ROCHET-SCHNEIDER 26 CV - L'autre fleuron lyonnais.

ROCHET-SCHNEIDER 26 CV – L’autre fleuron lyonnais.

Contrairement à ce que beaucoup pensent aujourd’hui, la région parisienne ne fut pas le seul berceau de l’industrie automobile française. Même s’il est vrai qu’il ne peut se prévaloir d’une taille comparable, tant en ce qui concerne le nombre de constructeurs que les volumes de productions, la région lyonnaise fut, elle aussi, un autre berceau de l’automobile en France. Si, lorsqu’on évoque les constructeurs de voitures dont le siège était situé au sein de la ville de Lyon, le nom de Berliet est celui qui revient le plus souvent, tant auprès des historiens que des passionnés de l’histoire de l’automobile, le nom d’un autre constructeur (qui, à l’image de ce dernier, outre les automobiles, s’illustrera aussi dans la production d’utilitaires) mérite pourtant d’être remis en lumière : Rochet-Schneider.

C’est au cours de la dernière décennie du 19e siècle, alors que l’automobile (en France comme ailleurs) n’en est encore qu’au stade « embryonnaire » qu’Edouard Rochet et Théodore Schneider décident de s’associer. Si le duo produit ses premières automobiles à partir de 1894, face au succès qu’ils rencontrent rapidement auprès de la haute société lyonnaise, leur première usine devient rapidement trop exiguë et ils se voient alors obliger de s’agrandir. En 1899, ils décident alors de faire construire une usine de la partie Est de Lyon (Chemin Feuillat, dans le troisième arrondissement dans la ville), qui sera inaugurée l’année suivante.

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Le succès des automobiles Rochet-Schneider dépasse même très vite les frontières françaises, puisque le constructeur écoule même une partie de sa production sur le marché américain. Sans doute afin de pérenniser ce succès et de s’assurer d’avoir les moyens des ambitions que ce succès à fait naître chez eux, Edouard Rochet alors la décision d’ouvrir le capital de la société à de nouveaux investisseurs. Ceci, en grande partie, contre l’avis de Théodore Schneider, ce dernier n’approuvant guère, en effet, le transfert de la société à Londres. Outre l’éloignement géographique entre les bureaux où travaillent à présent les cadres de la société, au sein de la capitale londonienne, n’aident évidemment pas à assurer la bonne marche de l’usine ainsi qu’à maintenir un lien qui soit, lui aussi, solide et efficace avec les agents de la marque, répartis aux quatre coins de l’Hexagone, mais aussi à l’étranger.

En parallèle, Théodore Schneider se voient d’abord évincé du Conseil d’administration de l’entreprise dont il était pourtant l’un des fondateurs, se voyant alors « rétrogradé » au rôle de simple directeur des ventes, avant de finir par être écarté entièrement de celle-ci en 1910. Un départ forcé qui n’empêchera, toutefois, pas le constructeur, qui, entretemps, a réinstallé son siège à Lyon, de conserver le nom de ses deux fondateurs. Il fondera alors à Besançon une nouvelle firme automobile sous son seul nom, laquelle, après le premier conflit mondial, finira par se retrouver incapable de lutter contre les grands constructeurs qui se sont convertis à la production en grande série et devront, finalement, « baisser le rideau » en 1931. Si Edouard Rochet restera encore durant quelques années au sein de celui-ci, sa marge de manoeuvre se verra, toutefois, de plus en plus réduite, notamment par la faute d’un conseil d’administration composé essentiellement de financiers tatillons qui ne se passionnent guère pour l’automobile et pour qui cette industrie n’est, au final, qu’un secteur d’investissements comme un autre.

La firme se recentrant alors sur la production de voitures de prestige, même si, à l’époque, les appellations de « voitures de prestige » et de « voitures populaires » n’ont pas encore le même sens qu’aujourd’hui, ou, même, ce qu’elles auront après la Première Guerre mondiale. Puisque, durant ces dernières années de la Belle Epoque, la voiture particulière est encore un luxe réservé aux classes les plus aisées. Les châssis sortant des ateliers lyonnais étant, non seulement, habillés par les meilleurs artisans carrossiers locaux, mais également par les meilleurs faiseurs de la place de Paris. Leur qualité parvenant même à séduire jusqu’au sommet de l’Etat français, puisqu’en 1913, le président nouvellement élu, Raymond Poincaré choisira comme principale voiture de fonction (outre une Berliet) une Rochet-Schneider 25 CV.

Le déclenchement de ce que l’on appellera la Grande Guerre, à peine un an plus tard, aura pour effet de développer fortement les activités de la branche du constructeur spécialisée dans la production des poids lourds, afin de satisfaire les besoins énormes de l’Armée française. Si cela permettra, à la fois, au constructeur lyonnais de développer fortement ses capacités industrielles, tout en devenant l’une des références dans ce domaine, il va, toutefois, en aller tout autrement en ce qui concerne sa production de voitures de luxe.

Si la nouvelle décennie qui s’ouvre, qui sera surnommée les Années Folles (l’ensemble de la société française, classes populaires comme aisées, « s’étourdissant » pour mieux oublier les années d’horreur et de souffrances de la guerre) verra pourtant les marques françaises de prestige connaître leur apogée. C’est l’âge d’or de marques comme Delage, Farman, Hispano-Suiza ou Voisin*. Toutefois, aussi gros que soit le gâteau, tout le monde n’en recevra pourtant (et malheureusement) pas une part de taille égale. La clientèle a beau être là et être nombreuse à avoir les moyens de rouler dans de superbes « carrosses » sur quatre roues, le marché de l’automobile de prestige va rapidement se retrouver saturé. Pour les hommes d’affaires, les stars du show-business ou autres, le plus dur est donc sans doute de parvenir à choisir, non seulement parmi les constructeurs auprès desquels faire l’acquisition d’un châssis, mais également parmi les carrossiers spécialisés dans la réalisation de carrosseries sur mesures.

Il est vrai que face aux modèles susnommés, devenus les plus principales références de leur catégorie, les Rochet-Schneider, même lorsqu’elles peuvent soutenir la comparaison, s’agissant du rapport cylindrée/puissance, n’en font pas moins quelque peu « pâle figure ». Il est vrai que, s’agissant de la façon de concevoir l’automobile, comme sur un certain nombre d’autres aspects, la mentalité lyonnaise est à l’opposé de la région parisienne. Ainsi, pour la direction de Rochet-Schneider, il est hors de question de verser dans une quelconque « extravagance » ou « frivolité ». Un refus d’adaptation aux nouvelles modes ainsi qu’aux desiderata de la clientèle qui aura, évidemment, pour effet de conduire, à terme, la branche automobile du groupe à sa perte !

C’est dans ce contexte quelque peu « crépusculaire » (même si ce terme peu s’employer, surtout, a posteriori) que sera présenté, lors du Salon Automobile de Paris, au mois d’octobre 1929, celui qui sera le dernier modèle de voitures de tourisme de la firme : la 26 CV Type 29500. Un modèle qui, sur le plan de la puissance fiscale, se situe dans la catégorie « poids moyens » des voitures de luxe de l’époque. (A titre de comparaison, les Hispano-Suiza H6 C et J12 atteindront, en effet, respectivement, 46 et 54 CV fiscaux !). Elle n’est d’ailleurs pas, en ce qui concerne sa motorisation, le modèle le plus imposant créé par la marque, puisque celle-ci produisit, entre 1920 et 1927, une imposante 30 CV recevant un six cylindres dont la cylindrée atteignait 6 126 cc. La 26 CV se montrant, quant à elle, sensiblement plus « raisonnable », puisque son moteur, toujours à six cylindres, ne faisait que 4 560 cc, même si elle développait une puissance sensiblement supérieure avec 85 chevaux (contre 80 pour la version la plus puissante de l’ancienne 30 CV).

Un meilleur rapport ch/l qu’elle doit sans doute à sa distribution à soupapes en tête, un choix technique encore peu répandu dans la production automobile française de la toute fin des années 1920 (en France comme ailleurs) et encore, généralement, réservé aux voitures de prestige. (Chez les grands constructeurs français, les moteurs à soupapes en tête ne feront leur apparition qu’en 1934 chez Citroën et l’année suivante chez Peugeot. Quant à Renault, il faudra attendre le courant des années 50 pour que ceux se généralisent sur les modèles de la marque au losange). A ce titre, la firme lyonnaise fera figure de pionnière, puisque ces modèles d’entrée de gamme à quatre cylindres de 14 et 20 CV en seront, eux aussi, équipés. (Bien que figurant parmi les modèles les moins chers du catalogue, étant donné les méthodes de production encore entièrement artisanales en vigueur chez le constructeur lyonnais, ces derniers étaient, toutefois, affichés à des tarifs nettement supérieurs à ceux de la plupart de leurs rivales).

Une autre singularité technique de cette ultime Rochet-Schneider est son système d’allumage, constitué de deux bougies par cylindre (alors que la plupart des voitures, même de luxe, se contentent généralement d’une seule bougie pour chaque cylindre). Les bougies étant, en outre, alimentées par un système différent de chaque côté du moteur : par bobine et distributeur du côté droit et par magnéto pour celui de gauche. Même s’il est vrai que, s’agissant du reste de sa fiche technique, la 26 CV reste fidèle à une très grande « orthodoxie » technique. Notamment en ce qui concerne les suspensions, lesquelles font toujours appel à des ressorts à lames, un pont rigide à l’arrière ainsi que des amortisseurs à friction. Même si l’on peut également noter qu’elle bénéficiait de freins, qui, bien que commandés par câbles, étaient montés sur les quatre roues (ce qui n’était pas encore le cas sur un grand nombre d’automobiles de l’époque). Un atout non négligeable, étant donné le poids « respectable » qu’atteignait souvent ce genre de modèles, surtout lorsque leurs châssis étaient habillés de lourdes carrosseries de type limousine ou coupé de ville), soit quasiment deux tonnes à vide. Ce qui, toutefois, ne l’empêchait de pouvoir atteindre une vitesse maximale située entre 120 et 125 km/h.

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Esthétiquement, à l’image de ses devancières, tous les exemplaires de la Rochet-Schneider 29500 ont été habillés par des artisans carrossiers indépendants et furent donc, à ce titre, des réalisations uniques. Toutefois, la 26 CV, ainsi que les ultimes modèles de la firme réalise durant la seconde moitié des années 1920, se différencie toutefois de ceux produits depuis la fin de la Grande Guerre par l’abandon du radiateur « trapézoïdal » taillé en coupe-vent pour une calandre plate beaucoup plus classique. Ce qui a, cependant, comme inconvénient de rendre plus difficile leur identification, en tout cas, vue de loin, si l’on ne se trouve pas face à la voiture et d’assez près pour distinguer les deux lettres « R » et « S » entrelacées dans le rectangle placé au milieu de la calandre, à hauteur des phares. Sinon, beaucoup auraient alors risqué de la confondre avec une Delage, une Hispano-Suiza ou d’autres modèles appartenant à la même catégorie.

Les effets de la crise économique, qui a éclaté à l’automne 1929 aux Etats-Unis et qui ne tardera pas à s’étendre à l’Europe. Un certain nombre d’autres constructeurs, qui n’ont pas eu la bonne idée de se diversifier (que ce soit, avant comme durant ou après la guerre de 14 – 18) dans d’autres secteurs d’activités (comme la production de moteurs d’avions ou la production d’utilitaires et de poids lourds) se retrouveront bientôt mis à terre. Si Rochet-Schneider, grâce à la production de ses camions hautement réputés, encaisse, sans trop de mal, les effets de la crise, la production de ses voitures de prestige, qui s’était déjà, progressivement, marginalisée durant cette décennie, ne représente bientôt plus qu’un infime pourcentage de l’activité du constructeur lyonnais.

ROCHET-SCHNEIDER 26 CV - L'autre fleuron lyonnais.

Tant et si bien qu’en 1931, soit deux ans à peine après la présentation de la 26 CV, la direction de la firme décide finalement de mettre fin à la production de ses luxueuses (mais sans doute trop discrètes) voitures de luxe pour se recentrer sur la production des utilitaires. Même s’il semble que la fin des activités de la branche automobile ne fut officialisée que deux ans plus tard et que la 26 CV Type 29500 continua donc (théoriquement) d’être disponible jusqu’en 1933. S’il est éventuellement possible que certains exemplaires aient continué à quitter les usines du Chemin Feuillat jusqu’à cette époque, ce furent alors, sans doute, soit des exemplaires restés invendus jusqu’à présent ou réalisés afin de liquider, ainsi, les stocks de pièces existants. Le nombre exact d’exemplaires produits restant sujet à caution et varient, même, fortement suivant les sources : d’une quarantaine d’exemplaires environ selon certaines, à moins d’une dizaine selon d’autres. Dont il ne resterait aujourd’hui que trois survivantes.

Bien que resté (tout du moins, en partie) aux commandes, Edouard Rochet voit son influence ainsi que son pouvoir de décision se réduire au fil du temps. Cette même année 1933, il abandonne alors la présidence de la firme, même s’il conservera encore une place au sein du conseil d’administration jusqu’en 1936, date à laquelle il choisit alors de quitter l’entreprise qu’il avait (co-)fondé quarante ans plus tôt. Il décédera le 12 avril 1945, moins d’un mois avant la fin de la guerre. Son ancien associé, Théodore Schneider le suivra dans la tombe cinq ans plus tard, en 1950.

Preuve que Rochet-Schneider avait comprise (ou, tout du moins, avait fini par se convaincre que son avenir passait par les utilitaires), en 1931 (l’année même où la production semble, donc, avoir pris fin), ce ne seront, ainsi, pas moins de neuf nouveaux modèles de châssis destinés à la réalisation d’autocars et de poids lourds qui seront commercialisés et quasiment autant au cours des deux années suivantes, atteignant même un point culminant en 1938, avec pas moins de seize modèles et dérivés inscrits au catalogue cette année-là. Avec une production annuelle ne dépassant guère les 500 châssis au cours de cette décennie (durant les meilleures années), celle-ci se révélait donc nettement insuffisante pour offrir du travail en suffisance aux quelques 800 ouvriers encore employés au sein des usines du Chemin Feuillat. (Comme pour ses automobiles, la firme ne produisait alors que des châssis « roulants », qui, malgré l’absence de carrosserie, étaient néanmoins, techniquement, en état de rouler). Quel que soit leur usage et donc du type de carrosseries qu’ils recevaient, ceux-ci étaient souvent habillés par des carrossiers locaux (mais parfois aussi installés en région parisienne) spécialisés dans la réalisation de véhicules industriels.

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Si, comme pour tous les constructeurs (d’automobiles comme de poids lourds et autres véhicules industriels), Rochet-Schneider souffrira, lui aussi, de la Guerre et de l’Occupation, contrairement à la plupart des autres producteurs d’autocars et de camions, la firme n’aura pas véritablement l’opportunité de profiter de « l’aubaine » que représentera les besoins énormes en véhicules industriels dans la France des premières années de l’après-guerre. La production restant trop faible par rapport au nombre d’ouvriers qui sont encore employés au sein des ateliers et des chaînes de production. Aux yeux des nouveaux administrateurs, seules deux solutions s’offrent à eux : soit un rapprochement avec le voisin et principal concurrent, à savoir Berliet… soit une liquidation pure et simple de la société. (Cette dernière hypothèse ayant d’ailleurs déjà été envisagée à deux reprises, au cours des années 1930, suite aux difficultés auxquelles l’entreprise devait déjà faire face à l’époque. Si des négociations avaient déjà été entamées avec le principal concurrent lyonnais dès 1943, alors que la France était encore occupée par les troupes allemandes, ce n’est, toutefois, que plus d’une quinzaine d’années plus tard que ceux-ci finiront par connaître un aboutissement).

A la fin de l’année 1950, la production de châssis pour les poids lourds et autocars est définitivement arrêtée. Seuls 170 véhicules quittèrent l’usine lyonnaise au cours de l’année précédente, avec un effectif qui n’était alors plus que de 400 à 500 personnes en tout. L’activité se réduisant alors à des travaux de sous-traitance dans le domaine de la mécanique générale, jusqu’à ce que Rochet-Schneider soit finalement racheté par Berliet (surtout connu pour ses poids lourds, à la robustesse proverbiale, mais qui, eux aussi, avaient produit des voitures de tourisme, dont la production avait cessé avec la Seconde Guerre mondiale) en 1959. A cette date, le personnel ne comprenait alors plus que 200 ouvriers en tout. Après que Berliet ait été absorbé par Renault au milieu des années 70, la firme au losange poursuivra la plupart des activités jusqu’en 1998. Une partie des bâtiments des anciennes usines Rochet-Schneider abritent aujourd’hui la Société d’Enseignement professionnel du Rhône.

Philippe ROCHE

La rédaction tient à remercier Yves Rebet, directeur d’ACCLC pour son aide dans la recherche des photos.

Une autre histoire https://www.retropassionautomobiles.fr/2025/01/delage-di-12-et-d6-60-lalliance-de-la-carpe-et-du-lapin/

Une Rochet-Schneider en vidéo https://www.youtube.com/watch?v=-k9JoBZM8-w

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