RENAULT RODEO – anti-Méhari.
Si la présentation officielle de la Citroën Méhari fut quelque peu occultée par les événements de mai 1968, elle n’en connut pas moins un succès aussi important que rapide. Un succès commercial qui (comme l’on peut aisément s’en douter) ne pouvait laisser indifférent l’un de ses principaux concurrents, à savoir la firme au losange.
Depuis la toute fin des années 50, Renault avait, en effet, entamé sa « révolution technique », en se convertissant, de manière assez rapide, à la traction avant (d’abord dans le domaine des utilitaires avec la fourgonnette Estafette et ensuite dans celui des voitures citadines avec la R4). Histoire de ne pas laisser, ainsi, le monopole de l’avant-gardisme au sein de l’industrie automobile française à Citroën et de montrer que la Régie Renault pouvait, elle aussi, faire preuve d’un grand sens de l’innovation.
La Méhari avait repris le châssis ainsi que l’ensemble des organes mécaniques de l’incontournable, robuste, fiable et serviable 2 CV (laquelle, lorsque son dérivé ludique entre en scène, vient déjà, soit dit en passant, de souffler ses vingt bougies !). La recette ayant fort bien marché, le bureau d’études ainsi que la direction de Renault, ne s’embarrassant guère de scrupules, copièrent tout simplement la recette en réutilisant les composants de la tout aussi incontournable, robuste, fiable et serviable R4 et de l’habiller (tout comme sur la Méhari) d’une carrosserie en matériau composite, lui donnant un peu l’allure d’une Jeep (en « miniature »). Cette carrosserie étant produite par la société Ateliers de Construction du Livradois (ou ACL en abrégé), installée à Courpière, dans le département du Puy-de-Dôme.
La direction de Renault veut aller vite (ayant sans doute un peu peur, par moments, que cette nouvelle catégorie initiée par la Méhari ne soit qu’un effet de mode assez éphémère et, donc, que le soufflé ne retombe avant que la Régie n’ait sorti sa « baignoire en plastique sur roues » à elle). Bien que les hommes du bureau d’études mettent donc les bouchées doubles et même s’ils partent d’une base technique déjà existante (ce qui facilite grandement la tâche), ce n’est pourtant qu’en avril 1970, soit près de deux ans (à un mois près) que celle que se présente comme « l’anti-Méhari » fait son apparition : la R4 Rodéo.
Malgré ce que son nom pourrait laisser penser, de prime abord, elle n’est toutefois pas (du tout) destinée à escalader des talus ou des collines, mais plutôt pour les chemins de terre voir les routes bien asphaltées. Malgré ses lignes tracées à la règle et à l’équerre qui pourraient laisser imaginer à certains qu’elle a été conçue, à l’origine, pour servir de véhicule militaire, certains détails, comme le fait qu’elle reprenne les roues (ou, plutôt, les « roulettes ») de la R4, trahissent qu’en dépit des apparences, elle n’a rien (ou pas grand-chose) d’un véritable « baroudeur ». A l’image de sa rivale directe, sa vocation essentielle est de servir de véhicules de loisir à la jeune génération, aussi bien à la campagne qu’à la mer.
Sous le capot, ce n’est, toutefois, pas le moteur de la R4 que l’on retrouve, mais celui de la Renault 6, lequel se montre, toutefois, à peine plus gros en cylindrée et à peine plus puissant que celui de la Renault 4. Si la plateforme, en revanche, est bien celle de cette dernière, il ne s’agit toutefois pas de celle de sa version « tourisme » (c’est-à-dire de la berline), mais de la fourgonnette. (Sans doute parce que celle-ci a bénéficié d’un châssis renforcé, raison pour laquelle la version utilitaire de la R4 lui léguera aussi ses trains roulants).
Quatre versions différentes sont disponibles à son lancement : l’Evasion, entièrement dépourvue de capote ; la Chantier, équipée d’une capote rudimentaire qui ne couvre que les deux places avant ; la Coursière avec une capote couvrant également le « bac » arrière, mais dépourvue de protections latérales et la Quatre Saisons, laquelle bénéficie d’une capote plus élaborée avec fenêtres (en plastique souple) pour les portières ainsi que les côtés et la lunette à l’arrière (lesquelles peuvent être montées ou enlevées, selon les envies et les besoins du moment).
Malgré le fait que comme celle sur les plates-bandes desquelles elle entend marcher, la Rodéo se présente comme un véhicule à vocation populaire, elle n’est, pourtant, pas si bon marché que cela, puisqu’elle est afficheé à plus de 10 300 francs, soit 2 000 F de plus que la Méhari ! Si la Rodéo affiche des performances similaires à celle de sa rivale chevronnée et possède une carrosserie plus solide et endurante sur le long terme que la Méhari (ceci grâce au fait que, contrairement à cette dernière, la carrosserie de la Rodéo n’est pas constituée uniquement de plastique, mais se trouve renforcée par l’ajout de fibre de verre).
Malgré le fait que les ventes ne soient pas véritablement à la hauteur des attentes du constructeur, Renault décide pourtant, à peine deux ans plus tard, en 1972, de « remettre le couvert ». Avec un nouveau modèle similaire, dans son concept ainsi que dans sa silhouette, mais situé un cran au-dessus du modèle initial : la R6 Rodéo. Cette dernière ne venant donc pas remplacer la R4 du même nom, laquelle reste, en effet, toujours présente au catalogue, mais, en quelque sorte, compléter l’offre initiale. L’idée de Renault étant de proposer ainsi une véritable (ou, plutôt, un « embryon » de) gamme afin de proposer une offre variée, plus à même de séduire la clientèle visée. (La Méhari, de son côté, n’étant, en effet, toujours proposée que dans une seule et unique version).
S’agissant de la motorisation, ce nouveau modèle bénéficie d’une mécanique sensiblement plus puissante que celle de la version R4, à savoir le bloc Cléon fonte de 1 108 cc délivrant 47 chevaux. Même si l’amélioration des performances n’est pas négligeable, là non plus, il n’y a pas encore de quoi grimper aux arbres et, là aussi, la transmission reste limitée aux seules roues à l’avant. Si elle peut donc, sans doute plus que son aînée, se risquer à quelques trajets sur autoroutes lorsque le besoin s’en fait sentir, elle se montre, toutefois, à l’image de cette dernière, beaucoup plus à son aise sur les chemins le long des plages ainsi que sur les routes de campagne.
Esthétiquement, la carrosserie de la R6 Rodéo s’inspire étroitement de celles de la R4 du même nom, elle s’en différencie, essentiellement, par sa face avant avec sa calandre rectangulaire en plastique noir, dont sont également constitué les blocs intégrants, des deux côtés de celle-ci, les phares ainsi que les clignotants. Vue de face, la nouvelle Renault 6 Rodéo affiche un fort et indéniable air de ressemblance avec la Citroën Méhari. De là à dire que les hommes du bureau de style de Renault ont été jusqu’à copier volontairement cette dernière en espérant que cela aiderait le nouveau modèle de la gamme Rodéo à mieux se vendre que la première, il y a un pas que l’on se gardera, toutefois, de franchir, faute de preuve formelle à ce sujet.
En tout état de cause, si c’était bien le cas et que les stylistes ainsi que les dirigeants de la Régie étaient réellement convaincus que cela pouvait marcher, ils vont, cependant, finir par comprendre, assez rapidement, qu’ils se sont lourdement fourvoyés !
Deux ans plus tard, en 1974, plusieurs améliorations sont apportées à la R6 Rodéo, avec, entre autres, le montage d’un réservoir de carburant de plus grande capacité ainsi que la possibilité de l’équiper d’un hard-top (ce qui a pour avantage important de la rendre beaucoup plus pratique et agréable à utiliser dans la froideur de l’hiver qu’avec la capote en toile !). En 1976, la R4 Rodéo voit sa silhouette sensiblement modifiée en récupérant la partie arrière de la R6 éponyme et la calandre porte désormais l’emblème au losange de la marque. (Donnant un peu l’impression que le constructeur jugeait que celui qui fut le premier modèle de la famille Rodéo affichait un style ainsi qu’un concept trop « atypique » pour que la clientèle visée la considère comme étant une « vraie » Renault).
A nouveau deux ans après, en 1978, le partenaire de Renault pour la production des Rodéo change de nom et abandonne le nom d’ACL pour le patronyme de son fondateur : Teilhol. En 1979, la R6 Rodéo voit sa carrosserie redessinée, dans un style sensiblement plus moderne (mais pas vraiment plus élégant pour autant). La face avant étant, à présent, constituée d’un « bloc » intégrant les phares (empruntés à la Renault 14) et les clignotants ainsi que la calandre. Elle reçoit également un nouveau quatre cylindres, à la cylindrée augmentée (1 289 cc), mais dont la puissance reste, elle, presque identique à la mécanique précédente (perdant même 2 ch en moins dans l’opération).
Les Rodéo R4 et R6 se verront, toutefois, déclinées dans une intéressante version à quatre roues motrices conçues par Sinpar (initiales de la Société Industrielle de Production et d’Adaptation Rhodanienne), une société spécialisée, entre autres, dans la transformation de modèles de la gamme Renault (aussi bien les véhicules utilitaires que les voitures de tourisme) en véhicules tout-terrains. Ces versions 4×4 ne représentant, toutefois, qu’une part infime de la production.
Si les deux premiers modèles de la gamme Rodéo cohabiteront, sans trop de soucis, au catalogue de la firme au losange durant huit ans, elles quitteront toutes les deux la scène au début de l’automne 1981. Elles sont alors remplacées par un seul nouveau modèle, la R5 Rodéo.
Malgré ce que son « matricule » pourrait laisser penser, elle ne reprend, pas du tout la plateforme de la Renault 5 et reste toujours basée sur celle de la R4 (plus sur la version fourgonnette, comme cela avait été le cas pour la Rodéo originelle, mais sur celle de la berline dans sa version GTL). Sur le plan mécanique, elle reprend toutefois le moteur 1 108 cc de 34 chevaux qui équipait la première version de la R6 Rodéo.
Afin d’assurer une rigidité optimale (ou, tout du moins, qui soit la meilleure possible) à la voiture, Raoul Teilhol va alors concevoir une structure tubulaire qui complétera ainsi la plateforme empruntée à la R4 et sur laquelle viendront se fixer les panneaux en polyester qui composeront la carrosserie. Deux versions de la Renault 5 Rodéo sont proposées : la Quatre Saisons, bénéficiant d’un habitacle entièrement fermée, avec portières, vitres coulissantes et pavillon de toit fixe. L’autre version étant baptisée la Plein Air, une appellation déjà utilisée par Renault dans les années 60, pour désigner une version décapotable et dépourvue de portes de la R4. A l’image de cette dernière, la version Rodéo du même nom sera dépourvue de portières à l’avant, mais conserve, toutefois, une cellule arrière ainsi qu’un pavillon de toit identique à ceux de la 4 Saisons.
S’agissant des teintes de carrosserie, toutefois, le client n’a guère le choix, puisqu’il n’y a qu’une seule couleur disponible et, en outre, que celle-ci changera presque à chaque millésime. Si, à son lancement, la R5 Rodéo est ainsi de couleur orange, il deviendra verte pour l’année-modèle 83, adoptera ensuite une teinte ocre pour le millésime 84, avant de prendre, finalement, une teinte ivoire en 1985, qu’elle conservera alors jusqu’à la fin de sa production.
Si, en ce qui concerne son architecture technique, à l’image des anciennes R4 et R6 Rodéo, elle conserve une transmission sur les seules roues avant, de tous les modèles de la lignée Rodéo, elle est sans doute, esthétiquement, celle qui est la plus réussie. Contrairement à celles qui l’ont précédé, elle cesse, en effet, de vouloir copier la ligne de la Méhari et adopte un style nettement plus personnel, lui donnant un peu l’aspect d’un baroudeur. Renault n’hésitera d’ailleurs pas, à l’époque, dans certaines de ses publicités, à la faire poser en compagnie de la Jeep CJ (la firme au losange avait, en effet, racheté, en 1979, le groupe American Motors Corporation qui était alors propriétaire de la marque). Ce qui, comme expliqué plus haut, pouvait apparaître quelque peu osé, étant donné que les aptitudes de la R5 Rodéo en dehors des sentiers battus étaient à cent lieues de celle des Jeep américaines !
Malheureusement pour Renault ainsi (avant tout et surtout) pour Teilhol, cette Rodéo troisième du nom ne connaîtra pas un meilleur succès commercial que ces deux devancières. Après cinq années d’une carrière très (voire bien trop discrète, pour ne pas dire assez terne et sans guère d’éclats), Renault décide, en 1986, de résilier le contrat que la marque avait conclu avec André Teilhol seize ans plus tôt.
Il est vrai qu’au milieu des années 80, il est vrai que le constructeur au losange a d’autres projets ainsi que d’autres priorités et aussi d’autres soucis. Celui-ci fait alors face à une dette abyssale (qui avait d’ailleurs déjà coûté sa place, début 1985, à son PDG, Bernard Hanon) et ses successeurs, Georges Besse (qui sera assassiné par le groupe terroriste Action Directe fin 1986) et Raymond Lévy auront fort à faire afin de parvenir à effacer l’ardoise.
Pour cela, ce dernier va décider d’opérer une sorte de « grand nettoyage par le vide », qui passera par la cessation des activités ou la revente de tous les départements et les filiales insuffisamment rentables. (La première à figurer sur la liste étant AMC). Dans ces conditions, il est clair que pour la nouvelle direction de Renault, le partenariat conclu plus d’une quinzaine d’années auparavant avec Teilhol est sans doute le cadet de leurs soucis. Pour ne pas dire que celle-ci n’a que faire d’une « anti-Méhari » qui, contrairement, à cette dernière n’a jamais parvenu à inquiéter (un tant soit peu) cette dernière et donc à trouver son public.
C’est donc, quasiment, sur la pointe des pieds (ou, plutôt, des roues) et dans une indifférence presque générale que l’ultime Rodéo disparaît du catalogue Renault à la fin de l’année-modèle 1986. En seize ans de carrière et en faisant l’addition de la production des différents modèles à avoir porté le nom de Rodéo chez Renault, il n’y aura eu, en tout, qu’environ 60 000 exemplaires qui seront sortis des ateliers de Teilhol. A comparer aux près de 145 000 exemplaires de la Méhari qui auront été produits en près de vingt ans (entre 1968 et 1987) !
Comme l’on peut aisément s’en douter, la principale victime de la fin de la production des Renautl Rodéo sera, évidemment, Raoul Teilhol lui-même. Ce dernier, n’ayant alors plus rien à produire, se voyant même contraint de déposer le bilan, peu de temps après que la firme au losange lui ait, brutalement, signifié la fin de leur partenariat.
Teilhol n’est toutefois, pas encore résigner à déposer les armes et entend donc bien parvenir, tôt ou tard et d’une manière ou d’une autre, à rebondir. Il tentera alors de nouer un nouveau partenariat avec Citroën pour la production, cette fois sous son propre nom, de la Tangara, une nouvelle voiture de loisir dans le même esprit que la Méhari (dont la production venait d’être arrêtée en 1987) ainsi que des Renault Rodéo, mais sans guère plus de succès. Ce qui obligera alors Raoul Teilhol à mettre, définitivement, la clé sous la porte en 1990.
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
En vidéo https://www.retropassionautomobiles.fr/2020/07/citroen-mehari/
La MEHARI https://www.retropassionautomobiles.fr/2020/07/citroen-mehari/