UNIC – Précuseur… sans en avoir l’air.
La genèse de la marque Unic débute en 1893, lorsque Georges Richard se lance, aux côtés de son jeune frère Félix, dans la production de bicyclettes, qui seront produites sous le nom de Société des Cycles Georges Richard. Si leur qualité de construction lui permet de s’assurer la clientèle de plusieurs administrations, Richard n’entend toutefois pas se limiter au monde des vélos. Comme beaucoup d’autres à la même époque, il s’intéresse au monde de l’automobile, alors naissante, mais dont il pressent déjà que celle-ci est promise à un bel avenir. Si ces débuts dans ce domaine sont, certes, modestes, puisqu’il se contente, dans l’ensemble, de s’inspirer des voiturettes produites par le constructeur allemand Carl Benz (dont elle emprunte également la mécanique).
La compétition étant alors le meilleur moyen d’assurer la promotion publicitaire d’un constructeur, en particulier pour les nouveaux venus au sein du paysage automobile français, Richard ne manque pas de s’engager, lui aussi, dans la course et cela, avant même le début du nouveau siècle, puisque son premier engagement s’effectuera à l’occasion de la course Marseille-Nice en 1898. Deux ans plus tard, l’entreprise fondée par Georges Richard prend le nom de Société des Anciens Etablissements Georges Richard. Bien que Carl Benz ait figuré parmi les pionniers de l’automobile, non seulement en Allemagne, mais aussi en Europe, Georges Richard préfère bientôt, à l’aube des années 1900, s’inspirer, pour ces nouveaux modèles, d’une autre voiturette, produite, cette fois, en Belgique par la marque Vivinus. Il en acquiert alors la licence de production pour le marché français, où elle obtiendra un vrai succès, puisqu’elle y sera produite, dans une nouvelle usine acquise en 1896 à Ivry, à près d’un millier d’exemplaires jusqu’en 1902.
A la même époque, Richard engage l’ingénieur Henri Brasier, qui travaillait auparavant au sein d’un autre pionnier de l’automobile en France, la firme Mors. Un engagement qui donnera naissance à une nouvelle marque : Richard-Brasier. C’est sous l’impulsion de Brasier que Richard va renforcer son engagement dans les principales courses automobiles qui ont lieu à cette époque. Si, lors de la course reliant Paris à Madrid, il est victime d’une sortie de route et se retrouve avec une jambe cassée, il aura toutefois beaucoup plus de chance que l’un de ses rivaux dans cette épreuve, Marcel Renault (l’un des deux frères de Louis Renault), qui y perdra la vie.

Sa blessure va toutefois contraindre Georges Richard à une longue convalescence, dont son associé, Henri Brasier, va alors profiter pour prendre, assez vite le contrôle total de l’entreprise, en rompant ainsi, de manière unilatérale, le contrat que le lien aux frères Richard. Félix, le frère cadet de Georges Richard, ayant probablement déjà senti le vent tourner, n’attendra, cependant, pas de se voir signifier son éviction et choisira de partir de lui-même. Bien que sans doute aussi stupéfait qu’amer suite à ce que l’on peut, raisonnablement et à bien des égards, qualifier de trahison, Georges Richard n’est, pourtant, pas du genre à baisser les bras. Il ne va d’ailleurs pas tarder à trouver un « mécène » (ou investisseur) qui va lui permettre de se relancer en créant une nouvelle affaire.
Le mécène en question n’étant autre que le baron Henri de Rothschild, appartenant à la célèbre famille du même nom et qui est l’un de ses amis. Grâce au financement apporté par Rothschild, Richard créé alors à Puteaux les bâtiments constituant l’usine de sa nouvelle marque d’automobiles, à laquelle il donne le nom d’Unic. Lequel lui est venu à l’esprit, car son projet est de produite une gamme d’automobiles et d’autres types de véhicules utilisant toutes le même châssis. Un principe qui peut sembler, depuis longtemps maintenant, évident, à l’heure de la rationalisation, du partage des composants ainsi que de la recherche du moindre coût en vigueur chez la grande majorité des constructeurs partout dans le monde. Mais qui, en ce début du XXe siècle était encore peu usité au sein de l’industrie automobile, en France comme dans les autres pays.

Pour mener à bien ce projet, Richard s’adjoint les services de l’ingénieur Jules Salomon, lequel restera au service du constructeur de Puteaux jusqu’en 1910, lorsqu’il décide de créer sa propre voiture : la Le Zèbre. Sous la pression conjuguée de la clientèle ainsi que de la concurrence, Georges Richard va, toutefois, devoir revoir, progressivement, sa politique commerciale et, donc, ne plus se cantonner aux voitures à vocation « populaire » (comme cela avait été son objectif initial). La gamme Unic va donc, au fil des années, élargir sa gamme vers le haut, afin de répondre, ainsi, à la demande d’une clientèle plus aisée, qui, elle aussi, s’est montrée séduite par la qualité de fabrication des modèles de la marque, mais souhaite toutefois pouvoir disposer de voitures plus imposantes et plus puissantes.
Ce qui n’empêchera toutefois par le fondateur de continuer à appliquer (en tout cas, en grande partie) sur ces automobiles de prestige les mêmes principes de rationalisation qu’aux voitures légères produites depuis les débuts de la firme. Les Unic de grosses cylindrées continuant ainsi à recevoir un certain nombre d’éléments tels qu’un système d’allumage, un carburateur ainsi qu’un radiateur identique à celui des modèles d’entrée de gamme. Georges Richard ayant, dès le départ, conçu ces châssis pour servir de base aussi bien à la réalisation de véhicules utilitaires que de voitures de tourisme, la production des premiers cités va rapidement se développer, ceux-ci étant appréciés non seulement en France métropolitaine, mais également dans les colonies ainsi que dans les autres pays européens.

Là aussi, afin de répondre à la demande, Richard commence bientôt à augmenter la taille de ces châssis afin de permettre la réalisation d’engins disposant d’une plus grande capacité de charge utile. Ainsi que de convaincre ce dernier d’investir également le marché des poids lourds, ce qui sera chose faite à partir de 1909, avec la présentation d’un camion bénéficiant d’une capacité de 2,5 tonnes. A partir de 1910, la gamme comporte d’ailleurs un plus grand nombre de modèles de véhicules utilitaires (de tous genres et toutes tailles confondues) que d’automobiles. Un autre domaine dans lequel la marque Unic acquérera rapidement une grande notoriété est celui des taxis, même si les commandes les plus importantes émaneront de Londres ainsi que de la Principauté de Monaco.
Lorsque la guerre éclate, en 1914, la firme continue à réaliser, de temps à autre, des voitures destinées aux membres de l’état-major de l’Armée française. Même si ce sont surtout des fourgons, des poids lourds ainsi que des ambulances et, surtout, des obus qui sortent, en grandes quantités, des usines de Puteaux. Au vu de l’importance qu’a prise, durant les hostilités, la production des véhicules utilitaires, une fois le conflit terminé, Georges Richard décide, assez logiquement, d’accorder la priorité à ces derniers. Bien que celle des automobiles reprenne également à la même époque, elle passe, désormais, au second plan.

Malheureusement pour le fondateur de la marque Unic, à l’été 1922, alors qu’il effectue, sur une route près de Rouen, l’essai du prototype de la future Série L, dont la présentation officielle est prévue à l’occasion du Salon automobile de Paris, en octobre de la même année, il est victime d’une sortie de route et succombera, quelques jours plus tard, à ses blessures. Une disparition tragique qui n’empêchera, toutefois, pas la firme de Puteaux de continuer à être un acteur incontournable au sein du marché automobile comme sur celui des utilitaires en France.
Concernant la branche automobile, Georges Dubois, le successeur de Georges Richard, décide de revenir à la politique du modèle unique, le catalogue Unic se limitant alors à la production du modèle 11 CV à quatre cylindres. Un retour à la politique des origines qui ne sera, toutefois, qu’éphémère, puisque la marque décide bientôt de tenter sa chance sur le marché du haut de gamme.

A l’automne 1928 est ainsi présenté l’Unic 8, laquelle, même si elle peut s’enorgueillir d’abriter sous son capot une mécanique à huit cylindres, n’affiche, toutefois, qu’une puissance fiscale de 15 CV, ce qui la place dans une catégorie où l’on trouve, en grande majorité, des modèles à six cylindres. En tout état de cause, Unic a, avant tout, auprès du public, l’image d’un constructeur d’utilitaires et de voitures populaires. En outre, le marché, dans cette catégorie, étant déjà complètement saturé par les modèles des firmes telles que Delage, Delahaye ou Hotchkiss, ainsi que ceux des grands constructeurs, Citroën, Peugeot et Renault. En conséquence, il n’est donc guère étonnant que l’Unic à moteur huit cylindres ait du mal à trouver son public. La crise économique qui éclate à peine un an plus tard n’arrangera, évidemment rien, et l’Unic 8 quittera finalement la scène, presque sur la pointe des pieds, en 1934, après une carrière qui, sur le plan commercial et malheureusement pour elle, aura été assez terne.
La gamme se limitant, désormais, aux modèles à quatre et six cylindres, les Unic U4 et U6. Si leurs silhouettes présentent des lignes assez élégantes, elles demeurent, toutefois, fort classiques, un choix sans doute conscient et, donc, voulu par la direction du constructeur. Les modèles produits par le constructeur durant les années 1930 demeurant, en cela, fidèles aux choix ainsi qu’à la philosophie de son fondateur, Georges Richard. Laquelle, si elle ne rejetait pas l’innovation du point de vue technique, préférait toutefois, sur le plan esthétique, restée dans une certaine « orthodoxie » ou « classicisme ». Ceci, afin de ne pas heurter (et donc de risquer de voir se détourner) une clientèle qui, dans sa grande majorité, demeurait, sur ce point, assez conservatrice et conformiste.
Ainsi, sous des dehors assez « passe-partout », la fiche technique des Unic U4 et U6 recelait un certain nombre d’avant-gardismes, tels qu’une suspension avant à roues indépendantes, des moteurs avec une distribution à soupapes en tête (même s’il est vrai que celle-ci sera adoptée par Citroën et Peugeot au milieu de la décennie, avec les Tractions et 402, un certain nombre de constructeurs, tels que Renault, restent, toutefois, encore fidèles aux soupapes latérales) ainsi que leur boîte à quatre vitesses (à une époque où la plupart des modèles à quatre cylindres devaient encore se contenter de trois vitesses seulement).

Si elles sont toujours unanimement louées par la presse spécialisée pour leur solidité ainsi que leur qualité de construction, celles-ci ont, cependant, un prix. Les voitures Unic, qu’il s’agisse de celles à quatre ou à six cylindres, étant ainsi vendues plus cher que la plupart de leurs concurrentes. Parallèlement à cela, la production des utilitaires ne fait qu’augmenter au fur et à mesure des années, conséquence d’une demande de plus en plus forte, émanant non seulement des petites et grandes entreprises en tous genres, mais également de l’Armée française. Le constructeur accordant alors, en toute logique, la priorité et donc la plus grande partie de ses ressources et de ses moyens de production à ce secteur, au détriment de celui des automobiles. En ce milieu des années 1930, elles-ci ne représentent plus qu’une faible part de l’activité de l’entreprise.
En 1938, Unic décide finalement d’abandonner la production de ses automobiles pour se consacrer entièrement à celle des camions, nettement plus lucrative pour la firme de Puteaux. Si la marque sera encore présente au Salon automobile qui se déroule en octobre 1938 (et qui sera le dernier avant la guerre), il s’agit simplement d’écouler les derniers exemplaires des U4 et U6 encore en stock.

Les premières années de l’après-guerre, qui voient l’abandon de la production des derniers modèles d’utilitaires légers, seront marquées par la disparition de deux personnalités marquantes de l’histoire de l’entreprise. D’abord, celle, en 1947, du baron Henri de Rothschild, qui fut le principal mécène du fondateur de l’entreprise, Georges Richard ; ainsi que celle de Georges Dubois, le successeur de ce dernier, l’année suivante.
Face à la conjecture socio-économique fort difficile de cette époque, ainsi qu’au climat politique assez trouble, le nouveau patron d’Unic, René Copin est convaincu qu’Unic se doit de grandir en taille et donc d’augmenter son capital si la firme veut rester un acteur majeur sur le marché des poids lourds en France. Pour atteindre cet objectif, il prend alors contact avec Henri-Théodore Pigozzi, le patron de la marque Simca (laquelle est alors la filiale française du constructeur italien Fiat).
Si, dans l’immédiat, cette entrée au capital d’Unic permet à celle-ci de renouveler, de manière assez rapide, sa gamme ainsi que son outil de production, elle aboutira, au final, en 1952, au rachat, pur et simple, de la firme de Puteaux par la marque à l’hirondelle. Lorsque deux ans plus tard, en 1954, Simca se rend également acquéreur de l’ancienne filiale française de Ford, les camions Ford Cargo formeront avec ceux d’Unic la nouvelle branche poids lourds de Simca Industries. Durant cette première moitié des années 50, Unic peut s’enorgueillir de sa seconde place au sein des constructeurs de camions en France, en termes de production.

La fusion, en 1955, de la filiale poids lourds de Renault avec les firmes Latil et Somua, qui donne naissance à la nouvelle marque Saviem, va, toutefois, l’obliger (et, donc, Simca avec lui) à réagir. Cette union ayant, en effet, comme conséquence de rétrograder Unic à la troisième place dans ce secteur (Saviem lui ayant, ainsi, ravi la deuxième marche du podium, derrière Berliet). C’est pourquoi, dès l’année suivante, la firme décide de fusionner, à son tour, avec un autre constructeur de camions : Saurer. Du côté de Simca, à partir de la seconde moitié des années 50, la part de Fiat au sein du constructeur diminue, au fil du temps, au profit du groupe américain Chrysler.
Lorsqu’en 1963, celui-ci en devient l’actionnaire majoritaire, Pigozzi se voit alors brutalement évincé et Simca est alors scindé en deux parties distinctes. Chrysler ne gardant que la branche automobile, alors que Simca Industries (et donc Unic) est rachetée par Fiat. A l’image de ce qui s’était produit lors de la fusion avec Saurer, les gammes Fiat et Unic seront alors progressivement unifiées. En dehors du dessin de leur calandre ainsi que du nom et du logo qui figurent sur la cabine, les nouveaux modèles ne seront alors, dans l’ensemble, que des copies des camions produits par le géant turinois.

Les derniers modèles spécifiques à la marque Unic disparaissant, quant à eux, en 1974. Autre signe évident de la fin d’une époque, le site historique de la firme, à Puteaux, avait fermé ses portes l’année précédente. La production étant alors partagée entre trois usines d’assemblage différentes, à Trappes, à Suresnes (qui n’était autre que celle d’où sortaient autrefois les luxueuses Talbot-Lago) ainsi qu’à Fourchambault (où étaient, auparavant, produits les scooters Vespa ainsi que la micro-voiture Vespa 400).


A partir de la seconde moitié des années 60, celles-ci seront, toutefois, progressivement fermées, l’ensemble de la production se faisant, désormais, de l’autre côté des Alpes, c’est-à-dire en Italie. Unic finira, en 1975, par intégrer la nouvelle filiale poids lourds créée, cette année-là, par Fiat, le groupe Iveco, avant de disparaître définitivement en 1984.
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage et Wikimedia