ALPINE A610 – Elle avait tout d’une grande.
Lorsque s’ouvrent les portes du Salon automobile de Genève, au mois de mars 1991, les visiteurs qui se rendent sur le stand du constructeur Alpine ont le privilège de découvrir en avant-première, la nouvelle GT de la marque française. Laquelle, après avoir réussi à se construire une notoriété aussi importante que solide dans le monde de la compétition et dans l’univers des rallyes en particulier grâce à la berlinette A110, à décider, sous la houlette de son fondateur, Jean Rédélé, de prendre un virage à 180 degrés en abandonnant la catégorie des sportives « pures et dures » (certes très porteuse en termes d’image de marque mais dont la rentabilité reste toutefois assez limitée, notamment du fait de leur caractère assez radical) au profit de celle des coupés de grand tourisme.
L’intention d’Alpine, en ce début des années 70, est donc de proposer une voiture qui, bien que toujours dotées d’excellentes performances, tout en se montrant plus spacieuse, confortable et mieux équipée, avec une carrosserie présentant également des lignes plus modernes. A l’aube des seventies, le style « rondouillard » de la berlinette A110, malgré l’aura dont jouie cette dernière, est, en effet, à présent, passé de mode, celle-ci étant désormais au style « cunéiforme », avec des lignes tracées à la règle et à l’équerre.
C’est à ce nouveau courant esthétique qu’appartient l’Alpine A310, dévoilée (elle aussi) au Salon de Genève en 1971. Si la presse automobile (française mais aussi étrangère) dans son ensemble, ne manque pas de saluer la réussite de la ligne de la nouvelle berlinette du constructeur de Dieppe, elle ne manque pas aussi, en revanche, de se montrer assez critique sur les performances qui, il est vrai, ne sont pas vraiment à la hauteur de la ligne de la voiture. La faute en revenant à la puissance trop limitée du quatre cylindres de la Renault 16 dont elle doit alors se contenter. Le succès commercial de l’A310 ne se montrant pas vraiment à la hauteur des espérances de Rédélé et le programme compétition très (voire trop) ambitieux d’Alpine grevant fortement les finances du constructeur, le fondateur se voit alors obligé de céder, en 1973, la majorité des parts à son principal partenaire, Renault.
Alpine devenant, dès lors, une filiale de la marque au losange. Le montage du V6 PRV (conçu en collaboration par Peugeot, Renault et Volvo) ainsi qu’un lifting esthétique (touchant principalement la face avant, ce qu’un certain nombre d’amateurs ne manqueront pas de regretter, l’A310 abandonnant alors sa batterie de six phares sous vitres couvrant toute la largeur de la voiture pour une proue au dessin plus classique à quatre phares seulement) offrant ainsi à celle en qui beaucoup voyaient la « Porsche française » (comme elle sera souvent surnommée) les performances qui lui faisaient défaut jusqu’ici. Même si, avec 150 ch à l’arrière, la puissance paraissait toujours trop juste à certains pour prétendre pouvoir concurrencer l’indétrônable 911. Ce n’est qu’en 1983, en toute fin de carrière (et alors que le modèle atteignait maintenant les douze ans d’âge) qu’elle bénéficiera, sur la version équipée du Pack GT Boulogne, d’un V6 de presque 200 chevaux.
En 1985, après quatorze ans d’une carrière assez honorable et bien remplie, l’A310 quitte finalement la scène pour laisser (« enfin » diront certains qui, malgré des qualités évidentes, n’ont toutefois pas manqué de juger que Renault avait fait durer celle-ci sans doute un peu trop longtemps) la place à la nouvelle GTA. Si celle-ci, déclinée en versions atmosphérique et turbo, se présente d’abord et avant tout comme une Alpine avant d’être une Renault (elle a, en effet, pu abandonner le losange que s’était vue contrainte de porter sa devancière pour un nouveau logo Alpine), malgré une ligne pourtant assez réussie et des performances qui n’avaient rien de ridicule, les ventes de la GTA ne se montreront pas à la hauteur des attentes, malheureusement pour Renault, mais surtout, aussi, pour Alpine.
Beaucoup, parmi les fans de la marque, regrettant ouvertement que, parallèlement à cette tentative de conquête du marché des sportives de grand tourisme avec l’A310 et ensuite avec la GTA, la marque, ou, plus exactement, Renault) n’ait pas donné une succession à la berlinette A110, la production de cette dernière en 1977 et que celle qui avait bâtie toute la légende d’Alpine dans le monde des rallyes soit donc restée sans descendante directe.
Malheureusement pour les nostalgiques de l’A110, la direction de Renault avait considéré (sans doute à juste titre, il fait le reconnaître) que l’ère des sportives pures et dures étaient maintenant révolues, ou, en tout cas, que celles-ci n’avaient plus vraiment leur place sur le marché français de la seconde moitié des années 80 et qu’en tout état de cause, un tel modèle ne pourrait intéressée qu’une clientèle trop restreinte pour que sa production soit véritablement rentable. Si des trois grands constructeurs français, Renault fut, indéniablement, celui qui a toujours eu le plus « l’esprit sportif » (il n’y a qu’à regarder dans le détail tout ce que la marque au losange a créé et produit dans ce domaine depuis l’époque des Dauphine et R8 Gordini jusqu’à aujourd’hui pour s’en rendre compte), la question de la rentabilité (et donc du coût des différents programmes de développement ainsi que du retour sur investissements) a toujours fait partie des critères prioritaires du cahier des charges.
Ce qui est sans doute d’autant plus vrai qu’en ce tout début des années 90, Renault est encore (il faut le rappeler) une entreprise d’Etat (depuis sa nationalisation en 1954, qui marquera la création de la Régie Nationale des Usines Renault). Si le gouvernement français songe alors à revendre la majorité des parts du constructeur et donc à reprivatiser Renault (ce qui deviendra effectif en 1996), en ce début des années 90, l’Etat garde encore la haute main sur la plupart des programmes de production des nouveaux modèles. Comme l’on peut aisément s’en douter (surtout à une époque où la gauche est encore au pouvoir à l’Elysée comme à Matignon), les pouvoirs publics ne sont pas véritablement (pour dire le moins) partisans d’allouer des crédits (même réduits) pour la production de voitures de prestige.
Ce qui explique, en grande partie, que lorsque l’échec (ou, tout au moins, le demi-échec, car, à défaut d’avoir répondu aux espérances des dirigeants de Renault, la GTA a néanmoins atteint une production suffisante pour leur permettre de rentrer dans leurs frais) de la GTA devint évident et que les hommes du bureau d’études voulurent alors commencer les travaux sur la conception d’une nouvelle GT destinée à lui succéder, le moins que l’on puisse dire est que l’état-major du constructeur au losange ne fait pas montre d’un enthousiasme particulièrement grand. Si personne, au sein du grand public, ne le sait encore ou ne s’en doute même à aucun moment, c’est sans doute à ce moment-là que certains, au sein de la direction de Renault (parmi lesquels, probablement, le PDG de la marque, Raymond Levy, lui-même), commencent à songer à supprimer, purement et simplement, la marque Alpine.
Le manque de succès de ces GT, qui ambitionnaient de devenir l’égal des Porsche, auprès du public l’ayant, d’une part, marginalisé et, d’autre part, les versions à hautes performances des modèles de la gamme Renault (Clio 16S et Williams, R19 16S, R21 et R25 Turbo) suffisaient à maintenir l’image sportive du constructeur français auprès du public visé. Autant d’éléments et de raisons qui expliquent qu’aux yeux de Levy et de son équipe, Alpine, aussi glorieux qu’ait été son passé, n’a donc plus vraiment de raisons d’être. Si les membres du directoire de Renault ont sans doute essayé de faire en sorte que ce projet ou cette « hypothèse », mise sur la table du conseil d’administration ne soit pas rendu publique au sein du personnel de l’entreprise, cette information finit toutefois, assez rapidement (par des confidences et des indiscrétions) auprès d’une partie des cadres, parmi lesquels les stylistes et ingénieurs du bureau d’études, dont la plupart demeurent fort attachés à la marque Alpine.
C’est pourquoi ces derniers vont alors batailler auprès de la direction pour que celle-ci accepte de donner son accord à l’étude et au lancement d’une descendante à la GTA. Si cette dernière, devant la détermination et le pouvoir de conviction dont ces derniers sauront faire preuve, leur accorde son feu vert, ce n’est toutefois que « du bout des lèvres que les instances dirigeantes de la « future ex- » Régie Renault ont donné leur accord, qui plus est en les avertissant d’emblée que le budget qui ne sera pas illimité (comprenez : des plus limités). En plus du fait que Renault ne croyait alors plus guère ni dans le potentiel et donc la réussite de cette nouvelle Alpine ni dans l’avenir de la marque, plus généralement (si les dirigeants du losange à l’époque se trompaient concernant la marque en elle-même, comme l’a montré le lancement de l’A110 « nouvelle génération », quelques années auparavant, concernant la descendance qui sera donnée à la GTA, la suite des événements leur donnera toutefois raison, malheureusement, il est vrai qu’en ce début de la dernière décennie du 20ème siècle, le constructeur au losange a aussi d’autres projets ainsi que d’autres priorités. Notamment la finalisation de sa nouvelle berline haut de gamme, la Safrane, destinée à remplacer la R25 et qui sera présentée au public en 1992.
Autant dire que les membres du bureau d’études comprennent rapidement, avant même de connaître le montant exact de l’enveloppe qui leur sera allouée, qu’ils n’auront sans doute pas les coudées assez franches sur le plan budgétaire, pour développer un modèle entièrement nouveau. En clair, qu’ils se retrouveront donc contraints de faire, d’une certaine façon, « du neuf avec du vieux », autrement dit : de remettre la GTA au goût du jour. Aux yeux des stylistes (et même si l’on peut aisément deviner qu’ils auront certainement espéré pouvoir repartir d’une feuille blanche en créant ainsi un nouveau modèle à la ligne entièrement inédite), cela ne pose toutefois pas de problèmes particuliers, car la ligne de la GTA, présentée en 1985, est encore tout à fait moderne et actuelle. Ce qui offre donc, pour les hommes du bureau d’études, le grand avantage de pouvoir en réemployer la plus grande partie de l’outillage de l’ancienne GTA (même si, en réalité, l’A610 n’avait aucun des panneaux de carrosserie en commun avec elle) en ne devant apporter qu’un lifting assez léger ou limité.
Le dessin de la face avant ayant toujours été la partie la plus critiquée de la ligne de cette dernière et n’ayant, notamment, jamais fait l’unanimité auprès des fans de la marque (sans doute parce que, bien que plutôt réussie et assez moderne, les grandes vitres de forme trapézoïdale qui abritaient les phares manquaient quelque peu de sportivité aux yeux de ces derniers), c’est donc sur celle-ci que va se concentrer, en premier lieu, l’attention des designers. Même si ceux-ci étaient escamotables se retrouvent encore sur un certain nombre de GT mais aussi des sportives à hautes performances (au premier rang desquelles figurent les Ferrari mais aussi la BMW Série 8 ou des muscle cars américains comme la Pontiac Firebird et la Corvette, ce qui explique sans doute que les stylistes chargés du relooking de la GTA les aient adoptés sur sa remplaçante. Toutefois, là aussi, ces derniers ne sont pas partis d’une feuille vierge, puisque l’autre source principale de l’idée de doter la nouvelle Alpine de phares rétractables est sans doute à chercher dans le prototype de la version américaine de la GTA.
Développée à l’époque où la marque au losange était encore présente sur le marché américain (via sa filiale AMC – American Motors Corporation, rachetée en 1979), celle-ci ambitionnait de conquérir la catégorie des « golden boys » et autres membres des classes américaines aisées au sein desquelles les GT européennes étaient, depuis longtemps fort prisées. Afin de pouvoir partir conquérir l’Amérique, l’Alpine GTA dut toutefois recevoir un certain nombre de modifications assez importantes afin de répondre aux normes (souvent très strictes) de la législation américaine.
Si, extérieurement, outre les phares escamotables, cette GTA US se reconnaît aussi à ses pare-chocs redessinés et, surtout, plus épais (l’un des points clés de la législation en vigueur aux USA étant que ceux-ci doivent pouvoir supporter des chocs à 15 km/h sans subir de dégâts apparents), les changements les plus importants et les plus nombreux sont cependant ceux qui ont été apportés à la structure de la voiture. Le berceau avant tubulaire ainsi que le plancher en fibre de verre autour du châssis-poutre se trouve ainsi remplacé par des éléments en acier embouti, à la fois plus rigide et plus résistant. Ces modifications imposées pour l’homologation aux Etats-Unis permettant également d’obtenir une répartition des masses, bien meilleures que sur la GTA, laquelle, avec les deux tiers de son poids (62 % exactement) supporté par le train arrière, contre un tiers seulement (les 38 % restants) sur le train avant, se trouvait souvent handicapée par une tenue de route assez aléatoire, en particulier sur les parcours sinueux pris à haute vitesse.
L’objectif des ingénieurs sur ce point étant d’obtenir une répartition des masses proche de l’idéal (c’est-à-dire des 50/50), ceci, évidemment, afin d’obtenir une tenue de route optimale. Ce qu’ils ne seront pas loin d’atteindre, puisque, sur l’A610, celle-ci atteindra 43 % pour la partie avant et 57 % pour la partie arrière. Pour arriver à ces chiffres, il a toutefois fallu procéder à une réorganisation de l’espace avant et sacrifier le (seul et faible) espace qui était auparavant dévolu pour les bagages (avec pour conséquence que ceux qui souhaitaient partir en villégiature sur la Côte d’Azur en emmenant leurs deux jeunes enfants avec eux devaient alors se résigner à laisser l’Alpine au garage et à opter pour la Jaguar ou la Mercedes (les dossiers des deux sièges arrière pouvant se rabattre pour accueillir deux ou trois valises, sauf, évidement, s’ils sont occupés).
Autres changements opérés en vue d’une meilleure répartition des masses, la modification de l’emplacement de la batterie ainsi que le montage d’un réservoir d’essence de plus grande capacité (qui offre aussi l’avantage d’une autonomie accrue, selon certaines sources, c’est également pour cette raison que les ingénieurs, rejoignant en cela le choix fait par les stylistes, ont privilégié les phares escamotables, plus lourds de quelques kilos que les optiques classiques. Le compartiment moteur à l’arrière bénéficie, quant à lui, d’un berceau moteur plus rigide ainsi que d’ancrages de suspensions renforcées (le poids de la mécanique pesant, en effet, assez fortement sur les trains roulants). Le tout complété par une barre antiroulis de plus grand diamètre ainsi que de nouveaux ressorts et amortisseurs dotés de réglages spécifiques. Autant de modifications plus ou moins importantes suivant les cas, mais qui furent, toutes jugées nécessaires ou utiles par les ingénieurs de l’usine de Dieppe afin de corriger au mieux l’ensemble des défauts (ou, tout du moins, les plus flagrants) qui avaient été, auparavant, pointés du doigt par la presse automobile comme par les clients de la marque sur la précédente GTA.
Une mission qui fut d’ailleurs amplement réussie car les essais et commentaires qui furent publiés dans la presse lors de la présentation de l’A610 se montreront fort élogieux, illustrant ainsi tout le talent des ingénieurs dieppois malgré la faiblesse du budget qui leur avait été accordé. Concernant la motorisation que l’on retrouverait également sous le capot de toutes les grandes berlines françaises : Citroën XM, Peugeot 605 et Renault R25 / Safrane). Bien que lancé à un moment peu propice (pour dire le moins) aux moteurs de grosses cylindrées (en 1974, juste après l’éclatement de la première crise pétrolière, ce qui ajournera puis enterrera d’ailleurs le projet d’un V8) et qui pâtit encore de défauts rédhibitoires dans sa version d’origine (soiffarde en carburant, sans compter une sonorité plus proche d’un engin agricole que de celle d’un V8 ou d’une V12 de chez Ferrari), le moteur Peugeot-Renault-Volvo (en référence aux trois constructeurs qui ont participé à sa conception) a su se « bonifier » avec le temps.
A tel point d’ailleurs que dans la version que l’on retrouvera sous le capot (ou, plutôt, la lunette arrière) de l’Alpine A610, on peut dire, sans exagération aucune, que, sur bien des points, il n’a plus rien, ou, en tout cas, plus grand-chose à envier à de nombreux V8 américains ou moteurs européens de cylindrée comparable, notamment en ce qui concerne le rapport ch/l. Affichant ici près de trois litres de cylindrée 52 975 cc, très exactement) et bénéficient d’une suralimentation assurée par un turbo Garrett T3, il développe une puissance fort « confortable » de 250 chevaux permettant ainsi à cette superbe GT d’atteindre une vitesse de pointe de 265 km/h, rien de moins. Une performance d’autant plus remarquable que ces chiffres hissaient l’A610 au niveau de la plupart des meilleures grandes routières et sportives allemandes, à l’image des BMW Motorsport ou des Mercedes AMG (même s’il est vrai que celles-ci, notamment pour des raisons de sécurité lorsqu’elles étaient conduites à haute vitesse, voyaient leur vitesse limitée à 250 km/h).
En tout cas, nos voisins teutons, grands amateurs et connaisseurs en matière de voitures à hautes performances, sauront l’apprécier à sa juste valeur, car l’Allemagne sera, non seulement, le premier marché d’exportation du modèle mais aussi celui où s’écouleront pas moins des deux tiers de la production. Sans doute conscients, dès le départ, que la clientèle française, dans sa grande majorité, avait perdu, depuis longtemps, la notion de ce qu’était une sportive française de prestige (surtout depuis la disparition des derniers constructeurs spécialisés dans ce genre de modèles en France dans les années 50 et 60 comme Delahaye, Hotchkiss et Facel-Vega), les responsables d’Alpine avaient compris que (outre le fait de devoir corriger les défauts les plus importants de la GTA), pour assurer à la nouvelle A610 les meilleures chances à la nouvelle A610 de connaître un vrai succès commercial, il leur fallait regarder au-delà du marché français et donc miser clairement le marché d’exportation. Le bureau d’études réalisant même une version équipée du volant à droite destinée au marché britannique.
Malheureusement pour le constructeur de Dieppe, les Anglais (réputés pour être souvent animés, en matière d’automobiles comme dans beaucoup d’autres domaines, par un certain « chauvinisme ») se montreront beaucoup moins réceptifs aux charmes (pourtant grands) de l’A610, puisque seuls 67 exemplaires (en tout et pour tout) seront vendus outre-Manche. L’incompréhension ainsi que le mépris auxquelles s’est heurtée l’Alpine A610 durant sa (sans doute trop) courte carrière paraît donc d’autant plus cruelle que, même si la clientèle (et celle du marché français en particulier) ne leur a pas donné raison, les hommes du Berex (le Bureau d’Etudes et de Recherches Exploratrices de Renault, installé à proximité de l’usine Alpine de Dieppe) ont eu raison de persister, presque « contre vents et marées », dans leur « partie de bras de fer » avec la direction de la marque au losange afin de parvenir à faire de la remplaçante de la GTA une véritable rivale des Porsche et Ferrari.
Si, comme mentionné précédemment, les dirigeants successifs de Renault avaient tous parfaitement conscience de l’impact aussi profond que bénéfique que pouvait avoir sur l’image d’un constructeur auprès du public la compétition automobile (sous toutes ses formes, qu’il s’agisse des sports-prototypes, du rallye ou de la Formule 1), il semble clair, cependant, que, globalement, la valorisation ainsi que le devenir de la marque Alpine n’ait jamais vraiment fait partie de leurs priorités. A tel point que certains d’entre-eux, ou, en tout cas, à certains moments, ont dû se demander les raisons qui, en 1973, avaient convaincus Pierre Dreyfus, le PDG de l’époque (qui présida aux destinées de la marque entre 1955 et 75) la racheter, ne sachant pas toujours exactement quoi en faire. Surtout, ces derniers avaient bien conscience, dès le départ, que ce n’étaient pas les quelques centaines d’A110 et, ensuite, d’A310 et de GTA qui permettraient de remplir les caisses du constructeur au losange.
Si Alpine est néanmoins parvenu, à la fois, à perdurer durant la seconde moitié des années 70 et les années 80 ainsi qu’à continuer à incarner une certaine image du sport automobile à la française, ce ne fut, dans l’ensemble, pas vraiment grâce à Renault, mais bien, plutôt, sur certains points, malgré les actions (ou, plutôt, l’inaction) du nouveau propriétaire de la firme de Dieppe. L’échec commercial subi par l’A610 étant donc bien à mettre sur le compte des présidents ainsi que des principaux cadres qui se sont succédés au sein de l’état-major de Renault et qui, au lieu de consacrer le temps ainsi que l’argent nécessaire pour offrir à la marque fondée par Jean Rédélé le destin qu’elle aurait mérité. Si d’aucuns (à l’époque de sa sortie d’aujourd’hui encore) peuvent pointer qu’une autre raison de l’échec de l’A610 vient du fait qu’elle n’ait pas su s’affranchir suffisamment de la GTA et donc de sa trop grande parenté avec cette dernière, la cause s’en trouve, là aussi, dans le fait qu’Alpine fit toujours (ou, tout du moins, souvent) partie des parents pauvres de la famille du losange.
C’est pourquoi, après avoir laissé (lentement mais sûrement, ou inexorablement) l’image d’Alpine se détériorer, tant auprès de la clientèle des GT de prestige que du grand public, en comprendra aisément que la grande majorité de ceux qui ne juraient que par les sportives de Maranello ou Suttgart aient préféré (ou n’aient même guère été tentés) de commettre d’infidélité au profit d’Alpine, qui eu le tort de ne jamais pouvoir se prévaloir d’une ascendance suffisamment prestigieuse à leurs yeux. En conséquence, il n’est guère surprenant qu’en juillet 1995, Renault décide finalement d’arrêter les frais et, en plus de l’arrêt de la carrière de l’A610 (dont la production avait d’ailleurs déjà été arrêtée au mois d’avril précédent) annonce, purement et simplement, la suppression de la marque Alpine.
Si (comme on peut aisément l’imaginer) la nouvelle ne manque pas de faire l’effet d’un coup de tonnerre au sein de tous les amateurs d’Alpine, elle ne fut toutefois pas véritablement une surprise pour la plupart d’entre-eux. Cela faisait, en effet, un certain temps déjà depuis environ deux ans déjà que la presse automobile s’était chargée de propager la rumeur quant à la fin de la marque. Les confidences ou les indiscrétions de certains cadres de Renault sur le fait qu’aucun nouveau projet n’était à l’étude pour donner une éventuelle remplaçante à l’A610 ou qu’il avait été mis fin à ceux qui étaient jusqu’ici sur la table au sein du bureau d’études n’étant évidemment pas de nature à les rassurer, bien au contraire. Selon les chiffres émanant de l’usine de Dieppe elle-même, 818 exemplaires (très exactement) de l’A610 sont sortis des chaînes de production de celle-ci, dont 313 seulement furent immatriculés neuves en France (histoire de bien enfoncer le clou et d’apporter la preuve par les chiffres que les Français ont bel et bien boudés cette pourtant superbe GT, au profit de leurs voisins d’outre-Rhin).
Au vu de sa carrière aussi courte (quatre ans à peine donc, ce qui, depuis le lancement de l’A110 en 1962, représente un record de brièveté dans l’histoire de la firme de Dieppe), il n’est guère étonnant que celle-ci n’ait connu aucune véritable évolution significative et que les changements qui y furent apportés se comptent presque sur les doigts d’une main. Mécaniquement, le seul qui mérite sans doute d’être mentionné ici (et qui permet, accessoirement, de reconnaître, sur le plan technique, une A610 vendue hors de France) est la (très légère) réduction de cylindrée qui sera apportée, à partir de mars 1993, sur les voitures destinées à l’exportation : 2 963 cc au lieu de 2 975 cc initiaux. Celle-ci résultant de la nécessité pour le V6 PRV de s’adapter aux normes antipollution spécifiques à certains pays, cette modification n’ayant toutefois aucune incidence ni sur les performances ni sur le comportement du moteur. Extérieurement, les jantes type « turbine » cèdent alors la place, au même moment, à un nouveau modèle en « étoile » que l’on retrouvera également plus tard sur le Spider Renault qui succédera à l’A610 sur les chaînes d’assemblage de l’usine de Dieppe.
Etant donné la brièveté de sa carrière, cette dernière n’eut guère la possibilité (contrairement à ses devancières, l’A310 et la GTA) de se voir déclinée dans des versions spéciales, qu’elles soient destinées à la route ou au circuit. La seule exception remarquée sera la série limitée Magny-Cours, présentée sur le circuit du même nom, près de Nevers, en juin 1992. Bien que la compétition fasse partie de l’ »ADN » de la marque depuis ses origines (le nom d’Alpine lui-même ayant été choisi par Jean Rédélé en référence à la Coupe des Alpes, une célèbre épreuve de l’époque où ce dernier s’était souvent illustré comme pilote de course pour Renault), ce n’est pourtant, toutefois, que la seconde fois que le nom d’un circuit français se voit apposé sur une Alpine. (La première étant sur la GTA Le Mans, dernière évolution de l’Alpine GTA, présentée peu de temps avant la fin de la production de celle-ci, en 1991).
Extérieurement, la série spéciale Magny-Cours se différenciait d’une A610 « standard » par sa teinte de carrosserie spécifique, un vert foncé nacré. Même si d’autres nuances de vert étaient aussi proposées dans le nuancier de couleurs du catalogue Alpine : verts « Scarabée » et « Sphinx » (uniquement disponibles toutefois durant les deux premiers millésimes de production, 1991 et 92). Réservée uniquement au marché français, cette série limitée était, avant out, destinée à diriger à nouveau les projecteurs et donc l’attention de la presse automobile et de la clientèle des GT sportives sur l’A610, dont les ventes, après seulement deux premières années de production, étaient déjà au plus bas. Si le nom ainsi que le lieu du circuit de Magny-Cours furent choisis pour baptiser et aussi pour dévoiler cette nouvelle version de l’A610, c’est aussi car ce fut sur la piste de celui-ci, inaugurée peu de temps auparavant, que Renault avait remporté le Grand Prix de France de Formule 1 (qui s’y courait alors pour la première fois) en 1991.
Outre la couleur de carrosserie (que l’on retrouve aussi sur la partie centrale des jantes), l’appellation « Magny-Cours » se retrouve aussi, apposée en lettres autocollantes sur les portières, la dénomination « A610 Turbo » inscrite en vert (et non plus en blanc comme sur les A610 « normales ») ainsi que les sorties d’échappement chromées différenciaent également un exemplaire de la série Magny-Cours d’un modèle de production courante. A l’intérieur, l’habitacle bénéficie sur les sièges (avant et arrière) ainsi que les contre-portes d’une sellerie en cuir noir « piqué » spécifique, que beaucoup d’amateurs d’Alpine jugent de meilleure qualité que celle, elle aussi en cuir, qui était proposé en option sur les A610 « standard », une sellerie en velours étant installée de série, de la même couleur gris « Cendre. Même si d’autres teintes de cuir, bleu « Glacier » ou « Electrique », ou encore une combinaison gris clair et bleu Electrique furent aussi proposées sur certains millésimes ou plusieurs marchés à l’étranger). Une autre spécificité de l’habitacle étant la planche de bord teinte en noir (gris cendré sur les A610 « courantes ») équipée, derrière le volant de cadrans et instrumentation de couleur blanche sur fond vert pâle.
Derniers détails spécifiques qui soulignent bien le caractère exclusif de cette série, la plaque en métal argenté portant le nom de la série ainsi que le numéro de production de celle-ci, un nom que l’on retrouve, accompagné du « A » fléché (reprenant celui de l’emblème de la marque) gravé sur la protection des marchepieds. Concernant la production de la série Magny-Cours, elle n’a sans doute pas dépassé les 32 exemplaires (ce qui est toutefois plus que ce qui était prévu à l’origine, puisque la série devait au départ se limiter à une vingtaine d’exemplaires seulement). Si la Magny-Cours fut la seule série spéciale commercialisée sur l’A610, il exista toutefois une autre série (extrêmement), limitée sur ce modèle et qui constitue aujourd’hui une sorte de « Saint-Graal » pour un grand nombre d’amateurs du modèle : l’Albertville 92 (appelée aussi Olympique 92). Reconnaissable à sa teinte de carrosserie et ses jantes peintes en blanc « Gardénia » ainsi que sa sellerie en cuir gris argenté à liserés bleus et l’inscription « Albertville 92 » sur les portières ainsi que le bouclier arrière.
Cette version ne fut jamais destinée à être commercialisée, les deux seuls exemplaires qui en furent réalisés étant destinés à véhculer les VIP lors des Jeux Olympiques d’Hiver qui se déroulèrent à Albertville, en Haute-Savoie, en 1992 et dont Renault fut l’un des partenaires officiels. De ces deux voitures uniques, il n’en existe plus qu’une seule dans son état d’origine, le second exemplaire ayant été (malheureusement, peut-être?) relooké par le Centre Alpine dirigé alors par Rovert Guiot dans une livrée à dominante jaune et bleue pour l’opération « Liberté », durant laquelle le journaliste Dominique Pascal effectuera à son volant, en octobre 1992, un parcours de plus de 7 500 kilomètres sur les routes d’Europe.
Malgré des performances qui la hissaient sans difficultés au même niveau qu’une Porsche 911 Carrera 2 ou d’une Lotus Esprit Turbo SE, l’A610 Magny-Cours (laquelle, mécaniquement, demeurait identique à la version « standard ») pouvait également revendiquer un prix de vente moins élevé que ses rivales : 443 000 francs (même si celui-ci monta à 465 0000 francs pour les derniers exemplaires sortis en septembre 1994), contre 470 000 F pour sa concurrente allemande et près de 540 000 F pour celle venue d’Angleterre), cette série spéciale ne pouvait sans doute suffire, à elle seule, à redorer le blason de l’A610 comme celui d’Alpine. Ce qui n’empêche toutefois pas le Berex d’être toujours convaincu du potentiel de l’A610 (en tout cas sur le plan des performances), puisque celui-ci étudiait le projet d’une version encore plus sportive (type « compétition-client ») à l’image des versions course homologuées pour la route que l’on retrouve au catalogue de certaines GT et supercars), allégée et équipée d’un V6 dont la puissance était portée à 290 chevaux.
La décision prise par Renault en 1995 d’arrêter la production de l’A610 et ensuite de supprimer la marque Alpine en empêchera toutefois la commercialisation, peu de temps avant la date prévue pour sa présentation officielle. Si le lancement du Spider Renault ainsi, par la suite, que les versions sportives (parfois très radicales) des modèles de la gamme Renault (à l’image, notamment, de la Mégane RS) permettront de maintenir l’activité et donc de garantir l’avenir de Dieppe, pour les cadres et ouvriers de celle-ci, il est clair que ce couvent qui fit tomber la direction du losange sur la firme créée par Jean Rédélé leur laissera pendant très longtemps, un goût amer.
Si tous les fans de celle-ci ne manquèrent évidemment pas de se réjouir de la renaissance d’Alpine, en 2018, ils furent toutefois fort nombreux à trouver que l’attente fut bien longue : près d’un quart de siècle, en effet (vingt-trois longues années, très précisément). L’histoire de l’automobile ayant été émaillée de résurrections éphémères avortées (Talbot, Maybach, Jensen, Hispano-Suiza, Isotta-Fraschini et d’autres encore), tous aussi nombreux sont les Alpinistes qui, aujourd’hui encore, continuent à croiser les doigts pour que Renault réussisse à assurer à Alpine un avenir aussi durable que prospère… Comme le dit un vieux dicton bien connu : qui vivra verra !
Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage
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En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=PgjLfKYSndg&ab_channel=StreetRider