CITROËN C6 (1928 – 1932)- Le premier six cylindres des chevrons.
En 1928, Citroën n’a pas encore atteint sa première décennie d’existence (la marque aux chevrons ne soufflera, en effet, sa dixième bougie que l’année suivante). Pourtant, il ne lui a pas fallu longtemps et, même, quelques années seulement pour devenir un acteur incontournable, pour ne pas dire l’un des poids lourds de l’industrie automobile française. Une réussite éclatante qui n’a, évidemment, pas manqué d’en agacer plus d’un, au premier rang desquels celui qui deviendra le principal concurrent du constructeur de Javel, Louis Renault.
L’une des clés essentielles du succès d’André Citroën est que ce dernier fut le premier à avoir mis en application, en tout cas intégralement, le principe de la production à la chaîne initiée par Henry Ford aux Etats-Unis. Si certains constructeurs français (dont Renault) avaient, certes, déjà expérimenté certaines de ces méthodes dans les années qui ont précédé le déclenchement de la Première Guerre mondiale, c’est bien Citroën qui, le premier, l’appliquera à tous les processus de la production d’une automobile.
Un pari qui, au lendemain de la fin de la Grande Guerre, pouvait semblé assez risqué, mais qui se révélera, toutefois, rapidement et largement, gagnant : le premier modèle de la marque aux chevrons, le Type A, présenté à l’occasion du Salon automobile de Paris, à l’automne 1919, étant, en effet, le modèle le moins cher de la production française de l’époque ! L’arrivée de ce nouveau venu au sein du paysage automobile français, ainsi que de ces nouvelles méthodes de production, ne restera évidemment pas sans conséquence, déjà à moyen terme, sur la concurrence.
De nombreux constructeurs, notamment parmi ceux que l’on qualifierait aujourd’hui de « généralistes », jusqu’ici attachés à des méthodes de fabrication restant, en grande partie, entièrement artisanales, se voyant, bientôt, obligés de faire un choix. Celui-ci se présentant se résumant à deux options : Soit s’orientier, eux aussi, vers la production de voitures populaires en grande série (une reconversion nécessitant, toutefois, des investissements conséquents pour s’équiper de l’outillage adéquat, ce que beaucoup des constructeurs concernés ne peuvent se permettre). Ou alors continuer à travailler « à l’ancienne », mais en devant alors se concentrer sur la production de voitures de luxe. Ceux qui refuseront, ou qui ne sauront pas choisirent à temps se retrouvant alors, bientôt, en sérieuses difficultés, la crise économique mondiale qui éclatera en 1929 leur portant le coup de grâce.
Pour en revenir à André Citroën et à la marque automobile qu’il a fondée au lendemain de la Première Guerre mondiale, le succès remporté par le Type A et les modèles qui vont succéder à celui-ci l’incite bientôt à élargir sa gamme vers le haut et d’aller, ainsi, chasser sur les plattes bandes de constructeurs comme Delahaye, Hotchkiss ainsi, même, que Peugeot et Renault. Il faut, en effet, rappeler que durant cette décennie qui sera surnommée « les Années Folles », les marques au lion et au losange proposaient des gammes assez pléthoriques, avec, en haut de gamme, d’imposants modèles à six (et, même, s’agissant de Renault, à partir du début des années 1930, à huit) cylindres.
Il est donc compréhensible, voire assez logique, qu’André Citroën souhaite désormais ne plus se contenter de la clientèle populaire et aller « prospecter sur des terres nouvelles ». Lors du Salon qui ouvre ses portes en octobre 1928, la gamme de la marque aux chevrons est entièrement renouvelée, avec la présentation, simultanée, de la C4 et de la C6. S’agissant de cette dernière, elle est donc destinée à la clientèle de ce que l’on pourrait appeler la « bourgeoise moyenne ». Une clientèle composée, essentiellement, d’avocats, notaires, médecins, hauts fonctionnaires et autres cadres supérieures. En clair, une clientèle de gens qui, sans pouvoir, pour autant, être qualifiés de « nantis », n’en affichent pas moins une certaine réussite sociale.
C’est à eux qu’entend s’adresser la C6, qui, comme son appellation l’indique assez clairement, n’est rien moins que la première Citroën équipée d’un moteur à six cylindres. Bien qu’elle apparaisse, aux yeux de la clientèle de l’époque, assez cossue pour une Citroën, elle n’en demeure pas moins un modèle de catégorie « intermédiaire », avec sa puissance fiscale de 14 CV (en comparaison, la très élitiste Hispano-Suiza H6C atteignait, quant à elle, les 46 CV fiscaux). En outre, toujours grâce aux méthodes de production en grande série qui avaient si bien réussi à André Citroën, les modèles de la nouvelle gamme C6 affichent des prix souvent nettement inférieurs à ceux de leurs concurrentes.
L’un de ses rares vrais défauts, mais qui n’est pas négligeable dans cette catégorie où les apparences et donc la présentation extérieure des modèles qui y sont proposés, constituent l’un des critères prépondérants, est que la nouvelle C6 ressemble trop à sa « cousine » plus populaire, la C4. Il n’y a, en effet, guère qu’un capot sensiblement plus long, ainsi que l’inscription « Six » sur la calandre qui permettent de différencier un modèle de la gamme C4. Ce qui représente un handicap non négligeable au sein du segment dans lequel s’inscrit le nouveau modèle haut de gamme de la marque. Ce dont André Citroën lui-même prend, assez rapidement, conscience, en demandant alors aux hommes de son bureau d’études de corriger, très vite, le tir.
C’est pourquoi, sept mois seulement après son lancement, alors que l’année-modèle 1929 n’est pas encore arrivée à son terme, une nouvelle version de la C6 voit le jour, laquelle reçoit la dénomination C6E (E pour Elargie, celle-ci gagnant, en effet, 7 cm de plus en largeur par rapport à la C6 originelle). Outre le montage en série de pare-chocs avec l’ensemble des carrosseries (sur la version précédente, certaines en étaient, en effet, dépourvues, la législation de l’époque n’obligeant pas encore que toutes les voitures en circulation en soient équipées), celles-ci reçoivent, là aussi en série, une malle pour les bagages sur toutes les carrosseries fermées ainsi que les torpédos. La C6E ne connaîtra, toutefois, qu’une carrière fort éphémère, puisqu’elle durera quatre mois à peine, ce qui explique aisément que seuls 4 500 exemplaires environ en aient été produits, contre 11 000 pour la première version de la C6.
La C6E étant remplacée, dès l’automne 1929, par la C6F, laquelle bénéficie d’une voie encore (sensiblement) élargie, passant de 1,39 m à 1,42 mètre. Il est toutefois assez difficile (en tout cas, pour un oeil non exercé) de parvenir à différencier la C6F de l’ancienne C6E, les changements sur le plan esthétique se comptant, en effet, sur les doigts d’une main. C’est, avant tout, du point de vue technique que les changements seront les plus importants, avec le montage d’une nouvelle boîte de vitesses, de nouveaux silentblocs et amortisseurs ainsi que d’un nouveau démarreur. De toutes les versions de la Citroën C6, la C6F sera celle qui connaîtra l’existence la plus longue, même si sa carrière ne durera, toutefois, en tout, que le temps de deux millésimes : 1930 et 1931.
En février 1931, une version encore plus cossue de la C6 fait son apparition au catalogue : la CGL (CGL pour Citroën Grand Luxe). Outre une finition et un équipement encore enrichis, les modèles de la série CGL bénéficiaient également d’une motorisation dont la puissance passe de 45 à 53 chevaux. Extérieurement, les C6 CGL se reconnaissent à leur calandre spécifique arborant des lamelles chromées ainsi que leur capot où les fentes verticales se voient remplacées, pour l’aération du moteur, par des volets pivotants (permettant ainsi, suivant les circonstances, de faire entrer de l’air frais dans le compartiment moteur ou d’évacuer l’air chaud dégagé par la mécanique).
Le Salon de l’automobile qui ouvre ses portes en octobre 1931 sera le dernier pour la C6, laquelle reçoit alors la nouvelle appellation de C6G. Les modèles de la série C6G se reconnaissant au logo avec le double chevron surmonté d’un signe apposé au sommet de la calandre, ainsi qu’à leurs pare-chocs simplifiés, constitués, désormais d’une seule lame épaisse, alors que ceux de la précédente série C6F, quant à eux, se voyaient équipés de pare-chocs à doubles lames. Ceux-ci bénéficiant d’une nouvelle innovation technique baptisée le « moteur flottant », en référence au niveau système de fixation et de suspension du moteur, permettant de réduire fortement les vibrations engendrées par celui-ci et apportant donc plus de silence et un meilleur agrément de conduite. Un système qui sera repris par la suite sur les célèbres Tractions Avant qui verront le jour en 1934.
Sous le capot, le six cylindres en ligne voit sa cylindrée portée à 2 650 cm3 et sa puissance à 50 chevaux, même si les performances ne profiteront, toutefois, guère de (faible) gain de puissance, celle-ci ne passant, ainsi, que de 105 à 110 km/h. En tout cas avec les carrosseries les plus lourdes, telles que les berlines à six glaces latérales. Les carrosseries ouvertes, telles que les roadsters ou torpédos, plus légères, bénéficiant probablement d’une vitesse de pointe sensiblement supérieure. Le catalogue de la marque à l’époque n’offrant au client que l’embarras du choix, avec jusqu’à dix ou onze carrosseries différentes. Outre celles réalisées au sein de l’usine du Quai de Javel, Citroën proposait également au sein de la gamme C6, des carrosseries hors série, réalisées de manière artisanale et produites en petites séries par des carrossiers indépendants, à l’image de VanVooren, Chapron, SICAL et d’autres.
La carrière de la Citroën C6 prenant fin avec la présentation, lors du Salon d’octobre 1932, de la nouvelle 15 CV, appartenant à la génération de modèles qui seront surnommés les « Rosalie ».
Bien que la C6 ait été produite à plus de 61 200 exemplaires (toutes séries et modèles confondus), ce résultat final restera, toutefois, een dessous du résultat escompté par André Citroën. Un résultat commercial en « demie-teint » qui s’explique sans doute par le fait qu’il s’agissait, justement, du premier modèle haut de gamme de la marque et que la C6, dépourvu de véritable « ascendance » (c’est à dire, au sein de la gamme Citroën, de modèles qui l’avaient précédé) manquait donc, aux yeux d’une partie assez importante de la clientèle visée, d’une certaine « légitimité » dans sa catégorie. Sans compter le fait qu’à la fin des années 1920 et au début des années 30, la Citroën C6 se retrouva confrontée à une concurrence fort nombreuse et donc rude. Aussi bien de la part des autres grands constructeurs français, tel que Peugeot avec la 12 Six et Renault avec la Vivasix, que des marques plus artisanales, telles que Delage, Delahaye, Hotchkiss, Talbot et autres.
Au vu de sa carrière plus brève encore, qui prendra fin avec le lancement de la nouvelle gamme des Tractions Avant en 1934, la « Rosalie » 15 CV n’aura guère eu le temps de se faire une place au sein du paysage automobile français du début des années 1930. Suite aux bouleversements que connaîtra le constructeur (la liquidation de Citroën à la fin de l’année 1934, suite aux difficultés financières ayant émaillé la conception ainsi que les débuts de la carrière des Tractions et la reprise de la firme par Michelin), il faudra attendre fin 1938 pour voir le lancement de la descendante des C6 et Rosalie 15 : la Traction 15 Six.
Philippe ROCHE
Photos Wkimedia
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=aoz-EjXhG18&ab_channel=Passionn%C3%A9mentCitro%C3%ABn
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