MATRA MURENA – Victime des GTI.
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Lorsque la Bagheera est dévoilée au public, en 1974,, le constructeur français Matra peut s’enorgueillir d’une image à la fois jeune, sportive et dynamique. Jeune, à la fois, parce que ses modèles s’adresse à une clientèle qui se veut « jeune » et aussi parce que la marque a été créée à peine dix ans auparavant, avec le rachat de la firme René Bonnet alors en grandes difficultés financières. Le nouveau constructeur poursuivra alors la carrière de la berlinette Djet sous son nom, avant de lancer, trois ans plus tard, celle qui sera la première vraie Matra, la 530.
Malgré une ligne très avant-gardiste, les faibles performances de son moteur V4 emprunté à la Ford Taunus ne se montreront pas à la hauteur de celles-ci et celle qui se présentait comme « la voiture des copains » n’obtiendra malheureusement pas le succès escompté.
Le rachat de Simca, au sein du réseau duquel était vendu la 530, par le constructeur américain Chrysler signera la fin de sa carrière, ce dernier voyant, en effet, d’un assez mauvais oeil qu’un modèle vendu dans son réseau soit motorisée par un moteur produit par un de ses concurrents. Si elle ne fera son apparition qu’un an plus tard, celle qui est appelée à lui succéder est alors déjà à l’étude.
Outre des lignes plus modernes, dans le style cunéiforme désormais à la mode, elle présente aussi l’avantage d’offrir une habitabilité ainsi qu’un confort supérieur à celle de sa devancière. Sportive, la Bagheera n’en a toutefois que l’allure (et c’est là un point commun avec celle qu’elle remplace), sa mécanique d’origine Simca ne lui permettant guère de revendiquer véritablement l’appellation de GT que sa ligne promettait pourtant.
Quant à l’image dynamique dont peut alors se prévaloir la marque, outre le segment où s’inscrivent ses modèles, elle a aussi été, en grande partie, construite par les victoires engrangées par Matra en compétition, non seulement en Formule 1 mais aussi en catégorie Sport-Prototype aux 24 Heures du Mans. Un engagement qui sera consacré par une victoire en Championnat du monde en 1973 et 1974.
Après sept ans de carrière et près de 50 000 exemplaires produits (toutes versions confondues), celle-ci tire sa révérence à la fin de l’année 1980, sa remplaçante arrive dans un tout autre contexte. Chez Matra, la compétition n’est désormais plus qu’un souvenir déjà lointain (le constructeur ayant décidé de se retirer des circuits après que l’éclatement de la crise pétrolière est engendrée, parmi ses premiers effets, l’interdiction – certes provisoire – des compétitions).
De plus, une nouvelle mode, un nouveau genre automobile pointe, depuis quelques années déjà, le bout de son nez, tant sur le marché français qu’à l’étranger, celui des GTI. Apparue avec la version éponyme de la Volkswagen Golf, ces nouvelles petites sportives entendent conquérir, en premier lieu, la même clientèle que les coupés traditionnels comme la Bagheera et la Murena. Le succès que vont remporter les premières de ces nouvelles petites bombinettes sera tel que tous les grands constructeurs vont très vite vouloir croquer, eux aussi, leur part de ce fabuleux gâteau. Au point que, face à ces nouvelles sportives populaires qui leur ont ravi la plus grande partie de leur marché, à partir du milieu des années 80, les coupés classiques vont quitter la scène les uns après les autres.
Un destin quelque peu funeste et une fin peu glorieuse auquel celle qui sera le dernier coupé Matra produit en série n’échappera malheureusement pas.
Pour l’heure, toutefois, lorsque le public la découvre pour la première fois, les amateurs de la marque ne sont pas tellement surpris et se retrouvent même en terrain connu , puisque la nouvelle venue de la firme de Romorantin ne fait, finalement, que reprendre, pour l’essentiel, les mêmes recettes que celle inaugurées par la Bagheera.
A savoir un moteur quatre cylindres transversal placé en position centrale arrière, une suspension avant par barres de torsion, le tout monté sur une structure métallique habillée d’une carrosserie en matériaux composites ainsi qu’un habitacle caractérisé par ses trois places de front. Une recette qui, toutefois, a,, non seulement, été améliorée mais également mise au goût du jour sur le plan esthétique.
Si, lors de sa présentation, certains, tant au sein du public que dans la presse automobile, avaient jugé la ligne de la Bagheera, sous certains angles, un peu massive, la nouvelle Murena (dessinée par un jeune styliste du nom d’Antoine Volanis) va en affiner le dessin. Un soin particulier sera d’ailleurs apporté à l’aérodynamique, ce qui se remarque, avant tout, sur la partie avant, avec un museau assez pointu au niveau de la jonction entre le pare-choc avant ainsi que les phares et le capot.
Si celui-ci apparaît d’ailleurs un peu trop plongeant lorsque la Murena est vue de profil, cela lui assure, en tout cas, un profilage très favorable, avec une Cx s’établissant à 0,328. Sans doute est-ce aussi parce que sa ligne apparaît plus racée que le nouveau coupé Matra paraît moins grand que sa devancière, alors qu’elle affiche pourtant six centimètres.
Si la Bagheera se voulait avant tout un coupé populaire avec, simplement, le look d’une sportive, (dans la même veine que la Ford Capri ou le tandem Renault R15/R17), la Murena, elle, entend s’afficher un cran au-dessus sur le plan des performances car l’objectif est de pouvoir atteindre, assez facilement, la barre, fort symbolique, des 200 km/h. Ce qui explique qu’à l’origine, seule une version équipée d’un moteur d’au moins deux litres est envisagée par les hommes du bureau d’études de Matra. Le Service Marketing du constructeur et, surtout, celui de Peugeot (qui a racheté, à peine deux ans avant l’apparition de la Murena, l’ancienne filiale française de Chrysler/ex-Simca) insistent toutefois fortement pour qu’une version d’entrée de gamme de seulement 9 CV fiscaux et qui a donc l’avantage d’être moins taxée.
Deux motorisations figurent donc au catalogue lors de la commercialisation de la Matra Murena. Si toutes deux sont des quatre cylindres en ligne empruntés aux modèles Talbot produits sur les chaînes d’assemblage de l’usine de Poissy, celle de la version de base est le 1,6 l à arbre à cames latéral de 92 ch de la berline Solara et celle qui équipe la version « sport », un 2,2 litres à arbre à cames en tête développant 118 chevaux de la Tagora (pour une puissance fiscale de 12 CV).
Dans les deux cas, la transmission est constituée d’une boîte à cinq vitesses (laquelle a toujours fait défaut à la Bagheera, au grand regret de nombre de ses propriétaires, car celle-ci aurait permit de mieux exploiter les performances – assez limitées – de la mécanique Simca).
En ce qui concerne les suspensions, celles-ci ont, elles aussi, évoluées par rapport à la Bagheera, notamment au niveau du train arrière, où les barres de torsion ont cédé la place à un système combiné ressorts-amortisseurs plus classique.
La plus grande évolution et le plus grand progrès de la Murena par rapport à sa devancière se situe sans doute, toutefois, au niveau de la chaîne d’assemblage et du procédé de fabrication : l’usine de Romorantin inaugurant, en effet, en « première mondiale » (comme ne se prive pas de le proclamer son constructeur) un atelier spécialisé dans un nouveau procédé : celui de la galvanisation à chaud par trempage. Celui-ci permettant d’offrir une meilleure protection contre la corrosion grâce à un dépôt de zinc sur toute sa surface. Un autre procédé de fabrication inédit sera également expérimenté chez Matra lors de la production de la Murena. Baptisé « sheet moulding compound », celui-ci consiste en un nouveau dispositif de moulage à chaud de la fibre de verre, celle-ci étant déjà largement utilisé, depuis plus de douze ans (depuis la commercialisation de la Matra 530, à la fin des années 60) par Matra.
Si, comme mentionné plus haut, le coupé Murena reprend la solution des trois places frontales inaugurées par la Bagheera, les deux places dévolues au passager ne forment plus, comme c’était le cas sur cette dernière, une banquette d’un seul tenant. Celles-ci étant remplacées par deux sièges séparés, identiques ou presque à celui du conducteur. Ce qui permet de pouvoir rabattre le dossier du siège central sur lequel se trouve fixé une tablette-accoudoir aux dimensions inédites (sans-doute l’une des plus grandes que l’on peut trouver dans la production automobile de l’époque, tous modèles confondus).
Les selleries qui, sur les deux versions, recouvrent les sièges ainsi que les contre-portes sont, elles aussi, singulières. La version de base présentant, en effet, un drap en tissu à motifs géométriques qui, si elle est bien dans l’air du temps, s’avère d’une qualité très moyenne, résistant très mal dans le temps et à l’usage. La sellerie en velours ras (d’abord de teinte unie puis rayée) que l’on retrouve dans l’habitacle de la version « haut de gamme » 2,2 litres s’avérant d’ailleurs à peine moins fragile.
Extérieurement, la première se reconnaît à ces simples jantes en tôle et la seconde à ses jantes en alliage type « turbine » avec quatre écrous au centre.
Bien que les journalistes de la presse automobile saluent la ligne très sportive de la nouvelle Matra ainsi que sa très bonne tenue de route, en revanche, comme cela avait été le cas pour celle qui l’a précédée, ils ne se privent pas de faire quelque peu la grimace et de pointer du doigt des performances qu’ils jugent trop limitées.
En particulier en ce qui concerne la Murena 1,6 l, et même en ce qui concerne celle équipée du 2,2 litres d’origine Chrysler, le jugement semble (chez certains commentateurs) à peine meilleurs que celui sur la Bagheera. Il est vrai que (surtout dans le cas de la première), la plupart des GTI ou même des berlines compactes ou familiales en version « GT » (surtout lorsqu’elles sont équipées d’un turbo, lequel commence à devenir fort à la mode, aussi bien chez les constructeurs français comme étrangers) surclassant, en effet, la Murena, tant pour la vitesse de pointe qu’en terme de reprises.
Les acheteurs comme la presse se sentent d’autant plus frustrés que cette dernière ne se prive pas de souligner que l’efficacité des trains roulants permettrait au coupé Matra d’encaisser, sans grandes difficultés, un nombre assez important de chevaux supplémentaires sous son capot à l’arrière.
Des demandes et des pressions qui émanent d’ailleurs aussi du bureau d’études ainsi que de la direction de Matra, qui, eux aussi, aimeraient fortement pouvoir disposer d’une mécanique vraiment sportive qui permettrait ainsi à la Murena d’affirmer clairement tout son potentiel et, ainsi, de pouvoir revendiquer clairement, elle aussi, l’appellation « GT ».
Malheureusement pour la firme de Romorantin, l’état-major de Peugeot fera, pendant longtemps, la sourde oreille. Il est vrai qu’à l’époque, la marque au lion (et le groupe PSA en général) avait d’autres priorités et également d’autres soucis.
Le constructeur de Sochaux ayant, en effet, englouti des sommes considérables, d’abord, dans le rachat de Citroën, en 1974, puis dans celui de Chrysler-France (ex-Simca), à peine quatre ans plus tard. Ce qui, évidemment, avait fini par sérieusement mettre à mal ses finances. Sans compter que la gamme Peugeot pâtissait alors de modèles vieillissants ou, pour d’autres, se vendant mal (telle la grande berline 604).
A tel point que, en ce début des années 80, celui qui est, tout de même, rien moins que le second plus gros constructeurs français se retrouve quasiment au bord de la faillite ! Ce n’est qu’avec le lancement, en 1983, de celle qui deviendra son nouveau cheval de bataille, la célèbre 205, que Peugeot parviendra à retrouver le succès et, ainsi, à se refaire une santé.
Ce n’est finalement qu’à l’été 1982 (soit plus d’un an et demi) après la présentation de la Murena que la marque au lion consent, enfin, à écouter les doléances du petit constructeur de Romorantin et à lui fournir ainsi les moyens d’en affûter les performances. Et encore, il ne s’agit, toutefois, pas ici d’une nouvelle mécanique inédite mais, plus simplement, d’un kit. Lequel ne sera d’ailleurs même pas monté en usine par Matra mais simplement livré « tel quel » (c’est-à-dire en pièces détachées) chez les concessionnaires. A charge pour eux de les faire monter par leurs mécaniciens sur les voitures des clients qui en feront la demande.
Baptisé d’un simple nom de code numérique (« préparation 142 »), celui-ci comprend, pour la partie technique, le montage d’un nouveau collecteur d’admission, de deux carburateurs Solex double-corps, d’un arbre à cames modifié ainsi que d’un boîtier d’allumage recalculé. Ce qui permet ainsi de faire passer la puissance de 118 à 142 chevaux et la vitesse de pointe de 197 à 210 km/h. Le gain le plus important, sur le plan des performances, se situe cependant au niveau des accélérations, le kilomètre départ arrêté étant, à présent, abattu en moins de 30 secondes. Les modifications ne se limitent toutefois pas à la partie technique. Même si, d’un point de vue esthétique, la transformation s’avère plus limitée. Il n’y a, en effet, guère que des bas de caisse et un becquet spécifique qui différencie la version « kit PTS » de la version 2,2 litres « normale ».
Si ce kit, conçu et fourni par le département Peugeot-Talbot-Sport, permet à la Murena de pouvoir enfin faire véritablement son entrée dans la cour des GT, celle-ci se fera toutefois de manière fort discrète, cette nouvelle version n’ayant guère bénéficié d’une promotion et d’une campagne publicitaire digne de ce nom, tant de la part de Matra que de Peugeot. La Murena « GT » fait toutefois payé assez cher ses performances revues à la hausse : le kit, à lui seul, est ainsi facturé plus de 15 000 francs de l’époque, faisant ainsi passer le prix total de la Murena au-dessus de la barre des 100 000 francs.
Quoi qu’il en soit et aussi intéressantes que soient ses performances, la Murena 2.2 « PTS » arrive bien tard, trop tard sans doute pour permettre au coupé Matra de faire face à la vague, de plus importante, des GTI. N’ayant, déjà au moment de sa commercialisation, jamais réussi à atteindre les objectifs espérées par son constructeur, la production de la Murena baisse inexorablement. Matra semblant considéré que celle-ci appartenait déjà au passé.
Il est vrai qu’à l’époque, le bureau d’études de Romorantin travaille sur un projet inédit et d’importance, dont l’aspect, pratique comme esthétique, se trouve fortement calqué sur le modèle des vans américains, qui font alors fureur outre-Atlantique. Un projet qui, s’il sera refusé par les responsables de PSA (non seulement parce que ces derniers n’y croyaient guère, mais aussi, comme mentionné plus haut, parce les finances du groupe ne permettaient alors probablement pas de le faire passer au stade de la grande série) sera, en revanche, accepté (et avec enthousiasme) par Renault. Un concept qui donnera naissance au premier monospace français : la Renault Espace.
Le catalogue se réduit ainsi au fil du temps : les version originelles, 1,6 l et 2,2 litres (118 ch) disparaissent ainsi en juin 1983, après avoir été produites, en tout (les deux versions confondues) à un peu plus de 10 000 exemplaires (5 640 pour la version 1,6 l et 4 560 pour la 2,2 litres). Sur celles-ci, une centaine à peine auront eu le « privilège » d’être équipées du kit PTS de 142 chevaux, proposées par les concessionnaires Matra pendant un peu plus de six mois seulement (entre juillet 1982 et début 1983).
Si une « nouvelle » version, baptisée Murena S, fait son apparition au même moment (au début de l’été 1983), celle-ci résulte, tout simplement, du montage, désormais réalisé par l’usine Matra de Romorantin elle-même, du kit PTS sur une voiture à la décoration extérieure spécifique. Celle-ci se caractérisant par sa teinte de carrosserie bleu nuit, les filets rouges sur ses flancs ainsi que l’inscription « Murena S » en lettres rouges elles aussi sur le dessus du pare-chocs avant.
Si celle-ci permet enfin à la Matra Murena d’accorder son plumage avec son ramage, elle n’était toutefois destinée, dès le départ, qu’à être un modèle éphémère. Son rôle consistant, avant tout et surtout, à permettre à Matra d’écouler ainsi rapidement les dernières voitures encore en stock auprès d’une clientèle jeune grâce à une présentation plus agressive. Une carrière et une existence fort éphémère puisqu’elle durera un mois à peine, entre juin et juillet 1983. Un peu moins de 500 exemplaires (480, très exactement) de cette ultime version de la Murena auront ainsi été produits.
Outre la nouvelle vague des GTI et autres GT qui a complètement balayé le marché automobile européen au début des années 80, c’est aussi la fin des accords passés entre Matra et Peugeot qui a mis, prématurément sans doute, un terme à la carrière de celle qui sera le dernier coupé Matra (si l’on excepte le « coupéspace » Renault Avantime, au début des années 2000, mais dont le gabarit le rangeait plutôt dans la catégorie des monospaces).
Si, sur le plan commercial, elle n’aura donc été, à certains égards, qu’une parenthèse dans l’histoire de son constructeur, la Murena n’en reste pas moins un coupé au caractère singulier bien représentatif de ce qui constitue toute l’ADN des coupés Matra.
Maxime Dubreuil
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