MERCEDES SSK – Missile de croisière allemand.
L’année 1927 marque le grand retour de Mercedes dans le monde des automobiles de grand sport, non seulement sur la route mais aussi sur les circuits. Une reconquête qui a d’ailleurs véritablement débuté l’année précédente, avec la présentation de la Type K. Celle-ci se distinguant de ces concurrentes, allemandes comme étrangères, par un nouveau procédé technique dont la marque à l’étoile peut alors se targuer d’être l’un des pionniers en la matière : le compresseur.
Grâce à celui-ci, qui apporte un supplément d’air bienvenu à la mécanique,l’imposant six cylindres d’atteindre la puissance fort respectable, pour ne pas dire imposante à l’époque, de 160 chevaux lorsque le compresseur entre en action. Une mécanique qui se caractérise également par sa distribution à arbre à cames en tête ainsi que son bloc-moteur en alliage léger, lesquelles ne sont pas encore légion en ce milieu des années 1920, y compris sur les voitures de prestige, où l’architecture à arbre à cames latéral ainsi que les blocs-moteurs en acier ou en fonte restent encore la norme chez nombre de constructeurs. L’ingénieur fort talentueux à qui l’on doit la conception de cette motorisation qui ne tardera pas à révéler un potentiel à la mesure de sa puissance ainsi que de sa cylindrée laissera d’ailleurs son nom à la postérité au sein du grand public avec la marque portant son nom : Ferdinand Porsche.
C’est en 1923 que ce dernier entrera au service de la firme de Stuttgart et qu’il développera, autour de cet imposant six cylindres, un châssis qui servira de base à la nouvelle Mercedes Type S. Malgré les apparences qu’elle peut éventuellement donner lorsqu’elle est habillée des carrosseries les plus élégantes et élaborées proposées sur ce modèle au catalogue Mercedes, celle-ci n’est pas encore véritablement ce que l’on pourrait appeler un modèle de grand tourisme (en tout cas au sens qui sera celui de cette appellation à partir de la décennie suivante, avec l’apparition des Delahaye 135 ainsi que les Hotchkiss et Talbot Grand Sport). Le modèle peut, en effet, revêtir l’apparence d’un luxueux cabriolet avec une imposante capote en toile aux compas chromés ; tout le reste la calandre, les phares ainsi que le reste de l’accastillage ; le tout complété par la teinte bicolore de la carrosserie (les ailes restant le plus souvent en noir, la teinte la plus vive étant réservé pour le capot, les portières ainsi que le reste de carrosserie) ainsi qu’un habitacle garni de cuir finement cousu. Mais il n’empêche que le plumage, quel qu’il soit, ne change, ici, rien au ramage, lequel, dès la mise en marche de la mécanique, ou, en tout cas, les premiers coups d’accélérateur et lorsque la voiture atteint des vitesses un tant soit peu élevé (pour l’époque s’entend), trahit ses origines ainsi que sa véritable vocation : celle d’une voiture de course.
Ce seront d’ailleurs trois exemplaires de cette nouvelle Mercedes Type S qui remporteront les trois premières places du Grand Prix d’Allemagne la même année, qui se dispute alors, pour la première fois, sur le nouveau circuit du Nürburgring en ravissant les trois premières places du classement et donc le podium en entier. Une très belle et même éclatante victoire qui a amplement de quoi donner confiance à l’ingénieur Porsche ainsi qu’à la direction de Mercedes et les convaincre qu’ils détenaient véritablement là une « machine à trophées ». La suite dans la carrière de la Type S ainsi que de ses dérivés dans les plus grandes épreuves de la compétition automobile leur donnera d’ailleurs raison, celle-ci devenant une rivale redoutable pour tous les constructeurs concurrents dans la même catégorie. Etant parfaitement conscient, dès le début du projet de ce nouveau modèle, que la compétition automobile est un univers où la concurrence est aussi nombreuse que féroce et que l’une des clés essentielles pour continuer à engranger les victoires est d’offrir à ses modèles de fréquentes remises à niveau afin de les rendre toujours plus puissantes et rapides et donc plus efficaces.
Ce qui sera fait dès l’année suivante avec l’apparition de la SSK. Le second « S » faisant référence à son châssis raccourci (Kurtz, ou « « court » en Allemand), avec pas moins de 45 cm en moins sur la longueur de l’empattement et le « K » pour Kompressor (selon l’écriture allemande du mot*). Dès ses premiers tours de roues sur les circuits, en juillet 1928, la Mercedes SSK fera la preuve de ses capacités en remportant la course de côte de Gabelbach. Une victoire, il est vrai, due également au talent de son pilote, l’Italien Rudolf Caracciola. Du talent, il en faut d’ailleurs et en quantité non négligeable afin de maîtriser cet obus sur roues (on n’emploiera pas ici le mot « missile », vu que ceux-ci n’existaient pas encore à l’époque), pouvant atteindre les 180 km/h environ (une performance énorme à la fin des années 1920, surtout lorsque l’on sait que, à titre de comparaison, une Citroën AC4 ne pouvait guère prétendre à plus de 90 km/h).
MERCEDES-BENZ TYPE S SPORTS TOURER (1927 – 28) MERCEDES-BENZ TYPE S SPORTS TOURER (1927 – 28) MERCEDES-BENZ TYPE S SPORTS TOURER (1927 – 28) MERCEDES-BENZ TYPE S SPORTS TOURER (1927 – 28) MERCEDES-BENZ TYPE S SPORTS TOURER (1927 – 28) MERCEDES-BENZ TYPE S SPORTS TOURER (1927 – 28) MERCEDES-BENZ TYPE S SPORTS TOURER (1927 – 28)
Le nouveau cheval de bataille de la marque à l’étoile permettant d’ailleurs à Caracciola, lui aussi, de faire la preuve de ses capacités, puisque c’est au volant de la SSK qu’il remportera un grand nombre de ses victoires les plus emblématiques et qui feront de lui l’un des pilotes les plus célèbres de son temps. Parmi ses titres de gloire à son volant, on notera, entre autres, les victoires remportées, deux années de suite, au Championnat européen de la montagne ainsi qu’au Grand Prix d’Irlande. Que ce soit sur les circuits, en courses de côte ou d’endurance ainsi même pour des sprints disputés sur le sable des plages européennes, elle s’y montrera toujours d’une efficacité redoutable et deviendra pour tous les autres constructeurs « la voiture à abattre », tant elle mènera la vie dure à ces derniers.
Si la SSK, désormais la version la plus puissante de la gamme Type S, tire, évidemment, la couverture à elle, les autres versions, bien que disposant de (légèrement) moins de chevaux n’en continueront pas moins leur carrière en compétition, avec quelques beaux trophées à la clé, à l’exemple du Tourist Trophy en 1929 ainsi même que, deux ans plus tard, la deuxième marche du podium lors des 24 Heures du Mans en 1931. (Cette dernière sera habillée, pour l’occasion, en torpédo à quatre places afin de répondre alors aux règles en vigueur au sein des épreuves d’endurance.
Une véritable « chevauchée fantastique » dans le monde de la course automobile pour le Type S et ses dérivés qu’ à partir de 1928, se fera toutefois sans Ferdinand Porsche. Un conflit étant, en effet, survenu entre lui et les dirigeants de la firme Mercedes (nom sous lequel sont vendus les voitures, même si celle-ci porte, officiellement, le nom de Daimler) depuis sa fusion avec le constructeur Benz, qui donnera ainsi naissance, l’année suivante à la nouvelle marque Mercedes-Benz. Le « docteur » Porsche, comme on le surnomme familièrement, décidant alors de quitter la firme de Stuttgart, cédant ainsi son poste d’ingénieur en chef à son ancien adjoint, Hans Nibel.
C’est sous l’égide de ce dernier que sera développé l’ultime évolution du Type S/K, la SSKL (« L » pour « Leicht », léger dans la langue de Goethe), laquelle bénéficiera, outre une cure d’amaigrissement de quelques 150 kg, d’un moteur dont la puissance atteindra la barre des 300 chevaux, plaçant ainsi de la Mercedes SSKL dans le top cinq des voitures de grand sport les plus puissantes et rapides de son époque (en comparant le rapport ch/l ou puissance/performance à ceux d’aujourd’hui, on peut dire, sans exagération aucune, que la SSKL était l’équivalent, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, de la Bugatti Veyron aujourd’hui!). Dans la quinzaine de victoires majeures (c’est-à-dire dans les trois premières places du classement) remportées par la SSK dans les plus grandes épreuves de la compétition automobile, on retrouve ainsi, outre le Grand Prix d’Allemagne en 1927, 1928 et 1931 ; les Mille Miglia en 1930, celui de l’Argentine en 1930 et du Brésil en 1932 ainsi que du tout premier Grand Prix à s’être tenu sur le territoire de la Principauté de Monaco, en 1929, toujours avec, à son volant, le talentueux Caracciola finira à la troisième place lors de l’arrivée (les deux premières étant remportées par deux Bugatti 35).
Au total, la SSK aura été produite à « seulement » 38 exemplaires entre 1928 et 1932 (la SSKL remportant toutefois la « palme de la rareté », avec 12 voitures de ce type sortis d’usine, contre 174 exemplaires sortis d’usine pour le Type S), ce qui peut sembler fort peu, mais c’est oublier que, même si, théoriquement, le modèle était aussi homologuée sur route avec, vu qu’elle était presque toujours équipée « en série » (là aussi, vu les chiffres de production, les guillemets sont voulus) d’une paire de phares ) à l’avant ainsi que d’une capote, elle pouvait être conduite de nuit ou par tous les temps, elle avait, avant tout et surtout, été conçue pour la compétition (que ce soit sur circuit, sur piste ou sur route), avec tout ce que cela implique en termes de difficultés de conduite, surtout à haute vitesse. Il fallait en effet avoir, si pas un talent égal à celui de Rudolph Caracciola, en tout cas, sans aucun doute, un très bon coup de volant, des réflexes eux aussi très sûrs, une attention de tous les instants ainsi que des biceps dignes de ceux d’un haltérophile (la direction assistée n’ayant pas encore été inventée et la SSK avouant tout de même un poids de 1 700 kg sur la balance, elle n’avait donc rien d’un kart). Autant dire que sa conduite ne la mettait pas à la portée de tous, son prix de vente non plus d’ailleurs. A l’époque, ceux qui en prenaient les commandes et savaient la mener jusqu’à ses limites connaissait parfaitement ce que la célèbre expression « conduite virile » voulait dire !
Si, dans les années 1920, le monde de la course automobile était encore fort proche de ce qu’il était au début du siècle, celui-ci sera toutefois amené, sur plusieurs points importants et concernant, en tout cas, les compétitions hors circuits comme les rallyes, à évoluer assez rapidement au cours de la décennie suivante. Avec l’émergence de nouvelles voitures presque tout aussi puissantes mais aussi moins éprouvantes à conduire. L’air des sportives « pures et dures » comme la Mercedes SSK touchant alors, progressivement, à sa fin.
Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage
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