MOTOBLOC - Grand cru automobile.

MOTOBLOC – Grand cru automobile.

La grande majorité des constructeurs français nés lors de l’émergence de l’industrie automobile, au cours des dix ou quinze dernières années du XIXe ainsi qu’au début du XXe siècle, se sont établis dans la région parisienne ou à proximité de celle-ci. Quelques autres (à l’image de Berliet et de Rochet-Schneider) ont, eux, pris naissance dans la région lyonnaise. Le berceau de la société Motobloc, de son côté, se trouve, toutefois, au sein d’une région qui est, avant tout, surtout connue pour la culture viticole : la région bordelaise.

C’est, en effet, à Bordeaux, qu’en 1895, deux armuriers, Charles Schaudel ainsi que son neveu, Emile Dombret, créent la firme des Automobiles et Cycles Schaudel. Laquelle, comme son nom l’indique, a pour objectif de produire, non seulement, des voitures, mais également des vélos. Assez rapidement, toutefois, des divergences de vues apparaissent entre l’oncle et son neveu et leur association prend alors fin, à peine six ans plus tard, en 1901.

C’est l’année suivante que Dombret fonde alors, toujours au sein de la ville de Bordeaux, la Société Anonyme des Automobiles Motobloc. Un nom qu’il a choisi en référence aux brevets mécaniques où, au sein d’un même carter, ou bloc-moteur, se trouve placé, non seulement, le moteur, mais également la boîte de vitesses ainsi que l’embrayage. Une disposition qui, aujourd’hui, peut apparaître comme étant tout à fait rationnelle et, même, « élémentaire » à tous ceux qui s’y connaissent un tant soit peu en mécanique automobile. Mais qui, à l’époque de la fondation du constructeur bordelais, apparaissant comme fort innovante. La preuve en étant que cette architecture mécanique fera largement école, puisqu’elle finira par être reprise, à court ou moyen terme, par tous les constructeurs automobiles, en France, mais également à l’étranger.

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Afin de bien affirmer l’identité bordelaise de ses voitures, Emile Dombret décide de choisir comme emblème de la marque Motobloc un logo inspiré de celui de ville de Bordeaux. Pour la grande majorité des constructeurs automobiles en France, l’étape incontournable afin de parvenir à se faire connaître, aussi bien du grand public que de la clientèle visée, et donc, d’établir solidement son image de marque, est, évidemment, la compétition.

C’est pourquoi, dès 1903 (un an à peine après sa fondation), Motobloc s’engage dans la course automobile, participant à la plupart des grandes épreuves nationales, à l’image de la course Paris-Madrid, du Grand Prix de France, voire même de certaines épreuves internationales, à l’image du New York-Paris. Bien que la concurrence soit rude et qu’il est vrai aussi que les voitures Motobloc ne parviennent qu’assez rarement à se hisser sur les plus hautes marches du podium, la firme bordelaise remportera, néanmoins*, suffisamment de trophées pour acquérir, en l’espace de quelques années, une très bonne réputation sur le marché automobile.

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Une notoriété qui ne se limitera, toutefois, pas à la région bordelaise et se propagera, même, assez rapidement, à l’ensemble du territoire français. Malgré cette réputation enviable, la direction du constructeur a, toutefois, bien conscience qu’au vu du nombre de constructeurs qui sont alors présents sur le marché automobile, rien qu’en France, la concurrence est fort rude. Motobloc n’étant, en outre, pas la seule marque dont les modèles peuvent se prévaloir d’une très belle qualité de fabrication ainsi que d’une très bonne robustesse. Aussi essentielles que soient ces qualités, aux yeux des acheteurs lors de l’achat d’une automobile, elles ne peuvent donc suffire, à elles seules, à assurer l’avenir de l’entreprise sur le long terme. Motobloc décide donc (ainsi que le font un certain nombre des ses concurrents) de diversifier ces activités. Une diversification qui passera par la production d’utilitaires légers et de poids lourds.

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, l’usine doit interrompre sa production de voitures de tourisme ainsi, également, que celles de ses utilitaires, pour se reconvertir entièrement dans la fabrication d’obus. D’autant que sa position géographique, fort éloignée de la ligne de front, assure que celle-ci ne risque pas de subir les bombardements ennemis. Si un certain nombre de voitures, de fourgonnettes ainsi que de camions seront encore livrés à l’Armée française durant les premières années du conflit, ces véhicules sont, toutefois, réalisés avec les châssis ainsi que les stocks de pièces qui se trouvaient dans la réserve de l’usine au moment du déclenchement des hostilités.

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Bien que la plupart des hommes (en tout cas, ceux en âge de combattre) soient mobilisés sur le front, cela n’empêche toutefois pas le personnel de s’agrandir, en même temps que l’usine, toujours afin de soutenir ainsi l’effort de guerre. Ainsi, alors que les usines Motobloc n’employaient que 250 personnes environ avant la guerre, au plus fort de l’activité durant la Grande Guerre, elle comptera près de 850 employés en tout. Une fois le conflit terminé, à l’automne 1918, seuls quelques 300 ouvriers continuent toutefois à travailler pour Motobloc.

Si la contribution apportée à l’effort de guerre a permis à l’entreprise de se développer fortement, la reconversion ainsi que le retour aux activités « civiles » (pour Motobloc comme pour d’autres constructeurs) vont, assez vite, se révéler assez difficiles. La direction ainsi que le personnel de la firme bordelaise se retrouvant, en effet, avec une usine ainsi que des moyens de production bien trop importants par rapport à la demande en matière de véhicules neufs, surtout en ce qui concerne la clientèle locale. Qu’il s’agisse des voitures de tourisme comme des utilitaires. Concernant ses derniers, bien que la grande majorité des exploitants viticoles de la région soient des clients fidèles de Motobloc, ceux-ci ne peuvent, toutefois, suffirent, à eux seuls, à assurer la pérennité de cette activité.

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Si la production des automobiles reprend elle aussi, le redémarrage est, toutefois, assez lent, le catalogue se réduisant, pour l’immédiat après-guerre, à deux modèles de 12 et 15 HP, tous deux motorisés par des quatre cylindres, affichant, respectivement, une cylindrée de 2 et 3 litres. Bien qu’elles puissent se prévaloir d’une qualité de construction égale à celles des modèles d’avant-guerre, les voitures produites par Motobloc souffrent toutefois (à l’image d’un certain nombre de leurs concurrentes) de l’arrivée sur le marché de Citroën et de sa nouvelle 10 HP, produite en grande série selon les méthodes d’assemblage à la chaîne et qui peut se vanter d’être la voiture la moins chère qui soit alors proposée sur le marché français. Le fait que Renault et Peugeot emboîtent bientôt le pas à celui-ci en se convertissant eux aussi à la production en grande série n’arrange, évidemment, rien. Sans compter le fait que l’usine de la filiale française de Ford s’est installée à Bordeaux. Avec, évidemment, les mêmes méthodes que celles que le constructeur a déjà inaugurées aux Etats-Unis, et y produira pas moins de 130 exemplaires de son mythique Model T.

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Motobloc, de son côté, ayant encore recours aux méthodes artisanales issues de l’avant-guerre. En conséquence, il n’est guère étonnant que sa production ne dépasse guère les 300 voitures… par an. Même s’il est vrai que cette faible production est à mettre sur le compte de demande, devenue nettement plus faible qu’avant la guerre. Bien que, durant la première moitié des années 1920, la gamme s’élargisse vers le bas, avec de nouveaux modèles 8 et 10 HP, censés pouvoir attirer vers la marque les classes populaires, à une époque où l’automobile commence (bien qu’encore lentement) à se démocratiser, le succès n’est, cependant, pas vraiment au rendez-vous. Ceux-ci restant, en effet, affichés à des tarifs nettement plus élevés que ceux des modèles concurrents proposés par Citroën, Peugeot et Renault. Il est vrai que le passage à la production en grande série, à l’image de ces derniers, qui sont, déjà, devenus les « poids lourds » de l’industrie automobile française, nécessite des investissements conséquents pour transformer et moderniser l’ensemble de leurs outils de production. Des investissements qu’un grand nombre de constructeurs français ne peuvent, malheureusement, se permettre.

Bien qu’ayant, donc, encore recours à des méthodes de production qui commencent maintenant à apparaître comme désuètes, les voitures Motobloc présentent, néanmoins, quelques singularités sur le plan technique. Notamment la présence de freins sur les quatre roues, qui étaient, certes, déjà disponibles en option depuis plusieurs années, mais qui équipent, désormais, en série les nouveaux modèles de la gamme. Des efforts louables et même assez importants, mais qui n’auront, toutefois, pas le résultat escompté. Les ventes continuant, ainsi, de baisser et seule la production des utilitaires, toujours appréciés pour leur robustesse, permet à la firme bordelaise de se maintenir la tête hors de l’eau.

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Celle-ci tentant, tant bien que mal, de rattraper son retard et de combler ses lacunes face aux grands constructeurs. Notamment en s’équipant d’un atelier de carrosserie interne à l’usine (jusqu’ici et depuis les débuts du constructeur, l’ensemble de celles-ci étaient réalisés à l’extérieur par des artisans-carrossiers), afin, non seulement, de simplifier le processus de fabrication de ses modèles, mais également de réduire les coûts de revient. Toujours dans ce même objectif, la gamme de voitures de tourisme est fortement réduite. A la fin des années 1920, celle-ci se limite, à présent, à un modèle à quatre cylindres ainsi que deux autres à six cylindres.

Si la firme poursuit la modernisation technique de ses nouveaux modèles, en équipant ceux-ci de roues avant indépendantes, cela ne suffit, malheureusement, pas à inverser la tendance. Motobloc voyant ses finances plonger de plus en plus dans le rouge. Une situation encore aggravée par la crise économique qui, en ce début des années 1930, commence à ravager l’Europe.

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Finalement, en 1931, l’entreprise bordelaise se voit contrainte de déposer le bilan. Si elle parvient, malgré tout, à se redresser, notamment grâce au soutien financier du constructeur d’avions Marcel Bloch (qui, après la guerre, prendra le nouveau patronyme de Dassault), elle décide, toutefois, d’abandonner la production d’automobiles, jugeant (probablement à juste titre) qu’un constructeur comme Motobloc n’avait plus sa place sur ce marché dans le nouveau contexte industriel et économique de la France de l’époque. Si la branche automobile ne sera, officiellement, dissoute qu’en 1933, c’était uniquement afin de liquider les châssis et les stocks de pièces restants.

La société se consacrant désormais, outre la production des utilitaires, à celles d’autocars, d’engins agricoles ainsi que de moteurs marins. Les activités incluant également, par la suite, la fabrication de minutions telles que des obus et des bombes aériennes, ainsi que des chars d’assaut. La menace d’un nouveau conflit armé avec l’Allemagne entraînant, évidemment, une augmentation rapide des commandes militaires. Une diversification et de nouvelles activités qui permettent à Motobloc de renouer (enfin) avec la prospérité, l’usine employant alors, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à 1 500 employés.

La défaite de la France en 1940 ainsi que l’occupation par les armées allemandes marqueront, toutefois, une période sombre pour Motobloc, d’autant que son directeur, Etienne de Lagarrigue, qui avait été le principal artisan de ce redressement, est tué, ainsi que son épouse, dans un accident en mars 1944 (vu l’époque, il s’agit d’un élément qu’il n’est pas inutile de mentionner). L’entreprise parviendra, malgré tout, à préserver l’essentiel de ses outils de travail et bénéficie également d’un personnel très qualifié, deux atouts forts importants pour participer au redressement de l’industrie au lendemain du conflit.

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Si Motobloc poursuit la production de munitions par l’Armée française, le nouveau contexte de l’après-guerre l’oblige, toutefois, à se diversifier vers de nouveaux secteurs d’activité. Ceux-ci comprenant la fabrication d’engins de manutention, de machines-outils, de moteurs auxiliaires, de systèmes réfrigérants, ainsi que de moteurs destinés à équiper les deux-roues (motocyclettes, mais aussi cyclomoteurs). Malgré le succès remporté par ces derniers, dans les années 50, la fin des commandes militaires, entraînant donc l’arrêt de la production de munitions, qui constituait une part importante des activités de l’entreprise, porte un coup dur à celle-ci.

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L’éclatement de la guerre d’Algérie entraînant aussi, comme conséquence indirecte et inattendue, mais, cependant, bien concrète, un bouleversement profond sur le marché des deux-roues (ceux-ci étant, majoritairement, achetés par une clientèle jeune, qui se voit alors obligée de partir au combat en Afrique du Nord). Autant de difficultés qui vont obliger Motobloc à déposer, à nouveau, le bilan en 1961, cette fois définitivement.

Philippe ROCHE

Photos Wheelsage & Wkikimedia

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