ROLLAND-PILAIN - Pionnier automobile tourangeau.

ROLLAND-PILAIN – Pionnier automobile tourangeau.

C’est en novembre 1905 que naît la marque Rolland-Pilain, non pas en région parisienne, comme l’on pourrait s’y attendre, mais un peu plus bas, à Tours. A l’image d’autres constructeurs à la même époque (à l’image de la firme De Dion-Bouton) celle-ci doit sa naissance à la passion nourrie par un gentleman jouissant d’une belle fortune pour l’automobile, ainsi que la rencontre de ce dernier avec avec un mécanicien talentueux, se nommant, quant à lui, Emile Pilain.

Ce n’est, toutefois, que deux ans plus tard, en 1907, qu’ils pourront dévoiler au public leur première création. Il vrai que la dénomination du premier des deux nouveaux modèles originels du constructeur, le Type A, n’a rien de bien original et, même, tout ce qu’il y a de plus classique pour leurs premiers modèles d’un nouveau venu au sein du paysage automobile (non seulement en France, avec Citroën ou encore aux Etats-Unis avec Duesenberg).

ROLLAND-PILAIN - Pionnier automobile tourangeau.

C’est bien, plutôt, par la lecture de leurs fiches techniques que ceux-ci se distinguent de la grande majorité des autres constructeurs, surtout parmi ceux fraîchement débarqués sur le marché automobile français. Des fiches techniques qui reflètent bien l’ambition du duo formé par Rolland et Pilain, à savoir celui de parvenir, assez rapidement, à se faire une place sur le marché, très convoité des voitures de haut de gamme. Un marché qui, toutefois, est, aussi, assez restreint et où la concurrence est fort rude.

En tout cas, sur le papier, les deux premiers modèles de la firme semblent avoir les moyens des ambitions nourries par leurs créateurs. Le premier, le Type A, de 20 HP, reçoit un quatre cylindres monobloc de 4,5 ll, accolé à une transmission à quatre vitesses. Le second, baptisé (en toute logique) le Type B, reçoit sous son capot un imposant moteur bi-bloc de presque 6,9 litres, développant entre 35 ou 45 chevaux, selon les versions.

Les deux hommes ont, cependant, bien conscience que, non seulement, la prospérité, mais également, la pérennité de l’entreprise passe sans doute par le développement de la gamme vers le bas. C’est pourquoi le troisième modèle de la marque, dont la dénomination suit toujours l’ordre de l’alphabet et qui sera donc baptisé le… Type C, qui sera présenté l’année suivante, s’adressera à une clientèle plus large, puisqu’il s’agira d’une plus modeste 12/16 HP.

Comme quasiment tous les constructeurs automobiles en France à l’époque, c’est, avant tout, par la compétition que la nouvelle marque Rolland-Pilain tente de se faire un nom. La première vraie victoire que celle-ci obtiendra sera la 2e place remportée à la course de côte qui se déroule sur le Mont Ventoux en 1909. La firme continue à cibler une clientèle « populaire » (les guillemets sont voulus, car les premières véritables voitures françaises destinées à la classe ouvrière ou paysanne n’apparaîtront qu’après la guerre, avec les modèles produits par Citroën) avec le Type D 8/10 HP.

ROLLAND-PILAIN - Pionnier automobile tourangeau.

Si la marque présentera, à l’occasion du Salon de Paris de 1910, parmi ces nouveaux modèles, le châssis d’une nouvelle six cylindres 18 HP à moteur sans soupapes, Rolland-Pilain fait l’objet d’une plainte de la firme américaine Knight, qui avait également développé un système similaire. Le scandale créé par ce conflit (les représentants des Américains allant même jusqu’à faire procéder à la saisie du châssis au plein Salon) aura, toutefois, pour effet d’attirer l’attention du public sur le constructeur. D’autant que la presse ne se prive pas de fustiger le comportement, jugé scandaleux, de la société Knight dans cette affaire et de prendre donc le parti de Rolland-Pilain. Une affaire qui obligera, toutefois, le constructeur de Tours a renoncé à commercialiser sa 18 HP sans soupapes, l’affaire traînant devant les tribunaux et le verdict en faveur de Rolland-Pilain ne sera rendu qu’au bout de deux ans d’une longue bataille juridique.

En 1911, toujours dans l’objectif de pouvoir lutter plus efficacement face à une concurrence toujours âpre, l’entreprise change de statut et se transforme en une société anonyme, dont la raison sociale est désormais La Société des Etablissements Rolland-Pilain. L’élargissement du capital, avec l’ouverture à de nouveaux actionnaires, permettant bientôt au constructeur d’envisager l’avenir avec une certaine sérénité. Malgré quelques beaux trophées remportés dans plusieurs des grandes épreuves de la course automobile de l’époque, celles-ci représentent un investissement financier qui (surtout en termes de retombées financières directes) coûte souvent davantage qu’elles ne rapportent à un grand nombre des constructeurs qui y sont impliqués. Ce qui est, notamment, le cas de Rolland-Pilain. C’est pourquoi la firme décide finalement, au terme de la saison 1912, de se retirer de la compétition.

ROLLAND-PILAIN - Pionnier automobile tourangeau.

C’est en 1913 que Rolland-Pilain dévoile ce qui sera sans doute le modèle le plus emblématique de son histoire : le Type RP. A son lancement, celui-ci est proposé en deux versions de 9 et 10 HP, toutes deux motorisées par un quatre cylindres, affichant, respectivement, une cylindrée de 1,6 l et 1,8 litre. Toutes deux partageant d’ailleurs un grand nombre d’éléments mécaniques en commun et ne se différenciant, essentiellement, que par les cotes de leurs moteurs. Si la version d’entrée de gamme 9 HP ne trouvera guère son public et, pour cette raison, verra sa production arrêtée au bout d’un an à peine, la 10 HP, en revanche, restera produite, en différentes versions et avec différentes évolutions, durant pas moins de… quatorze ans, puisque sa carrière se poursuivra jusqu’en 1927 !

Si, comme pour tous les constructeurs automobiles français, le déclenchement de la guerre, en 1914, a pour conséquence de voir la grande majorité de son personnel être mobilisé, cela n’empêche pas l’usine de Tours de poursuivre et, même, de développer fortement ses activités. Bien que la production des automobiles se voit remplacée, en grande partie, par la fabrication des obus ainsi que de pièces mécaniques pour l’aviation.

Si les voitures commencent à nouveau à sortir d’usine dès la fin des hostilités, le retour à la vie civile ne se fait, toutefois, que de manière progressive. La gamme de l’immédiat après-guerre se voyant, en effet, réduite à deux modèles seulement : les Types CR et RP. L’arrivée sur le marché d’André Citroën, avec ses méthodes de production à la chaîne inspirées de celles inaugurées par Ford aux Etats-Unis, si elles permettent, à présent, de démocratiser véritablement l’automobile, va aussi entraîner, à moyen ou long terme, un bouleversement assez profond de l’industrie automobile en France. Pour de nombreux constructeurs « traditionnels » (c’est-à-dire dont les modèles sont toujours assemblés, entièrement ou en grande partie, à la main), les temps vont, ainsi, commencer à devenir durs.

Parallèlement à cette évolution, assez rapide radicale, du paysage automobile français, Rolland-Pilain doit aussi faire face, au lendemain du conflit, au départ de l’un de ses plus importants actionnaires, Gnome-et-Rhône. A la même époque, Emile Rolland décide de se retirer progressivement des affaires et passe alors la main à son fils Lucien. Bien que la marque retrouve le chemin des circuits ainsi que des pistes de rallyes, malgré quelques belles victoires, celles-ci n’auront, toutefois et malheureusement, pas ou que peu d’impact sur le volume des ventes.

ROLLAND-PILAIN - Pionnier automobile tourangeau.

C’est aussi à cette époque qu’a lieu une nouvelle bataille juridique, sauf que, cette fois, contrairement au cas du modèle à moteur sans soupapes, c’est la firme qui intente un procès. Même si, là aussi, le constructeur se retrouve face à des Américains, en l’occurrence, la marque Duesenberg. Celle-ci ayant remporté, en 1921, le Grand Prix de l’Automobile Club de France. Rolland-Pilain accusant la firme américaine d’avoir copié son système de freinage hydraulique. La marque tourangelle ayant mis l’accent, dans ces nouvelles publicités, sur le montage des freins hydrauliques dont bénéficient ses nouveaux modèles, il est, dès lors, compréhensible que faire valoir ses droits sont d’autant plus importants, aux yeux de ses dirigeants, pour son image. Malheureusement pour Rolland-Pilain, ici aussi, l’affaire traînera en longueur et s’avérera assez coûteuse pour la marque, notamment en frais d’avocats.

Bien que, malgré le contexte d’euphorie au sein de la population française qui règne durant ce que l’on appellera les Années Folles, le temps, n’est, toutefois pas tellement au beau fixe ni à l’âge d’or pour le constructeur. Ce qui ne l’empêche toutefois pas, sans doute histoire de donner, en quelque sorte, le change et, surtout, d’attirer (ou de faire revenir) vers elle la clientèle d’élite, d’ouvrir, en 1923, un magasin d’exposition sur les Champs-Elysées. Une stratégie qui, alliée à une participation régulière aux concours d’élégance, alors fort à la mode, semblera en tout cas dans les premières années qui suivront, porter ses fruits, où la 18 HP, souvent habillée par les plus grands artisans carrossiers de l’époque, se distingue régulièrement.

ROLLAND-PILAIN - Pionnier automobile tourangeau.

Du côté de la compétition, la marque participe également à la première édition des 24 Heures du Mans, qui a lieu cette même année 1923. Bien que les quatre voitures engagées termineront toutes l’épreuve, celles-ci, sans doute du fait qu’elles restaient encore trop proches des modèles de série, elles ne pourront guère faire mieux qu’une 17e place au classement général. Si Rolland-Pilain poursuit activement son engagement en courses, non seulement en France, mais également à l’étranger, cela se fera, toutefois, dans les deux cas, avec des fortunes diverses. Comme cela avait le cas avant la guerre, la marque finira, toutefois, par y renoncer, définitivement cette fois-ci, à la compétition toujours du fait des contraintes financières trop importantes qu’elle implique. Si l’on verra encore, dans les années qui suivront, des voitures Rolland-Pilain courir dans les épreuves nationales ou locales, il ne s’agira, toutefois, que d’initiatives de pilotes privés. Avec, là aussi, occasionnellement, quelques beaux trophées à la clé, à l’image du record de vitesse sur 24 heures, parcouru, en 1924, sur le circuit de Montlhéry, à la vitesse moyenne de 104 km/h.

Sans doute inspirée par l’exemple de Citroën et de Renault à la même époque, la firme se lance également dans les raids à travers le continent africain. Au printemps 1925, une Rolland-Pilain RP 10 CV parviendra à rallier Conakry (aujourd’hui capitale de la Guinée, mais qui faisait partie, à l’époque, de l’Afrique Equatoriale Française) jusqu’à Djibouti, soit une distance de 9 000 km. Un exploit d’autant plus grand que la marque n’a pas eu la possibilité de mettre à la disposition des participants à cette expédition des moyens comparables. Hélas pour Rolland-Pilain, ce raid n’aura pas l’effet escompté sur l’image de la marque et, surtout, sur la courbe de ses ventes, faute d’avoir pu bénéficier d’une campagne de presse assez large.

ROLLAND-PILAIN - Pionnier automobile tourangeau.

A la fin de l’année 1925, Lucien Rolland et Emile Pilain, devenus minoritaires au sein de l’entreprise, se voient évincés du conseil d’administration par les nouveaux actionnaires de la marque. Ces derniers considérant probablement qu’ils sont les principaux responsables de la situation financière critique de la marque (ou cherchant, plus vraisemblablement, des boucs émissaires). Les nouveaux dirigeants de la firme décident alors de revendre le hall d’exposition des Champs-Elysées, mais aussi et surtout de quitter la région de Tours pour s’installer à Courbevoie. Le catalogue est entièrement réorganisé, avec la suppression de tous les anciens modèles, même si la réorganisation de la production prendra du temps. Ce n’est, toutefois, que lors du Salon Automobile qui se tiendra à l’automne 1927 que les deux premiers nouveaux modèles de la marque seront dévoilés au public.

Bien que la précédente expérience du raid en Afrique se soit avérée peu concluante, tout du moins, en termes de chiffres de vente, l’un des participants à celui-ci, Gustave Duverne, décide, néanmoins, de retenter l’aventure, cette fois en Extrême-Orient. Un périple loin de pas moins de 25 000 km, qui, partit de Paris à la fois du mois de septembre 1927, arrivera à Saïgon en Indochine (aujourd’hui Ho-Chi-Min Ville au Vietnam) au milieu du mois d’avril de l’année suivante.

Malheureusement pour le duo qui a réalisé cet exploit, étant donné l’absence des moyens de communication modernes d’aujourd’hui, une fois qu’ils auront quitté la France, ils seront, quasiment, coupés des nouvelles qui s’y passe. Durant leur absence et la réalisation de cette véritable « odyssée », des bouleversements importants auront lieu au sein de la firme Rolland-Pilain, laquelle sera acculée au dépôt de bilan. Ce n’est qu’à leur retour en France que les deux hommes apprendront la nouvelle. L’un d’eux ayant, Gustave Duverne, faisant partie des nouveaux dirigeants de la firme, décide alors de rappeler Lucien Rolland et Emile Pilain (qui, pour rappel, avaient été brutalement évincés trois ans plus tôt) afin de parvenir à redresser la situation.

Si Duverne réussit alors à sauver la marque, le prix à payer pour ce sauvetage est, toutefois, assez lourd. La firme étant, à nouveau, contrainte de déménager, cette fois à Levallois-Perret, dans ce qui, du point de vue de la superficie de leur nouveau lieu de travail, tient plus de l’atelier que, véritablement, de l’usine. En conséquence, la gamme est désormais réduite à un seul modèle, le Type F28, commercialisé l’année précédente et qui fut la première six cylindres de la marque à connaître une véritable carrière commerciale.

Malheureusement pour le trio, l’aventure ne durera qu’un an à peine, avant de devoir céder le nom ainsi que les droits de production des modèles de la marque. Si Duverne tente à nouveau de sauver celle-ci, les deux nouvelles sociétés portant le nom de Rolland-Pilain ne dureront guère plus longtemps, l’une comme l’autre.

ROLLAND-PILAIN - Pionnier automobile tourangeau.

La dernière d’entre-elles, dirigée par Charles de Ricou (qui est également propriétaire de plusieurs autres firmes automobiles, comme BNC) reprend la production des modèles de la marque, cette fois au sein d’une usine installée à Rueil-Malmaison. L’entreprise disposant, à nouveau, une véritable gamme, avec quatre modèles disponibles. Les deux premiers étant une six cylindres de 3,6 l ainsi qu’une huit cylindres de 4 litres de cylindrée, les deux motorisations étant fournie par la firme américaine Lycoming (propriété d’Erret Cord, qui, outre la marque portant son nom, possède aussi les marques Auburn et Duesenberg), laquelle vend alors également ses moteurs pour un constructeur français, Georges Irat. Les deux autres étant des évolutions d’anciens modèles de la marque.

Cette ultime résurrection et tentative de sauvetage de la firme Rolland-Pilain sera, malheureusement, fort éphémère puisqu’elle ne durera que… quatre mois à peine, avant que la faillite ne soit prononcée en avril 1932. Le constructeur et, surtout, Charles de Ricou, n’ayant, manifestement, plus du tout les moyens de leurs ambitions.

Si Lucien Rolland restera dans le monde de l’automobile, en devenant concessionnaire de la marque Citroën, son ancien associé, Emile Pilain, quant à lui, quittera celui-ci peu de temps après. Sans doute conscient que la marque n’avait plus véritablement d’avenir dans le nouveau paysage automobile ainsi que le contexte économique morose de ce début des années 1930, il ayant déjà quitté le navire au moment où la marque qui portait, en partie, son nom était définitivement enterrée. Il se reconvertira, entre autres, dans la production de bicyclettes. Les deux hommes décédant un an d’intervalle à peine : le premier en octobre 1957 et le second en décembre 1958.

Philippe ROCHE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici