentée au printemps 1965 et assemblée dans les ateliers d’OSI (Officina Stampaggi Industriali), une filiale de Ghia, cette version exclusive, bien qu’elle présente des lignes plus séduisantes que la 2600 de « série », n’aura cependant pas le succès escompté et seuls 54 exemplaires en seront fabriqués jusqu’en 1968. Cette année-là, la Berlina 2600 quitte discrètement la scène. En six années de production, seuls 2 038 exemplaires sont sortis de chaîne.
D’autres carrossiers italiens, connus ou moins connus, se sont aussi intéressés à la 2600, avec des résultats à la réussite esthétique très diverse suivant les cas. Pininfarina, par exemple, a réalisé deux élégants show cars, un coupé et un spider dont les lignes sont très proches de celle du concept car Chevrolet Rondine ainsi que de la Ferrari 330 GTC (autres créations contemporaines du carrossier). Bertone, de son côté, réalisera une berlinette 2600 « High Speed » assez réussie en 1963. Sur la base de la 2000, Touring réalisera également un coupé dont la ligne serait toutefois loin de l’élégance du Spider. Si la face avant, caractérisée par sa double paire de phares, est encore assez réussie, sa carrosserie est toutefois alourdie par des porte-à-faux démesurés, surtout à l’arrière. Quant à Boneschi, il réalisera un cabriolet aux lignes anguleuses typique de ses réalisations de l’époque. Aucune d’entre-elles ne connaîtra toutefois de suite en série.
Si les modèles du constructeur d’Arese se sont quelque peu démocratisés depuis le lancement de la 1900, on ne peut pas pour autant vraiment dire qu’elles soient proposées à des prix très démocratiques, surtout sur les marchés étrangers. En 1965, une Alfa 2600 Berlina est ainsi affichée 28 950 F sur le marché français (contre 17 850 F pour la Giulia GT). La principale concurrente de l’Alfa 2600 au sud des Alpes, la Lancia Flaminia est, il est vrai, encore plus chère puisque, pour l’acquérir, il faut signer un copieux chèque de 31 700 F. En comparaison, la plus grande berline de la gamme Fiat de l’époque, la 2300 ne coûte que 16 000 F, soit quasiment le même prix que le haut de gamme de la production automobile française des années 60, la Citroën DS 19 Pallas (15 730 F), laquelle apparaît donc presque bon marché comparée à la grande Alfa. En dehors de son pays natal, cette dernière n’a, de toute façon, guère de chance face à de sérieuses rivales comme la Mercedes 250 S en Allemagne ou les Jaguar Mark III et Type S (valant, respectivement, 28 900 F et 33 300 F). Les déclinaisons sportives basées sur cette dernière ne sont pas meilleures marché, que du contraire : 32 500 F pour le Spyder et 36 200 F pour le coupé Bertone. La variante la plus rare de la lignée, la 2600 SZ carrossée par Zagato est, évidemment, la plus chère : 44 700 F, alors qu’une Porsche 911 ou une Jaguar Type E se laissent emporter contre « seulement » 41 800 F et 39 700 F.
Si, sur bien des points, la 2600 aura réussie là où la 2000 avait échouée (tant sur le plan des performances que de la tenue de route), elle ne mènera pourtant qu’une carrière en demi-teinte. Le service commercial comme le réseau de vente de la marque ne faisant, en effet, guère d’efforts pour la promouvoir, ceux-ci concentrant bientôt leurs efforts sur celle de la Giulia. Ainsi marginalisée quasiment dès le début de sa carrière, la Berlina 2600 n’évoluera guère. Sur le plan technique, la seule vraie modification notable étant le montage de quatre freins à disques à partir de 1963. Sur le plan esthétique, en 1965, elle perdra une grande partie de ses baguettes chromées sur les flancs, ce qui aura l’avantage de lui conférer une allure plus sobre.
En plus de ce délaissement de la part de la direction d’Alfa Romeo, la 2600 peine également à rivaliser avec les nouvelles références de la catégorie, au premier rang desquelles figure la Mercedes 250 S, à la fois plus géante et plus performante.
Même si, sur le plan commercial, ce surnom de « trèfle mal-aimé » ne vaut que pour les berlines, l’échec commercial des Berlina 2000 et 2600 est assez symptomatique d’une sorte de malchance qui semble frapper presque toutes les grandes berlines Alfa. Il faudra d’ailleurs attendre pas moins de onze ans, jusqu’en 1979, pour voir enfin apparaître le nouveau modèle haut de gamme d’Alfa Romeo, l’Alfa 6. (Il est vrai que celle-ci devait, à l’origine, être commercialisée en 1973, soit six ans auparavant. Mais l’éclatement de la première crise pétrolière et les problèmes socio-politico-industrielles rencontrés par le constructeur dans son usine de Naples, qui produit l’Alfasud, en retardera longtemps le lancement). Seuls 12 000 exemplaires sortiront de l’usine d’Arèse. A côté, l’Alfa Romeo 164 apparaît véritablement comme un best-seller avec plus de 274 000 exemplaires. Sa remplaçante, l’Alfa 166, n’aura pas la même chance, puisqu’un peu moins de 100 000 exemplaires (soit près de trois fois moins) en seront vendus entre 1998 et 2007. Devant ce résultat peu concluant, il est assez compréhensible que les dirigeants d’Alfa Romeo ait décidé d’en rester là. L’Alfa 166 disparaîtra donc sans laisser de descendance au sein du catalogue du constructeur d’Arèse. Comme on le voit, malgré tous les efforts déployés par Alfa Romeo pour tenter de se faire une place au soleil au sein du segment des grandes routières et la prestigieuse ascendance dont ils pouvaient se prévaloir, ceux-ci seront, en grande partie resté vains. Même au sein de la catégorie des berlines « familiales », ceux-ci commencent à marquer le pas. Si la 156 avait marqué, tant sur le plan du style que de la qualité de construction, la renaissance d’Alfa Romeo, la firme n’a, manifestement, pas su « transformer l’essai ». Alors que cette dernière avait atteint le score de 680 000 exemplaires, sa remplaçante, la 159, elle, ne pourra revendiquer qu’environ 240 000 usitées sorties d’usine.
Etant donné que celle qui assurait, depuis la disparition de la 166, le rôle de modèle haut de gamme de la marque (si l’on excepte l’élitiste 8C Competizione), n’aura donc connue qu’une carrière en demi-teinte, ceci explique sans doute (en tout cas en partie) la raison pour laquelle, après qu’elle ait (discrètement) quitté la scène en 2011, les dirigeants d’Arèse ne se sont pas pressés pour lui donner une remplaçante. Cette dernière, la Giulia, n’étant entrée en scène que cinq ans plus-tard, au début de l’année 2016. Si la nouvelle berline Alfa peut revendiquer une ligne fort aguicheuse, il reste à voir si elle saura séduire le public en dehors du cercle des « Alfistes » et des amateurs de voitures italiennes. L’histoire (et pas seulement dans le domaine de l’automobile) ayant montré, à de nombreuses reprises, que la conquête (et plus encore la reconquête) d’un marché est souvent une bataille longue et difficile. Surtout lorsque la concurrence est aussi nombreuse que féroce. Comme le disent si bien les Anglais : « Wait and see » (« Attendre et voir ») !
Philippe ROCHE
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=lnMlh2swVhw&ab_channel=RoadsterLife
Une autre Alfa Romeo à découvrir https://www.retropassionautomobiles.fr/2024/03/alfa-romeo-giulietta-berline-la-premiere-alfa-populaire/