BORGWARD HANSA – Le renouveau de Brême.
Si son nom n’apparaît pour la première fois sur la calandre d’une voiture qu’en 1937, Carl Borgward n’est alors pas pour autant un inconnu au sein de l’industrie automobile allemande, bien au contraire, puisque ce dernier possède déjà les marques Goliath, Hansa et Lloyd.
Outre des voitures de gamme « intermédiaire » moyenne et supérieure, qui concurrencent à l’époque, les Mercedes de gamme similaire ainsi que les Opel de haut de gamme, son nom se retrouve aussi sur des poids lourds. Ceux-ci deviendront forts appréciés des chauffeurs routiers mais aussi, rapidement, des soldats de la Werhmarcht, c’est-à-dire l’Armée du reich de l’Allemagne nazie.
Comme tous les autres constructeurs ainsi que les autres grands industriels allemands, Borgward verra très vite ses usines devenir la cible des bombardements de l’aviation alliée. Tant et si bien que lorsqu’en 1945, les généraux d’Hitler, après le suicide de ce dernier dans Berlin prise par les troupes soviétiques, les généraux allemands finissent par plier le genoux, les trois quarts des usines Borgward, située à Sebaldsbrück, près de Brême (dans le nord de l’Allemagne) ont été détruites.
Si elles sont rapidement relevées de leurs ruines et la reprise de la production – en tout cas celle des poids lourds et des utilitaires – c’est avant tout et surtout pour permettre de relever, lui aussi, le pays de ses ruines ainsi que pour honorer les immenses dommages de guerre fixés par les vainqueurs. A savoir les Américains, les Anglais et les Russes. Les premières années d’activités de l’entreprise après-guerre se feront d’ailleurs sans son fondateur, lequel, condamnée et emprisonné pour collaboration avec l’ennemi, devra attendre plusieurs années avant de pouvoir, non seulement, reprendre la direction effective de ses usines et même, simplement, de pouvoir y remettre à nouveau les pieds.
Autant des difficultés de toutes sortes, souvent importantes, qui n’empêche toutefois pas le bureau d’études de se remettre bientôt au travail sur la mise en chantier d’un nouveau modèle de tourisme.
Lequel sera, non seulement, la première Borgward commercialisée après le conflit mais aussi rien moins que la première voiture allemande moderne d’après-guerre. C’est à l’occasion de l’ouverture du Salon automobile de Genève, en mars 1949, que celle-ci est dévoilée au public, même si les premiers exemplaires de série ne commenceront à sortir des chaînes d’assemblage qu’à l’automne suivant.
Dans un pays divisé (partagée entre la République Fédérale et l’Allemagne de l’est inféodée à l’URSS) et qui n’a pas encore fini de penser ses plaies, la concurrence sur le marché allemand est pourtant assez rude. La nouvelle Borgward Hansa devant, en effet, affronter la Mercedes 170, la Ford Taunus ainsi que les Opel Olympia et Käpitan celles-ci ne sont toutefois que des modèles d’avant-guerre, identiques ou presque, voire simplement rhabillées de nouvelles carrosseries aux lignes modernisées.
La nouvelle venue de la marque Borgward, dont l’étude a déjà commencée durant la guerre, ayant pratiquement été conçue à partir d’une feuille blanche. Même s’il était alors emprisonné dans le secteur d’occupation administré par les autorités américaines, Carl Borgward était, malgré tout, parvenu à conserver des contacts avec les cadres de ses usines et à consacrer sa période d’incarcération sur l’étude des futurs modèles de la marque portant son nom. C’est donc – paraît-il – durant cette époque qu’il dessina les lignes de la nouvelle Hansa, dont le style évoque fortement – en version réduite – les modèles de la jeune marque Kaiser-Frazer, qui furent les premières voitures américaines dont les carrosseries adoptèrent le style « ponton ».
Bien que jugé un peu massif, déjà à l’époque même de sa présentation, ce style démode en tout cas, instantanément, celui de ses concurrentes. Un vent nouveau qui ne concerne d’ailleurs pas que la carrosserie, puisqu’en ce qui concerne la partie technique, là aussi, la Borgward Hansa peut se prévaloir d’une vraie modernité.
Celle-ci comprenant un châssis plate-forme en tôle soudée, une suspension indépendante sur les quatre roues avec un essieu arrière brisé, une boite de vitesses équipée de quatre rapports (à une époque où beaucoup de voitures populaires, en Allemagne comme à l’étranger, doivent encore se contenter de trois vitesses seulement) ainsi qu’un moteur à soupapes en tête (alors qu’un certain nombre de modèles similaires, notamment chez Ford, restent alors fidèles à la distribution à soupapes latérales).
Autre argument non négligeable, elle peut se prévaloir d’un habitacle très cossu et bien équipée pour une voiture de gamme « intermédiaire », avec montre, allume-cigares, indicateurs de direction pour les clignotants, un plafonnier à allumage automatique, un chauffage ainsi qu’un système de ventilation parmi les plus modernes que l’on peut alors trouver sur une automobile ainsi qu’une sellerie en cuir optionnelle.
Est-ce sous l’influence, là aussi, de la mode du moment sur les voitures américaines ou parce que ce système a été jugé, à la fois, plus simple et plus fiable par les ingénieurs de la marque ? Toujours est-il que, dès janvier 1951, le levier de vitesse, auparavant disposé au plancher, est, à présent, remplacé par un sélecteur placé sur la colonne de direction, derrière le volant. La Borgward Hansa sera également l’une des premières voitures européennes – et sans doute la première de sa catégorie – à proposer le montage d’une transmission automatique, baptisée Hansa-Matic.
Les voitures qui en sont équipées se caractérisent, à l’intérieur de l’habitacle, par la présence de deux pédales seulement (plus un inverseur de marche). La démultiplication étant assurée par un convertisseur de couple, la liaison mécanique ne se faisant qu’en prise directe.
Si Borgward fit alors figure de précurseur au sein de l’industrie automobile allemande, son système ne rencontrera toutefois guère de succès, victime de performances décevantes par rapport à la version classique (37 secondes pour atteindre les 100 km/h, soit dix de plus que la version équipée de la transmission manuelle), sans compter le supplément de prix bien trop important expliquent sans mal qu’elle n’ait guère rencontré de succès auprès des acheteurs.
Le public allemand, dans son ensemble, , au début des années 50 comme par le passé, s’étant toujours assez conservateur, surtout dans cette catégorie où la plus grande « orthodoxie mécanique » – gage d’une grande facilité et d’un faible coût de réparation et d’entretien – prévalait le plus souvent.
Si au début de sa carrière, la gamme de carrosserie proposée au catalogue se limitait à un coach à deux portes et une berline, celle-ci s’enrichira, à peine quelques semaines plus tard, d’un break, baptisé « Kombi ». Celle-ci étant proposée en deux versions différentes : une variante entièrement tôlée, à vocation essentiellement utilitaire, ainsi qu’une autre, plus cossue, avec ses montants en bois, inspirée sans doute autant par les « woodies » américains – comme les Chrysler Town and Country) qu’Anglais (tels que la future Morris Minor. L’autre carrosserie apparue au catalogue à la même époque est le cabriolet 4/5 places réalisé par le carrossier Hebmüller et pouvant se prévaloir d’une finition plus luxueuse encore que les carrosseries usines car entièrement réalisées à la min, pour la carrosserie comme l’habitacle.
Dans le courant de l’année 1950, une nouvelle carrosserie décapotable sera également ajoutée à la gamme Hansa. Recevant l’appellation Sport, celui-ci se distingue, comme son nom l’indique, du cabriolet « classique », sur le plan esthétique, par ses ailes plus arrondies ainsi que ses phares placés plus bas. Réalisé sur un châssis dont l’empattement a été raccourci d’une vingtaine de centimètres ainsi que recevant, sous son capot, un moteur doté d’une alimentation assurée par deux carburateurs Solex (contre un seul pour la version « standard ») qui lui permet d’atteindre les 66 chevaux ainsi que les 150 km/h (alors que la version originelle de la Hansa ne peut guère atteindre qu’une vitesse de pointe de 120 km/h).
Une éphémère version Carrera sera également proposée à l’été 1953, profitant d’une mécanique portée à 88 chevaux, lui permettant d’atteindre la barre des 165 km/h. Malgré des performances fort intéressantes, à l’époque, pour une voiture de sa catégorie, son prix de vente trop élevé aura pour conséquence qu’elle ne connaîtra, malheureusement, qu’une carrière des plus confidentielles.
En mars 1952, une nouvelle version de la Borgward Hansa fait son apparition, la 1800, qui remplacera bientôt la 1500 originelle, dont la production s’arrêtera en septembre suivant après qu’un peu plus de 22 500 exemplaires soient sortis des chaînes des usines de Brême. Le seul survivant de l’ancienne gamme étant le cabriolet Sport qui poursuit sa route jusqu’ à l’été 1953, après avoir été assemblés à environ 300 unités seulement. Officiellement, tout du moins, car on sait qu’une poignée d’exemplaires seront produits, au compte-goutte, jusqu’au début de 1954. Ceux-ci recevant le nouveau moteur de la Hansa 1800, mais uniquement dans sa version à simple carburateur.
La nouvelle Hansa 1800 reprenant les mêmes carrosseries que sa devancière, la seule nouveauté sur ce plan étant une camionnette ouverte qui ne sera toutefois jamais vendue sur le marché allemand et commercialisée uniquement sur les marchés d’exportation. Si l’augmentation de la cylindrée profite évidemment à la puissance, la 1800 n’affiche toutefois, au final, qu’à peine huit chevaux de plus que sa devancière, même si la vitesse de pointe passe, certes, de 120 à 135 km/h.
Curieusement, alors que la précédente 1500 avait reçue, dès son lancement, une boîte à quatre rapports, celle de la 1800 devra, dans un premier temps, se contenter de trois vitesses. Ce n’est, en effet, qu’à partir de mars 1953 qu’elle bénéficiera, elle aussi, de la transmission à quatre rapports, à la différence toutefois que si, sur les premières Hansa, la première vitesse restait non synchronisée, ici tous les différents rapports le sont.
C’est aussi à la même époque que la Borgward Hansa profite de ce qui sera le seul vrai lifting qu’elle connaîtra durant sa carrière, avec un tableau de bord redessiné, une lunette arrière de taille plus grande (uniquement sur les berlines) ainsi que de nouveaux feux à l’arrière.
Sur le plan technique, l’autre grande innovation sur la Hansa ainsi que la nouveauté la plus marquante sur la 1800 sera la commercialisation d’une version propulsée par un moteur Diesel. Présentée en décembre de l’année précédente, cette dernière, si elle reçoit une mécanique à la cylindrée identique à celle de la version essence, ne bénéficiera toutefois pas de la nouvelle transmission avant l’automne 1953. La gamme de carrosseries proposées restant identique à celle de la version essence, à l’exception du cabriolet et du pick-up.
Si cette version, en dehors des modèles similaires produits par Mercedes, rencontre, en Allemagne, un marché vierge de toute concurrence, le public, dans sa grande majorité, ici comme à l’étranger, n’est encore guère sensible – et même encore plutôt rétif -, en ce début des années 50, aux véhicules de tourisme équipés de ce genre de mécanique.
A ses yeux, celui-ci a une vocation avant-tout – pour ne pas dire uniquement – utilitaire et donc incompatible – tant en matière d’agrément de conduite que d’image de marque – avec un modèle de tourisme « classique », aussi populaire soit-il. Ajouté à cela une carrière qui durera moins d’un an et demi à peine et il est facile de comprendre pourquoi la Hansa 1800 Diesel ne sera produite qu’à un peu plus de 3 200 exemplaires.
Il est vrai que celle-ci durera un an et demi à peine, puisqu’elle quittera la scène dès le mois de mai 1954, en même temps que la version à moteur essence. La Hansa cédant alors sa place, au sein de la gamme Borgward, à la nouvelle Isabella.
Le nom de Hansa était toutefois apparu sur le marché automobile bien avant le lancement de la Borgward du même nom à la fin des années 1940. C’est, en effet, en 1905 qu’est fondé, à Varel (en Frise, dans le nord de l’Allemagne), l’entreprise Hansa-Automobil. Rebaptisée Hansa-Lloyd en 1914, du fait de sa fusion avec la société NAMAG de Brême. Bien que proposant aussi sous son nom des voitures de tourisme, la plus grande partie de l’activité du constructeur est constituée par la production des poids lourds.
Rachetée par Carl Borgward en 1929, ce dernier transfère alors l’ensemble de la production dans son fief de Brême. L’activité est alors scindée en deux branches bien distinctes : celle des utilitaires sous la marque Hansa-Lloyd et celle des voitures particulières sous celui de Hansa « tout court ».
En 1939, juste avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Hansa disparaît du paysage automobile allemand – en tout cas en tant que constructeur. La Hansa 2000 à moteur six cylindres, présentée l’année précédente, est alors intégrée au catalogue de la nouvelle marque Borgward, dont le fondateur a alors décidé, à cette date, de produire des véhicules – voitures de tourisme ainsi que des véhicules utilitaires sous son nom. C’est donc sous la nouvelle appellation de Borgward 2000 qu’elle poursuivra sa carrière – malgré le déclenchement des hostilités – , en recevant au passage un nouveau moteur de 2,3 litres et la nouvelle appellation 2300, jusqu’en 1942.
Le nom de Hansa réapparaîtra toutefois en 1958, retrouvant également son statut de constructeur. Même si cette nouvelle Hansa était, avant tout, une Goliath 1100 – autre marque du groupe Borgward, produisant à l’origine des mini-utilitaires à trois puis à quatre roues et des petites voitures populaires de « standing » – rebadgée, qui continuera d’être produite sous ce nom jusqu’en 1961.
Les versions les plus intéressantes réalisées sur le châssis de la Borgward Hansa, tant sur le plan du style que des performances, n’ont, cependant, jamais été inscrites au catalogue de la marque et donc proposées à la vente. Et pour cause puisqu’elles étaient destinées à la compétition. Les premiers trophées remportés par le constructeur de Brême auront d’ailleurs lieu en France, sur le circuit de Montlhéry, en août 1950, lorsqu’une barquette, reprenant le châssis ainsi que la mécanique de la Hansa 1500 Sport, décrochera pas moins de douze records internationaux. La voiture en question ayant reçu le nom d’Inka – initiales d’Ingenieur-Konstruktions-Arbeitgemeinschaft, celui d’un bureau d’études indépendant dirigé par l’ingénieur Momberger.
Deux ans plus tard, en septembre 1952, une nouvelle barquette, construite autour d’un châssis tubulaire et bénéficiant d’une mécanique développant jusqu’à 95 chevaux, parviendra à remporter, de son côté, neuf records supplémentaires. Ces succès sur les circuits convaincant, évidemment, la firme de créer bientôt un département course, dirigés par deux pilotes au talent confirmé, Hans-Hugo Hartman et Alfred Brudes.
Outre la plupart des principales épreuves sur circuits, à l’exemple du Nürburgring et des 24 Heures du Mans, les Borgward s’illustreront également sur les routes et pistes des rallyes, comme à la Carrera Panamericana.
Carl Borgward avait, d’ailleurs, un temps, envisager la possibilité de commercialiser – en très petite série – un coupé 1500 RS inspiré des modèles de compétition. Celui-ci aurait alors dû recevoir un moteur à double arbre à cames de 95 chevaux ainsi qu’une carrosserie en alliage léger. Bien que présenter au public lors du Salon de Francfort en 1953, il n’a, finalement, jamais atteint le stade de la série. Ce que de nombreux amateurs, à l’époque comme aujourd’hui d’ailleurs, ne manqueront pas de regretter.
Si lui aussi courra sur le circuit de Montlhéry – avec, en plus des pilotes de l’écurie officielle, deux pilotes français, Poch et Mouche -, ce sera, cette fois, avec, sous son capot, un moteur… Diesel !
En dehors des versions compétition ainsi que des projets de carrosserie n’ayant pas atteint le stade de la série, on ne connaît que peu de carrosseries hors-série réalisées sur la Borgward Hansa. Seules exceptions notables, un coupé signé Deutsch – avec une carrosserie de facture très classique, mais équipé, cependant, de la mécanique de la version Sport -, deux coupés de style « fastback » réalisés par le carrossier berlinois Rometsch -, ainsi que quelques ambulances et autres corbillards dus aux carrossiers Miesen et Pollmann, spécialisés dans ce genre de véhicules.
Philippe Roche
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