FORD SERIE E / ECONOLINE – Le vrai utilitaire américain.
Si les vans et minivans sont devenus, depuis quasiment un demi-siècle déjà, une véritable « institution », une culture à part entière, au sein du paysage automobile et du public américains, c’est pourtant à un modèle étranger que l’on doit l’émergence de cette nouvelle mode aux Etats-Unis. En l’espèce, le Volkswagen Type 2, c’est-à-dire rien moins que le célèbre Kombi, lequel, aussi bien dans ses versions fourgonnettes et plateaux (ou pick-up, comme disent les Américains) que minibus ou camping-car va connaître un succès aussi rapide qu’important au sein de la clientèle américaine.
Face à ce véritable « raz-de-marée » commercial et l’insolent succès du fourgon/minibus allemand, il est évident que les constructeurs américains (que ce soit General Motors, Ford et Chrysler) ne pouvaient, « décemment », rester très longtemps les bras croisés sans réagir. Au sein de l’état-major comme des bureaux d’études des géants de Detroit, tous sont convaincus que, au vu des énormes moyens dont ils disposent, il ne leur sera guère difficile de concevoir et commercialiser, en peu de temps, leurs propres mini-vans. Et que ceux-ci arriveront, sans trop de mal, à arrêter net « l’invasion allemande » menée par Volkswagen et à refouler celui-ci au-delà de l’Atlantique (la suite montrera que ce ne sera pas le cas, mais il y a fort à parier qu’au sein des directoires des « big three », certains en étaient sans doute convaincus), en tous les cas, à croquer une bonne part de ce fabuleux gâteau.
Chez General Motors, sans doute persuadés que, pour connaître un succès comparable à celui du Kombi VW, le plus simple et logique était de copier au plus près la recette. C’est pourquoi la Chevrolet Corvair (qui sera, dans les années 60, la seule américaine à moteur arrière de grande série) est alors mise contribution et bientôt déclinée en minibus (baptisé Greenbier) ainsi qu’une fourgonnette et pick-up, exactement comme son rival allemand. Malheureusement pour GM et malgré des qualités évidentes (notamment en termes d’accessibilité et de charge utile), ces modèles ne rencontreront qu’un succès assez mitigé (à contrario, du fait de leur architecture atypique au sein de la production américaine de l’époque comme de leur rareté, ils sont aujourd’hui de véritables collectors). Chevrolet corrigera toutefois très vite le tir avec le fourgon Série G (vendu, à la fois, au sein des gammes Chevrolet et GMC) à partir de 1964.
Si le nouveau fourgon de Ford conserve, comme le Greenbier, le principe de la cabine avancée, reviendra toutefois à une architecture plus classique avec moteur avant à cylindres en ligne et propulsion. Du côté de Chrysler, c’est la division Dodge (qui, au début des années 60, n’avait encore aucune vocation ni de véritable image sportive, comme ce sera le cas quelques années plus tard et qui est la seule division du groupe à proposer une gamme d’utilitaires) qui est chargé de cette mission. Ce qui donnera naissance, en 1964, au fourgon A100. Avec Chevrolet et les versions utilitaires de la Corvair, Ford sera le premier à dégainer sa réponse au Kombi avec l’Econoline.
Si l’allure générale reste donc similaire à celle de son grand rival, l’implantation en porte-à-faux de la mécanique (ce qui sera aussi le cas pour le fourgon Dodge) aura pour effet d’engendrer un déséquilibre des masses du véhicule (surtout lorsque celui-ci roule à vide ou à vitesse élevée). La seconde génération de l’Econoline, présentée en 1968, marque une évolution sensible de son architecture mécanique, l’essieu avant, emprunté aux pick-up Série F, étant désormais placé devant le moteur. Le principe de la cabine avancée étant alors abandonné au profit d’une disposition de l’ensemble essieu-moteur-boîte de vitesses plus conventionnel et se rapprochant plus des autres fourgons et vans proposés par la concurrence américaine.
Si le dessin de la partie avant se rapproche plus de celui des utilitaires conventionnels avec un traditionnel capot à l’avant, celui-ci, ainsi que le « museau » de l’Econoline « Série II » reste néanmoins encore de taille fort réduite. Le modèle, quel que soit le type de transport pour lequel il se trouve aménagé (pour les personnes comme pour les marchandises en tous genres) se présentant encore comme un véhicule « unicorps ». Un nouveau style apparaissant, à la fois, plus imposant et plus moderne et qui fera école auprès des stylistes de GM comme de Chrysler, puisque les nouvelles générations du Chevrolet Série G ainsi que des Dodge Série A puis Série B, qui seront présentées quelques années plus tard, semblent s’en être inspirées.
L’entrée dans les années 70 voit d’ailleurs les trois modèles augmentés en taille de manière significative et passer ainsi de la catégorie des vans compacts à celle des vans full-size. Maintenant proposé en plusieurs versions différentes, en termes de finitions comme de motorisations ainsi que de longueur d’empattement et donc de charge utile (E-100, 150, 250 et 350), le Ford Série E peut désormais sans doute prétendre pouvoir répondre à tous les besoins ainsi que la plupart des budgets. Les possibilités offertes en la matière permettant, en effet, à l’acheteur de se composer, quasiment ou presque, un fourgon « sur mesure ». Ce qui explique sans doute, outre la puissance commerciale du groupe Ford ainsi que la robustesse comme les qualités du modèle, les raisons pour lesquelles le Ford Série E restera ainsi, durant plus de trente ans (des années 70 jusque dans le courant des années 2000) l’utilitaire américain le plus prisée dans sa catégorie, figurant presque toujours en tête des ventes devant ses concurrents (même si son éternel et principal rival, le Chevrolet Série G, figurera toujours en deuxième position, juste derrière lui).
Indépendamment du fait que le conservatisme est alors érigé en vertue cardinale chez Ford (et le restera encore pendant longtemps, en tout cas s’agissant de la plupart des productions américaines de la marque à l’ovale bleu), l’une des qualités premières d’un utilitaire, quel que soit sa taille et son utilisation, est d’être simple et facile d’entretien. C’est pourquoi, en Europe comme en Amérique, la plupart d’entre-eux recourent à des solutions techniques peu évoluées et éprouvées, leur permettant ainsi d’être réparés par n’importe quel mécanicien.
C’est pourquoi, contrairement à ses rivaux qui conservent (pour le moment en tout cas) une carrosserie monocoque, Ford préfère en revenir, pour la troisième génération de la Série E (commercialisée à l’automne 1974), au principe du châssis séparé. Outre les facilités que présente cette solution en termes d’assemblage sur les chaînes de production, ainsi que de réparation pour un garagiste, celle-ci offre aussi l’avantage non négligeable de permettre de proposer également une version dite « châssis-cabine ». Comme son appellation l’indique, celle-ci se présente sous la forme d’un châssis roulant ne reprenant que les éléments de carrosserie de la partie avant et permettant ainsi, aux carrossiers spécialisés, de concevoir des utilitaires destinés à des usages spécifiques (véhicules d’incendie, dépanneuse, etc.). Ce qui est beaucoup moins facile avec une carrosserie monocoque, où le châssis et la structure sur laquelle sont fixés les panneaux de la carrosserie ne forment qu’un seul et même ensemble. Outre certains de ses composants techniques, ce nouveau Série E empruntera également au pick-up Série F ses phares, feux arrière ainsi que les pare-chocs, ceci dans un souci de réduction des coûts de fabrication.
L’Econoline « Série III » demeurera au catalogue et restera pratiquement inchangée (en particulier sur le plan technique) durant pas moins de dix-sept ans. Non seulement parce que les besoins d’évolutions d’un utilitaire en termes techniques sont beaucoup moins élevés et fréquents que sur une voiture particulière (sa « rusticité » constituant souvent, comme mentionné, l’un de ses principaux atouts) mais aussi parce que (dans la production automobile comme dans beaucoup d’autres domaines), comme le dit un vieux dicton bien connu : « on ne change pas une recette qui marche ! ».
Si bien que parvenir à différencier un fourgon ou minibus Ford Série E du milieu des années 70 d’un modèle de la fin des années 80 s’apparente souvent à jouer au jeu des sept erreurs, seuls des différences de présentation intérieure et extérieure des véhicules permettant de dater (plus ou moins clairement) l’âge et donc l’année-modèle de tel ou tel exemplaire (les différences étant parfois mineures et certains millésimes n’ayant également connu aucun changement majeur, l’exercice peut s’avérer toutefois difficile). Il est vrai aussi que, durant toute la décennie des eighties, la silhouette du Série E continuait à demeurer suffisamment moderne et ne dépareillerait absolument pas au milieu des caisses carrées des voitures de tourisme de l’époque (il n’y a d’ailleurs qu’à visionner un film ou les épisodes d’une série américaine de l’époque pour s’en rendre compte).
Les principales évolutions que connaîtra celui-ci durant cette longue carrière seront le remplacement, pour l’année-modèle 79, des optiques circulaires par des phares carrés ; le masque avant qui englobe ceux-ci ainsi que la calandre intégrant également, à cette date, les clignotants ; ainsi que les lettres chromées avec le nom de Ford sur le capot remplacés par le logo de la marque au centre de la calandre à partir du millésime 83. Une nouveauté marquante et l’une des rares vraies évolutions que connaîtra cette génération sera le lancement, à la fin de l’année 78, de la version Super Van, caractérisée par son porte-à-faux arrière rallongée (disponible uniquement sur la version à empattement de 3,50 mètres). Le van à empattement standard de 3,14 m, de son côté, étant supprimé du catalogue en 1988.
Si, esthétiquement, les carrosseries des différentes versions du Ford Série E ne connaîtront donc aucune véritable modification majeure en plus de quinze ans de carrière, en ce qui concerne les motorisations, les changements seront, eux, plus nombreux. Comme il est alors d’usage sur ce genre de véhicules et à l’image de ce qui se pratique alors sur les voitures de tourisme, les fourgons et minibus Série E seront ainsi proposés, tout au long de leur carrière. Les clients n’ayant, là aussi, que l’embarras du choix, avec une large palette de moteurs à essence, aussi bien à six qu’à huit cylindres, dont les cylindrées iront de 3,93 jusqu’à 7,53 litres pour les versions à essence (le système d’alimentation, de son côté, d’abord à carburateur, passera ensuite à l’injection électronique*).
Les moteurs Diesel n’ont, en général, jamais été fortement prisés par les conducteurs américains, même sur les véhicules « utilitaires », même s’ils ont aussi connu leur heure de gloire là-bas, à la fin des années 70 et au début des années 80, suite aux conséquences des deux crises pétrolières. C’est sans doute l’une des raisons qui incitera Ford à inscrire ainsi à son catalogue, en 1982, une mécanique fonctionnant au gazole, en l’espèce un V8 d’une cylindrée initiale de 6,9 litres, portée ensuite à 7,3 litres en 1988. Si, au départ, le modèle est proposée aussi bien en boîte mécanique qu’automatique, comme cela est alors depuis longtemps le cas sur les modèles de tourisme, cette dernière finira toutefois par s’imposer également sur le Série E et sera ainsi la seule boîte de vitesses disponible au catalogue à partir de cette même année 88.
L’industrie automobile américaine, dans son ensemble, a souvent été taxée (et, la plupart du temps, à juste titre, il faut le reconnaître) d’un certain immobilisme qui offrait un contraste saisissant (et parfois assez cruel) face à l’inventivité ainsi qu’au renouvelement et à la modernisation régulière dont bénéficiaient les modèles européens et surtout japonais. Même si, chez ces derniers aussi, les utilitaires en profitent moins souvent et de manière beaucoup moins forte.
Ainsi, si, au début des années 1990, Ford décide finalement d’offrir une cure de rajeunissement à son (déjà) légendaire Série E, il ne s’agit toutefois, ici, que d’un lifting purement esthétique, la partie technique (châssis, mécanique ainsi que le reste des organes mécaniques) demeurant, quant à elle, pratiquement inchangée. Le plus gros changement que connaîtra cette « Série III bis » (une dénomination qui correspond mieux à la réalité que celle de « Série IV », même si elle présentée comme telle par Ford) sera le renouveLlement (presque) complet de sa gamme de motorisation en 1997, celle-ci comprenant désormais, en version de base, un V6 (type Essex, qui, comme son nom l’indique, provient de la gamme de la filiale britannique de Ford), deux V8 (d’une cylindrée de 4,6 l et de 5,4 litres pour le second) et même, en haut de gamme, rien moins qu’un V10 baptisée « Triton ». (Ce dernier devant, sans doute et avant tout, son existence au fait que la nouvelle supercar du groupe Chrysler, la Dodge Viper, a prêté, de son côté, son imposant V10 aux versions haut de gamme des fourgons Dodge Ram Van et pick-up Ram).
L’année 2008 voit la présentation d’une nouvelle et cinquième série, aux lignes sensiblement modernisées (même si, comme pour la précédente « Série IV », ce restylage ne touchera, essentiellement, que la partie avant. La structure ainsi que les blocs moteurs restant identiques, dans les grandes lignes, à celle de la version précédente.
Malgré des qualités toujours nombreuses et réelles, au milieu des années 2010, le Ford Série E commence néanmoins à accuser, assez fortement, son âge, surtout face à une concurrence qui, entretemps, s’est, en grande partie, renouvelée. Le Chevrolet Série G et le Dodge Série B (qui sera, par la suite, rebaptisé Ram Van) qui étaient autrefois ses principaux rivaux, ayant, en effet, été mis à la retraite, respectivement, en 1996 et 2003. Face à de nouveaux rivaux plus modernes (d’un point de vue esthétique comme sur le plan technique), comme le Dodge Sprinter (même si ce dernier n’était, en réalité, qu’un fourgon Mercedes construit sous licence, du temps du bref rapprochement entre Daimler-Benz et Chrysler) ainsi que le Chevrolet Express, le Ford Série E commençait donc, sur certains points, à faire quelque peu figure de « dinosaure ».
Il est vrai que, sans doute plus que ses concurrents, Ford s’est souvent évertué (voire « entêté ») à utiliser des solutions techniques ainsi qu’à faire perdurer des lignées de modèles dont le genre était pourtant devenu passé de mode et avait été abandonné par ses concurrents depuis dix ou quinze ans. (L’un des meilleurs exemples est sans doute celui des berlines full-size traditionnelles, avec V8, châssis séparé et propulsion), abandonné par General Motors dans la seconde moitié des années 90 et que Ford fut alors le seul à perpétuer jusqu’au début des années 2010). Le cas du Série E groupe à l’ovale bleu ayant ainsi fait de même dans le segment des utilitaires. La production des versions destinées au transport de passagers (Van, Wagon et Club Wagon) cessera fin 2014/début 2015, ceux-ci étant alors remplacéS par un autre minibus issu, désormais, de la gamme européenne de Ford, le fourgon Transit. Le « petit cousin » de la « vieille Europe » qui a fini par détrôner son « grand cousin » américain, tout un symbole !
Il n’y a d’ailleurs pas que de l’autre côté de l’Atlantique que le Transit va s’implanter à la même époque, puisqu’il commencera, à la même époque, à être produit et vendu en Australie et dans d’autres endroits aux quatre coins du monde. Le nouveau Transit, bien que d’un gabarit inférieur à l’ancien Série E (en tout cas dans sa version « standard » à châssis court) offrait (en tout cas dans ses versions à empattement allongé et tout surélevé) des capacités plus importantes en termes de charge utile, un aménagement de l’espace intérieur plus pratique et plus moderne, pourtant une charge utile supérieure ainsi qu’une plus grande flexibilité d’utilisation et une consommation bien plus réduite en terme de carburant (ce qui, il est vrai, sur ce dernier point, n’était guère difficile avec les simples et économiques quatre cylindres remplaçant les imposants V8).
Une mise à la retraite des versions de « tourisme » ainsi que des fourgons qui ne signera toutefois pas la fin totale et définitive du Série E, puisque les versions châssis cabine (en plusieurs versions, à roues arrière simples ou jumelées) restent toujours proposées aujourd’hui au sein de la gamme américaine de Ford. Prouvant ainsi que, chez Ford peut-être plus que chez d’autres constructeurs et plus encore que pour les voitures de tourisme, les utilitaires ont la vie dure !
Maxime Dubreuil
Photos DR
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