ALPINE GTA V6 GT et TURBO – Renaissance avortée de la GT française.
Il est toujours difficile de succéder à une légende, que ce soit dans le monde des sportives comme dans tous les autres segments qui existe au sein du marché automobile. Dans ce domaine et en France, le cas d’Alpine pourrait sans doute faire figure de cas d’école. Les différents modèles qui se sont succédé depuis le début des années 70 jusqu’à la disparition de la marque (jusqu’à sa renaissance, longtemps attendue par les admirateurs des voitures créées par Jean Rédélé), en 2018) n’étant, en effet, jamais véritablement parvenus à sortir de l’ombre de la plus glorieuse des Alpine, la berlinette A110.
Auréolée de ces nombreuses victoires dans les plus grandes épreuves du monde des rallyes, cette dernière, même après l’arrêt de sa production, en 1977, continuera de planer au-dessus de la tête des modèles qui se succéderont ensuite sur les chaînes de l’usine historique de Dieppe. Un peu à l’image des personnages de certaines livres ou films où un nuage faisant sans cesse pleuvoir la pluie se tient en permanence au-dessus d’eux, comme pour leur rappeler ainsi que signifier aux autres et en permanence que, où qu’ils aillent et quoi qu’ils fassent, ils seront toujours poursuivis par la poisse. Certes, dans le cas d’Alpine, cela peut paraître un peu caricatural mais c’est néanmoins l’impression qu’ont souvent dû ressentir les responsables nommés par Renault à la tête de la marque après que celle-ci ait été rachetée à son fondateur en 1973.
L’ambitieuse A310, dévoilée en 1971, certes plus moderne, plus spacieuse et confortable que la légendaire A110, manquait toutefois encore de la cavalerie nécessaire pour pouvoir véritablement prétendre incarner la « Porsche française » ainsi que le souhaitait son créateur (et comme la presse automobile, aussi enthousiaste qu’un peu trop cocardière, s’était empressée de la présenter. Ajoutez à cela un programme en compétition, là aussi, sans doute trop ambitieux, avec des engagements en catégorie sport-prototype, en rallye, ainsi qu’en Formule 1 et 2, ce qui faisait sans doute un peu trop de fers au feu pour un petit constructeur comme Alpine. D’autant que celui-ci avait encore l’échelle de l’artisan-constructeur qu’il était à ses débuts ainsi (sans doute la conséquence de cela) des méthodes de travail semi-artisanales. Renault détenant désormais la majorité des parts de la firme de Dieppe, celui-ci ne va, évidemment, pas tarder à imposer son style de management ainsi que ses directives concernant l’orientation de la marque.
Aux yeux des décideurs de ce qui est encore, à l’époque, la Régie Nationale des Usines Renault (pour reprendre la raison sociale de la marque au losange, qu’elle porte depuis sa nationalisation en 1945), l’ère des petites sportives spartiates destinées avant tout à la compétition est, à présent, révolue. L’heure est maintenant au grand tourisme et le sport doit, désormais et obligatoirement, rimer avec confort. Il est vrai que, s’agissant de la clientèle des berlines grandes routières ou de prestige comme de celle des sportives, la plupart des conducteurs n’imaginent plus rouler à 200 km/h sans jouir des équipements et d’un confort en rapport avec les performances de leur voiture. Malgré un contexte économique pourtant, a priori, peu favorable aux sports motorisés ainsi qu’au grand tourisme automobile en général (avec la flambée que connaissent, depuis l’automne 1973, les prix de l’essence ainsi que les premières limitations de vitesse sur les nationales et autoroutes qui ont de quoi frustrer nombre d’automobilistes), Renault est bien décidé à jouer pleinement la carte de la performance. Non seulement avec Alpine mais aussi avec ses propres modèles (à l’image de l’emblématique et sauvage R5 Turbo).
Concernant la marque dieppoise, la première décision essentielle qui est prise est de revoir en grande partie l’A310, non seulement en ce qui concerne sa ligne mais aussi (et surtout) sa mécanique. Les hommes de Renault ayant bien compris que, si cette dernière veut pouvoir revendiquer pleinement le titre de « Porsche française », il lui faudra une mécanique bien plus puissante que le simple quatre cylindres de la Renault 16 dont elle était équipée jusqu’ici. Cela tombe bien, car il se trouve que le bureau d’études du losange a justement, dans sa banque d’organes, la mécanique idéale (à leurs yeux) : le nouveau V6 PRV, mis au point en collaboration avec Peugeot ainsi qu’avec le Suédois Volvo (d’où les trois initiales). Dans sa version initiale, ce moteur souffre d’un fonctionnement un peu bancal, d’une sonorité pas très agréable ainsi que d’une gourmandise parfois un peu trop grande en carburant. Sans compter que, bien qu’ayant été quelque peu retravaillé avant d’être monté à l’arrière de la berlinette A310, il ne délivre toutefois et au total que 150 chevaux, ce qui paraît quand même un peu « juste » pour prétendre aller faire la chance aux Porsche. (Même si la comparaison des données techniques montre pourtant que l’Alpine affiche des performances similaires à celle d’une 911 de base). En tout cas, les acheteurs intéressés seront bien de se contenter de cela, d’autant plus que la version originelle à quatre cylindres disparaît du catalogue en 1977, un an après la présentation de l’A310 V6. Laquelle se reconnaît, au premier coup d’oeil, de son aînée par sa nouvelle face avant perdant sa batterie de six phares, abrités sous une double vitrine, qui occupait toute la largeur de la voiture (ce que beaucoup ne se priveront pas de regretter).
Malgré une carrière pas toujours facile sur le plan commercial, l’Alpine A310 connaîtra néanmoins ce que l’on peut considérer comme un succès assez honnête et même plutôt probant, surtout au vu de l’autophobie qui commence, rapidement et sûrement, à gagner une partie de plus en importante de la société française. Sans compter un marché où la concurrence, surtout étrangère, ne manque pas et où, en plus d’avoir les dents longues, celle-ci peut souvent se prévaloir d’une ascendance bien plus ancienne et/ou noble que l’Alpine. Malgré ses nombreux titres remportés en rallyes (grâce à l’A110), le constructeur dieppois n’a, en effet, jamais vraiment réussi totalement à faire oublier ses origines roturières. Une image en grande partie infondée ou un regard faussé par ce que l’on appelerait, au sein de la société humaine, des préjugés de caste mais qui leur collera malheureusement aux pneus juqu’à la fin.
Si, après un début de carrière en demi-teinte, faute de pouvoir disposer, dès le départ, d’une motorisation adéquate, la berlinette A310 est finalement parvenue à montrer le meilleur d’elle-même grâce au V6 PRV, au milieu des années 80, alors qu’elle vient de dépasser les douze ans d’âge, elle ne peut plus vraiment masquer ses rides. Elle ne sera donc jamais véritablement parvenue à faire (sans doute même un tant soit peu) trembler la (déjà) « sacro-sainte » et incontournable 911 ni à atteindre pleinement les espérances mises en elle par Jean Rédélé comme, après lui, par les dirigeants de Renault. Ces derniers ne se découragent pas pour autant et croient toujours dans les chances d’Alpine de parvenir à s’imposer sur le marché des GT, certains d’entre-eux voyant sans doute même comme un devoir national de défendre les couleurs de la France sur les autoroutes nationales, face à des rivales allemandes, anglaises et italiennes qui voudraient en faire leur chasse gardée exclusive. Autant dire que le public (en particulier la clientèle visée) ainsi que les représentants de la presse automobile attendent l’arrivée de celle qui doit prendre la succession de l’A310 au tournant.
Si les premiers dossiers de presse sont remis à ces derniers par Renault au tout début du mois de janvier 1985, ce n’est toutefois qu’à la fin de ce même mois que la naissance de cette nouvelle berlinette, baptisée de l’appellation GTA (signifiant, tout simplement, Grand Tourisme Alpine) sera officiellement annoncée. Le public devant encore patienter jusqu’à l’ouverture du Salon de Genève, au mois de mars suivant, pour avoir la possibilité de l’admirer en détail. Si les grandes lignes de sa silhouette (notamment dans les dessins des vitres latérales et du pavillon) évoquent assez fortement sa devancière (ce qui est sans doute voulu, la nouvelle venue en est toutefois une réinterprétation dans un style plus moderne, conforme aux nouveaux canons esthétiques en vigueur dans les années 80. Où le style dit « cunéiforme » est désormais la norme, entièrement composée, donc, de lignes droites et d’angles vifs, avec juste quelques arrondis subtils à certains endroits, comme dans le dessin des vitres arrière, du pare-brise ainsi que de la lunette arrière.
Le travail des stylistes ainsi que des ingénieurs ne s’est toutefois pas limité à concevoir une GT dont l’esthétique soit le mieux possible « dans l’air du temps », mais aussi à ce que la nouvelle Alpine puisse offrir un habitacle plus accessible, spacieux, confortable et ergonomique de sa devancière. Il est vrai qu’en dépit d’améliorations (plus ou moins importantes) au fil du temps, l’espace ainsi que l’ergonomie n’ont jamais vraiment figuré parmi les principaux points forts de l’A310 (même s’il convient de rappeler que certaines de ses rivales, dont la Porsche 911, étaient loin d’afficher l’habitabilité d’une berline ou d’un break). Trahissant, là aussi, comme dans les défauts de sa finition (malgré les améliorations tangibles apportées au fil du temps, sur ce point non plus, la française n’arrivera jamais à se hisser au niveau de son encombrante rivale germanique) le caractère artisanal de sa conception. Bien conscient que cela a dû quelque peu nuire au succès de l’A310, surtout à l’étranger, où même les sportives semi-artisanales pouvaient se prévaloir d’une qualité de finition nettement supérieure, le bureau d’études a bien réalisé que pour parvenir à réussir là où cette dernière a échoué et donc à se faire une place à l’exportation comme sur sa terre natale, tous les critères susmentionnés devront être sérieusement revus à la hausse.
Toutefois, concernant les principales caractéristiques de son architecture, on reste ici en terrain bien connu car (« on ne change pas une recette qui marche » !). Ainsi, comme sur l’A310 (en quatre comme en six cylindres) et comme sur la sacro-sainte A110 avant elle, on retrouve sur la GTA un châssis-poutre supportant une carrosserie en polyester, qui constitue la marque de fabrique de toutes les Alpine, quasiment, depuis les débuts de la marque. Si la nouvelle GTA prend donc bien la succession directe de l’A310 V6 et qu’elle entend bien, incarner, tout comme celle qu’elle remplace, une certaine idée du « grand tourisme à la française », elle ambitionne toutefois, également, de séduire une clientèle plus large. Non seulement par les caractéristiques évoquées plus haut, mais aussi du fait qu’elle sera proposée en deux versions différentes, bien que ces dernières seront équipées, dans les deux cas, du célèbre V6 PRV.
Celle présentée en premier étant la version « de base » atmosphérique, dotée d’une motorisation affichant une cylindrée de 2 849 cc pour une puissance de 160 ch. Si cela peut paraître assez peu (à peine 10 ch de plus que sa devancière, laquelle avait d’ailleurs eu droit, en forme de « départ en beauté » à la fin de sa carrière, à un kit de préparation mécanique « GT Boulogne », portant la puissance du V6 à 193 chevaux), avec un poids plume d’à peine 1 140 kg à vide, elle peut néanmoins revendiquer une vitesse maximale de 235 km/h. Les chronos qu’elle réalise étant, là aussi, loin d’être ridicules au vu de son rapport poids/puissance avec le 0 à 100 km/h parcourus en 8 secondes et le 1 000 mètres départ arrêté en 28 sec. Si cela lui offre de quoi tenir, sans trop de peine, la dragée haute à une Porsche 944, aux yeux des essayeurs de la presse auto ainsi que des amateurs les plus exigeants (et l’on sait que les exigences de ces derniers sont souvent grandes sur le marché des GT), cela reste cependant encore (un peu, voire nettement) insuffisant. Pour pouvoir revendiquer pleinement le titre de « Porsche française », l’un des critères essentiels à remplir est que la puissance atteigne au moins la barre (très symbolique des deux cents chevaux).
Toutefois, ce problème n’en est pas du tout un aux yeux des responsables d’Alpine, puisque l’autre version prévue sur la GTA, celle de haut de gamme, recevant le moteur de la R25 V6 Turbo (dont la cylindrée n’est, toutefois, ici, que de 2 458 cc, pour des raisons fiscales) affiche (justement) 200 chevaux « tout ronds », ce qui lui permet ainsi d’accrocher, en vitesse de pointe, les 250 km/h. Avec la barre des 100 km/h atteinte en 7 secondes et les 26,8 secondes pour le kilomètre D.A. Bien qu’elle soit commercialisée « seulement » six mois après la version GT « atmo », cette attente a probablement paru assez (c’est-à-dire trop) longue aux yeux de certains acheteurs éventuels, tout comme à certains représentants de la presse spécialisée, les uns ainsi que les autres ne se privant pas de pointer celle-ci du doigt. A tel point qu’elle donnera naissance, ou, en tout cas, alimentera, les rumeurs sur de prétendus problèmes de mise au point de la version Turbo. Or, l’on sait combien, dans cette catégorie où l’image (de marque) est aussi importante qu’elle peut parfois s’avérer fragile (et, une fois qu’elle est, un tant soit peu, abîmée, difficile à réparer), combien ce genre de rumeurs (même en partie ou totalement infondées) peuvent causer un préjudice grave. Pourtant, le temps a bien prouvé que ces rumeurs étaient souvent fondées sur du vent, le V6 PRV (même s’il n’a pas le raffinement ni la sonorité d’autres mécaniques du même genre, telles que le V6 Busso d’Alfa Romeo) s’avérant parfaitement robuste, en se montrant capable d’atteindre sans difficulté les 250 000 kilomètres, en contrepartie d’un entretien correct (ce qui, il est vrai, n’a pas toujours été le cas).
Une image un peu écornée donc, qui ne l’empêchera pourtant pas de représenter les trois quarts de la production de la GTA (ce qui n’est pas si étonnant que cela, dans la mesure où il s’agit de la version la plus performante), avec, au total, 4 570 exemplaires. A signaler que sur les 488 dernières voitures produites, durant les deux derniers millésimes (90 et 91), les nouvelles normes antipollution, imposant, notamment, le montage d’un pot catalytique, feront, malheureusement, baissé la puissance à 185 ch seulement.
Pour en revenir à la partie esthétique, le dessin de la proue fait, là aussi, clairement référence à son aînée, avec sa double paire de phares placés derrière des vitres en plexiglas. Il est vrai que le dessin de la face avant de la GTA n’a jamais vraiment fait l’unanimité (à son époque comme aujourd’hui). Un certain nombre d’amateurs, tant parmi les Alpinistes que les collectionneurs et fans de voitures de sport en général, lui préférant la face avant de l’A610 (évolution plus moderne de la GTA et ultime représentante de la lignée des Alpine de grand tourisme), avec ses phares rétractables. En tout état de cause, le styliste Gérard Godfroy, travaillant alors au sein du bureau de style du carrossier Heuliez (et qui sera plus tard l’un des deux créateurs, avec Claude Poiraud, de la marque Venturi) a su réussir la synthèse de conserver la plupart des codes esthétiques qui faisaient toute la personnalité de l’A310 tout en conférant à la nouvelle GTA une ligne inédite et bien ancrée dans les années 80.
Preuve qu’à l’époque, les dirigeants de Renault n’avaient pas encore commencé à se désintéresser de la valorisation et donc de l’avenir d’Alpine, plusieurs bureaux de style ont été sollicités afin de concevoir leur vision de la nouvelle GT française des années 80. En plus d’Heuliez, le centre du Berex (le bureau d’études d’Alpine, situé donc au sein de l’usine de Dieppe, dont on imagine aisément la frustration ressentie par celui-ci que la direction de la firme au losange lui ai préféré le projet d’Heuliez), celui de Renault (à Rueil-Malmaison) ainsi, même, que celui du groupe American Motors aux Etats-Unis (il faut, en effet, rappeler qu’AMC appartenait alors, depuis 1979, à Renault).
Les études pour le remplacement de l’A310 commençant dès le milieu des années 70, alors que sa version V6 venait à peine d’être commercialisée, ce qui semble donc indiquer clairement que sa carrière n’était pas censée durer près de quinze ans. Renault ayant même, à une époque, de grands projets pour la marque dieppoise, notamment celui, pour la GT qui succéderait à l’A310, de repartir, sur bien des points, d’une feuille blanche, en concevant une sorte d’A310 « familiale ». Celle dont il est envisagé de la baptiser, lors de sa commercialisation, de la dénomination A480, devant donc être offrir une habitabilité supérieure à celle de l’A310.
Comme il est alors dans les habitudes de la Régie à l’époque, celle-ci organise alors une sorte de « concours » entre plusieurs centres d’études et stylistes, avec, parmi ces derniers, les pointures que sont les designers italiens Trevor Fiore et Marcello Gandini. Le projet imaginé par ce dernier n’étant pas sans évoquer, sous de nombreux angles et avec quelques années d’avance, la Volvo 480. Si la proue, avec son capot plongeant et ses phares rétractables, évoque fortement certaines des réalisations les plus célèbres de Gandini comme la Lamborghini Countach, l’arrière, de son côté, avec ses grandes vitres latérales trapézoïdales et sa lunette arrière verticale évoque fortement la silhouette d’un break (ou de certains « breaks de chasse » comme la Lotus Elite contemporaine). Montrant ainsi combien, même pour les designers les plus brillants, il est difficile de concilier la ligne sportive typique des voitures de grand sport avec l’habitabilité d’une voiture disposant de quatre vraies places. Notamment au niveau de la garde au toit, limitant voire interdisant, tout simplement, l’accès des places arrière aux personnes de grande taille. L’exemple de Ferrai avec la Dino/Ferrari 308 GT4 (seul modèle de la marque à ne pas avoir été dessinée par Pininfarina mais par Bertone) ainsi que la remplaçante de cette dernière, la Mondial, étant certainement un cas d’école qui en illustre toute la difficulté.
Quoi qu’il en soit, cette proposition sera finalement écarté en faveur de celle, plus « classique » ou « consensuelle » de Trevor Fiore. Celle-ci conservant en effet, dans ses grandes lignes, la silhouette de la grande majorité des GT italiennes de l’époque, avec, là aussi, une proue taillée en forme de pointes équipées de phares escamotables et une partie arrière de style fastback dotée d’une vaste lunette arrière plongeante. L’intention d’Alpine avec cette future A480 étant de rompre radicalement avec le style de l’A310 et surtout de se doter ainsi d’une arme lui permettant de pouvoir se mesurer directement à Porsche (ce qui avait déjà été l’intention de Jean Rédélé avec la première version de l’A310, bien que dans une moindre mesure). En particulier sur le marché américain, où la marque au losange vient de se porter acquéreur du groupe American Motors Corporation et où les nouvelles Renault Alliance et Encore (versions américanisées et donc plus cossues des R9 et R11) connaissent alors un certain succès auprès de la clientèle américaine.
Le nouveau contexte économique de la fin des années 70 et du début des années 80, marqué par les secousses engendrées par deux crises pétrolières successives et une récession économique (conséquence de celle-ci) finiront toutefois par décider Renault à mettre fin à ce projet. Ainsi, il faut l’ajouter, que le coût d’une mise en production finissant par s’avérer plus élevé que ce qui avait été estimé au départ. S’il apparaît clairement que le pari était, en effet, fort risqué, surtout sur un marché où (des deux côtés de l’Atlantique) la concurrence était aussi nombreuse que féroce et qui n’était donc pas vraiment gagné d’avance (tant s’en faut), il est toutefois à regretter (fortement) que Renault n’ait pas, malgré tout, pris le risque de le tenter. Car, s’il avait réussi, il y a fort à parier qu’en plus d’avoir réussi à donner à Alpine une image, à la fois, plus solide et prestigieuse qu’auparavant.
En tout état de cause, lorsque celui-ci est, dès lors, rang définitivement dans les tiroirs et que débutent donc, en 1981, les études du nouveau projet qui aboutira au lancement de la GTA, la ligne directrice donnée dans le cahier des charges pour la conception de cette nouvelle Alpine pourrait se résumer par le slogan : « Le changement dans la continuité ». Si, dans l’ensemble, la ligne de l’Alpine GTA n’a jamais vraiment fait l’unanimité, à l’époque de sa sortie comme actuellement, c’est donc sans doute bien parce qu’elle a pu donner l’impression de n’être qu’une « réinterprétation » en plus moderne de celle de sa devancière, l’A310. Plus donc que par le dessin de sa proue, en particulier, dont certains avaient jugé (et jugent toujours aujourd’hui) qu’elles manquent de l’agressivité qui seyait si bien aux A310 (qu’il s’agisse des versions quatre cylindres ou V6). Anecdote assez inattendue et intéressante, les feux arrière seront également repris par Lotus sur le roadster Elan (type M100), à moteur Isuzu, produit au début des années 90.
Plus que l’extérieur, ce qui a toujours fait (fortement) débat sur la GTA, depuis son lancement en 1985, avec une intensité (et parfois même une virulence) qui ne s’est jamais démentie en près de quarante ans concerne l’un des points les plus importants de son design intérieur. A savoir la planche de bord, au sujet de laquelle de nombreux journalistes automobiles ne sont pas privés de tremper abondamment leur plume dans le vitriol pour noircir un nombre de pages plus longue qu’un bras afin de la vouer aux gémonies. Même si (comme le dit le célèbre dicton) « tous les goûts sont dans la nature » et que chacun est libre de porter le jugement qu’il veut sur celle-ci (et donc de l’aimer ou pas), avec le recul que permet les près de quatre décennies qui nous sépare de l’apparition des premières GTA et en toute objectivité, en matière de planche de bord peu ou pas réussies, l’on a déjà connue pire et parfois même sur des GT au label pourtant jugé plus prestigieux. Selon les sources les plus nombreuses, l’auteur de ce fameux tableau de bord si abondamment (et sans doute injustement) décrié au fil du temps serait le designer italien Pietro Stroppa, qui travaillait alors pour le centre de style de Renault. Même si certaines autres (notamment l’auteur Frédérick Lhospied dans l’ouvrage « Les Renault Alpine GTA, de l’espoir au désespoir ») font état de la rumeur que celle-ci le dessin initial de cette planche de bord aurait, en réalité, été réalisé par Marcello Gandini (ce qui pourrait apparaître assez plausible, étant donné qu’il avait déjà conçu pour Renault celles de la première série de la R5 Turbo ainsi que de la R25).
En tout état de cause, quel que soit le designer à qui revient l’idée véritable de celle-ci et malgré les foudres qu’elle s’attire, tant de la part des représentants de la presse automobile que de la clientèle à laquelle s’adressait la GTA, il faut néanmoins lui reconnaître une ergonomie dont ne peuvent pas vraiment se vanter toutes les autres GT semi-artisanales (de même catégorie ou même plus puissantes et chères encore). Tous les instruments nécessaires à la conduite ainsi que pour que le conducteur puisse s’assurer de la bonne santé de la mécanique tombe idéalement sous les yeux de celui-ci et sont placées à proximité immédiate du volant, tout comme les différents boutons et manomètres des commandes les plus essentielles. Les deux « façades » ou « oreilles » rectangulaires, légèrement repliées vers l’intérieur, en direction du conducteur, que l’on retrouve des deux côtés de « l’écran » regroupant les deux principaux cadrans à aiguilles (à noter qu’à partir de 1988, l’instrumentation deviendra de couleur ocre et non plus rouge) intégrant aussi les aérateurs destinés au conducteur.Outre les commandes de climatisation, la plus grande partie du « plan incliné » constituant la partie supérieure de la console centrale est souvent occupée par l’imposante chaîne hi-fi de marque Philips, qui, bien que n’étant disponible en option, représentait ce qui se faisait de mieux en matière d’autoradio à l’époque et, de ce fait, fut commandée par la plupart des acheteurs.
Bien plus que le design du tableau que le conducteur a devant les yeux, ce sont plus la finition assez perfectible qui aurait mérité des critiques un peu acerbes (et justifiées, celles-là) de la part des essayeurs de la presse auto. Sans aller jusqu’à dire que l’on avait l’impression de se croire à bord d’une « vulgaire » R9 de base, il est vrai que celle-ci n’était pas toujours à la hauteur d’une GT vendue 175 000 F pour sa version de base (GT « tout court » donc) et 210 000 F pour la version haut de gamme Turbo (soit, s’agissant de cette dernière et pour remettre les choses en perspectives, près de trois fois le prix d’une Supercinq GT Turbo). Même si cela reste quand même plutôt « bon marché » pour un coupé de grand tourisme, lorsque l’on sait qu’il fallait faire un chèque d’un montant de plus de 300 000 Francs pour une Porsche 911 Carrera 3.2 (laquelle affichait pourtant une puissance à peine supérieure et une vitesse de pointe similaire à celle d’une GTA en version Turbo). En tout état de cause, cette solution de facilité consistant à recourir à des plastiques qui, par leur aspect dur et brillant, trahissaient un peu trop leur caractère bon marché, rappelait (à ceux qui l’auraient oublié) que Renault était plus spécialisé dans les voitures populaires que dans les sportives de haut de gamme.
Outre le tableau de bord, un autre point de la présentation et de la finition qui sera fortement critiquée à sa sortie est le drap gris cendré qui recouvre les sièges et les contre-portes et que l’on jugerait presque tout droit sorti d’un utilitaire et réputé d’ailleurs aussi agréable au toucher qu’un paillasson à poils durs. Une sellerie qui jure d’autant plus dans l’habitacle de l’Alpine que les designers chargés de la conception de l’habitacle ont, néanmoins, eu la bonne idée de reprendre le concept (bien que sous une forme légèrement modifiée) des sièges « pétales » qui ont fait le bonheur des propriétaires des Renault sportives dans les années 70. En conséquence, il est heureux que la marque ait eu la bonne idée de proposer une sellerie en cuir optionnelle. Le drap qui gratte, peu agréable à l’oeil comme au toucher, sera (heureusement, là aussi) remplacé, à partir de 1988, par un velours plus flatteur d’aspect et aussi plus qualitatif. Il faudra toutefois encore quelques années avant que la nouvelle politique qualité mise en place par Raymond Lévy (qui succéda à la tête de Renault après l’assassinat de Georges Besse en 1986) porte ses fruits (à partir du millésime 89, l’habitacle des Alpine GTA bénéficiera ainsi d’une finition nettement améliorée).
Outre un style qui s’est révélé, avec le temps, « intemporel » (même s’il faut rappeler qu’à certaines époques et aux yeux de beaucoup, ce n’était pas vraiment le cas)), l’une des raisons essentielles qui explique le succès et la longévité (pratiquement inégalée dans sa catégorie) qu’a connu la Porsche 911 est qu’elle a su se perfectionner et se bonifier au fil du temps, grâce à l’attention et aux soins qu’a toujours su lui prodiguer son constructeur. Des soins et une attention qui (malheureusement pour elles) ont souvent faits défauts à la GTA ainsi qu’aux Alpine de grand tourisme en général. Indépendamment des défauts (petits ou grands) mentionnés précédemment, l’un des problèmes majeurs de l’Alpine GTA est qu’elle n’a bénéficié d’aucune évolution (et donc d’améliorations) significative durant sa carrière. Les nouvelles normes imposées par les instances de l’Union Européenne en matière d’émissions de pollution, à partir de la fin des années 80, faisant même perdre quelques plumes à la GTA en version Turbo. Celle-ci abandonnant une quinzaine de chevaux après s’être vue imposer le mlontage d’un catalyseur (dont les marchés allemand et helvétique auront la « primeur » dès 1988, avant que celui-ci soit généralisé à la France ainsi qu’aux autres pays européens à partir de l’année-modèle 1990).
Sur le plan esthétique, si les premières GTA se reconnaissent, vu de l’arrière, à l’inscription « RENAULT Alpine » placée en bas à gauche sur la grille entre les feux, celle-ci sera remplacée, à partir de juillet 86, par un sticker* (avec la même inscription) sur le pare-chocs (toujours du côté gauche). Sur la proue, le logo représentant le losange apposé sur une plaquette rectangulaire apposée sur les premiers exemplaires étant, de son côté, remplacé par un losange « simple », apposé donc directement sur la carrosserie. Auparavant proposé uniquement en option, le rétroviseur droit à commande électrique est désormais monté de série. L’habitacle se voyant équipé, quant à lui, d’une banquette arrière équipée d’un dossier rabattable, qui ne sert pas à agrandir le volume du coffre ni ne donne accès à celui-ci (étant donné que, pour rappel, c’est le moteur qui est installé à l’arrière) mais qui permet, néanmoins d’emporter quelques bagages supplémentaires dans le cadre d’un voyage à deux. Le compartiment à bagages sous le capot avant n’affichant, en effet, qu’une capacité de 90 litres seulement, son volume se voyant assez fortement limité par le réservoir d’essence (à noter que le bouchon de remplissage de celui-ci se trouvant également à l’intérieur du compartiment, cela implique donc d’ouvrir le capot afin de pouvoir faire le plein).
Extérieurement, les Alpine GTA produites à partir de juillet 1987 se reconnaissent à leur capot avant nervuré (et non plus lisse). Simultanément, le freinage peut désormais bénéficier, en option, de l’ABS ; la V6 Turbo bénéficiant, de son côté, d’un nouveau turbocompresseur refroidi par eau. C’est toutefois en juillet 1988 (à l’occasion de la présentation des modèles du millésime 89 donc) que les changements les plus nombreux seront opérés. Outre ceux déjà mentionnés auparavant, le tableau de bord reçoit également de nouveaux témoins lumineux désormais opaques (et qui n’apparaissent que lorsqu’ils sont utilisés) ainsi que de nouvelles commandes de phares et d’essuie-glaces ainsi que d’autres détails d’agencement et de présentation visant, à la fois, à améliorer l’ergonomie ainsi que la qualité perçue. Du côté des équipements de sécurité, on peut aussi noter le montage en série de rétroviseurs dégivrants. Si aucun changement notable n’est à signaler sur le plan technique, il est cependant à mentionner que les deux versions de la GTA, GT et Turbo, bénéficient d’une baisse de leur puissance fiscale (avec donc, à la clé, des taxes, elles aussi, sensiblement abaissées : 14 CV pour la première et 11 CV pour la seconde).
Un an plus tard, à la fin du millésime 1989 (en juillet de cette année-là donc), la version GT d’entrée de gamme disparaît du catalogue, la V6 Turbo restant alors la seule version disponible au catalogue. Celle-ci recevant désormais sur sa proue le nouveau logo Alpine, apparu sur la série Mille Miles et représentant un anneau circulaire avec « A » bleu stylisé sur fond blanc dans sa partie supérieure avec, en partie basse, le nom d’Alpine en lettres argentées sur fond bleu) à la place du losange de Renault. Un changement d’emblème que l’on peut interpréter comme un signe manifeste d’une nouvelle politique de la marque au losange vis-à-vis d’Alpine et de la volonté de celle-ci de mieux mettre en avant « l’identité » d’Alpine avant la sienne.
Un changement de cap sans doute dû, en grande partie, au fait que les dirigeants de la Régie prennent (enfin) conscience de la situation délicate dans laquelle se trouve alors (et dépit quelque temps déjà) la marque de Dieppe. Les ventes de la GTA ne cessent de chuter et de nombreux journalistes de la presse auto (eux-mêmes souvent grands admirateurs de la marque, ce que rajoutent d’autant plus de poids à leurs déclarations, sans, pour autant, remettre forcément en cause leur impartialité) ne se privent pas de s’en alarmer dans leurs articles. Les plus alarmistes (ou réalistes, pourrait-on dire, a posteriori) n’hésitant pas à déclarer que si Renault ne procède pas, assez rapidement, à un changement de cap et, surtout, n’accorde pas à Alpine les moyens nécessaires pour les nouvelles ambitions que celle-ci prétend avoir pour celle-ci, il n’y a probablement pas à donner cher de l’avenir de la marque. Cinq ou six ans après ses déclarations en forme de signal d’alarme et d’appel à une sorte de « sursaut national » pour l’un des meilleurs mais aussi des derniers représentants du sport à la française, les faits se chargeront (hélas) de leur donner raison !
Si l’Alpine GTA pouvait certainement se prévaloir, lors de son lancement de l’un des meilleurs rapports prix/performances de sa catégorie (que ce soit en version GT ou Turbo), cela ne pouvait toutefois suffire à assurer leur succès. Sans doute parce que (surtout depuis l’après-guerre) Renault est, avant tout et surtout, un constructeur « généraliste », les normes spécifiques à ce marché élitiste ainsi que la mentalité qui y avait cours leur étaient trop étrangères et aussi trop « hermétiques ». Au sein du segment des coupés grand tourisme, même si deux modèles présentes des performances à peu près équivalentes, il y a fort à parier que la grande majorité des acheteurs opteront pour celui qui peut se prévaloir d’une ascendance aussi longue que prestigieuse et dont le constructeur jouit (en conséquence) de la meilleure image de marque. Sans compter que ce marché, comme celui des voitures de prestige en général, la qualité de finition constitue un critère primordial (et l’on sait, comme il a été expliqué plus haut, qu’il s’agissait de l’un des principaux talons d’Achille de l’Alpine GTA à son lancement).
Outre le fait de ne pas s’être souvenu (ou avoir pris conscience) qu’au sein du grand public, le nom d’Alpine évoquait, avant tout et surtout, de petites sportives artisanales conçues avant tout pour la course et non des GT de haut de gamme destinés à concurrencer les Porsche, Jaguar et autres Maserati. Même plus de douze ans après l’arrêt de sa production, l’ombre et le souvenir de la berlinette A110 planaient encore sur ses descendantes, lesquelles ne sont jamais vraiment parvenues à en sortir véritablement, malheureusement pour elles.
Au commencement de la dernière décennie du 20e siècle et après seulement quatre ou cinq ans de carrière, il apparaît donc manifeste que la GTA a, en grande partie, manqué sa cible. Aux yeux de la direction de Renault, il ne s’agissait pas tant de tenter de relancer la carrière d’un modèle dont la cause était, désormais sans doute, considérée comme perdue que de faire patienter les médias comme le public dans l’attente du lancement de celle qui doit lui succéder. Ce sera la série Le Mans, avec laquelle l’Alpine GTA tirera sa révérence en avril 1991, après avoir été produite à 6 494 exemplaires, toutes versions confondues, se répartissant comme suit : 1 509 GT, 4 570 GT V6 Turbo (dont 4 082 non catalysées et 488 équipées du catalyseur), 325 Le Mans, 69 Europa Cup ainsi que les 21 exemplaires de présérie de la version américaine.
Bien qu’elle ait été considérée, à certains égards, par Renault comme un « demi-échec », étant donné que sa production n’a atteint que les deux tiers de celle de sa devancière, l’A310 V6. Pourtant, lorsque l’on fait les comptes, l’une comme l’autre affichent pourtant une production moyenne et annuelle quasiment identique (un peu plus de mille exemplaires par an environ). En tout état de cause, même si toutes les meilleures fées ne se sont peut-être pas penchées sur son berceau, l’Alpine GTA n’était pas si mal né que cela pour autant et, quitte même à ne la considérer, globalement, que comme une « version améliorée » de l’A310 (même si elle est, en réalité, bien plus que cela), elle n’en demeure pas mois, aujourd’hui comme à son époque, l’une des meilleures représentantes du « grand tourisme à la française ».
Philippe ROCHE
Photos Wheelsage
D’autres histoires d’Alpine https://www.retropassionautomobiles.fr/2022/08/alpine-a610/
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=ujMXJi76A7Q&ab_channel=EssaisLibres