RENAULT 12 GORDINI - Un costume trop grand pour elle ?

RENAULT 12 GORDINI – Un costume trop grand pour elle ?

De son « vivant » (c’est-à-dire du temps où elle figurait au catalogue Renault), la R8 Gordini était déjà devenue une voiture culte, aussi bien à cause de ses multiples victoires en rallyes (si l’on devait additionner tous les podiums à l’échelle locale, nationale et, même, internationale, la liste serait sans doute longue comme les deux bras) que du fait qu’elle servit de « voiture-école » à de nombreux pilotes devenus, par la suite, de grands noms de la course automobile en France (non seulement en rallyes, mais aussi en Formule 1 ou en Sport-Prototypes).

Toutefois, les dirigeants de la marque au losange ont fini par se rendre compte qu’à l’image des versions plus « plébéiennes » de la R8, la « Gord’ » (comme on la surnomme familièrement) ne pourrait pas voir sa carrière (en course comme chez les concessionnaires de la marque) se prolonger indéfiniment et qu’il faudra donc songer à lui donner une remplaçante. En cette toute fin des années soixante, l’état-major du constructeur est convaincu d’avoir entre les mains celle qui pourra servir de base idéale pour la réalisation d’une nouvelle Renault Gordini. La « base idéale » en question se présentant sous la forme de la berline familiale compacte du losange commercialisée en 1969 : la R12.

RENAULT 12 GORDINI - Un costume trop grand pour elle ?

Lorsque la version sportive de cette dernière, portant, elle aussi, le nom mythique de Gordini, est dévoilée l’année suivante, les représentants de la presse automobile ne manqueront pas de se montrer assez surpris ou, pour la plupart d’entre-eux, au mieux, dubitatifs, voire même forts sceptiques face à la nouvelle venue. Que les hommes du Service commercial de Renault (avec le sourire de rigueur et ne doutant, manifestement, de rien, même si cette assurance était, probablement ou en partie, de façade) ne se privèrent pas de présenter « fièrement » comme la digne descendante de la (déjà) légendaire R8 Gordini. Il n’y a d’ailleurs pas que les journalistes invités sur le circuit du Castellet, ce 18 juillet 1970, pour découvrir, en avant-première, la nouvelle R12 Gordini qui affichèrent sans ambages leur scepticisme. Non seulement face au baratin commercial des hommes du losange, mais aussi, ou plus encore, après en avoir pris le volant.

Pour quiconque a bien suivi l’évolution technique des modèles de la marque ces dix dernières années, le fait que la R12 adopte (elle aussi) le moteur ainsi que la transmission aux roues avant et abandonne donc (à son tour) l’architecture dite du « tout à l’arrière » au profit du « tout à l’avant » n’était pas vraiment une surprise. Le lancement de la R12 Gord’ marquant, en effet, une nouvelle étape du chapitre ouvert par la firme au losange depuis l’entrée en scène du premier modèle de tourisme commercialisé par celle-ci en 1961, la R4 (même s’il faut mentionner, par respect pour la vérité historique, que c’est bien la fourgonnette Estafette qui sera le premier véhicule portant le sigle du losange à être produit en série par Renault). Après s’être longtemps fait, à l’image de Volkswagen en Allemagne, le chantre du « tout à l’arrière » (depuis la présentation de la 4 CV en 1946), le losange a finalement décidé, quinze ans plus tard, de prendre un virage à 180 degrés en passant (bien que progressivement) au « tout à l’avant » (même s’il faudra encore une douzaine d’années pour que la Régie tourne définitivement la page du moteur arrière).

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Si la Renault 12 (à l’image des autres modèles de la marque qui l’ont précédé depuis la R4) reste, elle aussi, fidèle à la traction avant, sa fiche technique marque, toutefois, sur certains points, une régression par rapport à ses devancières. Avec, entre autres, le retour, au niveau de la suspension arrière, de l’essieu rigide. Ce choix de recourir, à nouveau, à un certain conservatisme technique s’expliquant par le fait que la firme au losange n’entendait pas se limiter aux seuls marchés des pays occidentaux et nourrissaient même de grandes ambitions pour la R12, dont elle entendait faire une sorte de « voiture mondiale », en la vendant et en la produisant, à travers le monde, dans de nombreux pays en voie de développement. D’où le choix de recourir à des solutions techniques simples et éprouvées qui, outre un gage de robustesse, offrait aussi une grande facilité ainsi qu’un faible coût d’entretien, mettant ainsi les modèles concernés à la portée du premier apprenti mécanicien venu.

Une stratégie commerciale qui, même si elle peut apparaître, sur certains points, bassement mercantile, n’en portera pas moins ses fruits. Elle sera ainsi assemblée en Turquie, en Argentine ou en Roumanie, où elle connaîtra (dans chacun des pays concernés) une carrière bien plus longue que sur sa terre natale, survivront même plus de vingt ans à la R12 française (la Dacia 1300 et ses dérivés, « cousines » roumaines de cette dernière resteront ainsi en production jusqu’en 2006, soit vingt-trois ans après la fin de la production de la Renault 12 dans l’Hexagone).

Pour en revenir à la version Gordini de la R12, il n’y a d’ailleurs pas que les essayeurs de la presse spécialisée qui eurent du mal à cacher une certaine déception en la découvrant à l’occasion de sa présentation sur le circuit du Castellet et, plus encore, après en avoir pris le volant. Les pilotes les plus célèbres et titrés de la marque au losange (Pescarolo, Consten, Thérier, Beltoise, Vinatier, Serpaggi et autres) conviés afin d’assurer le parrainage de l’événement aussi. Ce que les journalistes de la presse auto perçurent d’ailleurs bien et, pour une grande partie d’entre-eux, ne se privèrent pas de mentionner dans leurs articles. Ce que nombre d’amateurs de sport automobile (« Renaultistes » convaincus ou pas) eurent sans doute l’occasion de vérifier cela par eux-mêmes lors de l’essai de la nouvelle Gordini chez leurs concessionnaires.

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Alors que la R8 Gordini (mais aussi ses versions « ordinaires ») était réputée pour son comportement assez « particulier » (avec, entre autres, une forte tendance au sous-virage, ce qui constituait, tout à la fois, l’un des principaux handicaps des R8 non sportives, mais aussi, paradoxalement, l’un des atouts primordiaux de la version Gordini, tout au moins pour les pilotes ou conducteurs sportifs au talent confirmé et sachant la maîtriser pour en tirer tout le potentiel), en changeant complètement d’architecture mécanique, la R12 Gordini avait, malheureusement, perdu une grande partie de ce qui faisait la particularité de sa devancière. Outre le fait qu’elle avait pour mission de (tenter de) remplacer la R8 Gordini (aussi bien dans le coeur des amateurs de sport automobile qu’au sein de la gamme Renault), la R12 du même nom partait aussi avec un autre handicap, sans doute sous-estimé par son constructeur, mais qui (sans être aussi important que celui évoqué plus haut) n’en était pas moins bien présent et concret.

A savoir un physique un peu « chamallow » (évoquant, en effet, vu sous certains angles, les fameux chapeaux mous que l’on portait souvent, à une époque pas si lointaine, sur les plages lors des vacances d’été) qui faisait qu’elle n’avait sans doute guère de chances d’être primée dans un concours d’élégance. Il est vrai que le style de la R8 n’a jamais entièrement fait l’unanimité, son physique « cubique » lui ayant même valu le surnom de « boîte à sucre » (certains jugeant même que l’auteur de ces lignes, Philippe Charbonneaux, avait réalisé un meilleur travail sur les derniers modèles de la défunte marque Delahaye, même s’il s’agissait, évidemment, d’un marché diamétralement opposé à celui des populaires Renault), mais au moins pouvait-on lui reconnaître une vraie personnalité. Alors que la Renault 12, de son côté, semble avoir été conçue pour présenter la ligne la plus « passe-partout » possible (sans doute afin, là aussi, de parvenir à plaire à la clientèle des marchés étrangers, outre celle au sein du marché français).

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Le problème, s’agissant de la version Gordini, est que, même revêtue de ses « peintures de guerre » (à savoir le célèbre « bleu de France et la double bande blanche courant sur tout le périmètre de la carrosserie, digne d’une combinaison de pilote de l’armée de l’air), que l’on retrouvait déjà sur sa glorieuse aînée, de la prise d’air sur le capot (côté conducteur, apparu en 1971), les projecteurs additionnels (de marque Cibié) ainsi que les jantes dont le dessin s’inspire de celles que l’on retrouve sur les Alpine ainsi que la R16 TX et la R17 TS (même si les roues n’affichant qu’un diamètre de 13 pouces peinent quelque peu à remplir les ailes), sur le plan esthétique, la Renault 12 Gordini, reste avant tout une R12. Autant dire que, dès le départ, la carrière commerciale de la R12 Gordini semblait déjà avoir quelque peu (voir fortement) du plomb dans l’aile. Ce que la suite des événements conformera malheureusement.

Pour en revenir au lancement de cette dernière, si elle n’est proposée qu’avec une seule motorisation, à savoir le célèbre Cléon fonte, affichant, ici, une cylindrée de 1 565 cc ainsi qu’une puissance de 113 chevaux, un kit de préparation de la mécanique (recevant la dénomination 807-G), installé, à la demande des clients intéressés, par les concessionnaires Renault permettait de faire passer celles-ci à 1 596 cc et 150 chevaux (même si la vitesse de pointe, de son côté, ne gagne que 10 km/h seulement, faisant ainsi passer celle-ci de 183 à 195 km/h). Le nombre exact de R12 Gordini qui en furent équipées restant toutefois inconnu, mais elles ne représentèrent sans doute qu’une faible partie de la production.

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Deux niveaux de finition sont alors proposés : celle d’entrée de gamme (dite « standard » ainsi que la TL, seule cette dernière étant équipée des pare-chocs à l’avant et à l’arrière, de la banquette arrière, des contre-portes en similicuir ainsi que des sièges plus épais qu’en finition standard. Cette dernière, destinée avant tout à ceux qui souhaitent pratiquer la compétition en amateurs, étant, en effet, dépourvue des équipements susmentionnés. A l’intérieur de l’habitacle, la Gordini se différencie de la R12 de Monsieur et Madame Tout-Le-Monde par son imposant volant à trois branches métalliques ajourées et à la jante gainée de cuir (dont le dessin rappelle fortement celui de la R8 du même nom), les deux manomètres placés à gauche des compteurs principaux et qui viennent compléter l’instrumentation (dont le compteur de vitesse gradué jusqu’à 200 km/h ainsi que le compte-tours allant jusqu’à 8 000 tr/mn). Ce qui peut, certes, paraître peu par rapport aux autres versions de la Renault 12 mais qui suffisaient sans doute à la plupart des automobilistes de l’époque, lorsqu’ils prenaient place derrière le volant, pour se sentir une âme de pilote.

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La R12 Gordini n’ayant connu qu’une carrière assez courte (quatre ans à peine), elle ne connaîtra que peu d’évolutions. Outre la prise d’air installée sur le capot, la R12 Gordini recevra un nouveau système d’alimentation équipé d’un ventilateur débrayable. Lors du millésime 73, l’intérieur bénéficie, quant à lui de sièges avant équipés d’appuies-tête intégrés et de ceintures à enrouleur. Les ultimes Renault 12 Gordini, qui seront produites au cours de l’année-modèle 1974, ne se reconnaissant que par la disparition du support de plaque minéralogique à l’arrière (celle-ci étant désormais fixée sur le panneau arrière). Si le « bleu de France » est sans doute la teinte qui est, à la fois, la plus courante et la plus prisée, d’autres couleurs étaient également disponibles au catalogue lors du lancement de la version : jaune, blanc et orange, avant de pouvoir recevoir, lors de ses deux derniers millésimes de production, l’ensemble des teintes de carrosseries proposées sur les autres versions de la R12.

S’il est vrai que la Renault 8 Gordini, elle-même, ne fut pas vraiment ce que l’on pourrait appeler un carton commercial (avec, en tout, un peu plus de 116 000 exemplaires, versions 1100 et 1300 confondues, sur un peu plus de 1 318 000 unités pour l’ensemble de la production française de la R8), celle qui lui succéda et reprit le nom de Gordini eut une carrière commerciale encore plus confidentielle (les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur un peu plus de 2 millions de Renault 12, toutes versions confondues, produites en France entre 1969 et 1980), il n’y eut, en tout et pour tout, que… 5 188 exemplaires (très exactement) de la version Gordini. Autant dire, véritablement, une goutte d’eau dans la mer.

Est-ce dû à ce que l’on peut appeler, sans guère de détours, un échec commercial assez cinglant et du fait que le nom de Gordini faisait moins rêver la nouvelle génération et était donc moins « porteur », commercialement, dans les années 70 qu’il ne l’avait été durant la décennie précédente ou encore, car la R12 Gordini ne connut pas (loin de là) la même aura (c’est-à-dire la même succès) en compétition que sa devancière que le nom de Gordini disparut, par la suite, du catalogue de la marque au losange ? (Laissons de côté la R17 Gordini, laquelle n’avait de Gordini que le nom, étant donné qu’elle n’était, en réalité, qu’une R17 TS rebadgée, quasiment sans aucune modification par rapport à la première série du modèle).

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En tout état de cause, la lignée des Renault Gordini s’éteindra à peu près à la même époque que son créateur (Amédée Gordini décédant à l’âge de 80 ans, à l’été 1979)… pour ne réapparaître au catalogue Renault qu’en 2010 plusieurs décennies plus tard. Les modèles actuels portant le nom de Gordini sont-ils dignes de l’appellation (et qu’on aurait pensé le « sorcier » Gordini lui-même) ?

En tout cas, pour en revenir à la R12 Gordini, en dépit d’une efficacité en course jugée comme étant assez loin de celle de sa devancière ainsi (conséquence assez logique) que d’un palmarès beaucoup moins important que cette dernière, elle aussi aura laissé son empreinte dans l’histoire de Renault en compétition. Une empreinte, certes, nettement moins profonde que celle de sa glorieuse aînée, nécessairement besoin de toujours finir pour premier pour parvenir à laisser une trace dans l’histoire.

Philippe ROCHE

Photos Wheelsage

En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=kX0sBFBQXKQ&ab_channel=passionautosportduvar

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