FORD VEDETTE – Une Ford américaine pour les Français.
A l’image de la grande majorité des constructeurs français, la filiale française de Ford reprend la production de ses modèles d’avant-guerre. Les visiteurs du Salon automobile qui ouvre ses portes en octobre 1946 ne sont guère surpris lorsqu’il découvre le modèle qui est exposé sur le stand de celle qui se nomme désormais Ford SAF. La marque Matford (née de l’alliance entre le constructeur alsacien Mathis et le géant américain Ford) ayant, en effet, disparue en 1940, au début de la Seconde Guerre mondiale. La Ford V8-F472 qui est exposée au Salon n’étant, en effet, rien d’autre que l’ancienne Matford d’avant-guerre.
Il est vrai que les premières années de l’après-guerre sont difficiles à de nombreux points de vue et l’acquisition d’une voiture neuve (même celle d’une Peugeot 202, d’une modeste Simca Cinq ou de la nouvelle Renault 4 CV) représente quasiment un luxe encore inaccessible pour la plupart des Français. Même si elle ne figure pourtant pas parmi les plus imposantes ni les plus chères de toutes les voitures françaises de l’époque, la Ford V8 est pourtant vue, par une grande partie du public, presque comme une voiture de luxe !
Plus que le modèle en lui-même, la grande nouveauté est qu’elle ne sort, à présent, plus de l’ancienne usine Mathis de Strasbourg, mais d’un nouveau site d’assemblage situé à Poissy, dans le département des Yvelines. Si la construction de celui-ci avait début à la fin des années 1930, celle-ci fut interrompue par la guerre et ce n’est qu’à la Libération que celle-ci sera entièrement achevée et pourra véritablement entamé la production d’automobiles.
Bien que la production des anciennes Matford se poursuit donc, les voitures d’après-guerre ne sont destinées, dès la reprise des activités de l’usine de Poissy, qu’à être des modèles de transition en attendant que la conception de celle qui sera la première Ford française de l’après-guerre soit achevée. A l’origine, celle-ci n’était, d’ailleurs, pas destinée à être produite en France, mais bien à la clientèle américaine.
A la fin de l’été 1945, alors que la guerre venait à peine de s’achever en Europe, le directeur de la filiale française, Maurice Dollfus, s’était rendu au siège de la maison-mère, à Dearborn, près de Detroit, afin de rencontrer le nouveau grand patron, Henry Ford Junior, petit-fils du fondateur, Henry Ford Senior, afin de discuter avec lui de l’avenir de la filiale française. C’est là-bas, en visitant le bureau d’études du groupe, qu’il découvrira le projet d’une petite voiture populaire dont les premières études remontaient au début de la décennie. L’Amérique venait d’entrer en guerre contre l’Allemagne et contre le Japon, après l’attaque de Pearl Harbor.
Or, au sein de l’état-major de Ford, comme de celui de l’US Army et l’administration du président Roosevelt, personne n’aurait alors su dire combien de temps cette guerre durerait, ni, même, quel serait l’état de l’Amérique, une fois le conflit terminé. Certains, au sein des uns comme des autres, craignant probablement sans doute qu’elle ne connaisse un état économique assez proche de celui du début des années 30, durant les années les plus noires de la Grande Dépression. Fort heureusement, pour les citoyens comme pour les constructeurs américains, cela ne sera pas le cas, puisqu’au sortir du conflit, l’Amérique connaîtra une prospérité qu’elle n’avait plus connue depuis la crise économique survenue en 1929.
En conséquence, le groupe Ford peut donc continuer à produire ses imposants modèles à six et huit cylindres, comme elle le faisait avant le début des hostilités. A l’image de sa filiale française, les Ford américaines de l’année-modèle 1946 seront fort similaires (en dehors de quelques détails cosmétiques et d’aménagement intérieur) à celles produites jusqu’au début de l’année 1942. Ce n’est qu’à l’occasion du millésime 1949 que la nouvelle génération entrera en scène.
Toutefois, les raisons qui décideront Ford à remettre en production, après 1945, aussi bien à Detroit qu’à Poissy, ses anciens modèles d’avant-guerre demeurent diamétralement opposées. En France, comme mentionné plus haut, le pays est ressorti exsangue, aussi bien socialement qu’économiquement et industriellement de l’après-guerre et il va sans dire que les années noires de la guerre et de l’occupation n’étaient guère propices à l’étude de nouvelles voitures. (Ce qui était d’ailleurs interdit aux constructeurs dans les conditions de l’Armistice que la France s’est vue contrainte de conclure avec l’Allemagne. Une grande partie des nouveaux modèles présentés dans les premières années de l’après-guerre ayant donc été conçus dans la clandestinité). C’est pourquoi, au vu de l’ambiance assez morose des premières années suivant la Libération, un certain nombre de constructeurs, ayant, en outre, dû mettre l’activité de leurs bureaux d’études en sommeil durant les hostilités, préféreront attendre des jours meilleurs avant de commercialiser de nouveaux modèles.
En Amérique, en revanche, c’est bien l’importance de la demande en voitures neuves (que l’ensemble des constructeurs américains avait, manifestement, sous-estimé) qui sera la raison principale de cette seconde carrière donnée par ceux-ci à leurs modèles d’avant-guerre. Etant donné les difficultés à assurer un entretien correct et régulier de leurs voitures, le parc automobile américain a, en effet, souvent fortement (et mal) vieilli durant les années de guerre. Les besoins sont donc fort importants et le pouvoir d’achat est enfin revenu à la hausse, après une douzaine d’années où la grande majorité des Américains se sont vus contraints de « manger du pain noir ». C’est pourquoi la priorité première des constructeurs de Detroit sera de faire tourner leurs chaînes de production à plein régime afin de satisfaire la demande. Sans compter qu’en plus des usines d’assemblage, les bureaux d’études des constructeurs ont dû, au cours du conflit, laisser de côté l’étude des voitures et autres véhicules civils pour celles des engins militaires. Le travail sur les nouveaux modèles ne reprenant que fin 1944, il faudra donc un certain temps pour que l’étude des nouveaux modèles soit achevée et qu’ils soient donc prêts à être commercialisés.
C’est pourquoi l’étude de celle que le regretté Edsel Ford (fils de Henry Ford Sr et père de Henry Ford Jr) voulait, à certains égards, comme une sorte de « nouvelle Ford T » est alors reléguée dans les tiroirs… Toutefois, lorsque Dollfus, au cours de sa visite à Detroit, découvre les études menées sur celui-ci, il juge que si ce modèle s’est avéré, au final, trop petit et trop « cheap » pour l’automobiliste américain moyen, il pourrait, par contre, très bien faire l’affaire pour une clientèle souhaitant une voiture statutaire et avec une carrosserie de style américain, mais au format européen. Une fois l’étude du projet racheté à la maison-mère de Dearborn, Maurice Dolfus* rentre alors en France avec celui-ci, où le projet en question et achevé par les hommes du bureau d’études de Poissy.
C’est à l’occasion du Salon de l’automobile de Paris qui ouvre ses portes en octobre 1948 que la nouvelle Ford française, baptisée Vedette, est dévoilée au public. Sur le plan esthétique, par rapport aux anciennes Matford, elle marque une véritable rupture et aussi un grand pas en avant, avec une silhouette nettement plus moderne, avec sa ligne « semi-ponton ». L’on pourrait, d’ailleurs, à ce sujet, presque parler de ligne « ponton intégral », car il n’y a guère que la partie supérieure de l’aile avant qui se détache du reste de la carrosserie et empêchent ses lignes de pouvoir véritablement cette appellation. Le fait qu’elle était destinée, à l’origine, à devenir le modèle d’entrée de gamme de la division américaine de Ford se laissera clairement deviner lorsque le public français découvrira les nouvelles Ford américaines, produites à partir de 1949. (Avant tout dans la presse automobile, car celles qui circuleront sur les routes françaises seront fort rares). Il n’y a qu’à comparer les photos de ces dernières avec la Vedette française pour constater combien les similitudes de lignes générales sont frappantes, notamment dans le traitement de la face avant.
Le modernisme de cette nouvelle Ford « made in France » semble, toutefois, s’être, en grande partie, arrêté à la partie esthétique, car, en ce qui concerne sa fiche technique, la Vedette reste fidèle, sur de nombreux points, à des solutions simples et éprouvées. Notamment en ce qui concerne sa motorisation. Le moteur que l’on retrouve sous son capot étant donc le traditionnel V8 encore équipé de soupapes latérales, conçu par le bureau d’études de Ford à Detroit et monté, pour la première fois, sur les Ford du même nom en 1932. Si, à l’époque de la gestation de la Vedette, ce type de distribution est encore la norme sur la grande majorité des modèles de la production américaine, en France, en revanche, il a déjà commencé à tomber en désuétude (Citroën et Peugeot ayant, ainsi, adopté la distribution à soupapes à tête, assurant un meilleur rendement, dès le milieu des années 1930).
Avec une puissance de 60 chevaux pour une cylindrée de 2 158 cc, le rapport ch/l ne la classe, ainsi, pas vraiment la vedette parmi les modèles les plus performants de sa catégorie à l’époque. En outre, ce V8 « latéral » souffrait de plusieurs défauts assez importants et bien connus, notamment sa propension à user rapidement ses joints de culasses. La partie suspension s’avérant, toutefois, plus moderne, plus moderne, avec, à l’avant, un système de type McPherson, équipé de ressorts hélicoïdaux, et complété par des roues indépendantes. Même s’il est vrai que celles à l’arrière, de leur côté, conservaient un essieu rigide ainsi que des ressorts à lames (bien que bénéficiant, comme sur les roues avant, d’amortisseurs hydrauliques). Il est vrai qu’en dehors des Citroënistes, la clientèle française dans son ensemble et particulièrement, sans doute, une grande partie de la « bourgeoisie » à laquelle s’adressait la Ford Vedette, demeurait assez conservatrice et demeurait donc plutôt réfractaire à l’avant-gardisme. S’agissant des carrosseries qui seront proposées sur la Vedette, si, à son lancement, seule une conduite intérieure à six glaces latérales figure au catalogue, la gamme sera complétée, à partir de 1950, par un coach ainsi qu’un cabriolet.
Au début de cette même année 1950, sans doute, en partie, à cause d’un début de carrière quelque peu décevant sur le plan commercial pour la Vedette, Maurice Dollfus quitte la présidence de Ford SAF (même s’il se voit accordé, en remerciement pour les seize années de service qu’il a passé à la tête de Ford SAF, le titre de président d’honneur. C’est sous son successeur, François Lehideux, un ancien proche collaborateur de Louis Renault, que sera commercialisé le coupé Comète, qui reprend le châssis ainsi que la motorisation de la Vedette, mais avec une carrosserie aux lignes nettement plus sportive que celles des versions deux portes de la Vedette.
Face aux ventes de la Vedette qui continuent de rester en deçà des espérances du constructeur, celui-ci fait alors concevoir une version à vocation plus populaire de la Ford française. Celle-ci, commercialisée sous le nom d’Abeille, se présentant comme une version à la présentation (intérieure comme extérieure) nettement plus austère ainsi qu’à l’équipement nettement plus réduit par rapport à la Vedette, sur la base de laquelle elle est réalisée. L’autre caractéristique principale étant sa partie arrière équipée d’un hayon s’ouvrant en deux parties (la partie supérieure, intégrant la lunette arrière, s’ouvrant vers le haut et la partie inférieure vers le bas, afin de faciliter ainsi le chargement et le déchargement des marchandises lourdes et encombrantes.
Contrairement à la berline Vedette, qui se verra sensiblement remaniée à l’été 1952, l’Abeille conservera, quant à elle, la carrosserie du modèle originel. Cette version utilitaire de la Vedette ne connaîtra guère d’évolutions significatives au cours de sa carrière. En dehors de l’apparition de quelques pièces d’accastillage chromé (tel qu’un pare-chocs avant équipé d’une paire de butoirs). A partir de 1953, il est également possible de faire retirer le montant central entre les portières, permettant ainsi de faciliter le chargement des marchandises par les côtés de la voiture. Les ultimes exemplaires, produits durant les premiers mois de 1954, se reconnaissant à leur calandre identique à celles des berlines Vedette contemporaines ainsi qu’un nuancier de teintes de carrosserie (légèrement) élargi. La seule et unique couleur disponible jusqu’ici étant, en effet, le gris foncé ! Cette version utilitaire basée sur la première version d’origine de la Vedette disparaîtra au moment de l’entrée en scène de la nouvelle génération, sans laisser de descendance au sein de cette dernière.
Comme mentionné plus haut, au milieu de l’année 1952, la Ford Vedette reçoit un léger lifting, portant, essentiellement, sur la face avant, ainsi, surtout, que sur le dessin de la partie arrière. En ce début des années 50, les berlines de style fastback, ou à « dos rond » (ainsi qu’elles sont familièrement surnommées) commencent à être passées de mode. (Même si cela n’empêchera, toutefois, pas certains modèles, comme la Peugeot 203, de conserver celle-ci jusqu’à la fin de leur carrière. En l’occurrence, s’agissant de cette dernière, jusqu’au début des années 60 !). François Lehideux ainsi que les hommes du bureau de style de Poissy jugeant (à juste titre) qu’il serait donc temps d’abandonner celui-ci au profit d’une silhouette trois volumes. La Ford Vedette devenant, dès lors, à partir de l’année-modèle 1953, une berline tricorps, une métamorphose qui, outre le fait de rajeunir ainsi la ligne de la voiture, lorsque celle-ci est vue de l’arrière, présente aussi (ou surtout ?) l’avantage d’augmenter ainsi le volume pour les bagages dans le coffre.
Sur le plan mécanique, si le modèle conserve l’antique V8 à soupapes latérales, celui-ci se voit, néanmoins, optimisé, avec une puissance portée à 66 chevaux, portant ainsi la vitesse de pointe à environ 130 km/h. Même si les performances ne sont toujours pas « transcendantes », cela lui permet, toutefois, de mieux soutenir la comparaison face à la plupart de ses rivales. Convaincu (ou conscients) que la Vedette mériterait sans doute des performances encore supérieures, Ford S.A.F présente, à l’occasion du Salon de Paris de 1953, une nouvelle version haut de gamme baptisée Vendôme. Laquelle bénéficie d’un moteur avec une cylindrée portée à 3,9 litres et la puissance à 95 chevaux, faisant, ainsi, grimper la vitesse de pointe à 145 km/h. Une mécanique certes, plus performante, mais aussi plus gourmande encore en carburant et dont le moteur (baptisé Mistral et monté, à l’origine, sur les modèles de la marque Mercury) conserve, encore et toujours, des soupapes latérales. (Il est vrai qu’à l’époque, aux Etats-Unis, les grands constructeurs ne prisaient guère l’innovation technique, Ford passait alors pour être le plus conservateur d’entre-eux. Alors que General Motors avait adopté la distribution à soupapes en tête en 1949 et Chrysler en 1951 ; Ford, de son côté, ne s’y convertira qu’en 1954). Concernant la transmission, si la Vedette reste équipée en série de la traditionnelle boîte mécanique à 3 rapports, il est, cependant, possible de faire monter, à la place, l’excellente boîte électromagnétique Cotal.
Bien qu’une nouvelle génération de la Vedette soit alors en préparation au sein du bureau d’études de Ford S.A.F, le vent commence à tourner, aussi bien à Poissy qu’à Detroit. François Lehideux étant, ainsi, entré dans le collimateur du grand patron Henry Ford II, suite au lancement du coupé Comète. Bien que ce dernier ait publiquement exprimé son appréciation pour la réussite des lignes de la voiture, il n’en sera pas moins fort courroucé d’apprendre que celui-ci avait été étudié et, surtout, commercialisé sans son approbation, ni celle de l’état-major du groupe non plus. Ainsi, sans même que l’un ou l’autre aient été mis au courant. Ce que Henry Ford Jr. (qui, à l’image de son prédécesseur et grand-père, pouvait, dans ce genre de situations, avoir une rancune fort tenace envers la personne fautive) pouvait (d’une certaine façon, à juste titre) voir cette initiative comme un acte « d’insubordination ».
En tout état de cause, la situation politique en France, ainsi que les pertes financières importantes que subit Ford S.A.F finissent par le convaincre de se séparer de la filiale française du groupe. François Lehideux se voit alors évincé et remplacé par un émissaire de Henry Ford Jr, Francis Reith. Celui-ci n’ayant, en réalité, venu depuis Detroit jusqu’à Poissy qu’avec pour seul objectif de trouver un repreneur à la filiale française dont le groupe Dearborn souhaite donc se défaire. Est-ce dû au fait que moins de dix ans (huit ans, exactement) après la fin de la guerre, le secteur automobile (à l’image du reste de l’industrie française) n’a pas encore fini de panser ses plaies consécutives aux ravages de la Seconde Guerre mondiale ? Ou que le morceau apparaissait trop et donc trop lourd à digérer (financièrement) pour la plupart des constructeurs français ? (Ou les deux?). Toujours est-il que les candidats repreneurs ne se bousculent pas véritablement. Le seul qui semble réellement intéressé par le rachat de Ford S.A.F étant Simca.
La gamme des différents modèles composant la nouvelle génération de la Vedette, présentée au printemps 1954, ne sera, dès lors, produite que durant quelques mois à peine avant de changer de logos et de marque. Cette seconde génération de la gamme Vedette continuera ainsi sa carrière, toujours sur les chaînes d’assemblage de l’usine de Poissy, mais, cette fois, sous l’égide de Simca (laquelle en profite pour faire de l’ancienne usine de Ford son nouveau « fief », l’usine « historique » de Nanterre, en banlieue parisienne, étant, en effet, devenue trop vétuste et exiguë au vu du développement que connaît alors la marque à l’hirondelle), jusqu’au début des années 60.
Philippe ROCHE
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=rJtcfWmjnAc&ab_channel=ThierryThomas-TECHNI-TACOT
Une autre Ford https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/07/ford-crestline-skyliner-1954-sous-le-soleil-de-lamerique/