BRISTOL 400 à 403 – GRAND TOURISME « SO BRITISH »
L’histoire des automobiles Bristol commence dans un contexte où la Seconde Guerre Mondiale est encore très présente dans les esprits. Et ses conséquences encore très visibles dans le décor des villes industrielles. D’autant qu’elle réunit deux firmes aéronautiques qui, la veille encore, se défiaient dans le ciel. Du côté anglais, Bristol, premier avionneur britannique (La firme occupait 8 000 employés avant 1940) pouvait s’ enorgueillir d’avoir vaillamment contribué à l’ effort de guerre national, ses chasseurs – les Beaufighter et autres Blenheim – défendant jour après jour le ciel britannique contre les raids incessants de la Blitzkrieg avant de conquérir celui de l’ Allemagne nazie. C’est d’ailleurs peut-être une escadrille de Beaufighter qui, au plus fort de la guerre, détruira les usines BMW de Munich, là d’où sortaient à forte cadence les fameux moteurs d’ avion 803 en étoile dont profitèrent de nombreux chasseurs allemands. Au sortir de la guerre, Bristol, comme d’autres entreprises ayant participé à l’effort de guerre, mérite de recevoir son dû au titre des réparations de guerre. Coïncidence « heureuse », c’est justement la firme BMW qui va passer sous son contrôle.
La paix revenue, les dirigeants de Bristol envisagent de développer une nouvelle branche automobile qui pourrait compenser les chaînes et espaces de production inoccupés. Avant 1939, déjà, ils avaient songé, un temps, à racheter la marque Aston Martin, laquelle, à défaut d’ être rentable, s’était taillé un jolis palmarès en compétition. Mais l’entrée en guerre de l’ Angleterre devait les ramener à de toutes autres préoccupations. Dès 1945, cet ancien projet refait surface. En partie sous l’ influence de la firme Frazer-Nash qui espère bien pouvoir compter encore quelques années sur les excellents composants techniques de la valeureuse BMW 328 (La plus brillante des voitures européennes dans la catégorie des 2 litres) qu’elle avait importée en Angleterre entre 1936 et 1939 (700 exemplaires en furent ainsi écoulés outre-Manche sous le nom de Frazer Nash-BMW durant cette période). Mais ce n’ est pas tout: Frazer-Nash a d’autres ambitions et souhaite en effet concevoir une voiture entièrement nouvelle autour du 6 cylindres BMW.
Après avoir approché en vain les firmes Riley et Triumph, Frazer-Nash se tourne vers Bristol, qui dispose de la surface industrielle nécessaire pour mener à bien son projet. Lors d’un voyage en Allemagne, ses responsables rencontrent leurs homologues de BMW, lesquels sont fort préoccupés par l’ avenir de leur marque. L’usine d’ Eisenach, située à l’Est de l’ Allemagne (donc en territoire occupé par les troupes Soviétiques) a été confisquée et nationalisée, tandis que celle de Munich, sérieusement endommagée, a, en outre, été vandalisée par les forces britanniques d’ Occupation. Les patrons de Bristol négocient l’utilisation des moteurs d’ avant-guerre. Avec succès puisqu’ils repartent avec la certitude que BMW est prêt à apporter son concours en leur fournissant tous les plans dont ils auront besoin. Ces ennemis de la veille n’ont pas oublié qu’ils étaient avant tout avionneurs et que, au-delà des frontières, ils parlent un « langage commun ».
Mais, au fil des mois, les relations se dégradent entre Frazer-nash et Bristol, les divergences l’ emportant nettement sur les points d’ accord. Surtout, l’ avionneur s’ interroge: Doit-il se contenter d’ être un simple sous-traitant pour Frazer-Nash en mettant ses installations industrielles à disposition alors même que sa taille le prédispose plutôt à devenir constructeur à part entière. Les deux firmes réalisent peu à peu que leur partenariat est voué à l’ échec. En fin de compte, Bristol continuera de fournir des moteurs 6 cylindres BMW, remaniés par ses soins, à Frazer Nash qui les utilisera pour animer une gamme inédite de voitures de sport très performantes tandis que Bristol poursuit la mise au point du futur coupé 400 (initialement projeté par Frazer Nash), lui aussi équipé du moteur BMW 2 litres. Le modèle terminé est présenté en septembre 1946 sous le nom de Frazer-Nash-Bristol ». Mais lorsqu’ il fait ses débuts officiels au Salon de Genève de 1947, seul le nom de Bristol figure sur sa carrosserie et Frazer Nash n’ est plus du tout impliqué dans sa carrière, désormais.
La première voiture produite par la division automobile de Bristol n’est pas si nouvelle. En fait, elle est extrapolée de la BMW 327/328, un coupé, très moderne lors de son lancement en 1936, que Frazer Nash a amélioré en bien des points pour aboutir à la 400. Egalement traité en coupé, la voiture se veut plus logeable et plus agréable à conduire. L’ empattement, allongé de dix centimètres, a permis de revoir complètement l’ habitacle en ménageant un compartiment arrière plus généreux, le pavillon étant rallongé et rehaussé dans cette perspective. La suspension avant, indépendante, confiée à un ressort à lames transversal, a été conservée, tandis qu’ à l’ arrière, des barres de torsion et des amortisseurs hydrauliques remplacent avantageusement celle adoptée par BMW et consistant en un système classique à ressorts à lames, jugé insuffisamment efficace pour amortir le surpoids conséquent de deux passagers supplémentaires et leurs bagages sur des routes au revêtement encore très médiocre La carrosserie (au style encore proche de la BMW 327 mais avec une calandre plus profilée et des phares intégrés) diffère en bin des points du modèle allemand par ses volumes plus généreux et ses lignes plus « enrobées ». Les parties ouvrantes (portières et capot) en alu sont censées abaisser le poids à vide du modèle (Par la suite, les carrosseries des Bristol seront faites entièrement en aluminium, une technique que maîtrise évidemment l’ avionneur). La finition intérieure se veut également plus soignée avec une planche de bord confectionnée en bois, des sièges en cuir parachevant le tableau, selon une tradition typiquement britannique.
Le moteur demeure le 6 cylindres BMW de 2 litres d’ avant-guerre à culasse hémisphérique (dont bristol a récupéré les plans), lequel délivre 85 chevaux (au lieu des 80 chevaux originels), des alliages de meilleure qualité favorisant cette légère augmentation de puissance. Les techniciens de Bristol retravailleront également certains vices de construction en revoyant le dessin de la distribution, le moteur de la 328 ayant tendance à griller ses soupapes d’ échappement à haut régime. Par la suite, ils pourront monter sa puissance jusqu’ à 130 chevaux, soit 50 de plus qu’ à l’ origine.
Bien conçue, suffisamment performante (elle pouvait atteindre près de 150 km/h avec quatre passagers à bord) et dotée d’ un excellent comportement routier, la Bristol 400 séduira 487 acheteurs (dont deux uniques exemplaires d’ une version décapotable, la rupture entre Bristol et Frazer Nash ayant pour effet de laisser celle-ci à l’ état de prototype) en quatre ans de carrière, un score plutôt enviable malgré un prix de vente très élevé, résultant d’ un mode de construction encore très artisanal.
Dans les documents relatifs à la garantie et aux conditions de vente, la marque précisait que « La compagnie de construction aéronautique Bristol garantit que toutes les précautions qui sont normales et raisonnables ont été prises pour assurer une excellente main d’oeuvre, et que les meilleurs matériaux ont été employés. Cette garantie n’est applicable qu’aux voitures neuves ou aux châssis et n’est valable que pour une durée de 6 mois, à dater du jour de la livraison. Cette garanti cesse immédiatement si la voiture n’est plus la propriété, n’est plus en possession et n’est plus contrôlée par l’acheteur, si la voiture a servi à remorquer, si la voiture a pris part à des courses sur routes, sur pistes, en montagne, sur plaines et collines ou n’importe quelle compétition. Le vendeur se réserve le droit de changer le prix, et en cas de changement, le prix payable sera celui qui aura cours à la date de la livraison. L’acheteur ne pourra pas vendre, donner ou louer le véhicule durant une période de douze mois sans avoir le consentement écrit de la British Motor Trade Association ».
Pour l’avionneur et sa branche automobile, ce premier modèle marquera le début d’une belle aventure qui verra les modèles qui succéderont à la 400 devenir des références en matière de voitures de grand tourisme et qui pourront rapidement revendiquer, au même titre que Rolls-Royce et Bentley, le titre de « Meilleure voiture du monde ! ».
Précédée par une rumeur extrêmement flatteuse, savamment entretenue par la presse, la Bristol 400 avait suscitée des commentaires élogieux et montre de belles aptitudes routières. Toutefois, chez Bristol, on est persuadé qu’ il y a mieux à faire. Si la 400 a permis au constructeur de réussir sa diversification vers l’ automobile, son apparence reflète malgré tout l’ image de haute technologie inhérente à un constructeur aéronautique tel que Bristol. Même si ses lignes, étroitement dérivées de celle des BMW d’ avant-guerre (Dont les plans des modèles ainsi qu’ une grande-partie de l’ outillage qui a survécu aux bombardements alliés durant le conflit ont été cédés à Bristol aux titres des dommages de guerre) paraissent encore tout à fait « actuelles » en cette fin des années 1940, les dirigeants de Bristol ont bien conscience que celles-ci risquent de se démoder assez vite et commencent donc rapidement a envisagée la relève.
L’objectif est simple: Sans effets de styles gratuits, la future Bristol doit être esthétiquement conforme à ce que le public attend du savoir-faire d’un avionneur. En toute logique, cet impératif implique une recherche aérodynamique soignée. Les lignes retenues, qui sont étudiées en soufflerie, sous la direction du responsable de la carrosserie, Dudley Hobbs, sont fort semblables à celles d’ un projet réalisé auparavant en Italie, chez Touring, à la demande des frères Aldington, les dirigeants de la firme Frazer-Nash (Qui, avant-guerre, importait les BMW au Royaume-Uni et qui, au lendemain de la guerre, avaient envisagé de nouer un partenariat avec Bristol pour la création de la future Bristol 400. Un projet qui avortera toutefois rapidement, ce qui n’ empêchera pourtant pas Bristol de fournir aux frères Aldington les moteurs qui équiperont leurs voitures). Si l’on ignore, aujourd’hui encore, l’ identité exacte de l’ auteur des lignes de celle qui allait devenir la Bristol 401 (et qui ne sont pas sans rappeler celles de certaines créations du carrossier milanais sur les Alfa Romeo juste avant comme au lendemain de la guerre), Touring et le constructeur britannique entretienne alors une relation assez étroite. Au point que Bristol fait l’ acquisition du procédé Superleggera mis au point par le carrossier italien, où les panneaux de la carrosserie sont soudés sur un treillis en tube qui forment l’ armature de celle-ci. Dévoilée en 1949, la Bristol 401 remporte immédiatement un vif succès. En dépit du prix de vente de la voiture, qui se rapproche plus de celui d’ une Bentley que de celui d’ une Jaguar, une clientèle fidèle se constitue. Sur ce modèle, la véritable grille d’ aération pour le moteur est désormais placée sous le pare-choc (Le double haricot, héritage esthétique des BMW, a toutefois été conservé au bout du capot mais il ne s’ agit maintenant plus que d’ un simple élément de décoration). En même temps que la 401, en 1949, Bristol présente sa première décapotable, la 402 (Une version cabriolet de la 400 avait bien été étudiée, mais elle restera à l’ état de prototype). Celle-ci ne sera toutefois produite qu’ à 22 exemplaires, avant de disparaître, faute de demande, dès l’ année suivante. En 1953, la Bristol 403 se substitue à la 401. Sous une robe inchangée, la puissance du freinage et du moteur est accrue. La renommée de la marque s’ étend sur les marchés extérieurs.
En France, l’ importation est assurée par le dynamique André Chardonnet (1923 – 2005). A l’origine, les dirigeants du constructeur britannique avaient jugé que Chardonnet n’avait pas l’envergure ni le prestige pour représenter dignement la marque bristol sur le marché français. Il est vrai que Chardonnet n’en était alors qu’à ses débuts dans son activité d’importateur et que son affaire n’avait pas encore atteint la taille ni la notoriété qu’il aura lorsqu’il sera devenu l’importateur en France de la marque italienne Lancia. La direction de Bristol s’adressa donc, dans un premier temps, à la société Roblou, qui importait à l’époque en France les modèles de la marque américaine Dodge. Mais, manifestement, la vente des Bristol ne fit jamais vraiment partie de ses priorités et le constructeur reprit alors contact avec Chardonnet. Convaincu, comme les dirigeants de Bristol, que, pour mieux assurer la promotion de la marque en France, il lui fallait disposer d’une adresse prestigieuse, André Chardonnet fit alors l’acquisition d’un magasin d’exposition au n° 48 de l’Avenue Kleber. En plus de celui-ci, trois autres concessionnaires, installés à Bordeaux, Marseille et Lille vinrent compléter le réseau mis en place par Chardonnet. Ce dernier parviendra à se constituer une petite clientèle d’ amateurs tout aussi éclairés que fortunés. Parmi eux, Georges Pompidou, alors fondé de pouvoir de la banque Rothschild). Inconnues et fort chères, les Bristol devaient convaincre, dans un pays où l’ ascendance BMW n’ attire pas encore forcément la sympathie du public (Dans les années 50, en France comme dans d’ autres pays, les souvenirs de la guerre et de l’ occupation sont encore très vifs et rouler dans une voiture allemande ferait « mauvais genre », pour ne pas dire plus !). Parues dans la revue L’Automobile en juillet 1953, ces lignes de Jean Bernardet sont révélatrices: « J’ espère que l’ ami Chardonnet, agent Bristol à Paris, ne m’ en voudra pas, mais je n’ aimais pas du tout la Bristol avant qu’ il me l’ eût mise (presque de force) dans les mains ». Au terme d’ un court essai, Jean Bernardet n’ en reconnaît pas moins, avec sa rigueur habituelle, les grandes qualités de la voiture. Il en va de même dans L’ Auto Journal, où André Costa conclue son essai en ces termes: « Le plus gros reproche que l’ on puisse faire sans doute à la Bristol 403 est sans doute son prix extrêmement élevé (…). Il faut cependant reconnaître que cette marque anglaise livre une voiture exécutée avec un soin qui laisse rêveur« . André Chardonnet, dont les établissements étaient alors basé à Pantin, vendit, au total, quelques 300 voitures de la marque anglaise jusqu’à la fin des années soixante.
La réussite de la 401, puis de la 403, semble donner des ailes à Bristol. A partir de 1952, le constructeur donne à sa politique une orientation nettement plus sportive. Ce qui, outre un engagement désormais direct en compétition (avec les Bristol 450, dotées d’un aérodynamisme spectaculaire, mais, néanmoins, d’une ligne tout sauf élégante) transparaîtra dans le nouveau modèle de la marque, la 404, qui prend la relève de la 403 à la fin de l’année 1953 (Au total, les bristol 401 ainsi que les 402 et 403 qui en sont dérivées ont été produites à 974 exemplaires). Avec sa calandre assez agressive et originale, qui rappelle fortement le réacteur d’ un avion de chasse (comme pour mieux souligner les origines aéronautiques du constructeur), cette dernière rompe tout lien esthétique avec les BMW. Si la 404 ne sera qu’un modèle de transition, produit à seulement 40 exemplaires, elle affiche en tout cas, plus clairement encore que ses devancières, la volonté de Bristol de se faire un nom dans le monde des coupés de grand tourisme. Malgré les vicissitudes que connaîtra, à plusieurs reprises, la marque dans son histoire, Bristol figure, aujourd’hui encore, parmi les meilleurs symboles de « l’exception culturel » de l’automobile anglaise et ses modèles de « voitures de connaisseurs ».
La présentation, en 1953, de la 404 marque une date importante dans l’histoire de la marque anglaise Bristol. Ce nouveau coupé, à la ligne très aérodynamique, rompt en effet tout lien esthétique avec les BMW et voit donc disparaître le « double haricot » formant la calandre des voitures de la marque bavaroise, qui avait été reprise sur les premières Bristol ,les coupés 400, 401 et 403, ainsi que le cabriolet 402. Celle-ci ne remplace toutefois pas le coupé 403, dont la production se poursuit jusqu’ en 1955.
Maxime DUBREUIL
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