PEUGEOT 601 – La lionne infortunée.
Si, du temps de ce que l’on appellera la « Belle Epoque » ainsi, par la suite, de la période des « Années Folles », la marque au lion présentait un catalogue assez large, voire même pléthorique, au sommet de la gamme, d’imposants modèles de prestige qui n’avait sans doute rien à envier aux Delaunay-Belleville, Lorraine-Dietrich, Rochet-Schneider et autres. Dans le courant des années 1920, toutefois, les modèles de prestige de Peugeot commencent, de plus en plus, à marquer le pas face aux nouvelles références de la catégorie, à savoir Delage, Hispano-Suiza. La dernière représentante de la lignée, la 184, ne sera produite qu’à un peu plus de trente exemplaires à peine, entre 1928 et 1929, avant que les dirigeants de Sochaux ne décident, finalement, de jeter l’éponge et d’abandonner le marché des automobiles de grand luxe. Ayant fini par considérer (à juste titre, sans doute), qu’étant donné l’image de constructeur « généraliste » qui collait désormais à la tôle de ces modèles, celle-ci risquait fort de dévaloriser les modèles de « classe supérieure » qu’elle pourrait par la suite. La clientèle d’élite, dans sa grande majorité, préférant, en effet, désormais, s’offrir un modèle d’un constructeur officiant exclusivement sur le marché des voitures de prestige.
En ce qui concerne le marché des modèles de gamme dite « intermédiaire » ou, pour être plus précis ou employer un terme plus actuel, ceux de catégorie « moyenne supérieure », en ce début des années 1930, Peugeot n’y est plus présent que de manière « sporadique ». En 1928, la marque présentera la 183, aussi appelée la 12 Six, aux ambitions, toutefois, nettement plus modestes que la 184, puisque, si son capot abrite, certes, un 6 cylindres en ligne, celui-ci n’affiche qu’une cylindrée de 2 litres et une puissance de 38 chevaux. Destinée à concurrencer les Delahaye, Hotchkiss et autres, la Peugeot 12 Six verra toutefois, assez rapidement, sa carrière quelque peu « plombée » par des problèmes de fiabilité, le moteur coulant en effet ses bielles assez fréquemment. Malgré une réputation qui sera donc quelque peu « écornée », la 12 Six de parvenir à s’écouler à plus de 10 000 exemplaires, malgré une carrière qui n’aura, pourtant, duré que quatre ans à peine. Un score, certes, très enviable, mais qui ne l’empêchera, toutefois, pas d’être retirée du catalogue à la fin de l’année 1931, sans être remplacée. Tout du moins, dans l’immédiat.
Après l’arrêt de la production de la 12 Six, la gamme du lion ne comporte, ainsi, plus que des modèles à quatre cylindres : la 201 ainsi que la nouvelle 301, qui fera son apparition située un cran au-dessus . C’est en 1929 qu’est apparu le premier modèle à porter la dénomination à trois chiffres avec un zéro central, qui, près d’un siècle plus tard, est toujours en application aujourd’hui. Pour la direction du constructeur franc-comtois, après avoir tourné la page du très haut de gamme, le secteur du milieu de gamme, de son côté, n’apparaît alors, clairement plus, comme une priorité. D’autant que la crise économique, qui a éclaté aux Etats-Unis, cette même année 1929, et dont les effets commencent aussi à s’étendre à l’Europe, n’incite guère Peugeot à y consacrer une grande partie de ses ressources, mais, bien, au contraire, à focaliser ses efforts sur l’automobile populaire. Ce qui explique aussi la raison pour laquelle, jusqu’à l’automne 1934, la firme au lion n’offrira que ces deux modèles à son catalogue.
Ce n’est, en effet, qu’à l’automne de cette année-là que celui-ci s’élargit à nouveau, avec, outre la présentation de la 401, celle d’un nouveau haut de gamme bénéficiant d’une mécanique à six cylindres : la 601. Sur le plan esthétique, celle qui endosse donc le rôle (prestigieux, mais parfois, aussi, délicat ou pas toujours confortable) de « porte-drapeau » de la gamme Peugeot ne suscite guère de surprise au sein du public. Et pour cause, puisque, quelle que soit la carrosserie concernée, elle reprend la ligne générale de ses aînées. En fait, s’il n’y avait une longueur de capot ainsi que d’empattement plus importante, il serait facile de la confondre avec une 301 ou une 401.
Sous son capot, justement, le moteur que l’on retrouve est donc un six cylindres en ligne, encore équipé, à l’image de la grande majorité des modèles de la production française de l’époque (qu’il s’agisse des modèles populaires ou des voitures de prestige), d’une distribution à soupapes latérales (aussi bien pour l’admission que pour l’échappement). Citroën sera le premier grand constructeur français à se convertir, à la même époque, aux soupapes en tête avec sa révolutionnaire Traction Avant. Renault, quant à lui, jusqu’au déclenchement de la guerre, restera fidèle aux soupapes latérales. Avec une puissance de 60 chevaux pour une cylindrée de 2,1 litres (2 148 cc, très exactement), le moteur de la 601 n’est, certes, pas un « foudre de guerre » et délivre une puissance « honnête », mais sans plus.
Même s’il est vrai, en tout état de cause, que le nouveau « vaisseau amiral » du lion n’a aucune vocation « sportive » et que son objectif est de tenter de séduire une clientèle « bourgeoise » et de « grappiller » ainsi des parts de marché à des firmes telles que les Hotchkiss, Matford (avec les modèles à moteur V8 Ford) ainsi que la Renault Vivastella. Les performances se voyant fortement grevées par un poids à vide affichant, au minimum, entre 1 180 et 1 250 kg et, même, jusqu’à 1 400 kg (le poids à vide et donc, assez logiquement, la vitesse de pointe, variant suivant le type de carrosserie, le coach ou le roadster monté sur le châssis « court » affichant, évidemment, moins de kilos sur la balance que les berlines et conduites intérieures sur le châssis long).
En conséquence, il n’est guère étonnant que la vitesse de pointe se retrouve quelque peu limitée. Ceci, alors que ses rivales atteignent, sans grande difficulté, la barre des 120, voire, pour certaines d’entre-elles, 130 km/h, la Peugeot se trouve donc, sur le plan des performances, clairement désavantager face à la concurrence. Il est vrai qu’avec ses carrosseries les plus lourdes (berline ou limousine) sur châssis long (deux longueurs d’empattement sont, en effet, proposées, l’une de 2,98 m, l’autre de 3,20 mètres), la 601 atteint à peine 105 à 110 km/h. Ce qui, bien évidemment, ne facilite pas la tâche de la mécanique, robuste, certes, mais, comme mentionné plus haut, peu développée.
En tout cas, bien conscients, en revanche, du rôle de « porte-étendard » de la marque qu’elle va devoir endosser, les dirigeants de Sochaux ont prévu, dès son lancement, de décliner la Peugeot 601 dans une large gamme de carrosseries en tous genres, lui permettant de répondre ainsi à tous les goûts et à tous les besoins : berline « classique » ou « aérodynamique », limousine, coach « sport » ou « profilé » et roadster. Etant donné la carrière assez courte qu’elle connaîtra, la 601 ne connaîtra que fort peu de changements. La seule évolution notable qui mérite d’être mentionnée étant, à l’occasion de l’année-modèle 1935, le rallongement de l’empattement, lequel passe à 3,07 m pour la version « normale » et à 3,42 mètres pour la 601 « Longue ». Le modèle recevant également, à cette occasion, la nouvelle appellation 601 D.
Sur le plan esthétique, les lignes se veulent plus aérodynamiques, avec, entre autres, des ailes plus allongées et bombées, la calandre et le pare-brise sensiblement plus inclinés ; tout comme la partie arrière, qui, elle aussi, s’allonge davantage. Une évolution esthétique qui sera également appliquée aux autres modèles de la marque et qui annonce, par certains côtés et sous certains angles, la future lignée des productions de la marque au lion. La direction avait donné comme consigne au bureau de style, s’agissant de la plupart des carrosseries, de se « contenter » de transposer (bien qu’à une échelle plus grande) les lignes des carrosseries montées sur les 301 et 401. Ceci, sans doute dans une volonté évidente que (surtout vus de l’avant, mais également quelque soit l’angle sous lequel elles étaient vues) les différentes carrosseries habillant le châssis de la 601 puissent clairement être identifiées comme étant des productions de la marque au lion.
Si « l’air de famille » était donc bien marqué, le revers de la médaille était, toutefois, que, à moins d’avoir l’oeil pour mesurer « à vue de nez » la longueur du capot et de l’empattement, lorsqu’ils regardaient la voiture de profil, ou de se trouver face à la « proue » (afin de pouvoir, ainsi, voir les trois chiffres « 601 » qui figuraient en dessous du nom « Peugeot » dans l’emblème en forme de bouclier placé sur la partie supérieure de la calandre) il était presque impossible de différencier une 601 d’une 401.
Plus qu’aucune des carrosseries mentionnées ci-dessus, la version la plus originale et réussie et donc la plus désirable, mais aussi la plus rare de la 601 reste, toutefois, la version baptisée Eclipse, laquelle n’était rien moins que l’ancêtre des coupés-cabriolets qui feront fureur à partir de la fin des années 90 et dont l’une des représentantes les plus emblématiques du genre ne sera autre qu’un autre modèle Peugeot, lequel peut se présenter, bien que de manière « indirecte », comme sa lointaine descendante : la 206 CC.
Pour en revenir à la 601 Eclipse, il s’agit donc, tout comme ce qui sera le cas sur la version coupé-cabriolet de la 206, d’un coupé dont le toit, grâce à un système électrique, peut se replier dans le coffre. Proposées également par Peugeot sur la 401, les lignes de l’Eclipse furent créées par Georges Paulin, qui, s’il était un styliste fort doué, exerçait, avant tout, comme principale activité le métier de… dentiste ! Réalisée, pour les deux modèles Peugeot, dans les ateliers du carrossier Marcel Pourtout, au vu d’un prix de vente assez dissuasif, l’Eclipse ne connaîtra, d’un strict point de vue commercial, qu’une carrière assez marginale. S’agissant de la version réalisée sur la base de la 601, la production se limitera, en tout et pour tout, à 21 exemplaires. Peugeot reprendra, par la suite, le nom ainsi que le concept de l’Eclipse sur la 402 (d’abord avec un système électrique, avant de passer au tout mécanique et manuel, pour des raisons de coûts), mais avec une carrosserie réalisée, cette fois, entièrement par l’usine.
La présentation, au Salon de l’automobile de Paris d’octobre 1935 de la nouvelle 402, qui sera le premier d’une nouvelle lignée de modèles Peugeot, laquelle recevra le surnom de « Fuseau Sochaux » et qui se maintiendra au catalogue du constructeur jusqu’en 1949, marquera, toutefois, la fin de la carrière de la 601. Laquelle quittera alors la scène quelques mois plus tard, au début de l’année 1936, sans laisser de descendance directe au sein de la gamme Peugeot. De tous les modèles produits par la marque au lion durant l’entre-deux-guerres, la 601 est certainement celle (ou, en tout cas, l’un de ceux) qui aura connu la carrière la plus courte : moins de deux ans à peine !
Si celle-ci explique sans doute, en partie, sa faible production (un peu moins de 4 000 exemplaires, en tout et pour tout), son échec commercial, assez cinglant, s’explique également, comme décrit plus haut, par un rapport poids/performance défavorable ainsi que l’image, désormais, devenue trop floue ou « fanée » de Peugeot sur le marché des voitures de haut de gamme (même au sens large). Face à ce nouveau revers, après celui de la 184 et de la 12 Six, il n’est, dès lors, guère surprenant que la firme de Sochaux ait préféré « jeter l’éponge ». Celle-ci estimant alors qu’elle n’avait plus guère de chances au sein d’un segment dont les constructeurs « premiums » (même si ce terme n’avait pas encore été inventé à l’époque) avaient fait leur « chasse gardée ». Mais également qu’avec le succès remporté par la nouvelle 402, ainsi que les deux autres modèles de la lignée, les 302 et 202, elle n’avait plus besoin d’élargir sa gamme vers le haut.
Peugeot étant parvenu, grâce à ses modèles populaires, largement plébiscités par le public, à se hisser au sommet de l’échelle des constructeurs français (en termes de chiffres de production), au même niveau (ou presque) que Citroën et Renault. Dès lors, autant laisser la production des voitures de prestige aux constructeurs spécialisés dans ce marché très (voire devenu trop élitiste) pour lui. D’autant que le déclin que connaîtront les marques françaises de luxe à partir du début des années 50 et leur disparition au cours de cette même décennie n’incitera, évidemment, pas le lion de Sochaux à tenter à nouveau l’aventure.
Avant que l’air ainsi que la prospérité retrouvée des « Trente Glorieuses » ne convainque, finalement, Peugeot, après presque quatre décennies « d’abstinence », à succomber, à nouveau, au « cant des sirènes ». En s’alliant, cette fois, à l’un de ses principaux rivaux, Renault, à travers une filiale commune, La Française de Mécanique, installée à Douvrin et spécialisée (comme son nom l’indique) dans la production de moteurs qui équiperont les modèles (non seulement les voitures de tourisme, mais aussi les utilitaires) des deux marques. Un partenariat qui, dans cet objectif d’un retour sur les marchés du haut de gamme (plus précisément, celui des berlines grandes routières, sans doute par lassitude de voir les constructeurs germaniques y tenir « le haut du pavé ») qui donnera naissance au célèbre V6 PRV.
Même s’il n’était pas dépourvu de qualité, le nouveau vaisseau amiral du lion, la 604, en dépit d’un peu plus de 153 000 exemplaires produits sur une carrière qui s’étendra, elle, sur dix ans, n’aura jamais véritablement réussie à inquiéter BMW et Mercedes, ni, encore moins, à remettre en cause leur rôle de leaders dans cette catégorie. Celles qui lui succéderont, les 605 et 607, ne connaîtront guère plus de chance, malheureusement pour elle.
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=xg7oNKD75Us&ab_channel=JEVENDSVOTREAUTO
Une autre lionne https://www.retropassionautomobiles.fr/2024/07/peugeot-305-un-lion-sans-les-crocs/