ASTON MARTIN DBS – La dernière Aston de David Brown
Même si, au début des années soixante, le vénérable six cylindres conçu pour Lagonda par Walter Owen Bentley (qui avait été la raison du rachat de Lagonda par David Brown, peu de temps après que ce dernier ait fait l’acquisition d’ Aston Martin) et dont le développement avait ensuite été supervisé par Tadek Marek (pour les versions ultérieures de la DB 2 puis des DB 4, 5 et 6) a encore une dizaine d’années de carrière devant lui, David Brown et Tadek Marek étudie déjà son remplacement.
Si, dans un premier temps, le patron d’Aston Martin et son ingénieur en chef envisagent de rester fidèle au six cylindres en ligne ou même à faire appel à un V12 (sans-doute influencés par l’exemple de Ferrari), les deux hommes finissent par opter, en mai 1962, en se rangeant à l’avis de John Wyer, le directeur technique de la marque, pour la solution du V8 (sans-doute influencé, ici, par l’exemple des voitures de sport américaines comme la Corvette, les Etats-Unis représentant alors, pour Aston Martin comme pour tous les constructeurs européens de voitures de luxe, la plus grande partie de ses ventes à l’exportation).
Le V8 conçut par Tadek Marek étant un bloc entièrement en alliage léger équipé d’une distribution à deux arbres à cames en tête par rangée de cylindres. Le premier V8 Aston Martin, d’une cylindrée de 4,8 litres, alimenté par quatre carburateurs Weber double-corps, effectue ses premiers tours au banc d’essai en 1965. Si la puissance mesurée lors de ces tests est fort appréciable (325 chevaux) Marek et Wyer vont devoir déployer des trésors d’ingéniosité pour réussir à le placer sous le capot d’une DB 5 afin de pouvoir procéder aux essais sur route. Pour y parvenir, ils doivent remplacer le système d’alimentation, en recourant à un carburateur unique placé à l’arrière du moteur (une solution qui fera perdre, au passage, pas mal de chevaux). Car si le nouveau moteur est nettement plus court que l’ancien il est aussi plus haut et surtout plus large, ce qui oblige les ingénieurs dirigés par Harold Beach à concevoir un nouveau châssis. S’il conserve les dimensions de celui de la DB 6 (2,58 mètres d’empattement et 1,37 m de large pour la voie avant), le moteur est désormais placé en position très reculée sur le châssis, en arrière de la traverse avant, et l’essieu arrière recourt désormais à un pont de type De Dion (comme sur la berline Lagonda Rapide).
Le V8 n’étant toutefois pas encore suffisamment au point, c’est le moteur 6 cylindres la DB 6 Vantage (la version la plus puissante proposée au catalogue de la marque) qui est installée dans les deux châssis expédiés à Milan chez le carrossier Touring en avril 1966. Celui-ci réalisant alors pour Aston Martin les carrosseries de la DB 6 (après celles des DB 4 et DB 5), selon le procédé « Superleggera » breveté par ses soins (qui consiste en une armature composée de tubes d’acier sur lesquels sont soudés les panneaux de la carrosserie, réalisés, eux, en aluminium), c’est donc, logiquement, à Touring que le constructeur de Newport Pagnell s’est adressé pour la réalisation des deux exemplaires du prototype de celle qui doit, à terme, remplacer la DB 6. Le célèbre carrossier italien est alors en proie à de graves difficultés financières, qui l’obligeront à mettre la clé sous la porte au début de l’année suivante. Les deux voitures (l’une à conduite à gauche, l’autre avec le volant à droite), dont les lignes ne sont pas sans évoquer, sous certains angles, la Jaguar Type E, sont toutefois terminées à temps pour être exposées, sous la dénomination DBS, aux Salons de l’auto de Paris et de Londres, en octobre et en novembre 1966. Elles seront finalement vendues à des particuliers (elles seront alors rebaptisées « DBS C », afin d’éviter la confusion avec le modèle qui sera mis en production).
Cette « DBS C » restera toutefois sans descendance, car, en plus de la disparition de Touring, Aston Martin doit alors faire face à une sérieuse baisse de ses ventes sur le marché britannique. Pour relancer celles-ci et permettre à Aston Martin de rester en tête parmi les constructeurs de sportives de haut niveau en Europe, un nouveau modèle s’impose donc rapidement. Si les prototypes réalisés par Touring étaient de strictes voitures à deux places, il apparaît clair que, face à ses concurrentes, la nouvelle Aston Martin devra, comme la plupart de celles-ci, offrir quatre places, un châssis spécialement étudier pour recevoir le V8 ainsi qu’une carrosserie aux lignes innovantes, rompant délibérément avec celles de la lignée des DB 4, DB 5 et DB 6 (dont les lignes « rondouillardes » commencent à être quelque peu passées de mode face aux lignes acérées des GT italiennes ou celles anguleuses des muscle cars américains).
Dans le domaine du design, le sang neuf est déjà présent chez Aston Martin, en la personne de William Towns, un jeune styliste, récemment entré au sein du bureau d’ études de la marque. Enthousiasmé par ses dessins pour la nouvelle Aston Martin, David Brown décide alors, en octobre 1966, que ces lignes seront celles de la nouvelle DBS. Un an plus tard, au Salon de l’auto Londres, celle-ci est dévoilée au public. Beaucoup plus massives et agressives que celle de sa devancière (dont la carrière ne s’arrêtera cependant qu’en novembre 1970), tout en autant aussi fort élégantes, les lignes tracées par William Towns reçoivent un accueil enthousiaste de la part du public comme de la presse automobile. Comme ce dernier l’expliquera plus tard, la production américaine exerçait souvent une forte influence sur les productions européennes et il reconnaîtra s’être inspiré des muscle cars qui commençait alors à être en vogue aux Etats-Unis, notamment de la Chevrolet Camaro (ce qui transparaît d’ ailleurs nettement lorsque l’ on observe la voiture de profil). Nettement plus large (15 cm de plus !) et offrant donc un habitacle plus spacieux et plus confortable (grâce aussi à un train arrière nettement plus élaboré) que la DB 6 (mais aussi plus lourde), la nouvelle DBS est aussi 25 % plus chère.
A son lancement, seul le six cylindres issu de la DB 6 est toutefois présent sous le capot de la nouvelle Aston, comme pour cette dernière, en deux versions: « Normale », alimentée par deux carburateurs SU et offrant 282 ch (bien que la marque, prenant exemple sur la politique pratiquée par Bentley et Rolls-Royce, refuse désormais de divulguer la puissance de ses moteurs) et la Vantage, équipée de gros carburateurs Weber, développant 325 chevaux (comme sur la première version du V8 étudié au banc d’essai en 1965). La production de la DBS 6 cylindres ne dépassera toutefois pas les 786 exemplaires jusqu’ en avril 1972.
Sa mise au point étant enfin finalisée, le premier V8 de l’histoire d’Aston Martin entre finalement en scène en septembre 1969. Extérieurement, il est toutefois difficile de différencier une DBS V8 de la version originelle à six cylindres, seule les jantes en alliage (masquant des freins à disques ventilés) ainsi qu’un bavolet aérodynamique sous le pare-chocs avant permettant de reconnaître celle équipeé du moteur V8 (celle à six cylindres se reconnaissant à ses roues à rayons). Malgré une cylindrée supérieure (5,3 litres contre 4 l), le premier V8 Aston ne se montre cependant guère plus puissant (environ 320 ch contre 325 pour la DBS Vantage). Une puissance « limitée » sans-doute due, en partie, à l’adoption d’ une injection indirecte Bosch à la place des carburateurs (ceci, pour répondre aux normes américaines, assez draconiennes). Si le nombre de chevaux du V8 n’est guère supérieur, le couple, lui, est cependant bien plus élevé, ce qui oblige, dans le cas des voitures équipées de la transmission automatique, à remplacer la boîte Borg-Warner par une TorqueFlite (elle aussi à 3 rapports), provenant de chez Chrysler, plus résistante. Bien que d’un poids plus élevé (1 727 kg à vide contre 1 588 pour la version 6 cylindres), la vitesse est néanmoins supérieure: 257 km/h contre 240 pour la DBS vintage (230 pour la version « normale »).
Contrairement aux Aston Martin des années 50 et 60, la DBS, à six cylindres comme pour la version V8, n’ est proposée qu’en coupé. (S’inspirant de ses précédentes réalisations sur les DB 5 et DB 6, David Brown envisagera de commercialiser une version break de chasse (Shooting Brake, selon la terminologie anglaise). Bien que fort réussi, l’exemplaire réalisé par Panelcraft (les breaks de chasse DB 5 et 6, eux, étaient réalisés par Radford) pour le distributeur londonien de la marque, restera unique (et l’on en a, malheureusement, aujourd’hui perdu la trace).
Au début de l’année 1972, une longue page de son histoire se tourne pour Aston Martin. Pour David Brown, Aston Martin a toujours été, avant tout, une passion et une sorte de « mécénat » fait par un grand amateur d’automobiles pour le seul plaisir de rivaliser avec les plus grandes marques rivales, anglaises ou étrangères, et de prouver que ses voitures leur étaient égales (voire supérieures) dans tous les domaines. Il apparaît clair que les bénéfices pures et simples n’ont jamais vraiment été sa priorité première. Les marges bénéficiaires dégagées par la marque furent toujours assez réduites (pour ne pas dire qu’ elle était souvent déficitaire). En proie à de graves difficultés financières (l’étude et le lancement du V8 ayant fini de mettre à mal ses finances), David Brown a dû se résoudre, en février 1972, à se séparer d’Aston Martin et à vendre la marque à la firme Company Developments Limited.
La plupart des hommes ayant participé à la conception de la DBS restent néanmoins toujours en place. Si William Towns a quitté Aston Martin en 1968, peu de temps après le lancement de la DBS, il continuera cependant à travailler, comme consultant indépendant, pour la marque. Pour laquelle il créera notamment la Lagonda (version à quatre portes de l’Aston Martin V8, qui ne sera toutefois produite qu’à 7 exemplaires), le concept-car Bulldog (équipé de portes « papillon » et aux lignes évoquant un avion de chasse voire un vaisseau spatial) et surtout la spectaculaire Aston Martin Lagonda (cette appellation devant désormais un simple nom de modèle), présentée en 1976, dont les lignes ne seront pas sans évoquer, elles aussi, un vaisseau de Star Trek ou encore une sculpture d’art contemporain.
Les années 70, marquées par les deux crises pétrolières et par une grave récession économique pour le Royaume-Uni, vont aussi être une période de troubles pour Aston Martin. La marque changera ainsi plusieurs fois de propriétaires, avant de retrouver progressivement des couleurs dans les années 80 et de connaître un nouvel âge d’or après son rachat par Ford en 1987.
Maxime DUBREUIL
Photos Wheelsage
D’autres anglaises https://www.retropassionautomobiles.fr/2021/10/jaguar-3/
En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=LrhMsB8fCis&ab_channel=Petrolicious